Victorine Kossou parle des problèmes du pagne tissé béninois : « Un pagne tissé a une longévité inimaginable s’il est fait avec de bons fils »

Isac A. YAÏ 10 octobre 2013

Le tissage béninois se meurt. Afin de mieux réorganiser les tisserands pour ressusciter ce pan de la culture béninoise, Victorine Kossou a ouvert le Centre international Basile Kossou (Cibako). Elle œuvre désormais pour un tissage de bonne qualité afin que le Bénin ne disparaisse pas de ce secteur. A travers cet entretien, elle nous parle de ses motivations et des conditions pour l’épanouissement des tisserands et par ricochet du secteur du pagne tissé béninois.

Qu’est-ce qui vous a amenée à évoluer dans le pagne tissé ?
J’ai choisi de m’investir dans le pagne tissé parce que mon père a été tisserand avant de se reconvertir à l’avènement de la colonisation. Dans toute la famille, il y a aussi des tisserands. Donc, le tissage m’est cher car, cela fait partie de notre patrimoine culturel. La deuxième raison est que les tisserands béninois ont des problèmes car, le pagne tissé béninois ne résiste pas à la concurrence. Il faut donc organiser les tisserands afin qu’ils puissent mieux poser leurs problèmes. La matière première n’existe pas, pourtant le Bénin est un pays producteur de coton de très bonne qualité. Comme les tisserands n’ont pas les moyens d’importer de fils, ils se contentent des déchets des usines textiles de la place. Nous avons posé leurs problèmes aux responsables de ces sociétés il y a quelques années, mais ils nous ont fait comprendre que les tisserands ne sont pas en mesure d’acheter la quantité de fils que leurs usines produiront. Donc, c’est une opération qui ne sera pas rentable pour eux. Les tisserands continuent alors d’importer du fil de bonne qualité de la Côte d’Ivoire et du Burkina-Faso.

Y a-t-il un marché d’écoulement des pagnes tissés ?
Le problème qui se pose aujourd’hui dans notre pays est que les gens ont besoin de porter le pagne tissé, mais ils n’en trouvent pas. Raison pour laquelle, quand il y a des foires et des salons de l’artisanat, les pagnes tissés viennent en grande quantité des pays de la sous-région et les populations profitent de ces occasions pour en acheter. Alors, on se pose la question de savoir s’il n’y a plus de tisserands au Bénin. Raison pour laquelle nous avons organisé un concours à l’intention des tisserands détenteurs du savoir-faire de qualité pour répondre à cette interrogation. Cette compétition leur permettra de démontrer de quoi ils sont capables. Ce concours se déroulera en deux phases : le tissage des pagnes anciens et leurs propres créations. A travers cette compétition, nous voulons dire aux populations que nous avons encore des valeurs ancestrales chez nous qu’il faut sauvegarder et promouvoir afin que nous nous habillions en pagnes tissés de chez nous car, notre patrimoine textile, c’est notre identité. Le marché du pagne tissé existe dans notre pays, dans la sous-région et à l’étranger. Il suffit que le tissage soit de bonne qualité.

Certains veulent bien acheter des pagnes tissés, mais ils se rendent compte qu’ils sont chers. Etes-vous du même avis ?
Pas du tout. Un pagne tissé n’est pas comme les autres pagnes. J’ai des pagnes tissés qui sont vieux de 15 à 25 ans. Imaginez le nombre de tissus que vous auriez déjà achetés durant tout ce temps s’il s’agissait des autres tissus. Un pagne tissé a une longévité inimaginable s’il est fait avec de bons fils. Donc, le prix d’un produit dépend de sa qualité. C’est donc le rapport qualité/prix. Les connaisseurs de pagnes tissés ne lésinent pas sur les moyens quand le tissage est bien fait

Comment reconnaît-on un pagne bien tissé ?
Selon moi, le tissage de bonne qualité est d’abord inspiré de la tradition. Il est réalisé avec du fil naturel. Les pays qui nous entourent ont leur propre style ; donc, le Bénin aussi doit avoir son style par lequel on le reconnaît, partout où on le voit.

Le tissage béninois est-il soutenu comme il le faut ?
Pas du tout car, dans les préoccupations des politiciens, je ne vois rien qui est fait pour soutenir les tisserands à la base. Les politiciens viennent des localités données, mais qu’est-ce qu’ils font pour aider les tisserands de leurs régions afin que ces derniers fassent mieux leur activité ? Rien de concret. Ceux qui doivent être bénéficiaires des politiques de développement dont ils parlent, sont abandonnés dans leurs besoins. On ne s’occupe pas d’eux. Après, ils viennent solliciter leurs suffrages, c’est regrettable. J’invite les hommes politiques à aller dans leurs régions respectives, à identifier les problèmes qui minent l’essor du tissage dans leurs localités afin de donner un coup de pouce aux tisserands.
Propos recueillis par Isac A. YAÏ



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