L’exposition Vodunaut de Emo de Medeiros à Cotonou « J’ai réalisé des œuvres comprenant des tablettes et des smartphones... »

Arnaud DOUMANHOUN 14 août 2015

L’artiste plasticien Emo de Medeiros se laisse découvrir à Cotonou dans une expo dénommée ‘’Vodunaut’’ qui s’ouvre ce samedi au ‘’centre culture’’ de Dominique Zinkpè.

Vous êtes un artiste peintre connu pour sa diversité dans l’art plastique. Parlez-nous de cette magie ?
Je peins peu, et pas de la peinture « classique ». Je fais surtout des sculptures, des installations, des performances. L’exposition Vodunaut que je vais faire sera une exposition qui va comporter pas mal de sculptures. J’utilise aussi du texte et beaucoup de vidéos.

Emo de Medeiros évolue avec un masque, d’où l’appellation « l’artiste au masque ». Pourquoi une telle option ?
Je pense à deux choses. La première, c’est je que je pense que l’artiste est moins important que l’œuvre. Et les artistes plasticiens ne sont pas des stars de cinéma dont le visage est déterminant. La seconde chose, c’est qu’en tant qu’artiste, on fait circuler des choses entre le visible et l’invisible, et cette manière de masquer a quelque chose à voir avec le fait d’être initié, et c’est aussi une référence aux rois d’Abomey dont le visage était caché au regard. C’est aussi un clin d’œil à des artistes comme Andy Warhol, ou encore le designer Karl Lagerfeld, Ray Charles, ou bien encore un artiste plus contemporain comme le Nigérian Lagbaja, qui ne présente jamais à visage découvert. Mais c’est une visière, et pas vraiment un masque, c’est l’artiste comme antipersona.

Emo de Medeiros est initié. Est-ce la source de ses inspirations ?
Oui. Je pense qu’on pourrait dire ça.

Etes-vous assez resté au Bénin, pour être aussi ancré dans les réalités spirituelles du pays ?
Mon père est Béninois, de Ouidah, et ma mère est française. J’ai passé toute mon enfance au Bénin avant d’aller en France poursuivre mes études. Et actuellement, je passe plus de la moitié de mon temps au Bénin…
Je pense que pour bien faire son travail d’artiste, il faut traverser une frontière de la même manière que l’aspirant initié passe de l’état d’une simple personne à l’état d’initié. Donc, mon rêve est de traverser cette frontière. Avec cette personnalité où on voit les choses de manière différente, où on est porteur d’un regard qui doit aider les autres à voir les choses de façon différente et nouvelle. J’ai l’habitude de dire que l’art est notre premier et notre dernier lien avec le sacré. C’est à dire que si l’on regarde les peintures murales d’El Castillo ou de Lascaux, on se rend compte que les premiers dessins réalisés par des humains ont quelque chose à voir avec des rites de chasse, avec ce qui pourrait être des divinités animales. Ce sont des représentations qui sont chargées d’énergie, ce n’est pas seulement une énergie de divertissement. Il s’y trouve quelque chose qui touche au sacré. Lorsque les Talibans ont détruit les Bouddhas de Bamiya, ça a créé dans le monde entier une indignation, comme si on avait profané quelque chose de sacré, qui nous appartenait à tous.

Pourquoi Emo de Medeiros se dissimule t-il derrière un masque ?
Vous voulez parler de cette visière, de cette dimension particulière. Je pense que ça a pour fonction de me protéger d’une certaine manière.

Vous protéger contre qui ?
Je dirai d’un certain regard. Peut-être que le mot « protéger » est mal choisi. C’est aussi pour garder la part de mystère qui appartient à l’artiste. Et également pour conserver la différence entre moi comme personne privée, et ma personne publique. Mais je ne me dissimule pas, je ne suis pas non plus un reclus. Lorsque je fais des interviews avec des journalistes, ou à la télévision, en off the record, je parle à visage découvert. C’est au moment de la prise de vue, des photos, que je porte ma visière. C’est ce que j’appellerais la maîtrise de son image, au sens où en tant qu’artiste, on peut avoir l’impression que les gens investissent quelque chose dans votre image qui ne s’y trouve pas.

Emo exposera bientôt à Cotonou puis à Paris. Comment cela va-t-il se passer ?
Le nom de l’exposition au Bénin, c’est « Vodunaut ». Ce que j’essaie de faire avec cette exposition est de mixer la tradition et quelque chose de novateur. Au Palais de Tokyo, j’ai présenté en novembre dernier une installation qui s’appelait Kaleta/Kaleta. Il y avait une performance qui mélangeait de la House music, de l’Afro-beat nigérian, des percussions afro-diasporiques : pas seulement des percussions du Bénin, mais aussi de Cuba, du Brésil, etc. Donc ce que je recherche, c’est une sorte de syncrétisme. Et puis je lutte aussi contre quelque chose, en tant qu’artiste africain : on veut toujours nous mettre dans une boîte, on nous inscrit dans un discours rousseauiste « ah, l’artiste africain a cette pureté, cette naïveté, cette énergie… ». Comme si on était obligé de refaire le chemin qu’a parcouru l’Europe : d’abord le dessin, puis la peinture et la sculpture…et ainsi de suite.

Voulez-vous dire que vous êtes contre l’idée qui consiste à mettre l’Africain en apprentissage ?
Exactement. Mon exposition « Vodunaut » fait référence au vodoun mais aussi au cosmonaute. Un de mes confrères célèbres du Bénin, Romuald Hazoumè, a dit « je sais d’où je viens ». Moi aussi je sais d’où je viens, et il se trouve que je viens de deux endroits différents, et que j’ai vécu dans deux endroits différents. Pour moi, l’un des deux endroits ne peut jamais prétendre prendre le pas sur l’autre. Je revendique mon appartenance au Bénin, et j’utilise aussi l’électronique. J’ai réalisé des œuvres comprenant des tablettes et des smartphones. Kaleta/Kaleta par exemple est une œuvre qui comporte 512 boucles vidéo filmées à Ouidah, c’est en même temps une installation performative, qui a donné lieu à une série photographique. Je pense qu’on a le droit, et même le devoir d’explorer cette liberté. Trop souvent, on veut des artistes africains qui entrent un peu dans la catégorie « africain classique », de préférence ils peignent, parlent de réalités qu’on imagine en Europe comme la réalité africaine, mais qui ne l’est pas, ou plus. Par exemple, j’ai commencé une série photographique sur la plage de Fidjrossè. Vous y allez le soir, et vous voyez les écrans de tous les smartphones allumés, éclairant la plage par fragments. Ça pour moi c’est l’Afrique, l’Afrique qui surgit maintenant, une Afrique de l’innovation, du temps présent, et qui n’a de leçon à recevoir de personne. C’est cette Afrique-là qu’il m’intéresse de porter, de montrer, et de promouvoir.
Propos recueillis : Victoire Yarou



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