En vérité : La réserve selon Djogbénou

Moïse DOSSOUMOU 10 septembre 2019

Il n’en pouvait plus. Au bout de 14 mois, il a fini par craquer. A sa décharge, il faut dire que le silence n’est pas son fort. Pour un avocat, ce n’est pas chose facile de se taire. Plus encore, pour un ancien membre actif de la société civile qui ne ratait aucune occasion pour monter au créneau, pour un ex ministre, qui plus est porte-parole du gouvernement, c’était trop lui demander que de se terrer dans son coin et d’encaisser les critiques sans piper mot. Joseph Djogbénou, qui a pris les rênes de la Cour constitutionnelle en juin 2018 pour un mandat de 5 ans voyait le temps s’écouler trop lentement. L’espace d’un débat télévisé, il met entre parenthèses l’obligation de réserve à laquelle il est astreint. Celui dont la mandature aura révolutionné les pratiques au niveau de la juridiction constitutionnelle ne s’est pas gêné pour se prononcer sur des sujets sur lesquels sa position lui recommande le silence.
Avant lui, aucun de ses prédécesseurs n’a eu le cran de briser le mythe de l’obligation de réserve. Elisabeth Pognon, Feu Conceptia Ouinsou, Robert Dossou et Théodore Holo se sont gardés de s’adresser à l’opinion comme l’a fait Joseph Djogbénou, le jeudi 5 septembre dernier. Son confrère Robert Dossou qui l’a précédé à ce poste avait aussi du mal à garder le silence. Excédé alors que sa mandature était l’objet de vives critiques, il s’est juste contenté d’exprimer son exaspération en quelques mots. « Ça me bouffe les entrailles… », avait-il tempêté. Il faut dire que les avocats qui se retrouvent à la tête de la Cour constitutionnelle ont du mal à prendre leurs distances avec le débat public. Généralement, les présidents de la haute juridiction profitent des séminaires, des colloques, des rencontres internationales ou encore des interviews ponctuelles accordées à diverses manifestations pour glisser subtilement un mot ou répondre à une attaque non digérée.
Mais, Joseph Djogbénou est allé au-delà de ces couloirs traditionnels de contournement de l’obligation de réserve. Sans fard ni déguisement, en toute responsabilité, il a pris le risque de se livrer à un exercice inédit. C’est plutôt risqué. Au fond, il n’a pas vraiment apporté du nouveau. Se basant sur l’assertion selon laquelle la Cour ne juge pas de l’opportunité des lois, il a balayé du revers de la main les diverses accusations dont il est l’objet depuis son accession à ce poste. Le moins qu’on puisse dire est que certaines décisions rendues par Joseph Djogbénou et ses pairs suscitent beaucoup d’interrogations. Le passé de l’homme, qui s’est illustré avec entrain et pugnacité sur le terrain de la protection des libertés, contraste avec les délibérations de l’instance qu’il dirige aujourd’hui.
En seulement 14 mois, cette mandature de la Cour ne cesse de fournir de la matière à l’opinion, aux juristes, à la presse. Jamais les décisions de la Cour n’auront été autant prévisibles. Elles ne surprennent plus. Cela, Joseph Djogbénou l’assume, fier du travail qu’il abat avec son équipe. Les micmacs sur le droit de grève, la loi sur l’embauche, le certificat de conformité, la validation des législatives non inclusives…. sont des sujets de grandes controverses. Joseph Djogbénou a-t-il bien fait en se jetant à l’eau avec tous les risques qu’une telle entreprise inclut ? Assurément non. Encore que durant toute l’émission, il a pris le soin d’éluder les questions qui fâchent. Il se pose alors la problématique du bien-fondé d’une telle sortie médiatique. S’il est vrai qu’aucune posture ne doit rester figée dans le temps, il est aussi vrai qu’il y a des fondements qui ne doivent point vaciller. Au nombre de ceux-ci, l’obligation de réserve à laquelle est astreint le président de la Cour constitutionnelle.



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