Disparition progressive des prénoms endogènes : Les Béninois perdent leurs vrais noms

La rédaction 13 octobre 2015

La mondialisation et la modernité riment de plus en plus au Bénin avec la perte progressive des identités culturelles. Agossou, Ablawa, Bio et Cossi, de nombreuses autres marques identitaires des groupes socioculturels béninois courbent l’échine, puis disparaissent au profit de prénoms occidentaux, voire composés qui n’ont de sens que dans la tonalité.

Sur plus de 45 élèves ayant fait l’objet d’un contrôle de présence, dans la classe de Florence, institutrice au cours préparatoire dans une école de la place, seulement deux portent un prénom endogène. Le reste, pendant plus d’un quart d’heure qu’a duré l’appel, a répondu à des prénoms religieux, des noms de stars de la musique ou de football. Un constat qui n’étonne guère l’institutrice. « C’est peut-être bizarre. Moi-même, je n’ai pas un prénom endogène. Mes parents ne me l’avaient pas donné. Alors, imaginez l’écart qui s’affichera quand ces écoliers auront notre âge à nous », se justifie Florence. Comme elle, de dizaines de milliers de Béninois se retrouvent avec des appellations qui, pour certains, ne sont que l’expression de l’occultisme. « Si mes parents ne m’ont pas donné de tels prénoms, c’est parce qu’ils sont chrétiens évangéliques. C’est pour que ces appellations diaboliques ne me suivent pas », déclare Marc dont le patronyme est pourtant Hounton (Hounton faisant allusion au culte vodoun).

Une fuite en avant…
Très peu de ceux qui ont un prénom endogène tiennent à le faire valoir. « Depuis le jour que mes camarades ont découvert que j’ai un prénom endogène, ils n’ont cessé de se moquer de moi. Chaque fois, qu’un professeur doit m’appeler au cours, je fais l’objet de railleries. Et moi, cela me fait honte », se plaint Yénoukounmè. Ainsi, sauf cas de force majeure, c’est-à-dire pour des raisons administratives, d’autres ne laissent jamais transparaître leurs prénoms endogènes. Ils préfèrent se cacher pour la plupart derrière le fait qu’ils n’ont jamais entendu leurs parents les appeler ainsi, bien que ces prénoms figurent sur leurs actes de naissance. « J’ai un prénom endogène, mais jamais mes parents ne l’utilisent pour m’appeler. Peut-être qu’aujourd’hui, s’ils devraient me donner à nouveau des prénoms, ils ne m’en donneront plus. La preuve, mon petit frère n’en possède pas, même si ma grand-mère a essayé de lui en donner un », regrette Victorin Gbènablo. Cherchant toutefois à connaitre la signification de ces prénoms qui leur sont souvent en veilleuse, les plus curieux se heurtent à la résistance des parents. « A chaque fois, quand je cherche à comprendre, mon père me renvoie chez ma mère, ma mère fait la même chose, je crois qu’eux-mêmes ne le savent pas », a affirmé Dona. Une attitude que Jean Claude Dossa déplore : « ces personnes s’écartent dangereusement de leur culture, parce que quel que soit l’individu, il est important de connaître le sens des prénoms que l’on porte. On n’a pas des prénoms pour la forme. C’est en vertu d’une situation qu’on nous les donne ». Sans pour autant l’affirmer, certains parents trouvent que le prénom religieux est plus esthétique dans l’appellation que le prénom endogène. « Emmanuel est agréable à l’oreille que « Mawulikplimi » qui n’est que la traduction du même prénom en Mina. C’est pourquoi, je n’ai pas donné de prénoms endogènes à mes enfants », se dédouane Ange Kouton, la quarantaine.

Une empreinte culturelle …
« Dis-moi ton prénom et je te dirai de quelle ethnie tu es, ton jour de naissance et au mieux les circonstances dans lesquelles tu es né. C’est pour dire qu’un prénom endogène donné à un enfant le lie plus à sa culture et reflète beaucoup plus ce qu’il est », précise Dègnon Jean-Claude Dossa. « Ma mère souffrait du fibrome. Pendant plus de cinq ans, elle n’a pu être enceinte. On la croyait stérile. Mais le miracle s’est produit et je suis né. Ils se sont dit que c’est l’œuvre de Dieu et ils m’ont appelé Mahuton », confie Charbel Gnaga. D’une région à une autre, les paramètres du choix du prénom endogène varient. La datation de ces prénoms est parfois faite en fonction du jour de naissance de l’enfant comme « Sègbegnon » ou « Sèdé » pour celui qui est né un dimanche. Aussi, est-elle faite en fonction de la position des enfants. C’est le cas des enfants qui viennent au monde juste après les jumeaux et qu’on appelle « Dossou » ou « Dossi » au Sud Bénin. Cependant, des prénoms sont attribués en fonction de la manière dont l’enfant est venu au monde. « Dans la culture gun, un enfant s’appelle « Agossou » s’il est un garçon ou « Agossi » s’il est une fille lorsque, au cours de l’accouchement, ce sont ses pieds qui sont perçus en premier au lieu de la tête », souligne Marie-Louise Zinsou, octogénaire et mère de huit enfants. Dans le cas des jumeaux par exemple, on ne propose pas de prénoms puisqu’en fonction des circonstances de leur arrivée, de la succession, les noms sont déjà indiqués et on les donne automatiquement. C’est le cas de « Tété » ou « Sagbo » qui veulent dire respectivement que l’enfant est une jumelle ou un jumeau. Les prénoms comme « Sègla », « Mahuton » ou encore « Yèyinou » sont donnés aux enfants qui sont venus au monde au moment où leurs parents traversaient une situation pénible ou lorsque la grossesse a connu un problème, est interne après plusieurs fausses couches ou enfants mort-nés ou encore quand l’on s’y attendait le moins. L’inspiration des parents peut venir des révélations du Fâ ou aussi de l’attachement que les parents ont avec certains animaux. D’un autre côté, lorsqu’un parent ou un aïeul décède et aussitôt après, un enfant naît, selon le sexe, les prénoms endogènes qu’on peut proposer sont entre autres « Dovômè » (dans le trou vide) indiqué pour une fille, « Houévô » (il est venu dans la maison vide), « Yabo » (traduction d’Iya bô qui signifie la maman est revenue). Les prénoms endogènes doivent alors être revalorisés pour éviter l’effritement de la culture béninoise. « Il est alors souhaitable que dans les relations sociales, on utilise les prénoms endogènes au lieu des prénoms chrétiens afin de revaloriser un peu plus ces prénoms qui sont en train de disparaître », a souhaité Jacob Gnansounou.
Cyrille Sèmako LIGAN (Stag)



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