Marcel Zounon, Directeur de l’Ensemble artistique national du Bénin : « Si nous ne sommes pas parvenus à faire des tournées, c’est par faute de moyens »

Arnaud DOUMANHOUN 24 mars 2017

Marcel Zounon, à quand remonte la création de l’Ensemble artistique national du Bénin ?
L’Ensemble artistique national est créé en 1992 par le ministre Hountondji Paulin sous le président Nicéphore Dieudonné Soglo, et le premier directeur était, Tindjilé Daniel. C’était l’un de nos ainés émérites, qui a fait des études de théâtre à Paris et qui a pu tenir l’Ensemble jusqu’à un certain moment avant de passer la main à Tando Sévérin qui aussi n’est plus. Après, c’est mon jeune frère Eustache Hessou qui a pris les rênes de l’Ensemble jusqu’en 2011 avant que je ne sois nommé par le ministre Galiou Soglo pour le remplacer.

Dans quel état aviez-vous retrouvé l’Ensemble en 2011 ?
L’état des lieux n’était pas trop reluisant. L’Ensemble artistique national ne disposait pas de cadre juridique sur lequel l’Etat pouvait s’appesantir pour appuyer les créations artistiques dans le domaine des arts de scène. Donc, ma première bataille a été de doter l’ensemble artistique d’un décret portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la structure. Dès ma prise de fonction en février 2011, nous avons travaillé en synergie avec les juristes du ministère de la culture, le Mcri et enfin le conseil des administrateurs du ministère du travail et de la fonction publique. Ainsi, l’Ensemble artistique du Bénin a pu obtenir en mai 2012 ledit décret, ce qui nous a permis de concentrer nos actions sur trois grands axes à savoir, former les acteurs culturels dans les arts de scène, théâtre, musique, danse. Ensuite, nous avons créé la troupe théâtrale nationale, le ballet national et le club polyphonique national. Par la suite, nous avons œuvré pour trouver les financements complémentaires à la subvention de l’Etat pour faire avancer la structure.

Comment ont évolué les subventions depuis la création de l’Ean ?
Dès lors que la structure est créée, l’Etat a mis en place une première subvention de 50.000.000 Fcfa pour réorganiser l’Ean et relancer les activités. En 2013, le ballet national a été revisité. Nous avons représenté le Bénin à travers plusieurs festivals en Hongrie, en Pologne et en Russie. Ce qui a permis de ramener de nombreux prix et de bénéficier des contacts qui peuvent nous permettre d’avancer. C’était la première participation du Bénin à un festival où le président Polonais était venu accompagner le travail que nous faisons.
En 2014, nous avons pu remettre sur pied la troupe nationale de théâtre, après que la dernière troupe fut montée par feu Tindjilé Daniel en 1993. Elle a été dirigée de mains de maitre par Alougbine Dine. Ce dernier est parti parce que les moyens mis en place ne sont pas suffisants. En 2015, la subvention a été portée à 60.000.000 F Cfa et prenait en compte le recrutement, l’habillement, l’entretien, les salaires, les primes, la carburation. Malgré la modique subvention, nous nous sommes battus pour être en Espagne et aux Pays-Bas avec le ballet national.

Quelle était la contribution de l’Etat au-delà de ces subventions ?
La contribution de l’Etat pour acheter les billets d’avion était de 15.000.000 F en 2O14 et 25.000.000 F en 2O15. En 2O16, le ballet national était au Mexique. A l’époque, le financement pour les billets d’avion a été revu à la baisse à la suite d’une décision du Conseil des ministres. Le Fonds d’aide à la Culture avait donné 25.000.000 F. Le Fonds national pour le développement du tourisme avait donné 6 billets d’avion. Le Fonds national de l’artisanat nous a soutenus avec un billet d’avion. Et c’est le jour de notre départ que les billets d’avion ont été achetés. Vous savez bien que pour un voyage qui est dans un mois, acheter les billets à deux semaines implique une augmentation de prix. Nous avions eu d’énormes difficultés, mais le ballet national a triomphé et a pu représenter valablement le Bénin aux côtés de soixante 60 autres pays présents au Folkloria qui n’est rien d’autre que les jeux Olympiques dans le domaine de la culture.
La subvention de l’Ensemble artistique national en 2016 était de 80.000.000 F Cfa. Mais après le collectif budgétaire qui est intervenu au mois de Juin, nous sommes passés à 70.000.000f Cfa. Nous n’avons pu mobiliser que 45.000.000f Cfa qui a servi à mettre en place le ballet et le théâtre, payer les primes des travailleurs de l’Ensemble, le fonctionnement et autres. C’est ce qui justifie notre pauvreté. L’ensemble artistique national n’a pas les moyens financiers et matériels suffisants pour atteindre ses objectifs, tels que fixés par l’Etat.

Pourquoi le ballet national est encore méconnu du public ?
Il faut des moyens pour entreprendre une tournée nationale. De quelles ressources disposons-nous dans ce cadre ? Si nous devons faire une tournée nationale digne de ce nom, il faut gérer les salles, le transport alors qu’on n’a même pas de véhicule. Le Directeur n’a pas de véhicule de fonction. Il nous faut des bus. Il faut faire de la communication, etc. Le budget d’une sortie du ballet national, n’est pas une affaire de 50 millions de francs Cfa. Nous ne pouvons que demander au pouvoir public d’accompagner la structure à faire une tournée digne du nom. Je suis d’accord que nous ne sommes pas parvenus à faire les tournées et à faire connaitre le travail que nous faisons. Mais c’est par faute de moyens.

De combien faut-il augmenter le budget de l’Ensemble pour l’atteinte des objectifs ?
Pour un ensemble artistique national digne du nom, nous avons besoin au minimum de 500.000.000F Cfa comme budget. Il y a des structures de l’Etat qui ont ça et tout comme ces structures, nous donnons aussi de la visibilité au Bénin. Le ballet national va puiser dans le patrimoine culturel immatériel, les chants, les danses, la musique, les panégyriques, les proverbes et autres, et nous devons mettre tout ça en scène pour que ça donne quelque chose de potable. Le produit artistique aujourd’hui, pour qu’il puisse permettre d’assurer le retour sur investissement, il faut forcément y mettre des moyens.

On a l’impression que les artistes formés n’attendent que des voyages à l’international pour vendre ce qu’ils savent faire ?
Non, ce n’est pas ça. Dans le Plan de travail annuel (Pta) de l’Ensemble, il y est inscrit des tournées nationales et internationales. La subvention qui est mise en place, généralement lorsqu’on l’éclate, le volet ‘’tournée’’ n’a rien. C’est vrai que lorsqu’on forme les gens pour donner de spectacles rien qu’à Cotonou, cela n’a plus de sens. De même, lorsqu’ils sont formés rien que pour l’international, cela ne rime à rien. Pour vulgariser le produit, il faut de l’argent. Parce que la subvention est donnée pour la création et il faut avoir maintenant une subvention pour la promotion. C’est pour cela que nous nous battons aujourd’hui. Dès que l’argent sera disponible pour la promotion, nous ferons cela. Vous voyez que ça a été difficile pour nous en 2016, de donner deux spectacles à Natitingou et deux à Cotonou, malgré le fait que l’Etat central ait payé les billets d’avion pour qu’on aille au Brésil pour exhiber les valeurs culturelles béninoises.
Le gros problème qu’on a, bien que les gens ne veulent pas le comprendre, c’est qu’il faut mobiliser des moyens pour faire la promotion de nos créations artistiques. Et mieux, nous avions prévu en 2016, mettre en place le cœur polyphonique national. Mais, on n’a pas pu mobiliser le financement. Quand vous voyez ce qui est fait aujourd’hui, nous travaillons comme si nous sommes des magiciens. Quand vous êtes au cœur du travail et que vous voyez combien on affecte à chaque rubrique, à chaque activité, c’est ridicule. Lorsque vous interrogez les ballets nationaux ou les troupes nationales de théâtre d’autres pays, vous verrez qu’au moment où nous, on se contente de quarante-cinq millions, les gens sont à des milliards. Il faut que ceux qui élaborent les budgets comprennent que le secteur de la culture, est un secteur qui a besoin d’être financé pour qu’en retour, il puisse contribuer au produit intérieur brut.

N’est-il pas possible que le ballet national puisse décrocher des financements auprès des bailleurs de fonds ?
Pensez-vous que les partenaires techniques et financiers vont financer la promotion de notre patrimoine culturel immatériel ? C’est absurde de penser de la sorte. Quand vous allez au niveau des Ptf pour chercher de l’argent pour la danse par exemple, ils vous imposeront de la danse contemporaine. Quand ils vous donnent de l’argent, c’est pour la promotion de leurs cultures. Il revient alors à notre pays, de mettre les moyens pour promouvoir notre patrimoine culturel immatériel dans le domaine des arts de scène. Nous devons donc nous battre pour que la subvention qu’on doit accorder à ces structures, puisse leur permettre de travailler.



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