Louis Biao, Directeur général l’Anssfd : « Nous mettons hors d’état de nuire les structures qui exercent dans l’illégalité… »

La rédaction 29 septembre 2016

Après l’affaire Icc-Services, le gouvernement a mis en place l’Agence Nationale de Surveillance des Systèmes Financiers Décentralisés (Anssfd) afin d’anticiper et d’éviter d’autres scandales. Plusieurs années après sa création, cette agence est confrontée à de nombreux défis. Entre autres, des structures qui exercent en marge de la réglementation et celles opérant dans l’illégalité et dont l’intention est de nuire aux populations. Dans l’entretien ci-dessous, Louis Biao, Directeur général de l’Anssfd s’est prononcé sur les voies et moyens pour assainir le secteur de la microfinance au Bénin. Néanmoins, il a exhorté les populations à plus de vigilance afin de ne pas se faire arnaquer par des structures illégales.

Mr Biao, faites-nous l’historique de la création de l’Anssfd ?
Par rapport à l’historique, c’est au début des années 1998 que la structure initiale appelée la cellule de microfinance a été mise en place sous la supervision du ministre de la microfinance. De 1998 à ce jour, la structure a connu plusieurs transformations, notamment les nominations et les ancrages institutionnels. C’est ainsi qu’en 2006, avec la création du ministère délégué chargé de la microfinance anciennement rattaché au ministère de l’économie et des finances, la Cellule de Microfinance qui est une instance de régulation des institutions de microfinance s’est vue rattachée au nouveau ministère naissant. Plus tard, lorsque le ministère chargé de la microfinance se détachait du ministère de l’économie et des finances, la Cellule de Microfinance qui, de façon réglementaire, devrait rester au niveau du ministère de microfinance fut rattachée à celui de l’économie et des finances, mais cette anomalie a été corrigée. C’est alors qu’elle change de dénomination pour devenir Direction Générale de la Microfinance puis Direction de Surveillance du secteur de la Microfinance. Mais comme c’était une direction technique, elle ne disposait pas d’outils nécessaires pouvant lui permettre de mener à bien sa mission, il fallait à l’exemple des grandes économies du monde la rendre autonome. La venue de Komi Koutché qui est du domaine de la microfinance à la tête du ministère de l’économie et des finances a accéléré le processus d’autonomisation de la Cellule qui lui consacre aujourd’hui son appellation Anssfd.

Quelle est la vision de l’Anssfd ?
La vision de l’Anssfd est de faire du secteur de la microfinance un secteur professionnel et assaini. C’est-à-dire faire en sorte que d’une part, les acteurs du secteur de la microfinance puissent travailler de façon professionnelle et d’autre part que ces acteurs soient réguliers et se conforment aux réglementations régissant le secteur.

Quelle est la mission de l’Anssfd ?
L’Anssfd a pour mission la régulation du secteur de la microfinance. C’est-à dire s’assurer que l’activité est exercée conformément aux normes établies. Elle a donc une mission de veille et de surveillance établie au double plan à savoir : la prévention et la supervision. Elle intervient aussi bien à l’endroit de l’Etat, des populations que des acteurs même du secteur de microfinance. Elle facilite l’inclusion financière en permettant à la population rurale d’avoir accès aux services bancaires et financiers. Mais de façon pratique, c’est la mission de supervision qui est primordiale, car elle vise à définir les obligations de ceux qui exercent dans le secteur mais surtout à encadrer l’exercice, c’est-à-dire la compétence d’exercer dans le secteur de microfinance, à travers les contrôles. Des mesures sont également prises en cas d’échec des contrôles. Ces dernières peuvent aller de sanctions disciplinaires aux sanctions pécuniaires.

Quels sont les mécanismes mis en place par l’Anssfd pour assainir le secteur de la microfinance ?
Il convient avant tout de repréciser l’ampleur du mal créér par ICC-Services du fait d’un défaut d’assainissement du milieu des institutions de microfinance. Cependant, cette crise a incité à reconsidérer au sérieux la question d’assainissement du secteur en boostant le processus d’institutionnalisation de l’Anssfd. Il faut dire qu’à côté des acteurs légaux de microfinance, existent des institutions qui non autorisées mais qui exercent et qui, de par leur exercice, compromettent le marché microfinancier. C’est après l’affaire Icc-Services que nous avons remarqué qu’il y a plusieurs structures de microfinance qui exercent en marge de la réglementation et dans l’illégalité. Alors, des mécanismes ont été mis en place par l’Anssfd pour distinguer et mettre à nu les structures qui opèrent dans l’illégalité et également celles qui sont autorisées et qui opèrent en marge de la règlementation. L’assainissement du secteur financier ne se limite pas à ces structures qui exercent dans l’informel. Les acteurs se sont réunis et ont jugé que pour trouver des solutions durables, il faut assainir au mieux ce secteur, et c’est l’une des priorités de l’agence. A cet effet, un document stratégique a été élaboré afin que ce secteur sorte de sa léthargie. L’assainissement n’est pas quelque chose qui se décrète. C’est quelque chose qui doit rentrer dans nos mœurs. Et il n’y a pas meilleure façon de lutter contre ce fléau que de sensibiliser à travers la communication-média. C’est à travers un rappel quotidien qu’on alertera la population de ne pas tomber dans les mailles de ces escrocs qui, surtout en période de fin d’année multiplient les malversations. Il n’y a pas meilleur relais que la presse pour nous aider dans cette tâche.

Quelles sont les actions menées par l’Anssfd pour dissuader les structures qui exercent dans l’illégalité et celles qui opèrent en marge de la réglementation ?
Nous allons plus mettre l’accent sur les structures qui exercent en marge de la réglementation. Parce que pour celles qui sont reconnues et qui exercent en marge de la réglementation, le dispositif qui est mis en place est plus simple. Par rapport à celles qui sont autorisés, la situation est beaucoup plus maitrisée. Nous avons catégorisé les institutions qui exercent en marge de la réglementation. La première catégorie, c’est des structures qui exercent, mais qui au regard des sensibilisations que nous avons faites par le passé dans le cadre de l’assainissement, n’ont pas régularisé leur situation. Nous avons constaté qu’au nombre de ces structures, il a en a qui ont un potentiel d’activités d’une viabilité acceptable, donc on peut les accompagner pour les rendre formelles. C’est ce que nous faisons au quotidien. Même si on doit vous accompagner, vous devez remplir les conditions. Nous avons eu l’appui de la banque centrale qui est un acteur incontournable dans l’agrément. Au regard des textes, pour qu’une institution ait son agrément de microfinance, l’avis conforme de la banque centrale est requis. Donc, le processus d’étude de dossier d’agrément est fait entre l’agence nationale de surveillance et la Bceao. Ce sont les deux acteurs qui interagissent dans le cadre de l’octroi de l’agrément. Il y en a qui, en dépit de tout ce que nous disons, sont restées campées, sans faire le pas. Il y a des actions que nous avons menées à leur endroit. La troisième et dernière catégorie, c’est celles qui exercent en marge de la réglementation dans l’intention de nuire aux populations. Ce sont des arnaqueurs en réalité. Pour ces structures, il n’y a pas de circonstances atténuantes. C’est une application stricte.

Il n’y a pas de circonstances atténuantes pour les structures qui ont l’intention de nuire aux populations.
Cela implique que dès lors que nous constatons qu’une structure exerce sans l’agrément, dans l’intention de nuire aux populations, nous prenons les dispositions, pour la mettre hors d’état de nuire. Ce sont des activités que nous menons régulièrement. En premier lieu, ce sont les populations qui sont victimes qui font des dénonciations, soit, c’est le service de notre réseau que nous avons mis en place qui détecte les institutions qui exercent en marge de la règlementation. Donc, nous utilisons les textes pour les mettre hors d’état de nuire grâce à l’appui des forces de sécurité. Les actions que nous menons, ce sont d’abord des actions de sensibilisation, nos communiqués, c’est pour attirer l‘attention des populations pour leur demander, avant de contracter avec une institution, de s’assurer que l’institution a l’agrément signé du ministère des finances. Il y a trois formes de structures qui sont autorisées à exercer. Il y a les sociétés, les mutuelles et les coopératives et les associations. Pour être une mutuelle ou une association, il y a une première autorisation qu’on prend au niveau du ministère de l’intérieur. Les promoteurs utilisent de façon abusive ce récépissé pour tromper la vigilance des populations. Ce récépissé permet de reconnaitre que vous êtes une association ou une mutuelle mais ne vous permet pas d’exercer en tant que structure de microfinance.

Pour mener des activités de microfinance, il y a des conditions à remplir, et c’est le ministère des finances qui donne l’agrément.
Donc depuis 2011, il y a un comité de stabilité financière et d’assainissement du secteur de la micro finance qui a été mis en place pour accompagner l’agence à qui des pouvoirs plus forts ont été donnés. Ce comité est composé de plusieurs départements ministériels, de plusieurs acteurs du secteur, comme l’association professionnelle des systèmes financiers décentralisés et aussi les ministères chargés de la défense, de la décentralisation, de la justice. Mais dans le cadre de la sensibilisation, le plus grand des relais vers nos populations, c’est le ministère chargé de la décentralisation, parce que c’est la gouvernance locale. Donc, quand nous fermons une structure, les autorités locales vont faire les relais au niveau des populations. Le comité a été installé en décembre 2011. Depuis ce jour, diverses actions ont été menées. Mais chaque fois que nous avons des informations qu’il y a des gens qui exercent en marge de la règlementation, en même temps nous dépêchons une équipe qui descend sur le terrain pour aller circonscrire et arrêter la saignée. A l’heure où je vous parle, il y a une équipe qui est descendue sur le terrain récemment. Ces actions vont jusqu’à la fermeture. C’est prévu dans notre programme d’activité que nous allons rencontrer les confessions religieuses pour des relais. Dans ce cadre, on va rencontrer l’union islamique, l’église catholique, les évangéliques ; il y a une vague de programmes de relais pour la sensibilisation.

Dans un autre registre, vous avez enclenché une démarche qualité. Dites-nous de quoi il s’agit ?
C’est une démarche dans laquelle on s’est inscrite. Nous avons voulu par ce processus améliorer nos prestations. Lorsque vous avez la chance de servir le pays en empêchant nos populations de tomber dans le piège des arnaqueurs, il faut améliorer les procédures pour éviter le pire, pour qu’on cesse d’être des sapeurs-pompiers, qu’on soit à la veille stratégique. Dans le cadre de notre mission, il faut quand même affiner nos procédures. Comme le nom l’indique, démarche qualité, ça veut dire que nous voulons travailler dans une logique d’optimisation de ce que nous faisons. Les ressources ne sont pas illimitées au niveau de l’Etat pour satisfaire les gens. Donc, il faut y mettre de la méthode. Lorsqu’on parle de la démarche qualité, c’est que nous voulons mettre de la méthode pour être efficace, efficiente et performante. C’est une démarche relativement lourde, où il faut avoir l’adhésion du personnel. C’est une démarche participative, où tout le monde gagne. Avec la démarche qualité, on peut empêcher qu’une structure qui arnaque les Béninois. C’est bien d’enfermer une structure qui exerce en marge de la règlementation, qui a fait des dégâts, mais c’est encore mieux d’empêcher que ces structures s’installent pour commencer par faire des victimes. L’objectif de cette démarche, c’est de pouvoir améliorer nos prestations en procédant à une veille stratégique pour que les agents qui travaillent au niveau de notre agence puissent travailler dans les meilleures conditions. Et je voudrais souhaiter que d’ici la fin du premier semestre 2017, qu’on puisse boucler ce processus. Cela va améliorer beaucoup de choses et engendrer beaucoup d’obligations qui vont nous permettre d’être plus rationnelle, plus efficace et efficiente.

Cette démarche signifie que vous tendez vers la certification Iso
C’est aussi le but visé par cette démarche. Parce que notre cible première, c’est les populations, qu’elles soient protégées dans le cadre des services financiers décentralisés. Car, les procédures seront plus formalisées et nous avons l’obligation de travailler dans cette démarche. Cela va permettre plus de prévenir que de guérir.

Il y a récemment une délégation tchadienne qui a effectué une visite de travail au Bénin. Dites-nous en quelques mots l’objet de leur visite
C’est une visite d’échange, conduite par le Secrétaire général du ministère des finances du Tchad et la délégation tchadienne. Cette délégation était composée des acteurs de la régulation, mais également des acteurs de la promotion du secteur de la microfinance pour s’imprégner des réalités du Bénin. Car, sans vous flatter, le Bénin constitue un vivier et ils sont venus s’inspirer des expériences de notre pays. Nous avons une longueur d’avance dans ce secteur par rapport au Tchad.

Parlant de l’assainissement du secteur, il a été organisé une formation sur e-contrôle. Pourquoi une telle formation ?
La formation que l’agence a initiée, c’est à l’endroit des systèmes financiers décentralisés autorisés. C’est une plateforme pour assurer un meilleur reporting des informations des Sfd. Cela leur permet d’envoyer dans les délais meilleurs les informations qui sont attendues d’eux. Comme c’est un nouvel outil, il fallait quand même les former à son utilisation. Et c’est les Sfd de l’Ouémé, de Bohicon et de Pararkou qui ont été formés.

Un mot pour conclure cet entretien
Je lance un appel en cette période de fin d’année. Car, c’est le moment choisi par les vendeurs d’illusions, les divorcés sociaux qui, sans fusil détruisent la vie paisible de nos populations. Donc, j’invite les populations à s’assurer avant d’aller contracter avec une structure de microfinance, c’est de demander où est votre agrément, on peut vous amener n’importe quel papier, si ce n’est pas le ministère chargé des finances qui l’a signé, sachez que ce n’est pas une institution autorisée.



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