Jubilé d'or de l'Union Africaine (UA) : " La grosse faiblesse de l'Union Africaine, c'est le fait que l'institution ne soit rien d'autre qu'un club de chefs d'Etat", dixit Gratien Pognon

Reece-Hermine ADANWENON 30 mai 2013

Ancien premier Secrétaire Général Adjoint élu en 1964 de l’Organisation de l’Unité Africaine (Oua), le Diplomate béninois Gratien Pognon se prononce sur la gestion de l’Institution et ses faiblesses. A l’en croire, l’Union Africaine se porterait mieux si les pays qui la composent respectaient les principes de base d’une démocratisation des sociétés.

Gratien Pognon

Vous avez été le premier secrétaire général adjoint de l’OUA en 1964, faites-nous l’historique de cette institution ?

En réalité, à sa création, l’Oua avait à sa tête un bureau de 5 membres élus, de personnalités élues, non pas de pays élus. Il y avait un secrétaire général et quatre adjoints. J’ai été donc élu sur la base de mon curriculum vitae et non pas parce que j’étais Dahoméen. A l’époque, j’étais le premier conseiller de l’Ambassade du Dahomey à Washington. Donc en juillet 1964, nous avons été élus et en septembre 1964, nous nous sommes retrouvés à Addis-Abeba pour prêter serment dans les mains de l’empereur d’Ethiopie parce que entre mai 1963 et septembre 1964, l’Organisation existait déjà et était dirigée par l’Ethiopie. Nous nous sommes donc mis à la tâche en essayant de créer tout ce qu’il fallait à savoir le règlement intérieur, la charte et en essayant de recruter un groupe très compact où puissent être représentés tous les pays membres. A l’époque, les pays signataires étaient au nombre de 33. En parlant du travail que nous avons fait, je dirais que c’est un travail d’initiateur. Nous étions partis de zéro pour créer cette institution. Il y a donc des traces qui sont restées, mais elles n’ont pas été déterminantes pour l’unité africaine et les progrès de l’Afrique.

Quelle lecture faites-vous de la gestion de l’Organisation aujourd’hui ?

En dehors des tâches que nous avions accomplies, je ne peux pas dire qu’il y ait eu d’autres grands acquis. La grosse faiblesse de l’Organisation de l’Unité Africaine et qui aujourd’hui est celle de l’Union Africaine, c’est le fait que l’institution n’est rien d’autre qu’un club de chefs d’Etat. elle est parfois élargie à quelques ministres des affaires étrangères. Mais très vite, on se rend bien compte que tout cela est complètement artificiel, et le problème qui s’est posé à nous à l’époque est que nous n’avions pas réussi à sortir de ce carcan d’institution au sommet de chacun des Etats. Nous nous rendions compte que quelque chose laissait à désirer dans le travail qui se faisait. Si on lit nos écrits de l’époque, on se rendra compte que nous avions toujours préconisé que l’Unité Africaine descende au niveau des populations, des organisations de la société civile, des institutions au plus bas niveau possible. Que ce soit effectivement une organisation des peuples pour les intérêts des peuples et non une organisation des gouvernements. Mais je vois que depuis 1972 où nous avions quitté l’institution à ce jour, il s’est passé bien d’années, mais que nous sommes toujours au même niveau : l’Union Africaine n’est toujours pas l’Union des peuples africains. C’est plutôt l’Union des Chefs d’Etat Africains. Et c’est vraiment dommage pour l’Afrique.

En clair, je dirais que nous n’avons pas fait de progrès. Les chefs d’Etat se réunissent depuis lors et le seul progrès que j’ai vu venir de l’Union Africaine, c’est cette détermination de mettre au ban de l’union, tout gouvernement qui arrive au pouvoir par la force. Ça au moins, ils ont réussi. Mais je crois que si nous sommes sincères avec nous mêmes, ce ne sont pas les coups d’Etat qui font le plus mal à l’Afrique, c’est la mal gouvernance des chefs de ces Etats.

Donneriez-vous raison à ceux qui disent que l’Ua n’est rien d’autre qu’une coquille vide, lorsqu’on se réfère à la descente aux enfers de Air Afrique et la suspension de la radio panafricaine Africa n°1 ?

Je dirais qu’Air Afrique a été de mon point de vue l’incarnation de ce que pouvait, de ce que devrait être l’Unité Africaine. C’était une compagnie complètement viable. Croyez-moi sur parole. C’est le manque de notions de saine gestion des Chefs d’Etat qui l’a poussé dans le gouffre. Moi je le dis tel que je le ressens. Concernant la suspension de la radio Africa N°1 à cause d’une dette de 36 millions de Fcfa, je dis que les mêmes maux que nous avions craints à l’époque continuent de s’aggraver. A tel point qu’aujourd’hui, que personne ne puisse trouver 36 millions de Fcfa pour payer les dettes de cette radio. C’est totalement affligeant. Même mon pays tout seul, lorsqu’on avait la présidence de l’Union pouvait régler cette ardoise parce que je vois des choses passer à la télévision. Réception des dignitaires, des jeunes, des Zemidjans et autres, tout cela doit coûter énormément. J’espère qu’après les festivités pour ce jubilé, le problème sera résolu. De toutes les façons, le mal aura été déjà fait. En passant de l’Oua à l’Ua, je ne suis pas sûr que la structure soit devenue une institution des peuples réunissant les peuples. La réforme qui s’impose le plus aujourd’hui est d’introduire dans la charte de l’Union Africaine des obligations de démocratisation des sociétés.

Qu’entendez-vous par démocratisation des sociétés ?

Démocratisation des sociétés veut dire que chacune des composantes gère son pays de manière à ce que les intérêts du peuple soient pris en compte. Que le peuple soit partie prenante de la gestion qui est faite de leur Etat. Il y a des principes intangibles de démocratie. On ne peut pas toucher aux droits de l’homme, on doit pouvoir bien gérer les richesses d’un pays. Qu’un clan, qu’un homme s’en accapare et amasse ce qu’on ne peut jamais consommer en 100 ans, c’est aberrant. Et ces situations ne font que s’aggraver dans nos Etats. Nous entendons parler des crimes économiques, des privations de liberté et d’expression, des détournements, des abus, qui restent impunis. Pour exemple, je sais dans quelle situation, vous journalistes de mon pays, vous trouvez aujourd’hui. Ça aussi fait partie de mon diagnostic. Aux lendemains des indépendances, notre pays le Bénin était cité en exemple dans le monde entier, je crois avoir connu un classement dans les indicateurs de démocratie qui nous faisait passer avant la France. Nous étions parmi les 20 ou 30 premiers si ma mémoire est bonne. Aujourd’hui, si on prend ces indicateurs, où sommes-nous ? Nous ne faisons que reculer dans tous les domaines. C’est la discipline au sein de chaque pays qui fera la force de l’Union. Aujourd’hui, des petites unités que nous constituons, aucune n’est véritablement viable. Comment voulez-vous qu’un pays comme le nôtre, avec une cinquantaine d’Ambassades, une trentaine de postes ministériels, puisse être cité en exemple ? Cela veut dire tout simplement que le financement du pouvoir l’emporte sur le financement du développement. La preuve en est que quelques pays membres de l’Ua se replient sur la Cedeao avec ses normes démocratiques. L’Union Africaine à mon avis, a été voulu par un Homme qui n’est plus aujourd’hui : Kadhafi, même si cela était pour son hégémonie personnelle. Mais l’Union Africaine restera une coquille vide pendant que peut-être, des organisations régionales travailleront pour sortir l’Afrique de l’ornière. L’Afrique est composée de ces micro Etats que nous sommes, et si chacun des micro Etats marchait bien, l’Afrique se porterait mieux. Mais dommage, ce n’est pas le cas actuellement et l’exemple que je peux mieux citer est celui de mon pays.

Quelles sont les perspectives pour la renaissance de l’Union Africaine ?

Il faudrait que l’Ua ait le réalisme de comprendre que la vraie réalité, le vrai sous-bassement vers cette indispensable mise en commun des ressources, des hommes et des biens, c’est d’abord à l’étape régionale. Que l’Ua réunisse les organisations sous-régionales et qu’elle oublie ses projets irréalistes. Là où on nous parle de plan de sécurité, qui va financer cela ? Je dis que les ambitions de l’UA dépassent de très loin les prévisions financières de l’institution. Ce qu’on peut faire, c’est de renforcer les organisations régionales et conforter à travers elles, la démocratisation, la bonne gouvernance des pays membres de l’Union. Je souhaite vivement que ce sommet soit moins festif que les autres sommets et que les chefs d’Etat puissent réellement se mettre au travail. Que les gens n’aillent pas seulement prononcer de grands discours mais plutôt qu’ils œuvrent pour que l’Union, puisqu’elle existe, fasse réellement quelque chose. Qu’elle soit coordonnatrice des activités, orientations et résultats des organisations régionales. Et que ses organisations régionales, à leur tour aient la responsabilité de faire descendre l’idée de l’unité du sommet vers la base, vers les populations. Qu’on ait une union des agriculteurs de la Cedeao, du Cemac et autres… Pour l’instant, nous ne sommes pas du tout sur la bonne voie, mais à bout d’efforts consentis par chaque unité nous pouvons y arriver.



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