Rodrigue Rustico sur les actes uniformes de l’Ohada : « les églises, mosquées, etc. doivent retracer les recettes, même si c’est un don »

31 janvier 2024

Depuis le 1er janvier 2024, toutes les entités à but non lucratif, y compris les églises, mosquées, Ongs ont l’obligation de tenir leur comptabilité. La décision a été adoptée par le Conseil des Ministres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (Ohada) lors de sa 53ème session tenue à Niamey (Niger) les 21 et 22 décembre 2022 et l’Acte uniforme relatif au système comptable des entités à but non lucratif (Sycebnl) a été publié au Journal Officiel de l’Organisation, conformément au Traité. A ce sujet, Rodrigue Rustico, Expert-comptable reçu sur la chaine nationale, a expliqué les tenants et aboutissants de ladite mesure de l’Ohada.

Les actes uniformes, qu’est-ce que c’est ?
L’Acte Uniforme, c’est un corpus juridique qui permet de réglementer un secteur. En la matière, l’Ohada dispose de plusieurs actes uniformes parmi lesquels nous avons l’acte uniforme désormais qui régit les systèmes comptables des entités à but non lucratif. Et c’est ça ce qui fait objet de débat.

Alors justement pour en revenir à ce corpus, quel est son champ d’application ?
Ce nouveau référentiel s’applique aux entités à but non lucratif. Quand on parle d’entités à but non lucratif, ce sont des entités d’abord qui n’ont pas pour but de réaliser de profits. Et dès lors que vous n’avez pas pour but de réaliser des profits, ça veut dire que vous avez un but purement désintéressé. L’acte uniforme couvre un certain nombre d’acteurs. Nous avons les ordres professionnels, les associations qui sont régies par la loi 1901, les organisations religieuses, les projets de développement et les fondations qui font partie également du champ d’application. Voilà autant d’éléments que le législateur a estimé qu’il faut essayer de canaliser, parce qu’il n’y avait aucune norme en la matière par le passé pour pouvoir réglementer ce secteur. J’avoue qu’il faut saluer l’intelligentsia de deux acteurs principaux, à savoir le Sénégalais Me Oumar Sam, Rédacteur de l’acte, et il faut comprendre également que le Bénin a joué également un rôle important parce que le co-rédacteur du nom de Me Joël Maboudou, est aussi un expert-comptable Diplômé. Je salue ces deux acteurs qui ont pu rédiger alors cet acte uniforme applicable dans 17 pays de l’Ohada. Vous voyez que la portée n’est pas uniquement au Bénin. Donc, contrairement à ce que tout le monde dit, cette décision n’a rien à voir avec le gouvernement. C’est une décision de l’Ohada que chaque Etat doit pouvoir implémenter dans son exécution. Voilà un peu ce que je peux dire.

Les outils à mettre en place en termes d’obligation, les moyens de contrôle, tout cela revient à chaque État, n’est-ce pas ?
En fait, c’est vrai que le législateur a déjà prévu quelques moyens de contrôle. Si on prend le cas des associations, ces dernières avaient l’habitude de s’organiser. Au niveau des confessions religieuses, il y avait aussi un minimum d’organisation. Mais cette fois-ci, cette organisation a été renforcée, parce qu’avec cet Acte uniforme, c’est comme si tout ce que nous avons par le passé comme association, organisation religieuse, fondation et autres n’a jamais existé. Donc, ces acteurs vont tout reprendre à zéro à savoir produire un bilan d’ouverture. C’est un document qui retrace tout ce que vous avez comme actif ou passif à une date donnée. Donc, ces acteurs qui sont concernés par l’Acte Uniforme ont l’obligation alors de présenter un bilan d’ouverture qui est le point de départ. A partir de cet instant, vous devez commencer par tenir une comptabilité régulière, vous devez absolument avoir une comptabilité à jour. Cela veut dire que, dès qu’il y a un flux aujourd’hui, vous devez passer l’écriture aujourd’hui, vous tenez les comptes aujourd’hui. Il ne s’agira pas de reporter à demain un flux donné. Ça, c’est une première condition. L’autre chose également prévue par le législateur, c’est que vous devez tenir des documents. Nous avons ce que nous appelons les livres comptables obligatoires qui ont été récupérés entièrement du Syscohada révisé qu’on a ramené également au niveau des entités à but non lucratif. A cela, on a ajouté encore un nouvel élément, c’est le registre des donateurs. Vous savez que les organisations religieuses et ONGs et autres ont l’habitude de recevoir des dons. Le législateur a donc prévu la mise en place d’un registre des donateurs. Ce registre doit être coté et parafé par le tribunal compétent et doit être tenu au jour le jour. Les églises et mosquées doivent retracer les recettes, même si c’est un don. Le donateur doit avoir des mentions obligatoires telles que son numéro IFU, son adresse, le moyen de payement... Même si c’est une personne morale, on a besoin d’une traçabilité

On risque de chasser le donateur. Il doit alors rester anonyme
Oui, le législateur a prévu cela. Vous savez, on a eu la chance d’être formé par le rédacteur de l’acte uniforme. C’est pour cela qu’on en parle. Il a été suffisamment clair. Il disait que lorsque le don est sous anonymat, on va mettre dans le registre ‘’anonymat’’, et mentionner le montant. Le problème ne se pose pas. Tout compte fait, il doit y avoir le principe de transparence. Dès lors que vous ne tenez pas ces registres, alors vous êtes en infraction. Il faut alors que les gens comprennent cela et qu’ils s’y prennent très tôt, parce que chaque Etat va décider désormais de mettre en place un autre support juridique pour accompagner la mise en œuvre de cet Acte uniforme. Parce qu’il y a d’autres moyens de contrôle. Le législateur dit que si les ressources d’une association dépassent par exemple 100 millions Fcfa, on lui fait obligation de désigner un auditeur qui n’est rien d’autre qu’un expert-comptable diplômé reconnu par l’ordre du pays. Vous le désignez, il a un mandat de 3 ans renouvelable une fois. Ça, c’est une condition. Deuxième condition, si je prends le bilan, dès lors que vous dépassez 100 millions, vous êtes obligé de désigner un auditeur. Si ce sont des recettes, dès lors que vos recettes dépassent 200 millions annuellement, vous avez l’obligation de désigner un auditeur, ou bien vous avez un effectif permanent qui dépasse 20 personnes, vous avez l’obligation d’avoir un auditeur. Ces trois conditions ne sont pas cumulatives, c’est l’une ou l’autre. Dès qu’une seule de ces conditions est réunie, vous avez l’obligation de désigner un auditeur. Dès lors que vous désignez un auditeur, les moyens ne sont pas encore finis, parce qu’on dit également que vous devez produire des états financiers en fin d’exercice. Parce que vous avez des registres de donateurs, vous devez centraliser tout ce que vous avez comme entrées. Vous devez maintenant produire des états financiers en fin d’exercice, dresser également ce que nous appelons l’inventaire en fin d’exercice.
Les entités à but non lucratif qui ne faisaient pas de l’inventaire par le passé sont tenues désormais de le faire. Donc, l’inventaire n’est pas le recensement. Il faut faire le recensement, faire l’évaluation. C’est aussi une obligation, l’évaluation du patrimoine il faut le faire. L’inventaire, c’est recenser et évaluer. L’autre obligation qui s’impose à ces entités, c’est le rapport de gestion. Elles doivent produire des rapports de gestion régulièrement. Ce rapport doit être transmis à leur auditeur dès lors qu’ils ont vraiment un auditeur et vous voyez c’est autant d’obligations qui font qu’aujourd’hui les entités à but non lucratif vont se retrouver dans une position où elles sont obligées de se formaliser, elles sont obligées de s’organiser.

Mais quand vous êtes une structure religieuse où c’est la baraque du quartier qui vous qui vous réunit, le pasteur il est la fois prédicateur, pasteur comptable, tout seul. Comment est-ce qu’il gère tout ceci ?
Vous voyez que lui-même il va comprendre qu’il a des limites déjà.
Il a des limites parce qu’il faut se faire entourer des sachants qui vont vous aider à mettre en place votre comptabilité, et à vous suivre.

Ça voudra dire que forcément désormais dans les églises, il doit y avoir un comptable ?
Absolument ! Tout au moins, un comptable qui pourra vous aider à tenir les comptes. Sinon vous ne pouvez pas alors restituer parce que si on vous fait un contrôle et on voit quand même que vous ne disposez pas de ces documents, vous êtes en infraction. Et là vous savez l’Ohada ne peut pas légiférer sur le plan pénal pour chaque pays parce que chaque pays est quand même souverain. Donc chaque pays va décider maintenant de mettre en place les peines. Et dès lors qu’on mettra en place les peines, vous comprendrez que vous êtes en infraction et c’est la sanction qui suit.

Est-ce qu’au Bénin nous on a déjà connu tout ça ?
Au Bénin, en réalité on est actuellement à la phase de vulgarisation de l’Acte uniforme, parce que c’est rentré en vigueur juste le 1er janvier 2024. Donc c’est tout nouveau.

C’est une décision qui a été prise depuis 2022 ?
Bien sûr ! Vous savez en la matière, lorsqu’on prend une décision on ne met pas ça tout de suite en application. Il y a une période d’observation et d’information et chacun se prépare. Ce que nous appelons la période de transition, chacun se prépare pour aller vers ce nouveau référentiel. Ça a démarré déjà depuis le 1er janvier 2024, c’est pour cela que vous allez constater qu’il y a beaucoup de communications autour pour sensibiliser, informer les gens pour qu’ils puissent savoir vraiment quelles sont les obligations en la matière. Sinon, si chaque État décide désormais de faire sortir le corpus juridique pour accompagner l’Acte uniforme, ils seront vraiment surpris et ne peuvent pas s’en sortir lors des contrôles. Donc je pense qu’il faut que ces organisations, ces acteurs s’organisent pour pouvoir vraiment être à l’abri de ça.

Ce qui suscite le débat c’est parce qu’on est tenté, on pense qu’une comptabilité tenue régulièrement, la transparence instaurée, ça permet à l’Etat d’avoir une vue directe sur certaines choses et par conséquent, une certaine hausse de l’impôt ou l’application de nouvelles taxes.

La vision de l’Acte Uniforme n’est pas à rendre imposable, ce n’est pas ça. C’est beaucoup pour plus de transparence. Vous savez nous sommes à l’ère du financement où on veut s’assurer tout au moins de là où vous tirez vos ressources. D’où est-ce que ça vient pour pouvoir canaliser un peu les choses dans le pays. Je pense que l’objectif premier d’abord, c’est la transparence. Maintenant le second objectif c’est que vous allez constater également parfois que nous avons des entités à but non lucratif, mais en réalité qui ne sont pas à but non lucratif. Elles mettent en fait le nom à but non lucratif devant. C’est même une concurrence bien sûr de type commercial. Et donc, cette réglementation vient faire la part des choses, dissocier. Dès lors que vous étiez une entité à but non lucrative et que vous avez des activités qui vous génèrent vraiment du cash, vous n’êtes pas concerné par ce référentiel. Il va falloir dissocier tout simplement l’activité lucrative de l’activité non lucratif sinon on va alors mélanger les deux naturellement. Donc, le plus important pour vous aujourd’hui c’est de le savoir. Parce que le régulateur a été souvent clair, il dit dès lors que votre exploitation génère des ressources, dès lors que ces ressources sont encore réinjectées dans le fonctionnement allant dans l’objet social de l’entité à but non lucratif, pas de problème, ça ne me dérange pas. Mais, si ce n’est pas le cas et on prend alors ces ressources pour aller faire autre chose, pour créer des activités purement marchandes, alors ça devient du business. Donc il faut qu’on soit clair. On veut tout simplement faire la part des choses entre est-ce que l’entité à but non lucratif est vraiment à but non lucratif ou bien a des branches purement lucratives. Si vous êtes des branches lucratives aujourd’hui, je vous conseille vivement de les séparer de ce qui n’est pas lucratif. Ça vous permet alors d’être dans le champ d’application de ce nouveau référentiel.

Alors en conclusion que doivent retenir les différents acteurs en ce qui concerne l’Acte uniforme de l’Ohada relatif au système comptable des entités à but non lucratif ?
Oui, ce que les acteurs doivent pouvoir retenir c’est que l’exigence devient beaucoup plus renforcée. Ce n’est plus comme avant parce que désormais, ils ont des obligations de produire des résultats financiers, comme les entités ordinaires. Ils ont l’obligation d’aller vers des experts comptables dès lors que les conditions sont réunies. Ils ont également l’obligation naturellement de tenir les livres comptables légaux. Parce que le législateur a prévu cela puis nous sommes au 21e siècle donc il faut que les gens s’approprient de cela.
Je pense que c’est aussi une chance pour le Bénin d’avoir un de ces acteurs qui a contribué quand même à la rédaction de cet acte. Et il y a Me Sam aussi qui est un Sénégalais qui est en train de vouloir venir au Bénin dimanche prochain pour pouvoir rencontrer certains acteurs et mieux leur expliquer le fondement de cet Acte. Je crois que c’est une chance pour le Bénin et puis l’intelligence du Bénin est en train d’aller également très haut.

Transcription Patrice SOKEGBE, Joseph AMOLO (Stag)



Dans la même rubrique