Entretien avec l'artiste Moudachirou Gbadamassi alias Muda Shiru le Patrimoine Mondial : « …le plus intéressant, c'est quand je me retrouve sur scène…, c'est le plus grand bonheur »

La rédaction 11 avril 2013

Humour, diversité culturelle, défense de la culture béninoise, abnégation, le tout porté par une voix pétillante, laissant sur son chemin des souvenirs inoubliables. Cette voix, c’est bien sûr l’artiste chanteur Muda Shiru (de son vrai nom Moudachirou Gbadamassi), le Patrimoine Mondial, concepteur de « Tourner la Têti ». Il est de ces artistes qui, chaque jour, se battent pour hisser haut l’étendard de la musique béninoise, particulièrement la culture Baatonu. Depuis le 17 mars 2005, il a fait son entrée de façon remarquable dans la cour des grands avec deux albums de grosse facture. Dans cet entretien, il raconte son évolution en cette matière.

Moudachirou Gbadamassi

Faites-nous la genèse de votre carrière musicale

J’ai commencé la musique en 1998-1999. J’étais en vacances à Bohicon chez mon grand frère. Et là-bas, j’ai écouté un animateur qui est aujourd’hui aux Etats-Unis, qui présentait une émission Hip-Hop qu’il appelait Hip-Hop Sound System. J’étais tellement épaté par sa prestation et les explications qu’il donnait du mouvement Hip-Hop que, finalement, j’ai décidé de créer mon premier groupe de rap dès mon retour des vacances à Parakou. C’est comme ça que j’ai créé mon premier groupe de Rap béninois. J’ai commencé la musique par le Rap en 1999, beaucoup ne le savent pas. Le groupe était dénommé « Les G-Masters », composé de deux garçons et une fille. La fille a démissionné et quelques mois plus tard, le garçon aussi m’a laissé seul. Finalement, par la force du travail. J’ai continué à me battre, à écrire beaucoup de chansons. Ce qui m’a facilité l’adoption du Rap, c’est le fait que depuis tout petit, j’ai toujours écrit et je continue d’écrire beaucoup de poèmes, des contes, des histoires, des nouvelles et autres. Et donc, c’était très facile pour moi de passer de cette poésie-là que j’avais l’habitude d’écrire au Rap. En 1999-2000, j’ai dû intégrer le groupe les « 3 As » de Parakou, parce que finalement, j’étais seul. A l’époque, c’était un groupe déjà confirmé, qui avait à son actif un album et qui était constitué de 3 membres : deux jumeaux et un autre membre du nom de As Cool. L’un des jumeaux était parti pour Cotonou. Et moi, j’ai intégré le groupe pour combler le vide. On a fait plusieurs scènes, un peu partout ensemble et on préparait le deuxième album du groupe, lorsque, malheureusement, on a connu la destitution, si je peux m’exprimer ainsi, du Chef d’arrondissement de la mairie de Parakou, autrefois Chef de la circonscription urbaine de Parakou, qui était le sponsor principal du groupe. C’est comme ça que le groupe est plus ou moins tombé. On n’a donc pas pu faire le 2ème album. Entre-temps, j’ai eu mon baccalauréat. Donc, j’ai quitté Parakou. Et pendant les vacances, j’ai un grand-frère qui a quitté Porto-Novo et qui est venu me voir à Tchaourou. Car il y avait à Cotonou un groupe de Hip-Hop appelé les Moonrays. Ils étaient deux membres. Ils cherchaient un troisième membre. La condition, c’était que le membre doit chanter et raper non seulement en français, mais aussi en anglais et en arabe. Le frère a donc cherché partout au sud et n’a pas trouvé. Dans ses recherches, il a entendu parler de moi. Il est donc venu jusqu’à Tchaourou me chercher. J’ai ainsi intégré le nouveau groupe. Arrivé sur le campus, nous avons commencé par travailler ensemble. On était à cheval entre Porto-Novo et Cotonou. On est rentré en studio. Nous avons réalisé deux singles, mais compte tenu de l’emploi du temps du groupe, ce n’était pas facile de se retrouver pour répéter et travailler ensemble en studio. J’ai donc décidé de faire une carrière Solo. C’est comme ça que je suis entré en studio en 2004 pour enregistrer mon premier album « My Second Birth », qui est sorti le 17 mars 2005. J’ai choisi cette date simplement parce que le 17 mars 2004, Casimir Adjogan, un étudiant, a été écrasé par le bus au campus d’Abomey-Calavi. C’était un drame qui nous a depuis ce temps marqués. Sur l’album « My Second Birth », je lui ai dédié une chanson « Hommage à Casimir ». C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de lancer l’album le 17 mars 2005, pour rappeler un an de son décès. Sur l’album, il y a des chansons connues comme « Mimi » et autres. Bien avant cela, j’ai suivi la formation Gospel et racines en techniques vocales qui m’a permis de chanter devant le Président Mathieu Kérékou en 2004.

Ce qu’il convient de signaler, c’est que quand je suis rentré en studio finalement, je n’ai plus fait du Hip-Hop. Je suis revenu désormais à la musique traditionnelle, où j’ai fait un mélange de musique traditionnelle et moderne. J’ai puisé dans le Têkê, j’ai fait un peu du Rnb et autres. Je fais beaucoup le tradi-moderne.

Pourquoi ce changement de tendance ?

Simplement parce que je me suis rendu compte que nous avons une culture au Bénin. Notre culture est hyper riche, si je peux m’exprimer ainsi. Au nord du pays, notre culture reste encore à exploiter, parce que, sur la totalité des musiques traditionnelles au Bénin, environ 80% (je n’ai pas les statistiques) sont du sud. Il y a des centaines d’albums de « Toba », de « Tchinkounmin », de « Zinli » bien connus. Mais combien d’album de Têkê, de Kiarou avons-nous ? Il y a des centaines de rythmes au nord qui ne sont pas exploités. A ce sujet, je me suis dit en rentrant en studio, que j’ai une responsabilité. Dans tous les rythmes, je vais identifier celui qui convient le plus et le travailler. J’ai donc choisi le Têkê. Lorsque vous écoutez « Mimi », j’ai fait une combinaison intelligente. J’ai pris le Têkê du nord, j’ai chanté dans une langue du sud, le « Fon », en prenant des mélodies Yoruba. C’est une fusion et il faut être audacieux pour le faire. C’est aussi dû au fait que j’ai la chance d’avoir traversé beaucoup d’aires culturelles du pays. Je parle une dizaine de langues ; le français, le Dendi, le Baatonu, le Tchabè, le Yoruba, le mina sans oublier certaines langues étrangères. Généralement sur mes albums, j’essaie d’exprimer cette diversité culturelle que nous avons au Bénin. Je « picote » un peu partout et j’en fais un produit uni.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Déjà, il faut commencer par dire que c’est ce que je vis d’abord. Dans les œuvres de tous les artistes, il y a une bonne partie d’autobiographie. En plus de ça, il y a parfois des scènes qu’on voit dans la rue. Il y a également des gens qui vous racontent une histoire. Quand ils savent que vous êtes artiste musicien, ils s’approchent de vous et vous racontent ce que l’un de leurs amis a vécu. Ensuite, ils disent : « Toi, tu es un artiste. Et cette histoire mérite que les autres puissent en tirer leçon ». En dehors de cela, il y a des chansons commandées. Il s’agit des occasions où une institution ou une ONG s’approche de nous et nous demande de chanter sur le paludisme ou le Sida, par exemple. Dans ce cas de figure, on compose directement et on chante. Mais en termes d’inspiration qui vient de manière spontanée, c’est quelque chose qu’on vit et qui vous touche. Par exemple, lorsque vous perdez un parent, l’inspiration vient spontanément, ou bien vous vous surprenez en train de chanter. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies, c’est-à-dire les portables qui ont d’enregistreur, je m’enregistre automatiquement. Après, je me rassieds pour analyser la mélodie, les paroles, afin de les améliorer. Je fais le mélange entre la fiction et la réalité.

A quels instants de la vie ressentez-vous le bonheur ?

La musique est un métier passionnant. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui offrent ce que la musique peut offrir. Avec la musique, nous avons la chance d’avoir de la célébrité, de laisser des traces, de nous rendre immortels, de toucher des cœurs. On perce ces cœurs grâce à cette musique. Nous avons la possibilité de vivre notre vie, de gagner de l’argent et faire beaucoup d’autres choses grâce à la musique. Dans ce métier, il y a plusieurs instants que j’adore. Par exemple, lorsque je suis en studio, en voulant réaliser un nouvel album. C’est des instants que j’adore parce que c’est des instants de travail de groupe, ce que beaucoup ne savent pas. On pense tout de suite que c’est l’artiste seul qui travaille. Les gens oublient le travail des musiciens, de l’arrangeur, des choristes, l’ingénieur du son. C’est tout un groupe. Et quand on est en studio en train de travailler, c’est des instants de partage, de magie. Et le plus intéressant encore, c’est quand je me retrouve sur scène. C’est le plus grand bonheur. Vous avez en face de vous des gens qui vous adorent et qui répondent en chœur. Il suffit que vous entonniez la chanson et tout de suite, les gens reprennent en chœur. Ça vous va droit au cœur. Parfois, on devient fan de ses fans, parce qu’ils sont là, en train de chanter en chœur une chanson qui vous est inspirée, que l’esprit vous a donnée. Parce que c’est l’œuvre de l’esprit, la musique. Vous voyez des couples qui sont là et qui n’oublieront jamais ces moments. Chaque fois, ils diront à leurs enfants : « Quand tu fêtais ton anniversaire, on était au concert de Muda Shiru le PM, il avait chanté ci et ça… ». Donc, c’est des instants de magie. Ça n’a pas d’égal.

Un dernier mot à l’endroit du public

Muda Shiru le Patrimoine Mondial, concepteur de « Tourner la Têti », continue toujours de faire des recherches. Le public a pu constater que sur le clip de « A Ku Suwa », un des titres de mon dernier album, on a bien travaillé. J’ai été reçu par la cour royale de Nikki, notamment le Chef suprême des Baatonu, le roi Sero Kora, Goudou Mouhamma Gabê Mouhamma. J’ai travaillé avec son équipe, les griots du roi. Vous savez, j’ai fait beaucoup de recherches, parce qu’au-delà du travail musical que j’ai fait, je pense qu’on doit également laisser des écrits. Donc, je fais beaucoup de recherches dans le domaine de la forme et du fond du travail des griots. A voir cela de l’extérieur, on prend ça pour quelque chose de banal, mais c’est une richesse. C’est une chose qui fait partie du patrimoine mondial. Et moi-même, en tant que Patrimoine Mondial (surnom), je dois travailler à continuer cette recherche-là et à faire des publications.



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