Professeur Bienvenu Akoha : « Il faut organiser une journée de réflexion… Ça va dans tous les sens, et ce n’est pas bon »

Arnaud DOUMANHOUN 24 mars 2017

Comment concevez-vous le rôle de l’Ean ?
La politique culturelle doit avoir une philosophie derrière et la philosophie, c’est de nous enseigner combien nous sommes beaux. C’est cette politique qui amène du boulot à l’Ensemble artistique. Imaginez un seul instant que, tous les douze départements de notre pays aient chacun, un centre culturel doté d’un théâtre de verdure et que l’Ensemble artistique national ait pour mission de sillonner ces douze départements par an, pour présenter des spectacles qui révèlent aux populations béninoises la beauté de leur expression artistique. L’Ean qui révèle la beauté de l’Atacora aux gens de l’Atlantique et la beauté de l’Atlantique aux gens du Borgou à travers des scènes de ce genre qui sont prolongées par des Dvd de 13 minutes et autres que, les différentes chaînes de télévision présenteront. Nous nous connaîtrons mieux, nous nous accepterons plus facilement et l’unité nationale sera construite à la base. C’est la finalité de l’Ean. Et cela se traduit par une politique et par des chronogrammes, des calendriers, des productions qui se donnent comme orientation une éducation des populations à l’acceptation de l’autre, à l’ouverture vers l’autre.

Mais pourquoi la section ballet de l’Ean peine à remplir cette mission, à s’imposer au plan national ?
Le ballet national regroupe des artistes et des génies. Ils font du très beau travail. Mais il faut leur donner un cahier de charges. Il faut une politique qui oriente le ballet national vers la construction de l’unité nationale à partir de la naissance d’une confiance nationale. Le ballet national doit travailler à l’édification de la confiance nationale parce que, ce n’est que la culture et les expressions artistiques qui construisent le vivre ensemble. Cette dimension manque. Nous avons eu le milliard culturel, qu’en avons-nous fait ? Quelques débrouillards organisent des festivals par ci-part là qui n’ont ni queue ni tête parce que, ne s’inscrivant pas dans une logique prédéfinie par une politique culturelle de construction nationale. Voilà le problème de fond qui est posé. Avec les talents que j’ai vus à l’ensemble artistique national, si on les orientait vers des buts clairement définis, ils feraient des merveilles. Combien de millions faut-il pour cela ? Il faut un bon bus pour leur transport et puis des lieux de répétition adéquats. Avec quelque 2 milliards, on a déjà posé les bases pour que cela se passe sur plusieurs années.

Le budget prévu par l’Etat est-il suffisant ?
60 millions de francs Cfa, c’est peu comme budget. Si vous devez aller produire au moins une fois par département dans tous les douze départements, vous avez à peu près 5 millions de francs Cfa. Il ne faut pas oublier la production de Dvd qui vont être vendus pour renflouer les caisses de l’Ensemble pour lui conférer une certaine autonomie. Je sais de quoi je parle puisque je suis conservateur. Ensuite, ces créations ont besoin de s’appuyer sur des recherches culturelles et tout cela doit être budgétisé. Si on n’a pas une certaine politique de présomption tout cet argent servira à quoi ?
Les résultats des mariages interethniques, les valeurs sociétales qu’un enfant qui a été circoncis doit avoir, le courage, la bravoure… Voilà autant de thèmes et de valeurs que véhiculent nos chansons que l’Ean peut théâtraliser, peut transformer en comédie musicale.

Sur quels principes doit se baser la sélection à l’Ean ?
La sélection doit se fonder sur des recherches sur les différentes danses. On a fait des recherches sur le le Tipenti, le Tèkè, le Agbadja de Oumako dans les différents départements. Ceux qui dansent le Agbadja à l’Université aujourd’hui pour le conservatoire, n’ont pas besoin d’être de Oumako pour venir danser le Agbadja sur le plan national. Parce qu’il y a des techniques existant aujourd’hui pour décomposer les mouvements et les faire acquérir par quelqu’un qui se veut danseur professionnel. Donc, le problème, c’est de tenir compte des valeurs des civilisations véhiculées par les différentes ethnies de chez nous. Ce n’est pas une addition de gens provenant de ces différentes ethnies qui va nous donner le résultat que nous attendons, ce sont des recherches fondamentales faites sur ces richesses qui vont permettre d’inculquer cela aux acteurs. Pour aller au Japon, on n’a pas besoin d’additionner les gens. Un vrai danseur professionnel doit pouvoir danser à la perfection, le Zinli, le Goumbé, le Tèkè et le Tipenti.

Comment expliquez-vous le fait qu’on observe beaucoup de bruit au cours des spectacles ?
Les autres cultures sont comme ça. Les autres cultures ont été comme ça. Mais la seule différence, c’est qu’il y a la neige et ils sont obligés de faire leurs spectacles dans des salles couvertes. A l’université, le Professeur Bienvenu Koudjo a un laboratoire ethnomusicologique. C’est à ces niveaux qu’il faut réduire les décibels. Comment réduire les décibels pour les bruits que nous faisons ? Ce sont des recherches fondamentales qui doivent être faites. La nécessité d’un centre de recherches culturelles est impérieuse. C’est prévu par la politique culturelle définie à l’issue des états généraux qui ont suivi la Conférence nationale des forces vives. C’est prévu par la loi portant charte culturelle du Bénin. C’est la seule structure qui n’a pas été mise sur pied depuis cette conférence. Ce sont ces recherches qui apportent des innovations susceptibles de rendre exportable dans des conditions optimales notre culture, et j’ai parlé tout à l’heure de fabrication de Dvd. Quand vous allez dans d’autres pays, il y a la version a capella, il y a aussi la version dans laquelle on joue le Dvd et les artistes font semblant de jouer et pendant ce temps, ce sont les sons épurés qui parviennent aux spectateurs.

Quelle est votre opinion sur le contrat des artistes à l’Ean ?
C’est la conséquence de la politique qui veut que la culture de ce pays soit la cinquième roue du carrosse. Là, je suis volontairement dur. On n’y croit pas mais on aide les gens à faire semblant. J’ai vu au centre culturel chinois la dernière fois, un monsieur qui a trente ans de métier mais que la Chine a envoyé ici pour amuser les enfants béninois avec son instrument. Je trouve cela formidable. Et il est en train de voyager pour défendre la culture chinoise. Je pense que les artistes doivent rester le plus longtemps possible dans une troupe. Ce n’est pas une affaire de salarié en tant que tel mais plutôt une affaire de représentativité du pays. Moi je suis à la retraite et si, dans un théâtre, on trouve que je suis la personne indiquée pour jouer un rôle, ce n’est pas la peine de badigeonner un jeune pour le faire. On ne peut pas dire par exemple que Alougbine Dine ne va pas être un acteur. Regardez Tola Koukoui, si vous voulez jouer Le lion et la perle, qui va jouer Le lion si ce n’est pas lui, ou quelqu’un de son genre. Les besoins d’argent doivent passer au second plan par rapport aux exigences de la production artistique. C’est cela la spécificité du monde artistique, et pour cette raison, je suis naturellement contre le fait qu’il y ait des programmes dans lesquels les gens seront renvoyés après dans la nature.

Que faut-il faire pour redorer le blason de l’Ean ?
Si l’on ne balaie pas l’intérieur de sa case et qu’on se glorifie de voyager loin, très loin… pour montrer à l’autre, confortablement installé dans sa demeure, combien l’intérieur de notre case est joli, nous enrichissons d’abord les demeures de ces hôtes. Pendant ce temps, notre case n’est toujours pas balayée… l’Ensemble artistique national doit se préoccuper d’abord de son rôle primordial à savoir, éduquer la jeunesse à la connaissance et à l’amour de toutes les expressions culturelles du Bénin. Il doit, pour cela, effectuer chaque année des tournées obligatoires dans tous les départements de notre pays, en collaboration étroite avec les ministères en charge de l’éducation. Honorer les invitations internationales serait la seconde et non la première (voire l’unique) préoccupation.
Il faut organiser une journée de réflexion ou un séminaire ou encore un atelier pour que les personnes ressources qui connaissent certaines choses soient mises ensemble pour produire une réflexion pour l’exécutif. Cela va dans tous les sens, et ce n’est pas bon. Il est temps qu’on s’arrête pour réfléchir et pour prendre un nouveau départ en culture.
Si nous voulons construire une économie, il faut qu’on se rende compte de la dimension humaine, ce sont les ressources humaines qui construisent une économie et ces ressources reposent essentiellement sur la culture. On peut être un excellent technicien dans un domaine, astrologie, géométrie, c’est la culture qui est la sève qui alimente en soi le désir de construire une nation. C’est cela le problème. Si nous voulons des Béninois de type nouveau pour construire un Bénin nouveau, il faut nécessairement que ce soit la culture qui nous serve d’outil pour fabriquer ces Béninois nouveaux.



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