Bi-N’kokou Ferrody, auteur de "Un Africain...

2 février 2024

Ancien élève à Parakou et ancien étudiant de l’Université d’Abomey-Calavi, Bi-N’kokou Ferrody Chetan est ingénieur de recherche. Il prépare actuellement sa thèse de doctorat en mécanique. A travers cet entretien, il parle de son livre "Un Africain révolté ".

Auteur du livre qui enflamme l’actualité politique en Afrique, pourquoi le titre "Un Africain révolté » ?
Un Africain révolté est un manifeste et un condensé de critiques. Quand j’ai achevé sa rédaction, je n’ai pas trouvé mieux que ce titre pour résumer le contenu.
Par ailleurs, le titre d’un livre est sa vitrine. Vous savez bien que les mots “révolte, révolution” ne laissent personne indifférent.
Donc, ce titre remplit à la fois les deux fonctions, c’est-à-dire résumer la teneur du livre et susciter l’appétit de sa lecture.

Le livre paraît dans un contexte de la n-ième tentatives de révision constitutionnelle au Bénin, l’une des pratiques condamnées dans votre ouvrage. Coïncidence ou prédiction ?
Je répondrais que c’est simplement une lecture de la réalité politique en Afrique. Bien sûr, les motivations des acteurs politiques ne sont pas toujours les mêmes.
Mais nous avons suffisamment d’exemples aujourd’hui pour dire que ce vent de révision souffle généralement à la fin des mandats constitutionnels et nous savons aussi comment cela se solde.
Point besoin d’être un devin pour voir la chose venir.

Vous avez également déploré les violences de Mai 2019 au Bénin, ne trouvez-vous pas que les réajustements aux instruments électoraux en amont sont des initiatives pour anticiper ces crises ?
Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites.
Dans le principe, personne ne s’oppose à une révision de la constitution. Nous avons souvent des craintes légitimes en ce qui concerne les intentions avouées ou non du projet. Et personnellement, je veux souligner un autre niveau d’analyse de la question.
La vérité est que ces questions purement politiques nous occupent au point que nous reléguons au second plan les questions de développement. C’est là que porte ma critique.

"L’Afrique est désormais majeure et doit voir le mal en lui-même" écrivez-vous. A quoi se rapporte donc ce mal de l’Afrique ?
Le mal de l’Afrique, c’est notre incapacité à répondre à l’impératif de nous unir. Et cette division s’observe jusque dans nos petits quartiers de ville.
Le régionalisme, l’ethnicisme, l’ethnocentrisme et ce que j’ai qualifié de « racisme intraracial ». Il faut ajouter les querelles fondées sur la religion ou, plus franchement, fondées sur les religions importées que les gens ont réussi à nous vendre comme étant les seules qui offrent une connexion à l’Etre Suprême.

Quelle vision de cette Afrique préconisez-vous à travers cet ouvrage ?
Un Africain révolté n’est pas un amoncellement d’idées toutes extraordinaires. Je n’invente rien. J’insiste sur ce que nous savons tous. Voyez, l’Afrique présente un visage de mosaïque de minuscules Etats dits indépendants. Il nous faut aller vers les grands regroupements.

Grands regroupements à l’instar de l’Union Africaine ?
L’Union africaine (UA) était une étape. Il faut saluer l’effort de ceux qui l’ont pensée et l’ont créée. Mais soyons honnête : ce ne serait pas trop dire que d’affirmer que l’UA, dans sa forme actuelle, n’est qu’une organisation administrative.

Je ne fais aucune révélation quand j’évoque les dissonances au sein de l’UA. Je ne fais aucun scoop quand je dénonce le fait que la construction de certains locaux de l’UA, la logistique et même la rémunération des fonctionnaires de l’Union passent par le financement de l’Union européenne et d’autres puissances d’Asie. Quelle respectabilité espérez-vous de la part de celui qui finance votre logement et assure votre traitement salarial ?

Je résume : nous voulons d’une Organisation politique, d’un Etat unique, d’une monnaie unique. Le nom est un détail, mais je propose qu’on désigne cette véritable Union par la « Fédération des Etats d’Afrique ».

Feu Albert Tévoédjrè a écrit « L’Afrique révoltée » et vous « Un africain révolté ». Tevoedjre : un modèle quand on connaît son parcours politique mais aussi la persistance des maux que vous dénoncez ?
J’ai un peu de mal à accepter le mot modèle parce que cela conduit à une hybridation irréversible : à vouloir ressembler à l’autre, on perd une bonne part de soi sans pour autant réussir à devenir l’autre.
Mais j’ai appris, pour paraphraser Confucius, qu’il y a du bien en tout homme, il suffit de savoir l’extraire. Tévoédjrè est un homme en trois : l’intellectuel, le politique et l’homme de la promotion de la paix par le dialogue interreligieux.

Je veux d’abord extraire l’intellectuel.
Sur le plan de l’action politique et de l’échec des politiques, puisque c’est de cela que vous parlez, on peut reprocher beaucoup de choses à Tévoédjrè comme à tous les hommes politiques de son époque. En revanche, on ne pourra pas lui reprocher de n’avoir pas essayé.
On ne pourra pas lui reprocher de n’avoir pas défendu un idéal toute sa vie. C’est-à-dire : la politique comme moyen de conquête du minimum social commun au service des plus faibles.
En guise de conclusion, je vous dirai que je ne suis pas de ceux qui nous vendent l’illusion qu’il suffit de changer de chef d’État pour que tout change.
Pour moi, l’Afrique va véritablement décoller à partir de la contribution de tous les Africains. C’est ce que j’ai désigné dans mon ouvrage par « l’intelligence collective africaine ».



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