Entretien avec l'artiste Sabbat Nazaire dans le cadre du 11 mai : " … Si les messages de Bob Marley étaient légers, on ne serait pas en train de le célébrer…"

Patrice SOKEGBE 15 mai 2013

Le monde entier a célébré, le 11 mai dernier, la mort du Roi du Reggae, Robert Nesta Marley (Bob Marley). A ce sujet, un de ces fans, Sabbat Nazaire, de son vrai nom Nazaire Akpovi, dans l’entretien qu’il a accordé à votre journal, s’est prononcé sur ce qu’est devenu le Reggae de nos jours.

Faites la genèse de votre carrière musicale ?

J’ai démarré ma carrière musicale depuis les années 1974, c’était à Dassa, ensuite à Djougou où j’ai intégré un groupe du nom de Yayé Band à Natitingou Kabadia. Puis, arrivé à Cotonou dans les années 1980, j’ai travaillé avec les Poly rythmo, les Volcans. A l’Université, j’ai fait à l’époque l’économie financière et budgétaire à l’Institut national d’économie (Ine) après l’obtention de mon Bac C. Naturellement, j’ai fait avec les Kasseurs. Après les études, je suis allé en Côte d’Ivoire où j’ai dirigé pendant près de deux ans la chorale des Assemblées de Dieu avant de prendre mon envol, c’est-à-dire mon enregistrement personnel. En 1991, j’ai sorti un premier album intitulé "la vie est un précieux cadeau". C’est cet album qui m’a permis de faire une petite tournée dans la sous région, le Niger, le Togo, le Ghana et le Bénin. Après cela, j’ai rencontré un Indo-belge du nom de Mayitra qui m’a permis d’enregistrer mon second album. On a commencé l’enregistrement à Cotonou ici avec Nel Oliver. Par la suite, nous sommes allés à Bruxelles terminer l’enregistrement. Là-bas, j’ai complété deux morceaux. Ce qui était fait ici, c’est "Votez oui, votez non". Après cela, j’ai mis momentanément un terme à ma carrière. J’étais devenu importateur de véhicules d’occasion et des appareils électroménagers. Je faisais la navette entre la Belgique et le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Mali. C’est ce que j’ai fait pendant 4 ans quand les difficultés liées à la méchanceté des hommes, la sorcellerie ont commencé. Comme cela, j’ai raccroché, mais Dieu ne m’a pas lâché. Il m’a donc permis d’ouvrir ma société où j’ai commencé avec la presse écrite dénommée "Diaspora de Sabbat", ensuite "Diaspora Musik" en 2007. Dans le temps, j’ai tendu la main du coup à 20 artistes. Avec la piraterie, ce secteur n’était pas du tout encourageant. On a jusque maintenant essayé de faire ce qu’on peut. Nous avons à notre actif une trentaine d’artistes dont le produits sont licenciés pour être distribués, ce qui n’est facile. Actuellement, je suis au 8ème album de sortie après "la vie est un précieux cadeau" en 1991, "Votez oui, votez non" en 1993, "Je ne suis pas beau - les charognards sont contents du Rwanda " en 1995. Après mon expérience de vendeur de véhicules, j’ai sorti "Gbèssou " en 2007, "Odayé/Chorale Dassa" en 2010, "Azéto n’woyètoé - Dobodoé - do nouwé Benoît XVI" en août 2011 et "n’kpodogbè" en décembre 2012.

Le 11 mai dernier, le monde entier a célébré la mort de Bob Marley. Quelles sont vos impressions au sujet de cette célébration ?

J’ai naturellement une très bonne impression, parce que loin d’être une fête, ça doit interpeller tout un chacun de nous, notamment ceux qui nous dirigent. Ça doit les amener à plus de conscience, ça doit les pousser à véritablement faire ce pour quoi ils sont là, à ne pas voir le côté "Pouvoir". Bob Marley n’a jamais été président de la République. Pourtant, il est célébré. Cela prouve que ce n’est pas le pouvoir qui élève. C’est Dieu qui élève. Je suis donc fier d’appartenir à ce mouvement Rasta et ça m’encourage à aller dans le même sens, c’est-à-dire, l’engagement que j’ai pris à dénoncer ce que l’autre ne peut pas dire, à être la voix des sans voix. Puisque nous sommes dans un monde dominé par une petite poignée d’oppresseurs.

Pensez-vous que le rythme Reggae peut-il changer le comportement des populations et aussi des dirigeants ?

Ce n’est pas moi qui le dis. C’est un constat général. Ça doit changer. Mais il y a une chose qui est sûre : la conscience. Est-ce que ces dirigeants ont une conscience ? Ceux qui ont vraiment une conscience doivent se laisser changer par nos messages. Si vous avez une conscience et vous les écoutez, vos manières de vous comporter doivent aussi changer. Si les messages de Bob Marley étaient légers, on ne serait pas en train de le célébrer. Donc, c’est pour vous dire que c’est très important les messages que véhiculent les Rasta. Tenez-vous aussi tranquille ; ce n’est pas tout le monde. Il ne faut pas venir au Reggae parce qu’on a envie ou on a vu l’autre réussir. Il faut avoir un bagage bien fourni. C’est une musique d’essence spirituelle. C’est Dieu qui donne. Le courage, c’est Dieu qui donne. Et ce courage est transmis à travers les messages pour permettre le changement positif que nous escomptons. Lorsqu’on dit "Azéto n’woyètoé", une personne normale ne peut jamais le dire. Mais, nous le disons pour permettre à ceux qui sont tapis dans l’ombre. Ceux-là qui pensent détenir un pouvoir pour nuire à leur prochain de se désillusionner. Ce n’est pas un pouvoir-ça. C’est un pouvoir passager. Le pouvoir absolu, c’est Dieu qui donne. C’est des messages du genre que véhicule le faiseur de Reggae.

Aujourd’hui, les jeunes conçoivent le Reggae autrement. Pour eux, c’est l’alcool, c’est la drogue et autres vices. Quels regards portez-vous sur ce phénomène ?

Je suis très heureux que vous soyez chez moi et vous voyez l’aspect de ma maison. Je suis un Rasta qui est très rangé. Je suis marié à l’église. Je suis un Rasta qui vit essentiellement la crainte de Dieu. Le modèle dont vous parlez, je le suis, parce que je ne fume pas, je ne bois pas, je ne trahis pas et c’est ça l’essentiel. Je n’ai jamais vu de mes yeux la couleur de la drogue. Ceux que vous allez voir le 11 mai à ces genres d’activités ne sont certainement pas Rasta. Même s’ils le sont, ils le sont par similitude. Ils ont voulu imiter ou être à la mode. Mais un véritable Rasta, c’est celui-là qui vit essentiellement la crainte de Dieu, puisque je vous ai dit : Qui dit Rasta dit révolte. Qui dit Rasta est divinement inspiré. Si c’est Dieu qui pose sa main, restez donc tranquille. Même la sucrerie, je n’en prends pas, parce que je souffre de la glycémie. Je ne prends que l’eau. Donc, je ne sais pas ce que vous allez réclamer en moi et que vous ne trouverez pas.

Un mot de la fin

Au-delà du caractère festif, il faut amener les jeunes, les adultes et les autorités à divers niveaux à changer de comportement. Il faut les amener à faire comme ceux-là qui sont célébrés après leur mort. Comme on le dit : Vanité des vanités, tout est vanité. Il a fallu ces messages positifs pour qu’aujourd’hui, il soit célébré. C’est comme Jésus-Christ qui n’a jamais fait l’école des blancs. Mais lorsqu’il parlait en ce temps à Nicodème : " Il faut naître de nouveau ". Nicodème, un grand docteur dit : " Comment je vais naître de nouveau ? Vais-je rentrer dans le ventre de ma maman ? " . Voilà des messages pleins de sens. Je leur demande de ressembler à ces gens-là afin que l’histoire retienne éternellement leur nom. Il y a des noms très puissants. Mais à peine ils meurent, on les oublie. Il y a beaucoup de présidents dont on ne va plus jamais parler. Qu’ils fassent tout pour que l’histoire retienne leur nom. C’est mon message de fin et que Dieu bénisse tout un chacun de nous.



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