Entretien avec Apollinaire Todan, jeune leader de l’Union Progressiste sur la décentralisation : « On a besoin des maires qui feront de "la folie" en créant ce qui n’existe pas »

Isac A. YAÏ 28 février 2020

Le Bénin fait depuis 2003 l’expérience de la décentralisation. Cette gestion du pouvoir à la base est à sa troisième mandature et le Béninois s’apprête à élire dès le 17 mai prochains, les conseillers de la quatrième mandature. A cet effet, Apollinaire Todan, l’un des jeunes leaders de l’Union Progressiste et Directeur des études, de la prospective et de la programmation (Depp) de la mairie de Cotonou fait ici le bilan de ce développement à la base, les enjeux des prochaines élections, le profil et la missions des prochains maires pour un développement harmonieux du Bénin.

Vous êtes l’un des jeunes leaders du Parti Union Progressiste (UP). Actualité oblige, il y a 30 ans, le Bénin a organisé avec succès, la conférence des forces vives de la nation. Ces assises ont propulsé notre pays sur la voie de la démocratie. 30 ans après, que peut-on dire de la démocratie béninoise ?
Si nous nous référons aux normes, on se dira qu’on est assez bien. Mais si on se réfère aux autres, je dirai qu’on est les meilleurs. Car, il y a deux types de références : la référence par rapport aux normes et celle par rapport à la masse. Etant donc le premier dans la sous-région à emprunter la voie de la démocratie, nous n’avons pas encore fléchi. Par contre, certains pays qui ont voulu se servir de notre exemple piétinent encore. Je félicite donc tout le peuple béninois pour sa maturité. Je rends aussi un vibrant hommage à tous ces aînés qui ont sacrifié leus égo, leurs intérêts personnels, qui se sont oubliés au profit de l’intérêt supérieur de la Nation. Grâce à eux, nous avons aujourd’hui la liberté d’expression et le développement suit.

Cette démocratie a instauré beaucoup de choses au Bénin dont la décentralisation qui mène à la gestion du pouvoir à la base. Dites-nous, quels sont les enjeux de cette décentralisation par rapport au développement harmonieux du Bénin ?
L’un des résultats majeurs de la Conférence des forces vives de la Nation, c’est la démocratie à la base. Cela permet à l’administration de s’approcher des administrés. Désormais, la chose locale est plus ou moins pour les locaux. Le territoire est ainsi reparti en fractionnement d’unités. Or, en planification, quand on assiste à un fractionnement des travaux, mieux on suit. Désormais, il y a un responsable qui s’occupe de chaque unité à la base. Le développement ne se pense donc plus au sommet, mais à la base. Cela permet de ne plus assister à des oublis ou à des prestations de services non sollicités.

Depuis 2003, le Bénin fait l’expérience de cette décentralisation. Quel bilan en faites-vous ?
Si on se réfère toujours à notre démocratie au niveau national, on peut dire que nous avançons malgré tout. Nous avons donc une note acceptable. Mais quand je me réfère à ce qui devrait être ou à certains pays qui nous ont copié et qui, aujourd’hui, nous ont devancé, je dirai que beaucoup reste à faire. Beaucoup reste à faire car, il y a encore des communes qui sont à la traîne. Pas parce qu’elles ne veulent pas avancer, mais parce qu’elles sont limitées en matière de ressources élémentaires. Cela m’amène à évoquer les questions de transfert de compétences qui n’ont pas complètement ont été résolues. Si nous pouvons faire l’effort de considérer que l’ensemble du pays forme des carrés et que chaque carré bien lavé pourrait contribuer à la propreté de l’ensemble, l’Etat central pourrait donc voir comment accompagner davantage les collectivités locales pour qu’en termes de mobilisation des ressources, les moyens puissent être mis à disposition pour un développement harmonieux de notre pays. C’est vrai que dans certaines communes, des guéguerres politiques n’ont pas permis d’avancer comme il le faut.
L’autre aspect qu’il ne faut pas oublier, est que les premiers maires que nous avons eus avaient pour injonctions d’élaborer leurs Plans de Développement Communaux (PDC). Ils étaient donc dans l’embarras du chemin à emprunter pour rédiger ce document, car c’est la première fois. Il y en a donc qui ont procédé par des vœux, et d’autres qui ont fait une planification dans les normes. Donc, la première mandature a été une expérience. La deuxième mandature, plus ou moins. Après la troisième mandature, j’ai compris qu’en matière de développement local, les communes ont pris une autre allure. La quatrième mandature doit être donc celle de tous les défis.

Le développement à la base exige une participation citoyenne. Quelle place occupe donc la participation citoyenne dans ce processus de développement à la base ?
La participation citoyenne est à deux niveaux : il y a la reddition de comptes et les initiatives privées. D’un côté, les citoyens exigent de l’exécutif des comptes rendus, mais dans le même temps, ils ne s’organisent pas pour contribuer. Je n’ai jamais vu par exmple une organisation citoyenne qui sensibilise sur le paiement des impôts et des taxes. Par contre, ils exigent les redditions de comptes. Il faut reconnaître que quelques Organisation non gouvernementales (Ong) initient certaines actions que les collectivités locales accompagnent. Je les salue au passage. Il faut désormais comprendre que quand on parle de développement à la base, ce n’est plus seulement l’affaire de l’élu, mais chacun en ce qui le concerne, doit initier quelque chose pour le développement de sa commune. Chaque citoyen d’une commune est comme un ambassadeur de cette commune. Ainsi, partout où il passe, il doit observer et penser sur ce que vous pouvez ramener d’ailleurs pour contribuer au développement de votre commune. Il faut chaque fois se demander ce que vous pouvez apporter pour votre commune pour son évolution au lieu d’attendre que tout soit fait par les maires. Dans certains quartiers, les caniveaux sont dégradés. Les populations, au lieu de se regrouper pour fabriquer des dallettes, attendent que l’autorité vienne les réparer. Dans le même temps, elles ne paient pas à temps leurs impôts ou ne les paient même du tout. La participation citoyenne ne doit pas être seulement une question de droit, mais aussi de devoir.

Certains citoyens font souvent une confusion entre participation citoyenne et reddition de comptes. Qu’en dites-vous ?
La réédition des comptes n’est qu’un pan de la participation citoyenne. La participation citoyenne inclue des actions de l’exécutif vers le peuple et du peuple vers l’exécutif. Les actions du peuple vers l’exécutif constituent le devoir du citoir et les actions de l’exécutif vers le peuple constituent le droit du citoyen. La reddition de comptes est donc un lien qui consolide la gestion transparente de la commune

Quelle est l’importance de la reddition de comptes ?
La reddition des comptes est une manifestation de la confiance entre l’exécutif et les mandants. C’est en quelque sorte un renforcement de pacte ou de contrat de société signé. Parce qu’en rendant compte cela veut dire ce sur quoi nous sommes engagés en choisissant de diriger notre cité, est en train d’être fait. C’est de montrer aussi à la population que ce qui est programmé pour être fait dans l’année, l’a été et bien. Donc les redditions de comptes démontrent la transparence et la bonne gouvernance. Selon la charte, chaque maire est tenu de rendre compte au moins deux fois par an. Le maire n’est pas tenu de faire une reddition de comptes de toute sa gestion. Il choisit un certain nombre de points dont il veut rendre compte. Par contre, les citoyens aussi sont libres de saisir le maire par écrit pour lui demander des comptes rendus sur des points donnés.

Vous êtes le premier responsable de la Direction des études, de la prospective et de la programmation (Depp) à la mairie de Cotonou. A ce titre, vous accompagnez les actions du maire qui est en fin de mandat. Quel bilan faites-vous de la gestion de Cotonou après cette mandature ?
Comme vous le savez, cette mandature est en train de finir avec un maire intérimaire. Vous savez tout ce qui s’était passé pour que le maire Gnonlonfoun soit là aujoud’hui. J’ai donc démarré la gestion de la municipalité de Cotonou avec le maire Soglo. J’ai à peine fait 6 mois avec lui avant qu’il ne soit révoqué. J’ai donc passé tout le reste du temps de la mandature avec le maire Gnonlonfoun. Avant notre arrivée, notre direction n’était pas assez outillée pour jouer son rôle. A notre arrivée, nous avons donc créé la révolution. Désormais, cette direction joue pleinement son rôle de prospection et de planification où les actions de développement ont été réellement initiées. Si nous devons donc faire le bilan du PDC1 qui est en même temps la gestion des deux mandats plus une portion du troisième mandat, je dirai que ces trois dernières années ont porté beaucoup de fruits. Dans un premier temps, nous avons élaboré un PDC 2018-2022 avec une approche très participative et inclusive. 2018 a donc eu une bonne dose de réalisation et de programmations en termes d’investissements. 2018 année donc consacrée aux infrastructures scolaires. A ce titre, nous avons programmé plus de 42 modules de classes à construire, soit 32 dans un programme global avec le fonds Fadec et un complément de 9 avec le Fadec affecté. Plus d’une vingtaine de salles de classes ont été réhabilitées. Tout ceci a été fait avec d’autres réalisations. En 2019, 19 modules de classes ont été programmées avec des centres de santé et l’amélioration du cadre de vie des Cotonois. L’année 2019 a été donc dédiée à la réhabilitation des voies pavées dans tout Cotonou. Nous faisons donc une planification plus efficiente en dédiant les années à des réalisations. Ainsi, 2018 a été dédiée aux infrastructures scolaires, 2019 au cadre de vie avec la réhabilitation des voies pavées, la réalisation des espaces verts. C’est vrai que le marché du carrefour la vie a eu un peu de retard, mais très bientôt, le grand jardin doté d’un système de jet d’eau, sera réalisé avec le symbole de la ville. Cette année 2020 est consacrée aux services sociaux. Cela nous permet d’offrir 11 ambulances aux différents centres de santé de 11 arrondissements de Cotonou. Cotonou compte 13 arrondissements, mais 2 ne disposent pas de centres de santé. Nous ferons aussi la réhabilitation de plus de 10 centres de santé et la construction de 4 dispensaires dans la ville de Cotonou. Des laboratoires seront construits dans les collèges et centres de santé. Nous poursuivrons aussi la programmation de 2019 qui est le cadre de vie à travers la construction de 20 toilettes publiques. Avec le maire Gnonlonfoun, la programmation et la prospective vont de paire. Donc, nous savons où nous allons et avec quels moyens nous y allons. Les conseillers ont donc tout le temps voté à l’unanimité le budget parce que c’est du vrai. Donc, A partir de 2018, la mairie de Cotonou a eu une autre approche d’opérer son développement.

Le 17 mai, les Béninois sont invités aux urnes pour élire les conseils communaux et municipaux. Quel devrait-être le profil des prochains maires de nos communes ?
Je vais comparer la 4ème mandature au cycle universitaire en disant que c’est l’année de la maîtrise, on n’a donc pas droit à l’erreur. L’enjeu est déjà compris par tout le monde car, le top est lancé par le premier citoyen du Bénin, le Président de la République. Sa manière de penser le développement est très différente. Je ne dis pas que ces prédécesseurs n’ont rien fait mais, avec lui, on sait où on va à l’avant et comment on y va. Il ne fait pas de l’à peu près. S’il aspire à un beau pays, les communes n’ont pas intérêt à faire le contraire, car j’avais dit que le pays est un ensemble de petits carreaux et chaque commune représente un carreau. Si le Président de la république veut un beau pays, cela veut dire que le responsable de chaque carreau doit travailler pour rendre son carreau propre. Ainsi, une fois que tous les carreaux sont propres, cela veut dire que tout le pays l’est aussi. On a donc intérêt à mettre à chaque carreau, un dirigeant ayant les mêmes réflexions. Donc, la dynamique du chef de l’Etat doit être reflétée dans toutes les communes. Il faut donc des maires dynamiques, capables de lancer l’offensive. Nous ne souhaitons plus avoir des maires classiques, c’est-à-dire qu’on a le fonds Fadec, on construit école, on donne de l’eau puis on applaudit. Il faut finir avec ça. On a besoin des maires qui feront de "la folie" en créant ce qui n’existe pas pour booster le développement. Aucune commune ne peut dire qu’elle n’a pas un espace touristique à aménager. S’il y en n’a pas, il faut le créer. La Renaissance à Dakar au Sénégal n’existait nulle part dans l’histoire du Sénégal. Elle a été créée et elle fait converger des milliers de touristes à Dakar chaque année. On a donc besoin des maires dynamiques, jeunes, visionnaires et susceptibles de connaître le fonctionnement de l’administration et la diplomatie locale afin que toutes les filles et tous les fils de la commune se mettent ensemble pour travailler. C’est en cela que je prie pour que la 4ème mandature n’enregistre pas des conseillers chercheurs d’emplois, mais des conseillers développeurs. Certains pensent qu’être conseiller, c’est aller trouver un emploi, ce n’est pas ça. Si c’était pour un emploi, on allait mettre recrutement et non élection. Un conseiller, c’est lui qui conseille. Il a été choisi parmi tant d’autres pour penser le développement. Il porte alors la parole de ces mandants comme un député, seulement qu’ici, on est en développement. Un conseiller n’est donc pas là pour demander des marchés chez le maire. Je rêve donc à la tête de nos mairies des gens responsables qui ont une certaine compréhension du développement local qui aiment leurs communes. Donc, ils ne sont pas élus pour travailler pour leurs poches, mais pour le bien-être de la population. Ils doivent alors connaître l’équité dans le partage des biens de la localité. Le maire doit être le vrai chef d’orchestre qui doit savoir organiser les autres afin que tout le monde participe au développement de la commune

Quels sont les enjeux de ces élections pour la jeunesse ?
Ces élections, je les vois comme celles de 2003 où il y avait assez d’engouements. Pour les deuxième et troisième mandatures, les choses ont changé car, il y avait eu de découragement. Mais pour cette fois-ci, mêmes les cadres de haut niveau ont compris les enjeux du développement local. Ils descendent alors dans leurs communes pour contribuer à son développement. Donc, on assistera à plus de 80% de mutation dans le dispositif. Ainsi, les conseillers éternels ou conseillers car personne n’était intéressé, ce n’est plus évident. Tout le monde est aujourd’hui intéressé et nous avons la chance d’avoir des cadres de haut niveau, compétents qui ont déjà le nécessaire et qui veulent se sacrifier pour le développement de leurs communes. Ce bouillonnement est dans tous les regroupements et c’est de bonne guerre. Nous aurons donc pour la prochaine mandature, des conseillers communaux de bonne facture.

En tant qu’expert en développement local, êtes-vous satisfait de la manière dont la décentralisation est exécutée dans notre pays ?
Je ne peux pas dire oui ou non car, cela dépend des aspects concernés. Nous avons évoqué par exemple le transfert des compétences, à ce niveau, l’Etat doit encore revoir sa copie pour pouvoir appuyer les communes, surtout celles situées dans les zones rurales et qui n’ont pratiquement pas de ressources. Si nous prenons par exemple la gestion des affaires locales, à ce niveau aussi, il y a deux aspects : est-ce que les textes qui régissent la démocratie à la base nous compromettent ou nous empêchent d’avancer ? la réponse est non. Mais est-ce que nous, acteurs de développement, nous pensons réellement au développement de nos communes ? Le problème se trouve à ce niveau. Nous ne pouvons donc pas accuser un dispositif, les animateurs de ce dispositif. Parce que si tous les conseillers avaient les mêmes pensées, les choses allaient bouger autrement. Donc, si nous considérons notre décentralisation, je ne pourrai pas dire que tout est rose, ou que tout est mauvais. Mais dans l’ensemble, je peux dire que les acteurs de la décentralisation n’ont pas joué pleinement leur rôle.

Que pouvez-vous suggérer aux prochains maires pour qu’ils puissent bien accomplir leur mission ?
Aux prochains maires, je dirai que le conseil communal, c’est l’exécutif, ce n’est pas le maire seul. C’est vrai que dans les textes, l’exécutif, c’est le maire. Mais il faut que ça change désormais dans la pratique afin que tout le monde puisse s’unir pour travailler. Tous les conseillers sont donc l’exécutif étant donné qu’ils ont été élus. Ils ont donc été mandatés pour développer la commune. Si un maire veut travailler pour le développement, il doit alors chercher à avoir le consensus autour de ses actions. Chaque mairie doit donc évaluer ses potentialités et les utiliser à fond pour le développement de la commune. Le marketing territorial doit être l’enjeu des prochains maires, car ils doivent pouvoir vendre leurs communes. Le développement de l’économie locale doit préoccuper les prochains maires car, c’est le socle du développement. La commune se porte bien quand les citoyens le sont. Donc, l’appui de la commune pour le développement des activités est capital. Il faut aller au-delà de la construction des infrastructures marchandes et faire la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes, la santé de la reproduction. Qu’ils soient du domaine ou pas, les maires doivent chercher à tout comprendre et s’entourer des techniciens compétents qui pourront les orienter.

Un mot pour clore cet entretien.
Je félicite le groupe de presse Fraternité pour le grand travail qu’il abat chaque jour. Je prie pour qu’il maintienne le cap et qu’il soit toujours à la tête car, c’est un journal de référence. On ne peut pas compter les meilleurs organes de presse au Bénin sans évoquer Fraternité. Je vous félicite pour ça.
Aux lecteurs de Fraternité et potentiels électeurs, je leur dirai, pour cette fois-ci, il faut qu’ils se surpassent. Je les exhorte à oublier l’argent pour faire des choix pour le développement des communes. Entre son ami et son ennemi, si c’est le deuxième qui est capable de développer la commune, je le choisis pour sa capacité, mais on pourra continuer de se combattre sur ce sur quoi on ne s’entend pas. Il ne faut donc pas considérer les liens amicaux et l’argent pour hypothéquer le développement de nos communes. Faisons alors de bons choix pour nos communes, cela fera rayonner le Bénin tout entier.
Propos recueillis par Isac A. YAÏ



Dans la même rubrique