A l’occasion des échanges de vœux de nouvel an au Parlement : Houngbédji répond à ses détracteurs

Karim O. ANONRIN 12 janvier 2018

L’Assemblée nationale, 7ème législature a organisé ce jeudi 11 janvier 2018, deux cérémonies d’échanges de vœux ; l’une entre le président de l’institution, Me Adrien Houngbédji et le personnel civil et militaire et l’autre entre le président et ses collègues députés. Au-delà des bons vœux échangés de part et d’autre, la cérémonie entre le président Adrien Houngbédji et ses collègues a été pour celui-ci, l’occasion de répondre point par point à ses détracteurs qui l’accusent de mauvaise gestion de l’institution parlementaire ou d’être de connivence avec le pouvoir du président Patrice Talon. Que ce soit la question de la convivialité qui doit exister entre les députés de la minorité parlementaire et ceux de la majorité parlementaire, la question du supposé non respect des décisions de la Cour constitutionnelle par le Parlement, son assignation par le fils d’une députée pour non respect de la décision de la Cour constitutionnelle relative au Cos-Lépi, l’incident du 21 décembre 2018 où il a dû interrompre une déclaration du député de la minorité parlementaire Guy Mitokpè à la tribune de l’hémicycle, et la question du retrait du droit de grève aux magistrats et agents de la santé, le président Adrien Houngbédji, n’a pas fait la langue de bois. Néanmoins, le président Adrien Houngbédji a émis le vœu que malgré les différences de points de vue et d’obédiences politiques au Parlement, la convivialité continue d’avoir droit de cité tel que c’est le cas depuis environ 3 ans.

LES GRANDS AXES DE LA DECLARATION DU PRESIDENT ADRIEN HOUNGBEDJI
-Vœux pour plus de convivialité entre députés de la minorité et de la majorité
« …Je vous remercie avec beaucoup d’émotion pour les bons vœux que vous m’avez adressés à travers l’allocution prononcée par monsieur le 1er vice-président. Je voudrais témoigner à chacune et à chacun de vous, toute ma gratitude pour la manière fort encourageante avec laquelle vous et moi, nous nous acquittons de la mission que le peuple béninois nous a confiée à la tête de cette Assemblée nationale, et notamment pour l’esprit d’ouverture et de convivialité qui continue de caractériser notre Parlement. Nous sommes dans une institution qui a ses traditions, et parmi celles-ci, il y a des moments uniques, des moments empreints de solennité qui nous rassemblent, qui continuent à renforcer cette convivialité. C’est le cas aujourd’hui... »

-A propos du retrait du droit de grève aux magistrats et aux agents de la santé
« …Avec votre précieux concours et votre indispensable contribution, nous avons adopté des textes essentiels qui changent le quotidien des Béninois. Le 1er Vice-président, dans son allocution, en a dressé la liste. Il ne me paraît pas nécessaire d’y revenir. Cependant, je voudrais, puisque nous en avons commencé l’étude avant 2018, rappeler quelques unes de ces lois, notamment les récentes lois que nous avons votées sur le statut de la police républicaine, sur le Conseil supérieur de la magistrature et sur le statut de la magistrature. Cette dernière loi fait couler et fera couler beaucoup d’encre et de salive. Ce n’est pas sans un certain pincement de cœur que nous l’avons votée. Nous sommes les uns et les autres les héritiers de la tradition démocratique installée au Bénin depuis la conférence des forces vives de la Nation. Lorsque je scrute le regard de chacun d’entre vous, je n’en vois pas un seul qui ne soit pas l’héritier de cette conférence nationale. Le droit de grève des Magistrats est le fruit d’un long combat. Je me souviens, lorsque j’étais moi-même élève-magistrat, nous n’avions même pas le droit de nous syndiquer, à plus forte raison le droit de faire grève. En France, je me souviens que ce sont les magistrats de ma promotion qui ont mené le combat pour le droit syndical et le droit de grève, et qui ont mené ce combat victorieusement. Ce que nous avons fait ici est dans la continuité de ce combat. Je le répète, c’est avec un véritable pincement au cœur que nous avons voté cette loi. C’est peut-être le moment et le lieu d’une introspection. Pourquoi l’avoir votée ? Demain, nous recevrons ici le collectif des centrales syndicales qui viendront exprimer leurs préoccupations. Nous avons épuisé nos attributions. Nous avons voté cette loi. Normalement, le collectif devrait s’adresser à une autre institution. C’est pourtant ici qu’il viendra. Pourquoi ? Parce qu’il sait que vous êtes les représentants du peuple. Vous êtes leurs représentants et vous êtes attentifs à leurs cris. C’est aussi le lieu de dire que s’ils veulent nous amener à renoncer au fruit d’un combat que nous avons mené ensemble, c’est en raison des abus que nous avons tous notés dans l’exercice de ce droit. Lorsque le corps de la santé se met en grève, ce sont des vies humaines qui sont en danger. Ce sont des vies humaines qui se perdent. Il faut qu’un code de conduite règlemente l’usage de ce droit de grève. Nous sommes tous témoins des drames auxquels nous assistons. Pouvions-nous rester les bras croisés. Il en est de même du droit de grève des magistrats. Nous aurions aimé ne pas toucher à ce droit. Nous avons dû le faire parce que des abus sont connus dans l’exercice de ce droit. C’est mon devoir de le dire. Je ne sais pas quel sort sera réservé à cette loi par la Cour constitutionnelle. Mais quel que soit ce sort, nous respecterons les décisions de la Cour constitutionnelle… »

-A propos du respect des décisions de la Cour constitutionnelle.
« …Il n’est pas imaginable que l’Assemblée nationale n’exécute pas les décisions de la Cour constitutionnelle. Mais de même que nous devons respecter les décisions de la Cour constitutionnelle, nous devons aussi respecter notre règlement intérieur. Nous devons respecter aussi notre Constitution. C’est ce que nous avons fait à propos de la décision concernant le Cos-Lépi qui nous vaut également beaucoup de difficultés. Nous avons agi dans le respect du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; c’est-à-dire de la Constitution. Notre règlement intérieur veut que notre Assemblée nationale soit maîtresse de son ordre du jour contrairement à d’autres pays où l’ordre du jour de l’Assemblée nationale peut lui être imposé par une autre institution, notamment le gouvernement. Ici au Bénin, l’Assemblée nationale est maîtresse de son ordre du jour. Ici au Bénin, aucun dossier ne peut être examiné en plénière s’il n’est pas d’abord examiné en commission. Ici au Bénin, il n’est pas possible d’adopter une procédure d’urgence si 10 députés au moins ne la réclament. Il n’est pas possible de faire droit à cette demande de procédure d’urgence si la moitié plus un des députés ne l’accepte. C’est ça la loi. C’est ça le droit. Et le vieil homme que je suis, attaché aux principes de droit et à la loi, parce que c’est mon devoir, se doit de faire respecter la loi. Je souhaite qu’on en prenne conscience… »

-A propos de son assignation par un citoyen pour non désignation des représentants du Parlement au Cos-Lépi.
« …Nous avons appris par voie de presse qu’une procédure d’assignation aurait été engagée contre le président de l’Assemblée nationale pour avoir respecté le règlement intérieur ; c’est-à-dire respecté la Constitution. D’ailleurs, j’ai appris que l’auteur de la procédure est une progéniture de l’un de nos collègues. Les enfants ne sont pas forcément liés à ce que font leurs parents. Je n’ose pas qualifier la procédure. Je dirai qu’elle est malheureuse. Je voudrais dire et répéter qu’il n’est pas possible que l’Assemblée nationale ne respecte pas les décisions de la Cour constitutionnelle. Je voudrais aussi dire qu’il n’est pas possible que l’Assemblée nationale ne respecte pas son règlement intérieur et la Constitution. J’ai fait ce petit aparté en parlant de la loi sur la grève. J’ai dit que d’autres problèmes pourraient se poser. Le règlement également, on le respecte ainsi que les dispositions de notre Constitution. Ce qui nous a caractérisés pendant ces trois années, c’est une espèce d’éthique, une espèce de respect des uns et des autres. Je voudrais vous en féliciter… »

-A propos de l’interruption d’un message du député Guy Mitokpè à l’hémicycle
« …Rappelez-vous, dans la nuit du 20 mai 2015, l’ambiance dans cette Assemblée nationale était une ambiance exceptionnelle. On ne pouvait pas se parler. Mais nous avons réussi en 3 ans à faire de cette Assemblée nationale, l’Assemblée de tous les députés. Tout en respectant nos convictions, tout en respectant les différences d’opinions entre nous, nous en avons fait un lieu où l’on se respecte les uns les autres. Du respect que nous nous vouons les uns aux autres dépendra le respect que l’opinion publique, que le peuple béninois aura pour notre institution. Moi je voudrais vous en féliciter. Quand on nous voit travailler, quand on nous voit cheminer, on n’a pas l’impression que nous avons de profondes divergences. Je sais qu’au début de la législature, un ou deux collègues de la majorité parlementaire ont essayé de tenir des propos considérés comme agressifs. Vous en êtes témoins. Bien que je fusse de cette majorité, ces collègues ont été rappelés à l’ordre pour ne pas gâcher l’ambiance. Certains sont députés aujourd’hui parce qu’ils le sont devenus comme suppléants et n’ont pas assisté à cette période de notre démarrage des travaux. C’est grâce à cette fermeté et grâce à votre compréhension que nous avons fait de cette Assemblée nationale, un lieu de respect et de convivialité. Je souhaite que nous continuions. Nous ne gagnons rien à transgresser à ce code de bonne conduite qui a caractérisé notre Assemblée nationale. Les événements du 21 décembre ont été des événements douloureux. Douloureux pour le président que je suis. Pourquoi ? Parce que j’ai vu s’effondrer en l’espace de quelques minutes, un travail acharné de 3 ans pour faire de notre Assemblée nationale, une Assemblée digne de respect. J’en parle parce que cet incident a beaucoup affecté. La presse s’en est saisie, les réseaux sociaux, et très vite, ce qui a été une mesure d’apaisement a été traduit comme une mesure de rétorsion. Lorsque j’ai rappelé notre collègue à l’ordre à trois reprises, je dis bien à trois reprises, lui demandant de modérer ses propos, la logique de notre règlement intérieur aurait voulu que je sanctionne. C’est ce que dit notre Règlement intérieur. Je voyais la fièvre, la colère monter de l’autre côté, et très vite a défilé dans ma tête, la possibilité qu’on s’en prenne les uns aux autres, qu’on s’injurie, qu’il y ait des altercations et qu’on en vienne aux mains. Et sagement, j’ai suspendu la séance. Je n’ai pas sanctionné. J’aurais pu le faire. Je ne l’ai pas fait aussi parce que le collègue auteur de l’incident est un jeune collègue. C’est sa première législature. Et je sais que la veille de l’incident, il m’a envoyé un message m’annonçant qu’il allait créer un problème. Le jour de l’incident, il est passé me voir, me disant qu’il allait créer un problème. Je l’ai exhorté à la modération. Je n’ai pas réussi et ce qui devait arriver est arrivé. Je souhaite de tout mon cœur, qu’un pareil incident ne se produise plus. J’étais en Europe, lorsque j’ai appris cette assignation qui a été engagée contre le Président de l’Assemblée nationale par un quidam accompagné de quatre avocats. Ils demandent à attraire le Président de l’Assemblée nationale devant le tribunal pour motif qu’il aurait fait obstacle à l’exécution d’une décision de la cour constitutionnelle. Mais vous savez que nous sommes dans un pays où tout le monde ne comprend pas toujours, de la même manière, et cela a été compris comme une condamnation du président de l’Assemblée nationale à payer une astreinte de 100 millions Fcfa par jour. Je voudrais vous montrer que les dérives qui partent de l’Assemblée nationale ont des répercussions énormes sur l’ensemble de l’institution. Ce n’est pas de ma personne qu’il s’agit. Il s’agit de l’institution Assemblée nationale du Bénin. Je souhaite très sincèrement à l’orée de cette année 2018 que la minorité et la majorité parlementaire prennent conscience de ce que cette image dont a parlé le 1er Vice-président tout à l’heure ne peut être sauvegardée que si les uns et les autres y mettent les leurs. Ce n’est pas un problème de personne… »
Propos recueillis par Karim Oscar ANONRIN



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