28 Février 1990- 28 Février 2018 : Les acteurs de la conférence nationale appellent à la préservation des acquis

Arnaud DOUMANHOUN 2 mars 2018

« Devoir de mémoire et d’engagement pour le futur : que reste-t-il de la conférence nationale ? ». C’est autour de cette thématique que l’Ong Social Watch Bénin a mobilisé hier, au chant d’oiseau de Cotonou, plusieurs témoins et acteurs de la conférence nationale, ainsi que des personnalités du paysage sociopolitique.

Des souvenirs au bilan et perspectives, 28 ans après, les participants au premier Forum citoyen sur les acquis de la Conférence nationale des forces vives de février 1990 ont laissé libre cours à leurs émotions et appréhensions. « Il reste vous aujourd’hui, nous allons partir, nous partons poussière. Et je dis ceci. Il est important que la mémoire joue. Alfred Sauvy a dit : ‘’L’opinion publique est une force politique qui n’est écrite dans aucune Constitution’’. L’opinion publique, c’est vous... le Bénin ne sombrera pas », a déclaré le professeur Albert Tévoèdjrè au cours de ce Forum. Le président de Social Watch Bénin, Gustave Assah lui rendra hommage, ainsi qu’à tous les artisans de cette transition pacifique, du marxisme léninisme à la démocratie. « Nous ne devons jamais oublier ce moment de communion. L’heure a sonné pour que, la haine cède place à l’amour… », a déclaré Gustave Assah avant de s’interroger sur l’usage fait aujourd’hui des acquis de la conférence nationale. C’est pour ce devoir de mémoire et d’engagement pour le futur, que Social Watch Bénin et l’Observatoire chrétien catholique de la gouvernance ont initié ce Forum citoyen.

Professeur Albert Tévoèdjrè : « Mgr de Souza était chez Kérékou et je sais qu’il l’a supplié à genoux de ne pas céder aux sirènes des jusqu’au-boutistes… »

J’ai été surpris par une chose principale, c’est la foi que vous mettez dans ce qui a été fait. Nous nous allons partir, nous partons poussière, mais il reste vous aujourd’hui. Et je dis qu’il est important que la mémoire joue. Alfred Sauvy a dit : ‘’L’opinion publique est une force politique qui n’est écrite dans aucune Constitution’’. L’opinion publique, c’est vous. Quel que soit ce qui arrive ou arrivera, il n’y a rien qui dure sans le peuple dont l’opinion est une force politique. Je viens vous dire ma confiance. Ma véritable confiance parce que le Bénin ne sombrera pas. Nous ferons en sorte que ce peuple de résistants qui a connu d’autres occasions de plongeon et qui s’est ressuscité, ressuscite à nouveau. Nous avons vaincu la fatalité.
Quand Mgr de Souza parlait et disait, plaise au ciel, qu’aucun bain de sang ne vienne nous éclabousser et nous emporte dans ses flots, il le disait avec gravité. Regardez encore le film de cette déclaration. Vous verrez que c’était sérieux. Oui. Il y a un soir à la conférence, nous ne savions pas si nous sortirons vivant de la salle. Mgr de Souza était chez Kérékou et je sais qu’il l’a supplié à genoux de ne pas céder aux sirènes des jusqu’au-boutistes. Et que le président Kérékou l’a fait sortir du Palais par une porte dérobée. C’était si grave que ça. Quand j’ai dit ‘’nous avons vécu la fatalité’’, c’est là. Et le président Kérékou l’a reconnu. Puisque dans son discours, il a dit que tout s’est arrangé grâce à l’intervention à la sagesse de votre président. Il y avait une fatalité réelle qui pesait sur. Nous avons sacrifié, nous avons prié, nous avons été exaucés. La même prière portée par nous tous, sauvera le Bénin ».

Professeur Paulin Hountondji : « en 1990, nous dénoncions la dictature, nous exigions la démocratie, mais nous n’avons pas anticipé sur le pouvoir de l’argent… »
Quand nous militions au début des années 60 dans le mouvement étudiant, nous dénoncions avec force l’impérialisme sous toutes ses formes, le colonialisme, le néocolonialisme, mais nous n’avons jamais anticipé sur le pouvoir militaire. Je parle sous le contrôle de ceux qui militaient à l’époque, en même temps que moi, dans le mouvement étudiant, la cascade des coups d’Etat militaires dans nos différents pays nous a pris au dépourvu. Nous ne l’avons pas anticipé. De la même façon, en 1990, nous dénoncions la dictature, l’Etat autoritaire et nous revendiquions avec force le respect des droits de l’homme, le respect des libertés, nous exigions l’avènement d’une véritable démocratie, mais nous n’avons pas anticipé sur le pouvoir de l’argent. Nous n’y avons pas pensé ; aujourd’hui nous sommes en plein dedans. Et ça a commencé depuis bien longtemps. La communication dans les journaux, la presse écrite, les organes audiovisuels, les campagnes d’information et de désinformation, il y a toujours quelque part, le pouvoir de l’argent. Ce n’est pas seulement au Bénin, mais dans tous les pays de la sous-région et au-delà, du continent africain. Le pouvoir de l’argent est réel. Je crois qu’il faut que nous analysions aujourd’hui un phénomène comme celui-là et que nous identifiions les différentes formes de la corruption, de l’achat des consciences. Il me semble que c’est l’une des nombreuses pistes de réflexions sur lesquelles nous devons nous engager aujourd’hui.

L’He Valentin Djènontin : « c’est un peu comme si on avait donné une date de péremption à la conférence et nous sommes en train de vivre les derniers jours… »

Je me demande si nous avons véritablement encore un acquis au complet. Quelqu’un a parlé de l’armée qui constitue le seul acquis, encore que là, je me demande si c’est intégralement. J’avoue franchement que tel que les choses évoluent, c’est un peu comme si on avait donné une date de péremption à la conférence et nous sommes en train de vivre les derniers jours peut-être du principe actif de cette assise nationale. Tout est parti. En ce qui me concerne, il urge que l’on se retrouve pour réfléchir à nouveau sur notre manière de vivre ensemble. Loin de moi l’idée de dire que c’est ces deux dernières années. Depuis un moment, cette réalité s’imposait à nous. Certainement que les données sociologiques, historiques, sociales, économiques ont changé entre-temps. La conférence nationale nous avait permis de faire des avancées politiques, mais pas économiques. Même au plan politique, avec le temps, nous vivons une politique sans éthique, sans morale. Je le dis avec honte parce que ça nous concerne plus, les gens de ma génération, et ceux qui sont plus jeunes que nous. Lorsque j’examine les différentes institutions de la République, plus aucune ne joue véritablement son rôle. Ne parlons même plus de l’Assemblée nationale.
Je voudrais demander à nos aînés de nous aider à avoir de ces espaces d’échanges pour profiter du minimum qui leur reste avant qu’ils ne meurent. Moi je suis un villageois. Il y a des valeurs morales fondamentales qui m’avaient été inculquées et c’est cela qui fait même la force de notre pays, de notre continent. C’est absolument important que nous retournions à nos valeurs.

Moukaram Badarou : « Notre démocratie est à la recherche d’un second souffle pour un développement durable »

Que reste-t-il des acquis de cette conférence ? Des valeurs patriotiques et citoyennes ? Des fondamentaux de la République ? Où en sommes-nous et que faisons-nous pour capitaliser ces acquis ? L’état des lieux n’est pas reluisant. Notre démocratie est à la recherche d’un second souffle pour un développement durable de notre pays, le Bénin. L’actuelle génération est défaillante à plus d’un titre. On veut tout et tout de suite au dépend l’intérêt général. L’argent dicte sa loi à tous les niveaux et sans état d’âme. Quel drame ? La priorité doit revenir à la patrie, et je voudrais compter sur le Président de la République et son gouvernement pour rétablir les différents équilibres. Chaque Béninoise et chaque Béninois devra y contribuer activement. J’ai la certitude que nous gagnerons à célébrer le 28 février et à rendre hommage au Président Mathieu Kérékou et à Mgr Isidore de Souza. Passer sous silence un tel jour est dangereux pour le présent et pour l’avenir. Ressaisissons-nous.

Gl Félix Hessou, Ancien ministre de la défense nationale
« …les militaires ont baissé les armes. Mais je constate que depuis 28 ans, nous n’avons pas relevé le défi de l’exactitude ou de la ponctualité. »
28 ans après la conférence nationale des forces vives, nous devons regarder le chemin parcouru et voir si nous avons effectivement vaincu la fatalité. Le temps de la réflexion est une économie du temps, dit-on. Réfléchir pour ne pas subir. Comme le disait l’Abbé Gbénou, il faut réfléchir sur ce que l’on est pour découvrir ce que l’on veut ou l’on doit être. A la Conférence nationale, les militaires ont réfléchi. En réalité, c’était les plus malheureux, parce que toutes les critiques ont visé les militaires. Après une longue réflexion, ils ont affirmé qu’ils ont pris acte et qu’ils vont retourner dans leur caserne pour se consacrer à leur mission originelle. D’une manière ou autre, les militaires ont baissé les armes. Mais je constate que depuis 28 ans, nous n’avons pas relevé le défi de l’exactitude ou de la ponctualité. C’est le premier défi que nous devons relever pour amorcer un réel développement.
Le troisième constat, c’est que la démocratie s’expose par ses faiblesses ou par les défauts de ses qualités. Le ministre Akindès a tout dit. Tout juste au lendemain de la conférence nationale, nous avons mené des études qui disent que le Bénin sera un pays phare d’ici 2025. Et depuis, nous ne travaillons pas pour bâtir les fondations de cette vision 2025. Nous devons nous prendre au sérieux. C’est aussi une autre forme de retard. On ne croit pas, au Bénin Alafia 2025. Si on y croyait, chacun doit travailler à arranger les choses. Cela commence par le système éducatif. En une semaine, nous avions réussi à décanter une grande crise sans précédent. Et nous avions réussi. Tous les autres pays qui nous ont imités, n’ont pas réussi. Et je me demande si nous vendons notre chère Conférence nationale des forces vives. Allez-y voir le Plm Alédjo. C’est une preuve que nous ne vendons pas nos acquis.



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