Complémentarité entre démocratie et développement

7 mai 2024

Démocratie et développement forment un couple qui se renforce mutuellement malgré les défis. Vouloir les opposer comme si l’un excluait l’autre est problématique pour l’Afrique subsaharienne. Le sous-développement dans cette région du monde n’est pas imputable au régime démocratique. Il est plutôt relatif à la mauvaise gouvernance, au non-respect du contrat social par les dirigeants et à la méfiance accrue des citoyens à leur égard. L’absence de vision, des choix de politiques publiques hasardeux, des réformes exclusives à impact limité combines à des problèmes de capacité et d’efficacité de certains Etats, peuvent difficilement conduire au développement. De grandes démocraties comme la Norvège, la Nouvelle Zélande, l’Islande, la Suède, etc. ont atteint un niveau élevé de développement. Estimer que cela est impossible pour l’Afrique subsaharienne est une erreur.

1. Défis de la démocratie
La démocratie, favorisant l’égalité entre citoyens dans un Etat de droit, fait face à certaines résistances. Non pas du fait des principes démocratiques, mais du fait du contexte de certains pays d’Afrique subsaharienne. Le coût de la démocratie, en particulier des élections ou celui du fonctionnement de certaines institutions est un argument récurrent. Ainsi, selon certains, les élections sont une formalité (notamment quand le jeu électoral est faussé et le pouvoir pris en otage par un système) ou certaines institutions sont plus budgétivores qu’« utiles », autant s’en passer et utiliser cet argent en faveur du développement. La démocratie est considérée par les tenants de cette théorie comme un luxe entretenu au détriment du développement en Afrique subsaharienne.

2. Défis économiques et de développement
Dans un pays où le secteur privé est réduit à sa plus simple expression ou à quelques acteurs, il lui est impossible d’être un moteur de la croissance économique. En outre, la dépendance économique et technologique de certains pays d’Afrique subsaharienne vis-à-vis des puissances mondiales constitue un défi de taille. La domination économique et technologique exercée à travers l’aide extérieure a des répercussions sur les choix politiques et stratégiques de certains dirigeants ou cadres africains. La corruption facilitant, ceux-ci se montrent loyaux envers des puissances étrangères plutôt qu’envers leur pays ou leur peuple, pour préserver leur pouvoir ou s’enrichir.
Même en présence de dirigeants bien intentionnés, la réalité du pouvoir et l’immensité de la tâche peuvent ne pas rendre les choses évidentes. Presque tous les secteurs sont jugés prioritaires en raison du faible niveau de développement, mais aussi de l’inadéquation de certaines politiques publiques. Des budgets colossaux sont adoptés, mais les projets sont parfois abandonnés faute de financements ou insuffisamment exécutés faute de capacité effective. Les ressources limitées obligent à un arbitrage entre divers secteurs tous critiques (éducation, santé, agriculture, industrialisation, énergie, infrastructures, sécurité, culture, tourisme, etc.).
Il faut repenser l’accès aux financements, préférer des prêts concessionnels qui mobilisent « l’argent le moins cher possible » pour financer de gros programmes d’investissements structurants à long terme en vue de conquérir une relative indépendance économique. Quand bien même la viabilité de la dette d’un pays présente un risque modéré de surendettement, il lui faut par ailleurs assurer une réelle capacité d’absorption des chocs en particulier dans un environnement global de crises à répétition. Ainsi, étendre l’assiette fiscale sans pour autant asphyxier les contribuables est également un élément clé.

3. Faiblesses des régimes forts ou hybrides
Des régimes prétextent des difficultés économiques, la limitation des ressources, la cherté du coût des élections et des institutions pour imposer des dictatures « éclairées » ou des régimes hybrides. Leur véritable défi, c’est la durabilité et la stabilité sur le long terme au-delà du leader sur lequel tout repose car, généralement, dès que le leader omniscient et omnipotent disparaît, c’est « le déluge ». C’est la problématique du dirigeant fort vs les institutions fortes. Les résultats et acquis peuvent très vite s’effondrer lorsque cette personne n’est plus aux commandes et le pays court un risque majeur de déstabilisation par la même occasion. D’où les problèmes de succession et les velléités de maintien au pouvoir. De tels dirigeants cherchent à pérenniser leur règne par eux-mêmes ou à travers un dauphin supposé « loyal » car seul susceptible de garantir les intérêts particuliers, notamment après le départ du « leader éclairé ». Les régimes « hybrides ou forts » prônent les restrictions des libertés civiques, par manipulation ou opportunisme.

4. Tandem démocratie et développement
La démocratie en Afrique subsaharienne est en construction. La récente élection présidentielle au Sénégal qui a vu la victoire du candidat de l’opposition radicale Bassirou D. Faye, dès le premier tour, malgré la présence d’un candidat du président sortant en est une parfaite illustration. Les citoyens et les institutions du Sénégal ont défendu leur démocratie face à l’arbitraire et aux intimidations. Malgré les erreurs, errances, reculs et atermoiements des processus démocratiques en Afrique subsaharienne, leur rejet ne peut être la solution.
Il est important de faire la part des choses. Les échecs des réformes ou politiques publiques ne signifient pas l’échec de la démocratie. Il s’agit plutôt de mauvaise gouvernance engendrant inégalités, faiblesse des services de base, corruption, fuite des capitaux, accaparement de l’État par les élites et les intérêts privés, instabilité, insécurité et parfois revirements politiques, coups d’États etc. Inversement, « une bonne gouvernance, à savoir une redistribution équitable des richesses et des ressources, des transferts raisonnés en faveur de l’éducation, de la santé, débouche sur des conditions de vie meilleures et sur une réduction irréversible de la pauvreté. Les effets sont rapidement efficaces : l’amélioration des droits humains, l’efficacité de l’administration et des régulations publiques, la lutte contre la corruption, le respect de règles de droit . »
Démocratie ne veut pas dire laxisme ou anarchie. Dans un Etat de droit, les personnes responsables d’abus, de crimes économiques doivent être poursuivies. Un Etat de droit suppose des règles à respecter par tous. Reddition de comptes et sanctions positives comme négatives doivent être la règle. La démocratie représentative ne suppose pas, pour le peuple, de renoncer à son pouvoir. À travers les élections, le contrôle et le débat citoyens, le peuple doit s’assurer que les élus mandatés respectent le contrat social.
La démocratie ne doit pas être perçue comme une utopie ou un luxe pour les pays du Sud, en prenant pour modèle des régimes « forts » en Afrique ou ailleurs . La croissance macroéconomique ne se traduisant pas mécaniquement en développement social, l’Indice de développement humain (IDH) dans ces contrées aux mains de régimes forts permet de relativiser leur niveau réel de développement au-delà de l’aspect purement économique. Bien au contraire, une bonne politique de redistribution s’impose si on veut que les dividendes du développement soient durables et équitables pour tous les citoyens. La démocratie et les sociétés ouvertes offrent une telle opportunité à travers des dirigeants légitimes, des contre-pouvoirs, une gouvernance inclusive et transparente avec une participation citoyenne effective.

Pistes de réflexion
« Le développement institutionnel a toujours été un processus extrêmement lent qui s’étend sur des décennies, voire des siècles. » C’est ainsi qu’il est difficile de trouver en Afrique des démocraties « pleines » , excepté l’île Maurice. Mais des pays comme le Botswana, le Cap Vert et l’Afrique du Sud bien que considérés comme des démocraties « imparfaites » montrent que l’espoir est permis. D’autant plus que l’Afrique du Sud et Maurice ont également un indice de développement humain élevé. Ce n’est donc pas une utopie en Afrique subsaharienne d’aspirer au développement socioéconomique construit sur les valeurs démocratiques.
Au niveau économique, un secteur privé diversifié et performant, une industrialisation progressive et une liberté fiscale pourraient contribuer à affranchir les pays africains, mais cette combinaison de facteurs fait souvent défaut.
Les pays ayant des ressources naturelles doivent trouver la meilleure formule pour leur exploitation sans pour autant se faire « asservir » par des puissances étrangères au détriment des populations. Le Botswana est un exemple de pays riche en diamants, ayant réussi à mettre en place une politique efficace de gestion des ressources naturelles.
La transformation des matières premières dans un processus d’industrialisation avant toute exportation reste la voie idéale pour générer des emplois décents au profit de la jeunesse et limiter l’immigration et les désastres humains dans la méditerranée.
En ce qui concerne le problème de l’effectivité de la « souveraineté » et des enjeux géopolitiques et stratégiques, seul l’essor économique et technologique véritable des pays africains peut contribuer à asseoir leur indépendance politique et à limiter l’impact parfois négatif de l’« aide » extérieure.
Démocratie, bonne gouvernance et développement se renforcent mutuellement. L’être humain aspire naturellement à la pleine jouissance de sa liberté. Les restrictions sont communément acceptées par un cadre légal juste, équitable et non abusif.
Nadia Nata



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