Plaisir d’un acte en disparition : Croix sur la lecture, une porte ouverte à l’ignorance

La rédaction 31 décembre 2019

On entend souvent ces derniers temps que le goût de la jeunesse pour la lecture a considérablement baissé. Des enquêtes sur le terrain révèlent que même la durée de concentration des jeunes diminue au fur et à mesure que leur rapport avec le numérique et l’utilisation des réseaux sociaux augmentent. Pourtant une étude dans les centres de documentation révèle quelque chose d’étonnant.

Mardi 17 décembre. Il est 10h. Déjà, plus aucune place libre dans le Jardin universitaire de l’Université d’Abomey-Calavi. Sur presque tous les sièges, l’on voit des étudiants occupés, certains écouteurs à l’oreille, d’autres, têtes baisées manipulant leurs téléphones portables. Au même moment, à l’autre bout du jardin, un groupe d’étudiants fait des selfies à grands coups de rictus, l’atmosphère s’y prête certainement. Tous sont plongés dans ce monde virtuel. A peine arrivent-ils à lever le regard pour décliner l’offre de Loto visa proposé par un groupe de jeunes qui passaient brochure en main. Adolphe par contre, adossé à un manguier, tient en mains un livre, mais il est distrait par tout ce bruit autour de lui.
Cette ambiance montre combien les jeunes s’éloignent de plus en plus de la lecture. Or, ‘’la lecture est à l’esprit ce que l’exercice est au corps’’, dit-on. Ce désintérêt semble être essentiellement dû au progrès de la technologie qui, comme la lecture pour les générations passées, favorise non seulement l’instruction mais aussi constitue l’un des meilleurs moyens de distraction.

Les livres, que de secrets !
« La meilleure façon de cacher un secret à un Noir est de le mettre dans un livre… ». Cet adage très répandu stipule que l’homme noir éprouve de réelles difficultés à tomber amoureux de la lecture. Son dégoût pour la chose s’est probablement accentué depuis qu’il est entré en contact avec les nouveaux gadgets électroniques. Si René Descartes estime que la lecture, surtout celle des bons livres est une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, Carlos, étudiant en Géographie à l’Uac ne l’entend pas de cette oreille. Selon lui, il ne sert à rien de perdre toute sa vie en lisant celles des autres. « Celui qui souhaite réaliser de grandes choses, ne passe pas tout son temps à lire la vie des autres. Il se lève et va écrire sa propre histoire », a-t-il déclaré. Pour Floriane, étudiante à la Faculté des sciences et techniques (Fast), sa difficulté ne réside pas dans le dégoût pour la lecture, mais plutôt dans le manque de temps qui l’empêche de lire. « Mes cours sont majoritairement des cours de science. Et quand je sors, je suis tellement épuisée que je ne me rappelle même pas si quelque chose s’appelle lecture », laisse-t-elle entendre.
Pour certains, la lecture est un parfait remède contre l’insomnie. « Quand je prends un livre, après deux pages je m’endors », confie Cyrille, étudiant en droit. Pourtant, il n’est pas rare de voir de petites citations ici et là exhortant les uns et les autres à la lecture. Toujours est-il que pour ceux qui ne lisent pas, la lecture est soit une perte de temps, soit un puissant somnifère, ou encore une activité à programmer à l’avance.

Mais étonnant paradoxe… !
Un tour dans les 02 plus grandes bibliothèques de l’Afrique francophone ouvertes il y a 3 mois par l’Ong Bénin Excellence avec le soutien de la Fondation Vallet, elles connaissent déjà une affluence à remettre en cause tout ce que l’on croit connaître sur le noir et son antique dédain pour la lecture. Venance, bibliothécaire à Bénin Excellence nous informe sur le nombre de visiteurs qu’ils reçoivent par jour. « En moyenne, nous recevons par jour près de 600 visiteurs. Un nombre qui grimpe jusqu’à 900 lors des jours de pointe. Et ça c’est pour chaque site. Ça veut dire que les deux bibliothèques réunies vont jusqu’à 1000 par jour et à 1500 lors des jours de pointe à savoir les mercredis et les samedis ou encore les jours fériés ». Toujours selon Venance, bien que la durée de consultation des visiteurs soit très aléatoire, de nombreux lecteurs se confondent déjà aux meubles des lieux. « Les élèves qui fréquentent des écoles qui sont loin de leurs maisons viennent passer leur après-midi ici. Pour les étudiants, il y a plusieurs catégories, mais la plupart viennent quand ils n’ont pas cours. En ce qui concerne les doctorants, ils passent toute la journée ici. Ils viennent très tôt et ne repartent que très tard. Ils sont si fréquents qu’on est déjà habitués à eux », a déclaré Wakyl l’un des bibliothécaires de Bénin Excellence.

Une seconde habitude !
Des salles remplies de livres accueillies avec enthousiasme ont donc obligé à reprendre les investigations. Après enquête, il est remarqué que les parents ont joué un grand rôle dans ce revirement. La plupart des enfants ont été fortement motivés par leurs parents qui procèdent par leur suivi rigoureux. « Nous avons décidé qu’aux heures de repos, ils aillent passer leur après-midi à la bibliothèque. Concernant les jours fériés, nous-mêmes ou le chauffeur se charge de les y emmener », a laissé entendre Dame Victoire, mère de l’un des jeunes lecteurs. Pamphile, étudiant en linguistique, est un fidèle de la bibliothèque Bénin Excellence de ‘’Cité la victoire’’. Pour sa part, tout est une question d’habitude. « Lire est une habitude, alors je suppose que ne pas vouloir le faire, est aussi une question d’habitude ».
Selon Boris, étudiant en Lettres Modernes de l’Uac, la littérature pour lui est une passion qu’il a depuis tout petit. « J’aime la lecture d’abord pour son beau nom lecture, ça me chatouille. Ensuite, j’aime m’évader dans les textes des auteurs, dans leurs pensées. Vivre et partager avec eux le sentiment intime qu’ils expriment à travers leurs textes. Enfin, ils ont des jeux de mots très attrayants, très esthétiques », dit-il. A la question de savoir si le développement des Tics et de tous leurs lots de distraction ne nuisent pas à l’envie de lire, Auriane étudiante au Hill city University Bénin affirme tout le contraire. « Chaque soir, je suis sur Wattpad. Et même étant chez moi, je peux lire ce que je veux. Je ne pense pas que c’était possible avant. Mais grâce aux Tics, aujourd’hui c’est possible. Disons qu’avec les Tics ou pas ceux qui aiment lire, liront et ceux qui ne l’aiment pas continueront à trouver des excuses ».
Friedel ADJATIN (Stag.)



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