Ousmane Alédji au sujet du projet de ‘’Théâtre national’’ : « … Quand l’Etat se dit prêt, on ne sollicite plus les professionnels du secteur… »

La rédaction 20 octobre 2015

Le promoteur du Centre Artistik Afrika Ousmane Alédji, était dimanche dernier sur l’édition Grand Format de Canal3 pour se prononcer sur la construction d’un ‘’Théâtre national’’, un projet initié par le Chef de l’Etat au profit du monde culturel béninois. Tout en saluant l’initiative, Ousmane Alédji a émis des réserves relatives à la nécessité de mettre à contribution tous les acteurs culturels, au risque de voir le projet étouffé.

Il y a aujourd’hui beaucoup de polémiques autour du projet de construction. Donnez-nous votre avis.
J’ai le sentiment que l’art n’est plus dans le spectacle, la propagande politique. Le Chef de l’Etat est une institution respectable. Quand il se déplace et quand il mobilise les acteurs d’un secteur à 4 reprises dans le même mois, c’est un signe qu’il est préoccupé par les problèmes de la culture béninoise. Cela procède à de bonnes intentions. Ce que j’observe à la télévision, c’est comme s’il y a dans le pays des professionnels du théâtre.

Vous avez été pourtant convoqué ?
Je ne vais pas à ces types de rendez-vous, où le Chef de l’Etat convoque une réunion dans son Palais à laquelle tout le monde assiste. Je n’ai pas été sollicité non plus pour apporter ma contribution. Quand on dit ‘’Artiste’’, tout le monde y va. Je ne suis jamais allé à la grande salle du palais de la République. Je ne connais même pas sa couleur. Mais j’observe à la télévision qu’elle est toujours remplie quand il s’agit de mobiliser les artistes. Et au finish, le sujet pour lequel on réunit les gens n’est parfois pas abordé. Je fais observer que le projet de théâtre national date de 1996. En cette année, le Gouvernement, à l’époque, avait sorti 250 millions de Fcfa pour l’étude de faisabilité. Nous nous étions tous mobilisés pour voir ce que cela allait donner. J’observe qu’aujourd’hui, on repart sur le même projet. On ne sait pas ce qu’est devenue cette étude de faisabilité.

J’ai l’impression que les acteurs s’y plaisent bien, parce qu’on ne les entend pas réagir.
Les acteurs ont un responsable, le secteur culturel a un responsable. Si le Chef de l’Etat veut rencontrer des professionnels sectoriels, on peut procéder d’une autre manière que de demander aux artistes de venir le voir au Palais de la République. Le secteur artistique aujourd’hui est un secteur de professionnalisation. J’insiste sur le mot ‘’Pas spécialité’’. A titre d’exemple, Bercy et Olympia qui sont des références en matière de musique à Paris. C’est des infrastructures spécifiques consacrées à des concerts. Il y a l’Odéon qui est consacré à l’opéra, le Théâtre, une infrastructure consacrée au théâtre. J’observe qu’on veut parler de théâtre en tant qu’infrastructure et on mobilise tout le monde. Je n’ai rien contre. Ils sont tous des amis, qu’ils soient musiciens, plasticiens, comédiens. Mais, a priori, le débat est noyé dans la foule de gens présents. Et pire, on sort des ressources pour aller au Sénégal.

Les choses sont bien avancées, c’est la manifestation de la bonne volonté et de la détermination du Chef de l’Etat.
On ne peut pas dénier au Chef de l’Etat cette envie, cet élan à nous mettre en place le théâtre avant de partir.

Qu’est-ce qui ne vous plaît pas alors ?
Mon problème, ce n’est pas le Chef de l’Etat, puisqu’il n’est pas expert culturel. Il doit nous solliciter. Il doit se faire entourer. J’ai même le sentiment que l’institution est banalisée, puisqu’on va devant le Chef de l’Etat pour s’engueuler….Les propositions sont là et on fait semblant. Si on doit faire court, pourquoi ne pas faire des appels d’offres. Il y a des architectes et autres spécialistes dans le pays. Le théâtre, après tout, c’est une infrastructure. Les spécialistes peuvent nous proposer des schémas types. Le théâtre Daniel Sorano qu’on est allé voir à Dakar date de 1967. On va voir le Grand Théâtre de Dakar qui est un modèle chinois de 3000 places. Quand on fait une estimation du public présent au Théâtre au Bénin, on ne dépasse pas 200 personnes.

Ce sera forcément pour accueillir d’autres activités
En ce moment, on met en place un autre projet qui pourrait être une maison de la culture pour le Bénin, comme les Ivoiriens l’ont à Abidjan. Et c’est un endroit qui accueille à la fois la salle de théâtre, un espace pour les concerts, une galerie d’arts, et ça devient une vaste maison pour la culture. Je salue l’initiative du Chef de l’Etat et des acteurs culturels, mais je ne voudrais pas qu’on noie le poisson. Au finish, si le théâtre, en tant que lieu de pratique professionnelle, n’aboutissait pas, ce sera à nos jeunes qu’on aura fait du tort. Parce que le secteur souffre aujourd’hui de manque d’infrastructures. On n’a pas de plateau ou de régie professionnels. Nous, acteurs privés, nous investissons, parce que l’Etat est défaillant. Mais quand il se dit prêt pour y aller, on ne sollicite plus les professionnels du secteur. On mobilise la foule qui va se ‘’chamailler’’ devant le Chef de l’Etat et on débloque les sous de l’Etat pour amuser la galerie.

Que peut apporter le Théâtre au Bénin ?
L’art en général est formateur de l’esprit. L’art contribue à l’épanouissement de l’homme. Il est fédérateur et participe à l’épanouissement d’un peuple. Le plus gros secteur pourvoyeur d’emplois est le secteur culturel. Quand on prend ce secteur, il y a l’artistique, le contemporain, l’artisanat, la conduction, les industries culturelles et les industries artisanales. Même le pagne que nous portons relève de l’industrie culturelle. Tout ce qui renvoie normalement la propriété intellectuelle au droit d’auteur relève du domaine de la culture. Donc, si on était dans un pays où les statistiques étaient disponibles, vous verrez que la culture contribue à tel pourcentage au Pib béninois. Aujourd’hui, plus personne ne s’engage aveuglément. Fonctionner de façon aveugle, c’est être coupable.

Comment auriez-vous voulu le théâtre béninois ?
J’aurais aimé que le Bénin ait un théâtre sobre, mais bien équipé, maximum 700 places. Si on déplace, dans le contexte béninois, un modèle chinois de 3000 places, ça va être un palais des congrès bis, Hall des arts bis, Palais des Sports bis. Au finish, on les abandonne aux réunions politiques, aux manifestations des Zangbéto. Et c’est la réalité. Désormais, on va écrire sur l’infrastructure, ‘’Théâtre national du Bénin’’. Y entrent des spectacles de théâtre. Et après, on peut créer une autre salle qui sera destinée aux concerts. La salle de Conférence de la Francophonie tient lieu aujourd’hui de salle de spectacles. Au-delà des salles de spectacles au Bénin, on n’a aucune salle de théâtre digne du nom. Donc, quand le Chef de l’Etat témoigne d’un engagement pour mettre en place un tel projet, la moindre des choses est de l’accompagner. Mais encore, faudrait-il qu’on sache vous identifier ou vous inviter à faire le boulot. L’expertise qu’on va chercher à Dakar est disponible ici. Le Conseiller à la Culture du Chef de l’Etat sénégalais a été ancien directeur général du Théâtre Daniel Sorano. Il est venu ici quand on l’a invité au Fitheb. Il aurait pu nous prêter son expertise. Mais on a préféré procéder autrement.



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