Les scarifications : Un héritage ancestral… une identité ethnique ?

Isac A. YAÏ 5 février 2014

(Et la modernité l’emporte sur les us et coutumes)
Autrefois symbole de personnalité et de différenciation, les scarifications étaient des marques d’identité fièrement portées par certains peuples d’Afrique. Ces derniers pouvaient s’en servir pour s’affirmer comme appartenant à telle ethnie, tribu ou telle classe hiérarchique. La scarification a constitué de tout temps et dans toutes les sociétés où elle était pratiquée une dimension fondamentale de la culture humaine. Mais aujourd’hui, cette pratique est en passe de disparaître.

L’histoire des scarifications est aussi vieille que celle de l’humanité. Dans les temps anciens, les populations du Dahomey (aujourd’hui Bénin), se servaient des signes divers pour marquer leurs origines familiales. On scarifiait donc hommes, femmes, enfants, pour les intégrer dans la tribu. Cette pratique symbolisait l’appartenance à tel ou tel groupe ethnique, telle fraction de la société ou tel échelon de la hiérarchie puisque les sociétés africaines étaient fortement hiérarchisées et ceci bien avant l’arrivée des colons. « Quand vous naissez dans telle ethnie, vous portez telle marque sur le corps. Cela s’impose, puisque l’enfant n’a pas le choix », a affirmé le professeur Botchi, socio-Anthropologue à l’université d’Abomey-Calavi.

Les scarifications dans leur diversité
On compte au Bénin près d’une soixantaine de groupes socioculturels et on retrouve presque dans chaque groupe ethnique des scarifications rituelles, des scarifications identitaires, celles-ci se rapprochant beaucoup plus de celles correspondant aux groupes socioculturels. Les scarifications sont pratiquées tant chez les femmes que chez les hommes. Ces scarifications de dimensions variables, sont pratiquées soit sur les tempes, par exemple chez les peuhls, mais peuvent aller des tempes au menton chez les Haoussa ; il s’agit alors de véritables balafres, soit sous les yeux et sur les joues.

Une pluralité de fonctions
Selon leur dimension et leur situation sur le visage, il est possible de classer les individus portant une marque de scarification dans une catégorie ethnique et sociale donnée. Leur caractère ethnique, à base de symbolisme, est très net dans certains cas.
Les scarifications, selon certains témoignages ont d’autres fonctions. Parfois, elles sont à but thérapeutique ou visent à protéger l’individu. Même si en majorité, les Béninois le font pour s’identifier dans la société ou pour montrer leur appartenance à une divinité vodoun, on scarifie parfois hommes, femmes et enfants pour les soigner, les protéger. C’est le cas des scarifications non identitaires qui suivent en fait des principes médicamenteux à but thérapeutique ou de protection. Dans ce même registre, un autre type de scarification dénommé « Abikou » est destiné aux nouveau-nés pour leur permettre de survivre, dans les cas des mères qui ont perdu plusieurs enfants avant d’avoir ces derniers. Une véritable marque d’identité, les scarifications renseignent au simple coup d’œil l’initié sur l’ethnie, l’origine, voire la famille d’un individu. Certains considèrent leurs marques comme un insigne de patriotisme. D’autres y voient encore une marque de beauté. D’autres encore pensent que ce marquage tribal peut, tout en attestant l’origine du sujet, lui valoir un régime de faveur. En milieu rural par exemple, ces scarifications servent à attester la légitimité d’un enfant. Elles leur donnent le sentiment d’être les fils légitimes de leurs ancêtres.

Un héritage ancestral… une identité familiale ?
On observe au Bénin plusieurs types de scarification dont on ignore parfois l’origine et les significations. Chaque groupe ethnique a un dessin qui lui est propre en la matière. C’est ainsi que deux stries verticales fois cinq au visage signalent par exemple un individu de la famille Adjovi de Ouidah, tandis que deux stries verticales au-dessus de chaque tempe sont propres aux Forgerons Hountondji, éparpillés sur le territoire national et originaires de Porto-Novo, Ouidah et Abomey. Des dires du professeur Albert Akoha, certaines personnes n’étant pas de la famille Hountondji se font ces marques pour se protéger contre l’esclavage ou pour se faire voir d’un rang social distingué. « les Hountondji sont des princes tellement influents que leur esclavage est même interdit. Ainsi, pour avoir ce respect dont bénéficient les fils de cette famille, les gens s’arrangent pour avoir leur signe identitaire », a-t-il dit.
Quant aux Houéda, on remarque deux stries sur chaque joue, aux tempes et au front. Cependant, trois stries horizontales sur chaque joue, renseignent sur un individu d’Oyo. Dans le Borgou et l’Atacora, on distingue également des scarifications identitaires où des hommes et femmes de plusieurs tribus s’illustrent bien avec plusieurs stries horizontales ou verticales sur chaque joue.

Une pratique douloureuse et à risques
Un exercice douloureux et à risques à l’inverse de la peinture et du maquillage, superficiels et passagers, les scarifications créent une modification définitive des tissus cutanés. Leur réalisation incombe aux patriarches, gardiens de la tradition. Les scarifications sont donc volontairement créées par l’altération du derme, ce qui laisse des cicatrices. L’incision est la technique la plus courante, la peau pouvant être entamée soit par de petites incisions, soit par de longues estafilades. Au dire du professeur Botchi, les scarifications peuvent parfois conduire à la mort, dans les enclos initiatiques. Elles sont imposées dans certains milieux.

Des techniques peu recommandées
Les instruments sont les mêmes que pour les tatouages, mais s’y ajoutent des lames et des couteaux. Parmi les produits déposés sur les plaies figurent des hémostatiques (c’est-à-dire des produits qui arrêtent l’hémorragie) mais aussi des cicatrisants. Parfois, on met dans la blessure une teinture naturelle qui colorera la cicatrice. C’est le cas chez les peuhls. Il est possible de relever la diversité des motifs en creux ou relief, dessinant des traits courts et fins, plus denses ou moins denses, plus ou moins étendus, isolés ou groupés en lignes parallèles. Les marques réalisées par des professionnels varient grandement d’une ethnie à une autre. Certaines ne sont que de légères incisions alors que d’autres sont de profondes entailles que l’on élargit avec les doigts.

Le renoncement
Des risques, des douleurs auxquels certains ne veulent soumettre leurs progénitures. « Ces marques font partie de ma cultures et je n’ai d’autre choix que de les accepter. Mais il faut avouer que ce n’est pas la peine, c’est trop et ça rend vilain », a laissé entendre Raphiou, un jeune étudiant rencontré avec près d’une dizaine de traces sur la figure. Il continue en notifiant qu’il n’osera même pas soumettre sa progéniture à cette épreuve.
Le fait saute à l’œil aujourd’hui qu’une importante et charmante partie de ce riche patrimoine culturel est en voie de disparition. En effet, beaucoup de jeunes hommes et femmes seraient très heureux de se débarrasser de leurs marques. Ce qui hier était un sujet d’orgueil du clan devient un opprobre à cause des railleries dont on est victime dans d’autres parties du pays. De toute évidence, la popularité des scarifications décline à un rythme accéléré. Si les psycho-sociologues expliquent ce fait par la modernisation qu’apportent les jeunes influencés par la culture occidentale, il faut ajouter à cela que la douleur, les risques d’infection, mais aussi le mépris et la discrimination dont l’enfant risque d’être victime plus tard, sont autant de facteurs qui mènent les parents à rejeter ce marquage de nos jours.
par Eustache F. AMOULE (Stag)



Dans la même rubrique