Deuil dans l’univers musical : les artistes pleurent le Roi Tohon

La rédaction 1er mars 2019

Décédé ce mardi en France, le roi du Tchink system a été pour chacun de ses compères, un frère, un ami et même un confident. Certains ici ont raconté leurs expériences avec ce grand homme de la culture béninoise.

Albert Bessanvi alias Gbéssi Zolawadji artiste-musicien chanteur : « Son départ est un vide, …Il a donné de la valeur à une de nos musiques traditionnelles »

C’est un artiste comme moi. Mais entre artistes on a une autre manière de vivre, il n’y a plus de réserve entre nous. Il y a une ouverture tellement large. En dehors de ça on a partagé plusieurs scènes ensemble que je ne peux même plus citer. La dernière fois, c’était au centre culturel de lobozounkpa non loin du collège la plénitude. J’étais retenu avec les enfants du feu Gnonnas Pedro justement. Tohon était un invité et il revenait juste de l’Europe et pendant que j’étais sur scène il est monté. D’ailleurs c’est ce qu’on a l’habitude de faire. Je lui ai donc passé le micro et il a commencé à chanter avec moi. On aurait cru qu’on avait déjà répété ensemble, on a dansé et chanté ensemble. Son départ est un vide, Tohon n’est pas un petit artiste. Il a donné de la valeur à une de nos musiques traditionnelles, une musique chère au béninois. Normalement il doit avoir encore plusieurs Tohon parce que pour nous qui sommes très très proches où faiseurs de la musique traditionnelle, nous sommes un peu peinés de voir nos jeunes embrasser une autre musique qui n’est pas proche de notre réalité musicale. Pour moi, un jeune artiste doit puiser dans le patrimoine culturel comme Tohon l’a fait. Et c’est d’ailleurs ça qui l’a fait grandir. Ils doivent puiser dans notre patrimoine culturel pour faire ressortir notre valeur culturelle. C’est en celà que notre amour est encore sincère. L’amour que nous avons pour lui par rapport à ce qu’il a fait. Il a fait la promotion du « tchinkounmin » qu’il a surnommé tchink system. Je trouve que c’est une bonne chose. La mort est inévitable pour toutes et pour tous. Depuis que je suis né et j’ai ouvert les yeux, je sais que la mort existe et que personne ne pourra y échapper. Donc que la mort vienne frapper un de nos proches, je ne suis pas souvent surpris parce que c’est ce que je savais de la mort qui est arrivé et qu’elle vient de frapper encore. Peut-être que le prochain vol serais pour moi et je me prépare en conséquence sans tristesse. Elle ne me dit rien parce qu’elle est naturelle. Tohon a composé plusieurs chansons mais celle qui m’a le plus marqué, c’est le « yallow ». Je l’ai beaucoup aimé. Avant de partir il a eu à présenter son dauphin en la personne de prince Guédéssi, mais il ne doit pas être seul. Il doit y avoir plusieurs "Prince" pour que la perpétuité de ce trésor puisse continuer. J’encourage et je félicite ce monsieur. J’espère vivement qu’à l’avenir il y aura d’autres Tohon. Le roi est mort, vive le roi.

Ahoka Prisca alias Ahoka’s danseuse et sœur de Stan Tohon : « Je suis sans voix, je suis dépassée »

Je suis sa danseuse et sa cousine directe. Je faisais des scènes avec lui que ce soit au niveau national ou international. C’est lui qui m’a gardée depuis mon enfance jusqu’à l’âge adulte. C’est à Gbégamey ici qu’il est resté. Bien qu’il se soit installé à Hêvié, il ne manquait pas de venir nous voir. Même avant son départ pour la France, il est passé me voir, mais je ne savais pas qu’il reviendrait en silence. Je suis sans voix, je suis dépassée, c’est tout comme une couronne qui s’est échappée de la tête d’un roi, cette nouvelle. Partout où nous devons jouer, je suis avec lui. C’est lui qui m’a amenée dans la compagnie super ange Hwendonanboua. C’est par lui je suis devenue danseuse professionnelle. J’implore le gouvernement de ne pas laisser tomber sa famille, Tohon mon grand frère a beaucoup fait pour la Nation béninoise. Je souhaite vivement qu’un hommage mérité lui soit rendu, pour que je sache que le gouvernement œuvre encore réellement pour l’épanouissement de ses artistes et de leurs descendances. Ma seule préoccupation pour l’instant est que son corps rentre. Je profite pour exhorter Prince Guédessi le dauphin de mon frère, à faire le tchink comme lui. Il a su le faire de son vivant, car le tchink de mon frère est compliqué mais se joue avec finesse. Je vous le dis parce que je suis sa danseuse.

Nikanor, artiste-chanteur : « J’ai été très éploré »

C’est un grand malheur pour le Bénin et sa musique de perdre une icône, un baobab comme Stan Tohon. C’est quelqu’un qui restera à jamais. On dit toujours que l’artiste ne meurt pas. C’est plus une réalité pour ce monsieur qui a marqué des générations, pas la nôtre seulement mais aussi celle de nos parents et de nos grands-parents par sa musique trans-générationnelle. C’est une musique qui a inspiré, qui nous inspire et qui va continuer à nous inspirer. J’ai été très éploré, très touché quand j’ai appris le décès de mon pépé car Stan Tohon est un pépé pour moi dans la musique. Je dis mes sincères condoléances à toute sa famille et à ses proches. Franchement que son âme repose en paix et que de là-bas, il veille sur le showbiz et la musique Béninoise pour que nous jeunes puissions réaliser les projets qu’il n’a pas pu réaliser avant de nous quitter. C’est toute la musique du Bénin qui est en deuil. Sa musique est un grand héritage. Il nous a légué un héritage inestimable de par le Tchink qu’il a créé et son énergie qu’il a apportée à la musique béninoise. J’espère que cet héritage fera objet d’une bonne utilisation. Je sais qu’on va tous y passer. Le plus important est de passer et de marquer son temps. Stan n’est pas mort. Vive l’artiste !

Fidele ANATO alias le baobab ; "On ne va pas pleurer, on va simplement essayer de tenir le flambeau à cœur joie"

Il a marqué son temps. On ne va pas pleurer, on va simplement essayer de tenir le flambeau à cœur joie parce que tout homme est passant. L’enfant qui naît aujourd’hui est assez grand pour mourir. Certes ça fait très très mal de perdre cet immense monsieur avec un cœur magnifique. Il faut vous approcher de lui pour le connaître. Moi j’aime faire mon expérience des gens. Quand j’ai commencé par m’approcher du tchink system à travers un ami qui s’appelle Zoé qui a un studio où j’allais enregistrer quelques disques, les gens m’ont dit "Tohon va te manger, c’est un sorcier" etc... Mais quand j’ai approché ce papa, c’est un cœur doux, un monsieur magnifique. Avec tout homme il y a toujours des choses qui marche et d’autres qui ne fonctionne pas. Il y a des rigueurs qu’il va mettre et qui ne vont pas te plaire peut-être, mais quand tu fais le recul tu trouves que c’est soit pour son bien, ou soit c’est en raison des circonstances dans lesquelles il était en ce moment-là que ça s’est passé comme ça. Comprenant ainsi les autres, moi je m’en sors toujours avec lui. J’ai eu un très bon rapport avec lui grâce surtout à son humilité, son acceptation des autres. Je suis comédien, j’ai fait mon chemin beaucoup plus dans la comédie mais ça ne l’a pas empêcher d’accepter ma candidature à son concours. Il est vrai que c’était sur la base d’un morceau mais après il m’a accompagné, il m’a encouragé. J’ai été jusqu’à réussir à m’offrir ce trophée que j’ai dégoté devant public. Unanimement tout le monde était d’accord parce que non seulement j’ai chanté mais aussi j’ai fait une grosse mise en scène autour et c’est ça qui a fait la différence avec les autres candidats. Après ça il m’a conduit en studio, il est vrai il n’a pas pu aller jusqu’au bout du travail mais moi même comprenant toujours l’autre j’ai accompagné le mouvement et ça a donné mon album de tchink système que j’ai fait et qui a suivi son petit chemin. Papa Tohon paix à son âme. Nous allons continuer à tenir le flambeau. Il ne s’agira pas du tout de pleurnicher mais simplement de voir l’immensité du patrimoine culturel qu’il nous a laissé, le travail technique, le travail de recherche, de valorisation de conservation qu’il a fait sur le tchink system. Sur ce rythme-là le tchinkounmin basique pour l’adaptabilité entre ces rythmes traditionnels et les sonorités modernes avec l’universalité, avec le langage de la musique do ré mi fa sol etc pour que nous puissions avoir de la musique qui traverse les continents. Et l’homme lui-même, la puissance qu’il a vocalement d’abord et son aptitude non seulement à ébranler le showbiz mais aussi à avoir des contacts, à avoir de la relation, à avoir un carnet d’adresse dans le monde entier qui nous a servi nous jeunes qui nous sommes rapprochés de lui. Moi je peux dire que Tohon Stan m’a beaucoup aidé parce que ça m’a permis d’affuter ma polyvalence et de vivre de ce métier. Il y a des anecdotes qui circulent sur lui compte tenu de son physique. Ils disent qu’il mange un cochon, moi je l’ai fréquenté et c’est le moment pour moi de faire ce témoignage : Tohon Stan n’est pas capable de manger un bol de viande pour 1000 francs, il n’est pas capable de tout finir. Des gens témoignent qu’ils ont vu. Si Tohon reçoit des amis chez lui, il achète souvent de l’igname frite et des beignets pour 4000. Mais les gens disent que c’est lui qui veut tout manger. Je dis à tous les béninois, j’ai été très proche de lui et je ne le défends pas. Peut-être qu’il y a eu des choses qui ont amené les gens à dire ça mais moi j’ai fait l’expérience et ce n’est pas du tout le cas. Les gens qui m’ont côtoyé savent que j’ai toujours dit du bien de lui. Au revoir à toi papa pour avoir fait ce travail immense, paix à ton âme. Moi je ne suis pas la seule langue capable de le dire parce que je ne suis pas que chanteur, je ne suis pas qu’un comédien, je suis très polyvalent. C’est pour ça que je me fais humble et je dis qu’il faut remettre la parole aux gens du domaine ceux qui sont musiciens de pouvoir parlé de son immensité toujours est-il que il m’a marqué et je voudrais que la mémoire collective garde ce monsieur et le tchink système. Je crois que son est dans le dictionnaire ça pour moi c’est important. Et c’est en référence à cette invention. C’est un monument qui faut célébrer un peu comme Cossi Théodore Behanzin. Lui aussi il est mort et nous avons souhaité qu’on le célèbre jusqu’aujourd’hui. Pour moi rien n’est toujours fait pour l’immortaliser. Je pensais qu’on allait faire une statue de l’homme au carrefour COSSI mais jusqu’à aujourd’hui je n’en ai pas vu. Stan TOHON c’est un monument, c’est une vie, c’est un corps. Quand Ousmane ALEDJI a fait un témoignage sur lui ses œuvres sont encore exploitables. Dommage que ce corps soit parti. Un physique unique exploitable au théâtre dans plusieurs rôles. Moi je trouve que malgré son âge il pouvait faire de grandes choses sur scène. C’est difficilement qu’on peut l’approcher pour lui proposer ces choses-là parce qu’il est sur un élan du showbiz qui est tellement dense et mouvementé et je trouve qu’il n’a été assez soutenu pour qu’il soit à l’aise pour faire autre chose. Sinon moi je l’aurais mis en kaki et lui demander de jouer <> par exemple. Mais les gens vont mourir de rire, parce que c’est un corps, c’est une voix aussi non seulement pour la musique mais aussi pour le théâtre, pour l’art de manière générale. Je dis c’est un monument qui est décédé. Que l’État béninois fasse quelque chose pour sa famille. Mais je trouve que c’est dommage que ce soit après et je profite pour dire à l’État de s’occuper de nous. Honorons les gens de leur vivant. Certes j’ai coulé des larmes, je voulais sortir mais je n’ai pas pu. J’ai fait son deuil à ma manière et j’ai finis avec le deuil. Maintenant je regarde vers l’avant je travaille, je joue et je danse. Le tchink system est en moi, je suis tchinkeur. A Dieu père du tchink système vive le génie !

Ebawadé, artiste-chanteur : « C’est un sentiment de tristesse, de consternation et de colère qui m’animent »

Stan, affectueusement nous l’appelions Roi. C’est un grand frère, un de ainés culturellement parlant en tant que béninois, que nous aimions tous et qui nous aime également. Pour sa disparition c’est un sentiment de tristesse qui m’anime, un sentiment de consternation et un sentiment de colère. Pourquoi la colère parce que les grandes voix du Bénin s’en vont, c’est triste. Tohon nous l’aimons depuis notre jeune âge, depuis notre adolescence parce qu’il a sorti ‘’ Yallow’’ depuis mon cours primaire. J’étais encore au village. Je ne savais pas que j’allais chanter aussi. Mais avec une chance je l’ai rencontré par le biais d’un camerounais. C’est quelqu’un qui aime notre culture, qui aime ce qu’on fait, qui aime le pays et c’est un battant. Il s’est battu jusqu’à l’épuisement et il est parti comme ça. Notre métier a besoin d’être soutenu et c’est ce qui nous manque dans notre pays malheureusement. J’étais au chevet de Gnonnas Pedro à Paris quand il est mort à l’hôpital, au chevet de Vickey, de Poly rythmo quand il est mort dans un hôpital de Libreville et je sais ce qui s’est passé par rapport aux moyens financiers. J’ai donné une bonne place à la musique béninoise à l’extérieur mais je continue de me battre tout seul et face à ça c’est un peu dommage. Tohon, c’est un grand de la musique béninoise. Il n’a pas trouvé la place qu’il mérite parce qu’il est un créateur d’œuvre. Ce qu’il a fait au Tchinkounmè est trop. Ce sont nos cadres qui ont tué la musique. Ils se croient civilisés et quand on joue notre musique traditionnelle ils ne se lèvent pas pour danser mais quand on joue la Salsa ou la Rumba ils se lèvent. Ils se trompent largement. Nous sommes dans ce combat et ceux qui le mènent s’en vont. Si un grand a disparu on lui rend un dernier hommage.

Propos recueillis par : Marina HOUNNOU (Coll.), Xavier YEHOUENOU et Odilon Jephté HOUNNAGNI (Stags).



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