Entretien avec l’artiste Ebawadé : « Mon prochain album est en cours et parle de l’injustice… »

La rédaction 24 août 2017

L’artiste chanteur Ebawadé, de son vrai nom Sévi Ebawadé Codjovi, un amoureux des rythmes traditionnels, bercé par sa culture xwla, livre ici les raisons de son absence de la scène musicale. Lauréat du prestigieux trophée Kora en 1998, Ebawadé s’est souvent inspiré du cultuel pour nourrir le culturel, notamment à travers le fâ. Mais depuis peu, l’homme manque à la scène musicale. Pourquoi ? La réponse dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à votre journal.

En Afrique, derrière un nom se cache une histoire. Pourquoi Ebawadé ?
Je vous dirai d’abord que je suis originaire de Grand-Popo, mais je suis né à Djondji. Ebawadé, c’est mon prénom et je l’ai encore choisi comme nom d’artiste. Ce prénom est d’origine xwla et signifie ‘’cet enfant fera quelque chose’’, et comme je suis en train de vouloir faire quelque chose à travers mes albums, je l’ai mis sur mon premier album qui continue de faire parler de lui.

Comment Ebawadé s’est découvert un talent de chanteur ?
L’origine de ma carrière professionnelle remonte au passé de mes ancêtres. Toute la famille, mes oncles, mes tantes étaient des chanteurs, mais ne l’ont pas pratiqué de façon professionnelle comme moi. Même mon feu père fut le chef du ‘’Hanlo’’, le griot du vieux temps. Une forme de satire à travers laquelle l’on développe des thèmes pour toiser l’autre, un affrontement verbal par des incantations, une coutume bien développée chez les xwla et les houéda. Mon entrée en musique n’est donc pas un fait du hasard mais la manifestation du ‘’Fâ’’ incarnée par mon nom Ebawadé depuis ma naissance. Je chantais au cours primaire et on m’a dit d’aller au cours secondaire afin d’intégrer un groupe musical. J’ai pu avoir mon entrée en sixième pour rencontrer un groupe musical. Après, j’ai intégré le groupe Poly Rythmo, le conservatoire des arts et de la culture en Côte d’Ivoire, puis le conservatoire municipal en France. Ensuite, ce fut le tour de l’Afrique du sud et des Koras.

En parlant des Koras, comment cela s’est-il passé ?
C’est une compétition internationale de renom qui a regroupé tous les africains, toute la diaspora. C’est une compétition comme les jeux olympiques sur le plan artistique. Et nous avons eu le privilège de participer à la compétition et de remporter. C’est comme si on gagnait une coupe en football. Je l’ai gagné le 05 septembre 1998 à Sun city en Afrique du Sud.

Depuis 1998, quel a été le parcours d’Ebawadé ?
Rire. En tant que jeune, tout jeune africain, on nous a malheureusement mis dans la tête que l’Europe était l’eldorado. Etudiant, on a toujours rêvé de l’Europe. C’est ce qui est meilleur, mais malheureusement, ce n’est pas le cas. On ne peut pas nous en vouloir, car l’ambition était de chercher loin. C’est d’abord le conservatoire qui m’a motivé à sortir du Bénin, parce que je jouais des instruments et on m’a dit il y a le savoir lire et le savoir écrire.
Avec Poly Rythmo, j’ai eu que le privilège de les voir sur Libreville et à Port-Gentil, et ils m’ont donné la possibilité de m’exprimer. Du coup, je me suis dit qu’il faut en faire une carrière. J’ai pris les renseignements et je suis parti en Côte d’Ivoire, seul. Je suis descendu à Cocody pour aller à l’Institut national supérieur des arts et de la culture (Insac) ex-Ina. Je leur ai dit que j’étais un jeune béninois qui voulait s’inscrire au conservatoire. Ils m’ont dit non, qu’il faut des diplômes d’abord. Comme j’ai le niveau et les diplômes, je suis retourné au Bénin chercher les documents et les diplômes pour repartir maintenant au conservatoire, et là-bas j’ai étudié. J’ai fait la 3ème année. J’ai rencontré une dame camerounaise. Elle s’appelle Wèrè Wèrè Liking, et avait besoin d’un groupe panafricain pour créer un spectacle sur un mariage entre un touareg et une pygmée, et dans ce spectacle panafricain se regroupent plusieurs ethnies de l’Afrique. J’ai représenté les fons du Bénin. Après ça, j’ai commencé à faire des voyages, et c’est après l’Afrique du Sud que je suis rentré avec le morceau ‘’Tula’’ que vous connaissez bien.
C’est comme ça que je suis parti parce que quand je tournais avec les autres là-bas, j’ai vu des choses mieux que chez nous, des choses qui n’existaient pas chez nous, malheureusement. C’est donc surtout ce qui nous fait partir, la quête du savoir.je vis en Europe. C’est ce qui a fait que j’étais absent de la scène musicale béninoise. Je suis là maintenant, et pour refaire des choses, étant donné que j’ai des projets en cours.

Parlez-nous de ces projets ?
J’ai un nouvel album qui va sortir d’ici la fin de l’année. Dès que ce sera prêt, je le lance, et il y aura une tournée nationale qui va s’en suivre.

Cet album est-il un ancien registre ou un nouveau ?
Ma force, c’est l’ancien registre. C’est ce qui m’a fait connaitre. Je ne peux jamais quitter ce registre. C’est la tradition qui est ma force, et faire autre chose mieux que ça, c’est se mentir. Toute ma force y réside. J’y ajoute un peu de guitare et de batterie pour apporter une touche occidentale.

Pourquoi avoir choisi la musique traditionnelle ?
Je n’ai pas choisi la musique traditionnelle, j’ai grandi dans ça. Le fameux’’ Tula’’, c’est notre chanson. J’ai chanté pour la toute 1ère fois en Côte d’Ivoire lors du passage d’un test pour le conservatoire des Arts et de la culture et également pour le groupe panafricain. C’est ‘’Tula’’ qui m’a fait retenir dans ces groupes. A l’occasion du décès du président Félix Houphouët Boigny, les africains se sont réunis à Abidjan pour accompagner le défunt à sa dernière demeure. Chacun a alors proposé sa chanson, mais finalement, c’est ‘’Tula qu’ils ont choisi pour le générique. Le directeur artistique était Paul Wassaba. C’est quand ‘’Tula’’ passe que chaque artiste intervient. Et je chantais ce morceau dans le groupe de Wèrè wèrè Liking. J’ai chanté ‘’Tula’’ au grand théâtre de Tokyo et les Japonais ont eu la chair de poule. Ils se sont levés pour saluer le morceau et surtout l’incantation qui s’y trouve. Après tout cela, je me suis dit que ce morceau va parler de lui. Et je l’ai mis sur mon premier album. C’est en 3ème position, mais c’est devenu le morceau phare de l’album. Donc, je n’ai pas choisi la tradition, j’ai évolué dans la tradition. Je suis dedans j’ai grandi dedans, et peut-être comme on le dit, l’artiste ne meurt pas, je vais finir la scène dans la tradition.

Au-delà de la tradition, on remarque que les prestations artistiques d’Ebawadé sont tournées vers l’occultisme. Pourquoi vos inspirations sont-elles souvent mystiques ?
La vraie tradition est toujours un mystère. Et le côté mystique de la chose c’est ce que nous avons de plus à vendre. Les blancs ont tout, mais pour leur vendre quelque chose, c’est ce qu’ils n’arrivent pas à comprendre et qui les effraie très souvent. C’est ça qui les intéresse, et ce côté mystique, nous l’avons dans nos couvents ici, où les simples individus n’arrivent pas à comprendre. Il faut être un initié. Même le simple zangbéto ou le Kuvito, il faut être initié pour les comprendre. C’est ça le côté mystique. Essayons de représenter le mystique dans notre culture. Si Béhanzin est un roi célèbre, c’est à cause de son côté mystique. La tradition ne peut pas tellement évoluer sans faire recours au côté mystique. Le côté mystique de ‘’Tula’’, je le dois à Kpobly Joseph, paix à son âme, qui a plus mystifié le ‘’Tula’’. Moi j’ai chanté, et lui, il a donné ce mysticisme qui consacre cette chanson couronne du monde.

Qu’est-ce qui vous rattache si tant à votre pays, au point de chanter ‘’Oun wa houé’’ ?
Je ne saurais l’expliquer. C’est plus fort que moi. C’est le côté mystique que moi-même je n’arrive pas à comprendre. J’ai fait 5 ans en occident sans mettre pied en Afrique. On me demande si je sais encore parler le xwla ? Mais si je parle xwla, c’est encore plus original que pour ceux qui sont sur place. Peut-être que c’est un fait du destin, que je sois traditionnellement ancré dans le sacré. Moi-même je ne comprends pas.
J’ai toujours la nostalgie de rentrer au Bénin, même en étant au Canada et un peu partout, et lorsque je descends sur Cotonou, je vais d’abord au village avant de revenir à Cotonou. J’adore la tradition, je suis né entre la lagune et l’océan. Mon village, c’est Djondji vers l’embouchure de la bouche du roi du côté de Casa del papa. C’est mon père, paix à son âme, qui était le médecin de ma mère. J’ai grandi sans acte de naissance. C’est lors de mon entrée en 6ème qu’on m’a fait un jugement supplétif pour aller à l’examen et ils m’ont donné un âge. Ce qui fait que ma sœur est un peu plus âgée que moi pour pouvoir bénéficier d’une bourse. Je suis né au village, je suis un villageois, peut-être un villageois civilisé.

En prononçant des incantations dans vos chansons, comment vous vous sentez ?
Ces incantations, c’est une imitation des boconons lors de la consultation du fâ. Le boconon, lorsqu’il jette son Akplè, il a toujours quelque chose à dire. Exemple Tula, Tula Losso, il a dit ceci, il a dit cela. L’incantation, c’est les 16 signes de ‘’Tula’’ et au début on dit Gbé mèdji di losso, abla akan guda, sa ka se fu medji. C’est ça que j’ai dit musicalement en double cloche. L’incantation, je le fais avec plaisir si je suis dans ma racine. Je suis la voix de mes ancêtres, de mes aïeux, des boconons. C’est ça qui m’a motivé à chanter toujours ‘’Tula’’.

Ebawadé s’inscrit dans quel rythme musical ?
J’ai grandi dans le rythme Agbadja et le Azélé qui est un rythme sacré xwla et houeda. J’ai toujours fait le Zandro quand j’étais jeune, et quand j’étais au primaire, je chantais et jouais des tambours. C’est ce que je sais faire de mieux. A l’école, on faisait de la salsa et autres. En volant de mes propres ailes, j’ai dit que je n’adopterai pas ces rythmes pour se faire un nom. C’est ce que je sais faire de mieux qui pourrait porter mon nom. Et je l’ai essayé, et ça a porté mon nom.

Comment Ebawadé est perçu dans la communauté xwla en prononçant des incantations sans être boconon ?
Rires. Ça leur fait plaisir. Je suis devenu encore une personne respectable devant eux. Ils me regardent et disent, ça c’est un digne fils. Même un boconon m’a vu la dernière fois et m’a dit en langue Xwela « tu connais bien le Fâ ». Alors que moi, j’interprète ce qu’ils font et ils m’apprécient.

A quoi doivent s’attendre les Béninois, pour ce qui concerne le nouvel Album que prépare Ebawadé ?
Mon prochain album est en cours et parle de l’injustice, de l’immigration, juste pour faire prendre conscience aux jeunes qui pensent souvent à un eldorado en Europe, que ce n’est qu’un mirage. On ne force pas le destin, et j’ai chanté aussi l’esclavage suite à mon humiliation vécue avec une Haïtienne lors d’une séance en France. Dans ce morceau, j’ai fait un mélange de Zandro avec le reggae pour faire passer le message.

En 2009, une catastrophe naturelle a emporté Djondji, et on a vu Ebawadé pleurer. Quel était votre état d’âme ?
La mer a tout englouti (émotion). Chez mon papa, là où je suis né, je l’adore, c’est tout ce que j’ai de meilleur et de plus beau dans ma vie. C’est mon village, et depuis l’Europe, j’y ai investi à l’occasion de ce drame. Il faut dire que Djondji est aussi un lieu touristique. Il y a la lagune, l’embouchure, les mangroves un peu de tout, l’océan, la plage. Dieu nous a tout donné, gratuitement, et la mer a tout englouti. Je n’ai plus de village. Lorsque les enfants rentreront, je leur dirai, c’est là-bas votre village, dans le fond de la mer. C’est tout simplement émouvant. Je n’ai plus de village. Là où mon placenta a été enterré n’existe plus.

Comment appréciez-vous la musique béninoise ?
La musique béninoise se porte bien. Seulement, il manque d’accompagnement, et les jeunes aujourd’hui, tous en parlent, mais je ne leur trouve pas du tort parce que « c’est au bout de l’ancienne corde qu’on tresse la nouvelle ». Les jeunes n’ont plus de repère. Nous autres, ce sont les anciens qui nous ont motivés à embrasser la musique comme les Sagbohan, je l’adore ! Ce sont eux qui m’ont bercé, mais aujourd’hui, il n’y a plus de repère pour les jeunes. Ils vont prendre les morceaux sur les sites et se l’adaptent. Si on doit continuer avec ça, c’est sûr qu’après nous, il n’y aura plus d’artistes. Toutefois, dans la nouvelle génération, il y en a qui sont bons comme Sewlan, Lèvodjo et j’en oublie. Il y a la quantité chez eux, mais la qualité est minime.

En dehors de la musique, que fait Ebawadé ?
D’abord, côté musique, je prépare actuellement mon 3e album. Le premier, c’est mandjo-Tula et le second Ahouangbénou. Ensuite, j’ai sorti un single en 1997 sur le nonvitcha. Et je puis vous dire que la musique est toute ma vie. Je ne fais rien d’autre. Parfois, je donne des cours de musicologie ou je suis coach vocal. Je fais la percussion et c’est tout. Je vis de la musique. J’ai des projets pour préparer la retraite en ouvrant des studios pour permettre aux jeunes de se faire enregistrer et d’être produits. Aussi, j’envisage la création d’un centre de formation.

Votre mot de la fin
Je salue le public béninois qui m’aime énormément. Chaque jour, lorsque je sors, j’ai le sourire et la bénédiction de ce public qui m’encourage à chaque fois. Je leur dirai que d’ici peu, ils me verront sur scène avec mon 3ème album. Je sais qu’ils ont soif de moi, et j’en suis conscient.
Propos recueillis par : Marina HOUNNOU (Stag)



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