Chrétiens et Musulmans africains : quelles valeurs culturelles promouvoir pour construire la paix ?

La rédaction 7 janvier 2016

Religions en Afrique Noire
L’existence des religions en Afrique est assez frappante au point qu’on dit des Africains qu’ils sont très religieux. Leur implication dans l’éducation et la formation des citoyens de nos pays n’est plus à démontrer. Plus d’un Béninois reconnait et apprécie le rôle que l’Eglise catholique a joué dans le développement spirituel, social et économique des hommes et des femmes de notre pays. Les collèges catholiques « Francis Aupiais », « Notre Dame des Apôtres » ont formé beaucoup de cadres chrétiens, musulmans, vodouisants, qui ont assumé de hautes fonctions au sommet de l’Etat. Elle est aussi présente dans le domaine de la prise en charge sanitaire des populations. En témoigne la construction de nombreux centres de santé comme celui de St Jean à Cotonou, l’hôpital de Davougon à Abomey. L’islam est aussi présent dans la formation socio-éducative et morale des jeunes gens et jeunes filles appelés à gérer le destin de notre pays. Attentive au signe des temps, l’Eglise a contribué au processus de démocratisation de nombre de pays africains, bien sûr avec le soutien spirituel et moral des autres confessions religieuses. Tout le monde se souvient que le Bénin a évité la fatalité et le chaos en 1990 grâce à la convergence des intentions de prière de tous les croyants de ce pays. En effet, les plus grandes religions qu’on trouve en Afrique et au Bénin sont le christianisme, l’islam et les religions traditionnelles africaines (Rta) appelées communément « animisme » (cf. Vodoun au Bénin). Les membres de ces différentes confessions religieuses vivaient en bonne intelligence jusqu’à un passé récent.
Malheureusement le déclenchement des guerres politiques en Lybie, au Mali, en Cote d’Ivoire, en Centrafrique…etc. a entrainé des conflits religieux notamment entre chrétiens et musulmans. La cohabitation pacifique entre Africains dans des pays de régime laïc a cédé la place à l’intolérance religieuse. Nous avons aussi le cas du Nigéria où les extrémistes « Boko Haram » cherchent à imposer la loi coranique « la Sharia » à tout le monde dans le Nord du pays. Cet extrémisme musulman est basé sur le refus systématique de l’enseignement de type « occidental » jugé d’immoral et athée. La guerre politique en Cote d’Ivoire s’est transformée en guerre de religions entre le Nord dit « musulman » et le Sud dit « chrétien ». Le même phénomène se produit en Centrafrique entre « chrétiens » et « musulmans ». Le cas des Djihadistes comme le Mujao, Ensar-Din, le Mnla au Nord du Mali est encore présent dans les mémoires. Tout cela entraine le massacre entre croyants, la destruction des lieux de culte et autres dégâts. L’intolérance religieuse menace la paix et plombe le développement des pays africains.

Dialogue interreligieux au Bénin
Aujourd’hui, nous pouvons rendre grâce à Dieu pour la paix relative entre les religions chrétienne, musulmane et animiste. L’Eglise Catholique s’est résolument engagée d’abord en envoyant des prêtres et des religieuses pour se former sur les questions de l’islam dans des pays musulmans. Pour mieux enraciner l’Evangile dans le pays, elle est aussi engagée dans la connaissance des cultures et religions endogènes du Bénin et de l’Afrique. Sur le plan juridique, la liberté de religion consacrée par la Constitution de notre pays est respectée tant bien que mal par les citoyens. Sociologiquement chrétiens, musulmans et animistes dans nos familles ont le même ancêtre et il n’est pas rare de rencontrer les membres d’une même famille, ayant des convictions de foi différente, de se rassembler et de partager des valeurs communes de paix, de justice et de réconciliation. A l’occasion des fêtes religieuses comme la Noël, Pâques, Aid Al-Kabir (tabaski), Aid Al-Fitr (fête du jeûne du Ramadan) ou le Xwetanu (cérémonies coutumières), musulmans, chrétiens et animistes se rendent visite dans les maisons pour communier à la joie de leurs frères et amis. Des mariages mixtes sont célébrés entre les membres de ces différentes religions du pays. Des gestes simples qui construisent la paix s’observent en plusieurs endroits. C’est le cas de ce prêtre du diocèse de Natitingou qui conduit sa mère musulmane à la mosquée pour aller faire ses prières depuis 7ans. Des moments de rencontre et d’échanges ont lieu entre les leaders religieux pour la recherche de la paix, de la démocratie et pour le développement du pays. L’imam et l’évêque de Djougou se rendent souvent visite pour communier à la paix et la consolider au sein de leurs communautés respectives. A l’occasion d’une visite pastorale dans un village, un imam demande à l’évêque d’envoyer un curé pour la communauté chrétienne du lieu qui n’en avait pas. Un musulman, marié à une femme chrétienne, est allé témoigner publiquement dans une église catholique que la Vierge-Marie est sa mère. Ses recherches lui ont permis de savoir que la Vierge est l’unique femme dont parle le Coran. C’est ce que nous appelons le dialogue de la vie, fondamental pour mieux se connaitre.
Cependant des efforts restent à faire au regard de la poussée extrémiste et radicale de certains membres de ces grandes religions du pays. On entend quelquefois des propos assez inquiétants qui incitent à la vengeance et à la guerre de religion. La liberté de religion n’est pas toujours reconnue à tous dans nos familles. Des membres en sont exclus en raison de leur conviction de foi différente. Ils sont rejetés et persécutés par les leurs. Des parents s’opposent au mariage de leurs enfants à cause de leurs convictions de foi divergente. Il est difficile à une musulmane d’épouser un chrétien car le Coran l’interdit. L’appartenance religieuse ou ethnique peut parfois constituer une barrière pour postuler à un poste de travail dans une entreprise. La religion prend le pas sur la compétence professionnelle. Ce qui peut fragiliser à terme l’unité du pays et conduire à des situations chaotiques. Les valeurs que prônent les religions invitent à la modération dans les discours, la tolérance et le respect de l’autre pour la paix, la stabilité et le développement du pays, car la nation a besoin de tous ses fils et filles pour se construire.

Des valeurs nécessaires pour une cohabitation pacifique
Les croyants de différentes confessions religieuses doivent se respecter, s’aimer, apprendre à se connaitre et se comprendre. En effet, la Constitution de notre pays garantit la liberté de religion et de conscience à chacun. Nous sommes dans un Etat de droit à construire progressivement avec toutes les forces vives de notre pays. La place des religions et les valeurs qu’elles prônent sont importantes dans la construction de notre pays. Ainsi nous avons des valeurs comme le respect et l’estime mutuelle entre croyants, les rapports de bon voisinage et de fraternité entre adeptes de religion adorant le même Dieu. Il est bon d’avoir des rencontres d’échange sur les religions des uns et des autres afin de mieux se connaitre pour s’apprécier et s’enrichir mutuellement. La paix implique nécessairement le dialogue serein entre croyants. J’ai peur de mon frère parce que je le connais bien. Selon la Parole de Dieu, le chrétien doit être toujours prêt à rendre compte de son espérance à qui le lui demande. Il devient témoin de l’évangile du Christ et donc homme de dialogue comme le Christ Lui-même avec ses auditeurs. La foi ne s’impose pas ; elle se propose dans une dynamique d’écoute et de partage appelée dialogue et annonce. Cela requiert un climat de tolérance et de paix entre les interlocuteurs car l’homme est la route de l’Eglise selon le St pape Jean-Paul II. Les chrétiens et les musulmans doivent se tenir par la main pour construire un pays de paix. Ils doivent apprendre à se connaitre, s’accepter mutuellement comme le recommandent la Bible et le Coran. La tradition musulmane affirme dans ce sens qu’il n’y a pas de contrainte en religion et qu’il faut dialoguer avec les autres croyants dans la plus grande courtoisie. Une Ong appelée « RpP » (Religions pour la Paix) s’active sur le terrain au Bénin pour prévenir les conflits interreligieux et intra religieux. Le choix de notre pays comme havre de paix pour abriter la session sous régionale sur le dialogue interreligieux organisée par le Vatican est très illustratif de ce climat de tolérance qui règne entre les croyants de différentes religions au Bénin. Nous pouvons aussi nous appuyer sur les valeurs traditionnelles léguées par nos ancêtres comme le respect sacré de la vie, l’importance de la famille, le sens de l’accueil de l’autre et la solidarité entre membres d’un même village, la pratique de la liberté d’opinion et du dialogue dans les rencontres familiales…etc.
En conclusion, nous disons que les religions doivent œuvrer pour la paix car elles sont porteuses de valeurs dont nous avons besoin pour grandir et avancer. La paix est plus comportement que discours. Chaque croyant doit éviter tout extrémisme religieux et regarder son frère ou sa sœur comme Dieu le veut. Car en définitive, Dieu est amour et on peut appeler son nom en ayant la haine et la vengeance contre le prochain. Que son Esprit nous aide à nous aimer les uns les autres.

Père Justin BOCOVO
Curé de NDV de GBEDAGBA
Professeur de Religions



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