Carnet noir : G.G. Vickey n'est plus, un baobab est tombé

Isac A. YAÏ, Patrice SOKEGBE 16 mai 2013

Gustave Gbénou Vikey, alias G. G. Vikey n’est plus. Il a tiré sa révérence hier à l’âge de 69 ans.

Un baobab de la musique béninoise et africaine est tombé. G.G. Vickey est décédé hier dans sa villa à Abomey-Calavi. Après plusieurs mois de maladie, la mort a finalement eu raison de lui. Ce fils de Bopa né en 1944 au bord du lac Ahémé, auteur, compositeur et interprète, a été un monument de la musique béninoise. Ses morceaux pleins de leçons et de philosophies ont bercé plusieurs générations. Sa mort est considérée comme une bibliothèque qui s’est consumée.

Il s’est révélé au public béninois dans les années 1960 avec le morceau "Vive les mariés", sorti en 1969. Il obtient ainsi la consécration. Ce morceau a donc fait le tour du monde et est joué à toutes les cérémonies de mariage. Avec ce titre, il reçoit en 2003 le prix du "Kunde d’or" des mains de Chantal Compaoré, première Dame du Burkina Faso. Ce précurseur de la musique africaine reste le seul et l’unique de sa génération avec des textes courts et facilement compréhensibles. Son talent incommensurable émerveille les mélomanes lorsqu’ils écoutent ses morceaux poétiques et romantiques.

Gustave Gbénou Vikey se fit connaître dès 1965 par son jeu de guitare, sa voix de crooner, ses textes et devint le chanteur préféré des dames. Panafricaniste convaincu, cet inspecteur des Impôts reconverti artiste, a chanté l’amour, l’amitié, la réconciliation… durant toute sa vie. Infatigable combattant, il revient au devant de la scène en 1999 avec la compilation "Bénin Passion" réalisée par Jean-Luc Aplogan et Oscar Kidjo, et qui réunit les gloires des années 1960. Suivra l’album G.G. Vikey, chantre de la négritude produit par Diapy Diawara de Bolibana, un hommage à sa remarquable technique de guitare.

"GG Vikey" ou le "Georges Brassens du Bénin" a été influencé dans sa carrière par le Nigérian Bobby Benson. "Gentleman Vikey", une reprise de "Gentleman Bobby" de son idole demeure son titre le plus populaire. "Le salop de Vickey est mort". Il est vraiment mort, mais loin d’être un salop, il reste et demeure une référence de la musique africaine.

Impressions de quelques artistes

Nel Oliver : "C’est un sentiment de tristesse qui m’anime"

C’est un sentiment de tristesse qui m’anime, car, il est un grand monument de la musique béninoise. G.G. Vickey est une référence pour moi quand on parle de la musique béninoise. En son temps, il a fait la promotion de la musique béninoise à travers le monde entier. C’est dommage que des artistes de renom comme lui s’éteignent dans un total anonymat. Cela veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans notre pays. Il faudrait qu’on fasse quelque chose pour que ces grands artistes, qui ont réellement contribué à la promotion de notre pays soient réellement pris en charge, surtout quand ils sont malades. C’est un sentiment d’amertume que j’ai car, cela fait longtemps qu’on sait qu’il était malade, qu’est-ce qui a été concrètement fait pour lui venir en aide ? C’est la question qu’on doit se poser.

Sèna Joy : "Il était un baobab de la musique béninoise et africaine"

Il est vraiment mort ? Je ne suis pas informée. Tout le monde savait qu’il était malade. Mais sa mort me surprend. C’est un choc car, il était un baobab de la musique béninoise et africaine.

Massi Massè : "Quand la nation perd ces grandes valeurs, la douleur est grande"

J’ai un sentiment de tristesse. C’est vrai que l’Homme est né pour mourir, mais sa mort est une grande perte pour le Bénin. Cela fait deux grosses pertes pour la musique béninoise. Car, le premier Président de l’Association nationale des compositeurs et chanteurs traditionnels Marcellin Abo alias Zèkpon Adonon, il est de la génération de G.G. Vickey. Ces monuments de la musique béninoise sont en train de partir. Quand la nation perd ces grandes valeurs, la douleur est grande. Je suis donc très attristé. Je pense qu’au moment opportun, nous ferons ce que nous devons faire pour leur rendre un hommage mérité.

Parole de chanson

Au royaume des cieux

Gentleman Vickey, après avoir quitté la terre,

S’est rendu tout droit au royaume des cieux,

Des cris de joie saluèrent son arrivée,

Tel fut le rêve que je fis au cours d’une nuit.

Les anges et les Angeles dansaient autour de Vickey,

Et Vickey, en leur compagnie, volait comme un oiseau

Les cadences et les trompettes ne cessaient de résonner,

Louant Dieu, saluant Vickey, tout le monde chantait,

Sois le bienvenu, au royaume des cieux,

Il y a longtemps que nous t’attendions ici,

Quand tu vivais sur terre, nous suivions partout,

Tu égayais tous les cœurs, même les désespérés,

Suis-nous Vickey, suis-nous vite, le Roi des rois veut te voir,

En ton honneur ; le paradis est en fête, Viens !

Sois le bienvenu Vickey, au royaume des cieux,

Il y a longtemps Vickey, que nous t’attendions ici,

Quand tu vivais sur terre, nous suivions partout,

Tu égayais tous les cœurs, même les désespérés,

Suis-nous Vickey, suis-nous vite, le Roi des Rois veut te voir,

En ton honneur ; le paradis est en fête, Viens !

Merci à vous Béninois

J’oublie le mal qui m’a été fait,

Pour ne prêcher rien que l’amour

De tous les gens que je connais

Je garde de bons souvenirs

Vous qui avez influé sur mon destin

D’une façon ou d’une autre

Tous ceux m’ont rendu service dans ma vie

Je vous dédie cette chanson.

De tout mon cœur, je vous remercie

Que le Seigneur vous le rende

La bonne graine, la mauvaise herbe

Le chaud, le froid

Tout ça, c’est la vie

Toi qui m’as dépassé

Et attends du devoir envers moi

Toi qui m’as entendu parler

Et arrive en navire

Tes vœux, ta pensée

Tout était imprévu dans ma destinée

A quoi ça sert de se lamenter

Quand on a tout écrit dans la main

D’avoir choisi avant d’arriver

Et ici bas ne se change pas


Vickey l’Exalte ! Par Florent Couao-Zotti

Il y a quelque temps, je rencontrais, avec un ami, GG Vikey dans sa villa de Calavi, une des banlieues populaires de Cotonou. Quand je lui ai fait savoir que je voulais réaliser un documentaire sur lui et sur sa carrière, il a paru embarrassé, puis a manifesté du bout des lèvres son accord. Des dates avaient été alors fixées pour qu’il me raconte par le menu sa vie et ses souvenirs. Mais aucun des rendez-vous n’a jamais pu être tenu. Motif ? L’auteur de " le lac Ahémé " évoquait à chaque fois mille et une raisons pour repousser notre entretien. A la vérité, il n’avait strictement rien à rebattre de sa vie artistique passée. Comme si, remonter le temps, revisiter ses souvenirs, faire revivre ses succès d’antan, ne lui rapporterait que des regrets. On a l’impression que des plaies liées à cette période restent toujours ouvertes et qu’il ne veut, en aucun cas, les faire saigner à nouveau.

Et pourtant, GG Vikey demeure une icône. Non seulement pour la chanson, mais également pour sa poésie ; une poésie simple, traversée par un puissant souffle et une sensibilité extraordinaire. De lui, on disait qu’il avait le ton de Georges Brassens, le lyrisme de Otis Reading, mais surtout l’autodérision des gens de chez lui. Toutes choses qui ont fait de lui l’un des musiciens africains les plus talentueux de sa génération.

Sa carrière n’a tenu que sur dix ans

Et pourtant, sa carrière n’a tenu que sur dix ans. Dix ans (1964 et 1974) riches et prolifiques entièrement dévoués à la musique. Retour sur un parcours, sur la vie de ce " gentleman " qui a renoncé trop tôt à la gloire…et à la musique.

Alors qu’en Europe, les troupes alliées lancent leurs derniers contingents pour défaire l’armée hitlérienne sur tous les fronts, naît à des milliers de kilomètres de là, dans une colonie française, le Dahomey, un petit enfant nommé Gustave Gbénou Vikey. Il est originaire de la sous-préfecture d’Athiémé, précisément du village Bopa, petite commune du sud-ouest du pays.

Vikey est un enfant fort espiègle. Son père souvent absent - parce que cultivateur - c’est à sa mère, vendeuse au marché à qui revient son éducation.

A l’époque coloniale, l’école était presque gratuite. En 1950, quand il atteint l’âge de six ans, le petit Gustave, accompagné de sa mère, est inscrit à l’école primaire publique de Bopa. C’est là qu’il fera toutes ses classes avant d’obtenir son certificat d’études primaires en 1955.

Avec une bourse de l’éducation nationale, Gustave se retrouve au lycée Victor Balot à Porto-Novo. C’est le plus grand établissement scolaire du Dahomey, là où est formée l’élite du pays. Le jeune Vikey, en régime d’internat, aime souvent se retirer les soirs d’insouciance, pour jouer à la guitare. Bientôt, avec ses camarades, il forme le premier orchestre de musique moderne du lycée.

En avril 1960, après les congés de Pâques à Bopa, Gustave Gbénou emprunte une pirogue pour Sègbohouè d’où un train devrait le ramener à Porto-Novo. Pendant la traversée, raconte Gilles Salla son ami et producteur antillais, " il est subjugué par les scènes des piroguiers et des pêcheurs sur le lac Ahémé. L’âme poétique de l’élève en est flattée ". Il compose sa première chanson " sur le lac Ahémé "...



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