1er anniversaire du Nouveau départ : « …C’est une première année très difficile pour le gouvernement et pour les citoyens… », dixit Pascal Wannou

Arnaud DOUMANHOUN 5 avril 2017

Déjà un an que le président Patrice Talon a pris le pouvoir. Dans cette interview accordée à Pascal Wannou, président de la Fédération nationale de théâtre (Fenat), l’acteur culturel se prononce sur les réformes engagées dans le secteur culturel. Pour lui, beaucoup de réformes ont été mises en place, mais le tableau reste le même. Rien n’a vraiment bougé dans le secteur culturel.

Comment appréciez-vous les 12 mois de la gouvernance Talon ? C’est une première année très difficile pour le gouvernement et pour les citoyens. C’est vrai qu’on peut noter que le président de la République s’est lancé dans une série de réformes, mais à ce niveau, c’est encore trop tôt pour faire le point. Cependant, il faut dire que c’est un mal vivre général qui s’observe, car nous citoyens ne percevons pas du tout les fruits de ces réformes. Bien au contraire, en l’espace de 12 mois, la pauvreté s’est aggravée. Il n’y a pas ce ménage où on ne pousse tous les jours des cris de détresse, de lamentations. Le panier de la ménagère est désespérément vide. Toutes les couches de la population se sont retrouvées subitement dans une souffrance terrible. Ce n’est pas trop bon, car on voulait un changement, une rupture mais pas une rupture qui affame.

Qu’est-ce qui a changé dans le secteur culturel ?
De façon générale, il faut reconnaître qu’un an au niveau du ministère du tourisme et de la culture est un désastre. Très peu de choses ont changé positivement. C’est vrai que le nouveau ministre a pris le règne du ministère dans une atmosphère conflictuelle entre les acteurs mais malheureusement il n’a pas su prendre de la hauteur. Il n’a pas su écouter les différentes parties, car il est venu à un moment où il fallait renouveler le Conseil d’administration du Fonds des arts et de la culture (Fac). Pendant cette période, la gestion du Fac a pris un coup. Le ministre a posé des actes peu orthodoxes. Pendant qu’il dit qu’il ne veut plus entendre parler de l’Idm, qui est une rubrique de financement du Fonds, parce qu’il aurait remarqué une mauvaise gestion de cette subvention, il a continué sur la même lancée. La nomination par le nouveau ministre d’un directeur intérimaire au Fac a envenimé la crise avec à la clé beaucoup de dérives. Heureusement que le Chef de l’Etat a fini par mettre un terme à la pagaille en procédant à la nomination de l’actuel Directeur, Déou Malé. C’est un homme qui connait le secteur, qui sait de quoi il parle. Il l’a démontré de plusieurs façons. Nous lui en sommes reconnaissants.
Le chef de l’Etat a aussi posé des actes forts, qu’on peut saluer parce que, ayant contribué à un certain apaisement. Il s’agit notamment de la création de l’agence de développement du tourisme et de la promotion du patrimoine culturel, dirigée par notre confrère José Pliya. C’est une très bonne chose car cela dénote tout de suite de l’ambition du gouvernement de faire du tourisme un secteur porteur. Le Bénin a beaucoup de potentialités sur le plan culturel qui sont restées inexplorées d’une part, et d’autre part, inexploités depuis des décennies. C’est l’un des points positifs que je salue.

Ne pensez-vous pas qu’il était nécessaire d’assainir ce secteur ?
Nous étions tous d’accord pour engager des réformes. C’est au sein des acteurs culturels que se sont élevées des voix pour réclamer des réformes. Ce n’est pas le ministre qui a annoncé les réformes.
Les frondeurs de leur côté avaient fait des propositions pêle-mêle. Les organisations faitières qui étaient aussi d’accord pour qu’on engage les réformes ont également élaboré un document. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Avec le directeur intérimaire d’alors, l’autorité ministérielle avait posé un certain nombre d’actes illégaux, parce que, en l’absence d’un Conseil d’administration. Il s’est retrouvé donc dos au mur, parce qu’il avait posé des actes qu’il ne pouvait plus justifier. Il a dû alors, entre-temps, renouveler le mandat du Fac, et les administrateurs qui étaient traités de tous les noms d’oiseaux, ont dû siéger pour normaliser les dégâts causés.
Maintenant, il nous a fait asseoir le 1er Juin pour un mea culpa, et souhaité qu’on reparte sur de nouvelles bases. Nous avons ainsi pris un nouveau départ dans le milieu culturel et pour une forte collaboration. Nous nous sommes donc retrouvés autour des propositions. De façon inattendue, on appelle tous les acteurs de tout le pays pour une assemblée générale, alors que nous nous attendions à autre chose. A l’occasion, on présente le nouveau Fonds d’aide à la culture, entre-temps rebaptisé par décret et devenu, Fonds des arts et de la culture. C’est l’autorité qui a présenté de façon magistrale le nouveau Fac avec ses attributions. Mais il manquait des détails, donc nous n’avons pas voulu valider.
Nous nous sommes retrouvés pour étudier le projet de fond en comble, pour lui donner un contenu digne du nom. Et pour une fois, frondeurs et non frondeurs, responsables d’organisations faitières se sont retrouvés. Ensemble, nous avons saisi l’occasion pour confronter nos idées, faire des propositions. A l’issue de trois semaines de réflexions, nous avons sorti un document synthèse de propositions de réformes des acteurs culturels. Nous avons réussi fièrement et dans une très grande satisfaction à nous entendre sur une plateforme de propositions que nous avons portée à l’ autorité ministérielle
qui nous a dit : ‘’je vais vous rappeler après pour confronter vos idées avec les nôtres et on arrêtera quelque chose’’. Mais jusqu’à ce jour, rien. Nous n’avons plus été rappelés. On a mis ces propositions sous le boisseau.
Il s’est mis dans les quatre murs lui-même pour écrire des propositions et c’est ça qu’il a envoyé en conseil des ministres, sans plus rien dire, sans aucune concertation. Comment voulez vous que les acteurs réagissent par rapport à ça ?

Comment savez vous que ce sont ses propositions qui ont été envoyées ?
Nous sommes également sur le terrain. C’est une erreur de sa part de continuer de considérer les acteurs cuturels comme des enfants, ses élèves ou des moins que rien. Il ne sait pas que parmi les acteurs, il y a de grands intellectuels et ça, il l’a appris à ses dépens. Nous-mêmes, nous ne dormons pas, nous le suivons pas à pas, et c’est comme ça que nous avons appris qu’il a introduit une communication en conseil des ministres.

On retient donc que depuis un an, il n’y a pas eu de réformes.
Il n’y a pas eu de réformes, même celles que lui-même s’est taillé n’ont jamais abouti jusque là. Pire, il a fait abattre la subvention du fonds d’aide à la culture ou du Fonds des arts et de la culture ; la subvention d’un montant de 5 milliards prévu pour cette année. C’est vrai qu’entre-temps, il y a eu une loi rectificative qui a abattu tout dans tous les secteurs, et donc, le budget du Fac devait subir un abattement de 25 %, mais il a appliqué un abattement de 53%. 53% d’abattement sur le budget d’une structure autonome, c’est signer la mort de la structure, c’est mettre la structure en difficulté alors même que le budget initialement voté était déjà en exécution. Lui-même l’avait déjà exécuté jusqu’à hauteur de 100% dans certaines rubriques. Pourtant, il a abattu la subvention de cette institution de 53%.

Le budget du ministère n’a-t-il pas connu une augmentation ?
Justement. Entre-temps, le chef de l’Etat a fait voter par l’Assemblée un nouveau budget général de l’Etat exercice 2017. Il y a un nouveau point d’achoppement entre le ministre et les acteurs à ce niveau. Le budget du ministère proposé au budget général n’a fait l’objet d’aucune consultation préalable avec les acteurs. Ils ont été complètement mis à l’écart, ils n’y ont pas participé. Ce que nous avons remarqué est que : Premièrement, le chef de l’Etat a fait l’effort de respecter ses engagements vis-à-vis des acteurs en augmentant le budget dédié au secteur de la culture. Ce budget est passé de 3 milliards et demi environ à près de 25 milliards. C’est un très gros accroissement que nous avons salué. Maintenant, qu’est-ce que le ministre a décidé d’en faire ? C’est là que le bât blesse parce que nous avons remarqué qu’il a dépouillé le Fac qui devrait normalement engranger le bénéfice de cet accroissement budgétaire. Il l’a dépouillé de ses attributions qu’il s’est arrogé lui-même. Ce faisant, il a détourné les ressources qui étaient normalement destinées au Fac. Cela veut dire de façon concrète que toutes les attributions qui relevaient du Fac ont été érigées en projets parce que les projets échappent justement au Fac. Donc, le Fac ne devrait plus disposer de ressources. Mais là où il n’a pas été responsable, c’est que le Fac étant une structure autonome, dispose d’un budget autonome. Il a son compte propre de gestion et lorsque les ressources arrivent, elles vont directement dans son compte. Elles ne transitent pas par le compte du ministère. Mais lorsque le ministre envoie les ressources sur les projets, elles échappent au compte du Fac et vont se loger dans le compte du ministère. C’est-à-dire sur les Pip ; c’est surtout sur les Pip, Programmes d’investissements qu’il a mis les ressources. Ce qui est difficile voire impossible à utiliser parce que la nature des activités relatives à ces projets ne permet pas les décaissements. Lorsqu’on parle de renforcement de capacités des acteurs, il s’agit de la formation et non d’un investissement public. Quand vous logez les ressources concernant une telle activité sur le Pip, vous ne pourrez pas utiliser les ressources, et c’est ce qui arrive actuellement ; les ressources sont bloquées d’office.

Le ministre n’a-t-il pas organisé tout récemment un séminaire pour définir les curricula de formation ?
Depuis le 1er janvier jusqu’à la date où je vous parle, le nouveau budget du ministère de la culture n’a pas été exécuté d’un seul franc. Vous pouvez le vérifier. L’exécution du budget est bloquée.

Mais, est-ce seulement ce ministère ?
Au niveau de notre ministère, la situation est plus que grave parce qu’il s’est installé du fait du ministre même une autre situation conflictuelle entre lui et le DFac. Une situation qui fait qu’il refuse tout dialogue, toute discussion avec le directeur du Fonds. Donc, l’exécution du nouveau budget pose problème. Parce qu’il a dépouillé le Fonds de ses activités classiques, alors même qu’il a introduit un nouveau décret portant organisation, attributions et fonctionnement du Fac en conseil des ministres ; lequel décret n’est pas validé jusqu’à ce jour. Mais, ayant introduit un tel décret concernant le fonctionnement du Fac, il le dépouille quand même de ses attributions et donc de ses activités. Ce qui est anachronique parce que c’est vous-même qui avez introduit un décret portant fonctionnement et dans ce décret, toutes les activités classiques du Fac sont maintenues. Et donc, il ne devrait pas toucher aux activités du Fac. Il les soustrait et va confier leur exécution à des directeurs techniques. Cela est-il impossible ? Or le Fac, puisqu’il a restauré le conseil d’administration, avait continué son fonctionnement normal et a fait voter par son conseil d’administration, son budget pour l’année 2017, et donc in fine son programme d’activités qui devrait être mis en œuvre sur la base du lancement de la saison artistique pouvant lui permettre de faire la collecte des projets à financer.

Qu’est-ce qui bloque le lancement de la saison artistique ?
C’est le ministre qui ne veut pas en entendre parler, parce que si la saison artistique est lancée, il n’aura plus les sous pour faire ce qu’il veut à son niveau. Donc, lui même personnellement, entre les quatre murs de son bureau, peut élaborer un autre budget pour le Fac, donc un autre Pta pour le Fac. Ça sort de l’entendement. Voilà autant de blocages.

Que dites-vous de la réforme relative au nouveau mode de financement des acteurs culturels ?
C’est l’une des récriminations que font les acteurs culturels. Le secteur culturel est un secteur de souveraineté, et l’appui au secteur culturel fait partie des droits universels de l’homme, c’est écrit dans notre Constitution et dans la loi portant charte culturelle. Le droit au financement de la culture, le droit au financement de la création artistique.

Maintenant de quoi s’agit-il ?
Selon sa nouvelle vision, c’est que désormais, le Fac ne doit plus donner les financements directement, mais on va envoyer les sous dans les banques privées, et vous savez que les banques ne prêtent pas de l’argent gratuitement. Une banque qui prête de l’argent, c’est d’abord sur la base de garantie, ensuite les intérêts, et ainsi de suite. Mais le problème, c’est que le ministre dit que le financement auquel nous avons droit, nous irons le chercher dans les banques, et l’Etat va payer les intérêts aux banques et les acteurs même vont rembourser les capitaux. Cela n’est pas une réforme. Dans le budget, les intérêts bancaires à eux seuls sont plus de six milliards cinq cents millions, et ça ne nous dit rien. Voilà six milliards et demi que l’Etat va donner aux banques parce que les banques vont nous donner de l’argent. Au lieu de verser ces sous dans une banque, pourquoi ne peut-on pas les utiliser pour financer directement le secteur culturel. Ça sera plus bénéfique.

Oui, mais est-ce qu’on doit continuer aujourd’hui à distribuer de l’argent ?
Ce n’est pas une distribution d’argent parce que justement, les acteurs, dans leurs propositions, ont émis des idées très contraignantes, des solutions très contraignantes vis-à-vis d’eux-mêmes. C’est-à-dire par exemple, je me rappelle, pour accéder au financement du Fac, le système que nous avons proposé veut qu’on aille par guichet, et vous savez que n’importe qui ne peut plus se lever et dire qu’il veut de l’argent au Fac. Il y aura plusieurs guichets désormais, selon la nature du projet et le montant du financement que vous sollicitez. Aussi, le conseil d’administration du Fac ne s’occupe plus du tout de l’examen des dossiers ni de l’attribution des subventions, contrairement à ce qui se faisait avant et qui donne lieu à la corruption parce que de toutes les façons, ce sont nous même les acteurs qui avions corrompu les membres du conseil d’administration. Mais désormais, ils n’auront plus à s’occuper du tout de ces dossiers-là, ils vont plutôt se contenter de leur rôle classique de conseil d’administration. Nous avons aussi proposé la mise en place d’un comité de sélections des dossiers. C’est moi qui l’exprime comme ça. Ce comité sera composé d’experts en la matière recrutés sur appel à candidatures avec des profils bien définis en matière d’étude de projets culturels.
En fait, c’est le schéma de l’Union européenne que nous avons aménagé à notre niveau parce que nous savons combien la démarche de l’Union européenne est contraignante et pourtant, nous l’avons prise à notre compte. Le travail des experts va se faire sous anonymat, c’est-à-dire que personne ne saura qui est le porteur du projet au cours de son examen. Et lorsque la synthèse globale aura été faite à la fin dans un comité plus global, parce que les experts vont faire des propositions, et pour ne pas leur laisser seuls la liberté de délibérer, parce que nous estimons que même à ce niveau là, la corruption peut être encore présente et donc pour pallier cela, nous avons prévu qu’un second comité se réunisse et ce comité va comprendre non seulement ces experts-là mais aussi les membres du conseil d’administration et le directeur général lui-même, parce que après tout, c’est lui qui répond de la gestion. Donc, même s’il n’a pas une voix délibérative, il assiste quand même.
Donc, la délibération finale se fera dans ce grand comité sur le champ, et les experts ont la possibilité de justifier la pertinence et la qualité de leurs travaux. C’est ce que nous avons prévu mais le ministre estime que la participation des membres du conseil d’administration à cette délibération finale remet en cause l’impartialité du conseil d’administration. Qu’est-ce que cela lui coûte d’ailleurs de nous inviter à nouveau, comme il l’avait promis, pour qu’on en discute. Que nous lui expliquions le sens de notre conclusion. Qu’il nous explique ce qu’il a à proposer aussi. Que nous confrontions les propositions et que nous arrêtions quelque chose.

Qu’est-ce que vous proposez pour un nouveau départ dans la seconde année qui va commencer ?
Avant même d’en arriver là, il y a un point que je veux souligner. Que le Fonds des arts et de la culture fasse son travail en tant que structure autonome. Il faut éviter toute irruption dans sa gestion, comme c’est le cas actuellement, en violation de la loi 94. Le ministre met en place lui-même des comités avec des acteurs qu’il a choisis. C’est des gens qui ont été coachés. Ce qui a été fait au niveau de la place Vip là, comme séminaire pour le curricula des formations, est une mise en scène. Il constitue des comités à qui il donne le pouvoir de faire le travail du Fac. C’est-à-dire collecter et sélectionner des activités pour en faire un programme, en lieu et place du conseil d’administration du Fac dont le mandat courait encore. On a crié, on a dit que cela ne peut pas se faire ainsi puisque cela ne correspond pas aux textes. Certes, il a compris, mais jusqu’à présent, les travaux de ces comités sont restés là. Et ça n’aboutit à rien, et au contraire, il continue de dire aux gens qu’il n’y a pas d’argent parce que lui, il voulait prendre sur les ressources du Fac pour financer ces activités-là. Ce qui n’est pas normal. C’est autant de sources de blocages qui font que le secteur n’a pas bougé jusque-là.
Et là, j’aborde les perspectives. Les choses changeront si et seulement si on change le capitaine du navire. Parce que son capitaine ne manœuvre pas correctement. C’est la seule issue malheureusement. Il dit une chose aujourd’hui, demain il fait son contraire. Il n’est plus crédible aux yeux des responsables du secteur.

Il y a quand même des responsables d’organisations faîtières qui travaillent avec l’autorité ?
Responsables ! Donnez-moi un seul nom ! Ceux qui sont en train de le côtoyer, c’est justement ceux qui sont en train de le manœuvrer, et lui-même s’en est plaint. Je vous ai parlé de la rencontre du 1er juin. Il a fait son mea culpa vis-à-vis de ces personnes-là. Ils ne sont que quatre ou cinq.

Pourquoi a-t-on ramené les arts à la direction du livre ?
C’est une des rares réformes. Je comprends que cela participe de la réduction des charges de l’Etat. On veut réduire la taille des ministères dans leur ensemble ; et au niveau de notre secteur, c’est l’une des solutions qu’on a trouvées. L’un s’occupait des arts et l’autre de la littérature. Et on a jumelé les deux. L’important est que c’est l’Etat qui finance. Mais le problème qui va se poser est qu’à l’instar de ce qui se passe à la tête de tous les ministères, lorsque le coaching de celui qui doit manager n’est pas bien fait, le travail aura du plomb dans l’aile. C’est deux grands sous-secteurs qu’il faut bien gérer. Sinon, on va regretter cette réforme-là.



Dans la même rubrique