8ème législature : Nassirou Arifari Bako sans langue de bois

Moïse DOSSOUMOU 2 octobre 2019

Les législatives du dimanche 28 avril 2019, on en parlera encore pendant longtemps. Les conditions de la tenue de ce scrutin inédit à tout point de vue continuent de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Le faible taux de participation chiffré à 27% par la Cour Constitutionnelle est perçu à bien d’égards comme un manque de légitimité de la 8ème législature installée dans des conditions particulières de sécurité. Comme c’est de coutume au début de chaque législature, un séminaire parlementaire a réuni les 83 élus afin qu’ils soient nourris aux rudiments de l’Assemblée nationale. « Enjeux et défis de la 8ème législature de l’Assemblée nationale du Bénin ». C’est ce thème qui a servi de base aux travaux qui se sont déroulés les 19 et 20 septembre derniers au Bénin royal hôtel de Cotonou. De la série de communications qui ont meublé les travaux, un seul a fait l’objet de remous parmi l’assistance. Chose curieuse, elle a été donnée par un élu, Nassirou Arifari Bako qui a revêtu son étoffe de sociologue pour la circonstance.

Maître de conférences, l’élu n’a pas usé de la langue de bois pour exposer les vérités scientifiques à ses pairs qui n’en croyaient pas leurs oreilles. Que l’un d’entre eux se désole du taux de participation au point d’évoquer un déficit de légitimité de la 8ème législature avait tout l’air d’un crime de lèse-majesté. Et pourtant, Nassirou Arifari Bako l’a fait. Ses collègues se souviendront longtemps de sa communication intitulée « les défis de la fonction de représentation du parlementaire dans une législature élue avec un faible taux de participation au scrutin ».

Les faits…
Se fondant sur le fait que la désaffection des citoyens à l’égard du système électoral dans les démocraties modernes est analysée comme un indicateur du déclin de la participation politique et d’anomie dans le système démocratique, il avance que si en Occident, des taux autour de 60% de participation aux élections, on parle de catastrophe, on peut se demander le déluge de désaffection que peut représenter une élection législative avec moins de 30% de taux de participation sur la représentation des élus. « Le taux de participation apparaît comme un paramètre ou un déterminant de la mesure de la base populaire d’un parlement. Si la logique juridico-constitutionnelle qui préside à l’organisation des élections ne prend pas en compte le taux de participation en déterminant un certain seuil, elle peut apparaître à terme comme non légitime aux yeux des populations. L’élection peut revêtir toute la légalité conformément au code électoral, mais dans un contexte de très faible taux de participation, elle risque de ne plus apparaître comme un moyen efficace de détermination de la volonté populaire dans le processus de désignation des représentants du peuple. Il s’agit d’une pathologie politique, une anomie conjoncturelle qui peut biaiser si ce n’est discréditer le statut des représentants du peuple. C’est le cas au Bénin de la 8ème législature du parlement élue en avril 2019, qui a enregistré le plus fort taux d’abstention jamais connu en 30 ans d’expérience démocratique, alors même que la classe politique s’est engagée dans une réforme du système partisan qui vise une meilleure rationalisation du processus démocratique dans le pays, notamment dans son volet partisan et électoral. Les résultats sont mitigés et la montagne semble avoir accouché d’une souris : problème de conformité des partis avec la charte des partis politiques, code électoral contesté, protestation/indifférence de la population qui a sanctionné le processus par un abstentionnisme record ».
Contrairement à la plupart de ses pairs qui font l’apologie de la 8ème législature, Nassirou Arifari Bako, dans sa posture de scientifique, se veut plus réservé. Certes, il défend la thèse selon laquelle, la 8ème législature a permis d’éviter un vide institutionnel et constitutionnel. « C’est un acquis fondamental du point de vue de la légalité », a-t-il affirmé. Très inspiré, l’enseignant martèle que le principe de la souveraineté déléguée exige que la représentation nationale soit le reflet de la diversité d’opinions qui existent au sein du peuple. Or, avec la législature actuelle, il n’y a qu’une seule coloration qui soit représentée à travers deux entités partisanes issues d’une même souche initiale soutenant l’action du gouvernement. « Comment en est-on arrivé à un tel scénario de représentation parlementaire monodirectionnelle ? », s’est exclamé le sociologue.

Diversité rime avec opposition
« Si l’existence d’un parlement n’est pas la seule mesure de la démocratie dans un pays, il est tout de même l’institution majeure de la représentation du peuple. A ce titre, il est l’expression de la diversité d’opinions au sein du peuple. La qualité du processus de désignation des parlementaires doit être irréprochable. La démocratie moderne, loin d’être seulement représentative, met en pratique le principe de la séparation des pouvoirs. En raison de la séparation des pouvoirs, le parlement est devenu le cœur de la démocratie, où s’exprime la volonté du peuple souverain. Le parlement est le lieu de cohabitation du couple majorité-opposition… Il est largement admis que le parlement contribue à la pacification de la vie politique, d’où la nécessité d’avoir une représentation pluraliste. Un parlement pluraliste est, dit-on, une alternative à la guerre civile ».
Partant de là, Nassirou Arifari Bako formule une série d’interrogations. « Est-il acceptable qu’un quart du corps électoral élise les membres d’une représentation nationale dans un pays, quelles que soient les circonstances du moment ? Comment avoir une minorité de blocage dans un parlement monocolore ? Comment envisager la question de la représentation pour des élus issus d’un tel processus avec le divorce relatif d’avec l’électorat ? Si l’abstentionnisme est l’expression de l’adhésion des électeurs à la cause des « exclus », alors, la thèse de l’usurpation électorale semble plausible. Si par contre, l’abstentionnisme est le fait de l’indifférence, alors on peut affirmer que les élus ont la légalité mais souffrent d’un déficit de légitimité qu’un bon exercice de la fonction de représentation peut permettre de corriger avec le temps. »

Les défis de la légitimité
Ils résident selon l’enseignant dans la résolution du problème de l’exercice de la responsabilité sociale des élus. Cela repose essentiellement sur l’éthique et la transparence dans le comportement, la quête permanente de l’efficacité dans l’action, des actions concertées avec d’autres acteurs concernés et l’utilisation des moyens de contrôle parlementaire. Cette responsabilité sociétale que Nassirou Arifari Bako appelle de tous ses vœux a pour conséquences la facilité d’accès aux députés, la multiplication des rencontres périodiques avec les populations, des visites de terrain dans les hôpitaux, écoles, marchés ou prisons, des rencontres avec les acteurs clés de la vie économique et sociale du pays, la prise en charge des doléances des populations et un partenariat actif avec les organisations de la société civile.



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