Défaut de bilan prénuptial avant le mariage : L’amour à l’aveuglette… la descendance en danger

La rédaction 14 août 2018

Ils sont nombreux les jeunes qui amorcent le processus du mariage sans penser à faire des tests prénuptiaux. Pourtant, l’émergence des maladies sexuellement transmissibles (Mst) et des pandémies comme le Syndrome de l’Immunodéficience acquise (Sida), de même que les maladies génétiques poussent aujourd’hui parents et autorités ecclésiastiques à être plus exigeants à l’égard des candidats au mariage. Cependant, force est de constater qu’au nom de l’amour, les jeunes se mettent les bagues aux doigts sans ce préalable, toute chose qui n’est pas sans conséquences sur leurs progénitures.

Le bilan prénuptial est un ensemble d’examens de laboratoire qui précèdent l’union des fiancés. Ce bilan vise à prévenir la survenue des maladies héréditaires ou congénitales handicapantes à la descendance des couples. Malheureusement, nombres personnes s’en préoccupent très peu, et cela paraît d’ailleurs pour des gens d’une certaines générations, à cause du déficit d’informations. « C’est une gifle que j’ai reçu de ma tante quand j’ai demandé à faire le test avant le mariage », confie avec regret Judith, une jeune mariée rencontrée au quartier Cococodji, dans la commune d’Abomey-Calavi. Elle doit faire face aux problèmes sanitaires de son enfant drépanocytaire. « Je t’aime malgré tout. Notre amour est inconditionnel. Je ne puis vivre sur cette terre sans toi. Laissons tout à Dieu car il s’en chargera ». Voilà l’un des récitals sous lesquels certains jeunes s’abritent pour transgresser le principe médical qui consiste à faire les tests prénuptiaux avant de se mettre en couple.
En effet, un quart d’heure d’échange avec Missigbe, chef d’une collectivité à Sékou dans la commune d’Abomey-Calavi a permis de comprendre qu’il est nécessaire de contraindre les jeunes à faire l’examen médical avant toute union pour la sécurité de l’avenir du couple. A l’en croire, avec l’évolution de la médecine, il n’y pas de raisons qui puissent justifier le fait que les jeunes se le refusent. « Nous, par le passé, nous n’avions pas eu la chance de connaître ces moyens de préventions. Aujourd’hui les choses ont évolué. On se mariait sans précautions et les conséquences ne tardaient pas à s’en suivre », a expliqué Dakpogan. En réalité, poursuit-il, cette pratique n’est pas une habitude africaine encore moins béninoise. Cependant, entre deux maux, il faut choisir le moindre. « D’aucuns diront que nous copions bêtement le blanc, mais je leur répondrai par la négative, parce que, de plus en plus, la médecine traditionnelle s’y intéresse aussi », a-t-il ajouté.

Inattention fatale
A Abomey-Calavi, plusieurs ménages souffrent à cause de leur imprudence. C’est le cas d’Isidore, 37 ans, enseignant d’Anglais au cours secondaire, qui depuis des décennies vit une situation compliquée avec sa petite famille. 10 ans déjà de vie de couple et le foyer est loin d’être épanoui. « Je regrette énormément de m’avoir mis ensemble avec ma partenaire. Nous souffrons beaucoup parce que mon aîné ne cesse de faire tout le temps des crises d’anémie », se désole-t-il.
Il confie aussi que ces dépenses quotidiennes font trois fois sa rémunération mensuelle et que par conséquent l’avenir du couple est incertain. Dame Aurelie, revendeuse à Abomey-Calavi, confie avoir pris ses distances avec son premier amour à cause de l’incompatibilité génétique. « Je suis AS donc je ne devrais pas me marier avec un homme comme moi. Malheureusement, il s’est fait que je suis tombée sur un homme du genre. Malgré nous, nous avions rompu… Déjà, je voyais la fille du voisin se tordre de douleur jour et nuit parce qu’elle a hérité de ses parents une maladie atroce. La décision a été donc claire ».

Tests prénuptiaux, un virage obligatoire
Pour Jacques, âgé de 19 ans, étudiant à l’Université d’Abomey-Calavi, rencontré au département de Science technique, il n’est pas question de laisser tomber son conjoint ou sa conjointe sous prétexte que les tests prénuptiaux révèlent des résultats défavorables. « Quand l’amour que vous ressentez entre vous est si fort, il serait difficile d’arrêter la relation. Sinon, en le faisant, c’est que vous vous brisez inutilement le cœur et votre chance de trouver un tout nouveau partenaire qui serait comme le précédent est limitée », a-t-il déclaré avant d’ajouter que la médecine détient désormais des moyens suffisants pour éviter que les enfants héritent certaines maladies de leurs géniteurs. Selon Achille Sodégla, Sociologue, enseignant chercheur à l’Uac, l’amour ne doit pas servir de prétexte aux jeunes pour ne pas faire l’examen médical. Cependant, soutient-il, les résultats du bilan prénuptial ne visent pas forcément à séparer deux personnes qui s’aiment ; l’amour de l’une pour l’autre peut être plus fort que les difficultés à venir : le cœur a des raisons que la science ignore.
Dr Henri, médecin généraliste d’un cabinet médical de la place, pense plutôt le contraire. A l’entendre, la vie à deux est déjà difficile du fait des différences entre les conjoints. Il est alors bon de prévenir tout autre élément qui en rajouterait aux difficultés. « L’amour ne peut pas voiler la réalité. Vous aimez votre fiancé (e), s’il a le Sida, voulez-vous aussi le contracter ? Vous aimez votre fiancé(e), vous êtes tous deux porteurs de l’hémoglobine AS, êtes-vous prêts à assumer la prise en charge d’un enfant anémique avec toutes ses crises ? », s’est-il interrogé. « Le mariage est une question trop sérieuse ; il y va d’être heureux ou malheureux toute sa vie », disait Molière. A chacun de se faire sa religion.
Arnaud SOGADJI (Coll.)

Interview avec Dr. Josiane Mehou : « Les drépanocytaires vivent longtemps… nous suivons des sujets qui ont 60 ans »
« L’amour a ses raisons que la raison ignore ». Cette assertion pousse nombre de personnes à se mettre en couple sans chercher à connaitre leur état génétique, d’où le risque de transmettre la drépanocytose à leur progéniture. Dans l’interview ci-dessous, le médecin généraliste en service Hématologie au Cnhu de Cotonou, Josiane Mehou a, après avoir expliqué le mal, rassuré qu’il n’est plus une fatalité dans la vie des personnes atteintes.

Qu’est-ce que la drépanocytose ?
La drépanocytose est une maladie de l’hémoglobine, c’est-à-dire une hémoglobinopathie constitutionnelle. En fait, lorsqu’on dit que la drépanocytose est une hémoglobinopathie, c’est qu’elle est une anomalie génétique liée à la substitution d’un acide aminé appelé acide glutamine par un autre acide aminé dans la protéine qu’est l’hémoglobine. Or, l’hémoglobine se trouve dans le globule rouge, l’un des constituants du sang humain. Donc, la drépanocytose est une anomalie liée à l’hémoglobine qui est responsable de la couleur rouge du sang. C’est la raison pour laquelle la drépanocytose est appelée une maladie du sang qui a des manifestations osseuses. De ce fait, il faut comprendre que ce mal est dû à une anomalie liée au gène de la personne malade. En fait, cette dernière naît avec le mal. Ce n’est pas comme le paludisme où le microbe est transmis par la piqûre d’un moustique. Donc, cette maladie est due à une mutation génétique, cela signifie que les gènes qui sont dans le corps du patient ont été transformés déjà au moment de la formation de son organisme.

Comment s’opère cette mutation génétique ?
C’est une maladie héréditaire. Si un enfant est découvert porteur de la drépanocytose et que ses parents ne le sont pas, c’est qu’il y a eu une erreur de diagnostic au niveau des parents. Nous rencontrons souvent de ces cas. Et, cela porte préjudice à la femme. Dans ces genres de situation, c’est que l’enfant est découvert drépanocytaire et le père dit : « même si toi tu es AS, moi je suis AA, je ne suis pas malade. Comment peux-tu alors faire un enfant malade ? Cependant, finalement, lorsqu’on reprend l’électrophorèse quantitative de l’hémoglobine chez le père, on découvre qu’il est aussi AS, c’est-à-dire qu’il est bel et bien porteur de la maladie ; soit il est porteur d’une hémoglobinopathie majeure ou mineure telle que les thalassémies. C’est donc clair que pour qu’un enfant soit déclaré drépanocytaire, il faut forcément la mutation génétique chez ces deux parents.

Comment se manifeste la maladie ?
La crise vaso-occlusive est la manifestation la plus connue et la plus répandue de la drépanocytose. Elle est révélatrice du mal chez les enfants. Cette crise vaso-occlusive se manifeste par des douleurs très intenses au niveau des articulations et des os, lesquelles douleurs surviennent selon divers facteurs. Chez le nourrisson, il y a également le syndrome main-pied ou polydactylie aiguë qui est un gonflement des mains et des pieds douloureux chez le bébé.
La drépanocytose présente d’autres manifestations de façon générale appelées les complications aiguës telles que l’anémie ; la diminution du taux d’hémoglobine dans le sang qui se révèle par une pâleur au niveau des yeux ou des mains chez la personne malade. Il y a également les infections qui se manifestent par la fièvre, ainsi que plusieurs types d’infections principales à savoir : pulmonaires (toux, fièvre), urinaires, osseuses (ostéomyélites et les ostéites) et au niveau du foie (cholécystite aiguë, hépatites).
En dehors des infections, on a le syndrome thoracique aigu, les lithiases, les AVC qui sont une autre complication aiguë ; le priapisme (cela se voit chez le sujet de sexe masculin et est une érection douloureuse du pénis. Ceci est différent de l’érection normale en période de désir sexuel qui n’est pas douloureuse) ; l’hémolyse intravasculaire aiguë (c’est-à-dire que les globules rouges se cassent dans les vaisseaux et cela fait avoir au patient des urines très foncées, et même de couleur coca-cola).
Les manifestations chroniques sont aussi de mise : l’ostéonécrose de la tête fémorale (la tête du fémur se ronge avec le temps. Déjà à l’âge de sept ans, cela peut être remarqué chez le patient), l’ulcère de jambe (c’est une plaie qui apparaît au niveau des chevilles qui guérit très difficilement. Chez certaines personnes, cette plaie peut prendre des mois, voire même des années sans guérir) ; l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, la rétinopathie drépanocytaire (troubles de vascularisation au niveau de l’œil pouvant rendre aveugle au stade ultime), trouble d’audition (pouvant conduire à la longue à la surdité et se retrouve souvent chez les malades adultes).

A quel âge la drépanocytose peut-elle être détectée chez un individu ?
Déjà à partir de 8 mois, le diagnostic de la drépanocytose peut être fait.

Quelles sont les implications psychologiques, sociales et financières du mal ?
La drépanocytose est une maladie chronique qui ne se guérit pas, du moins actuellement au Bénin, nous n’avons pas de moyens de guérison définitive. Pour cela, les conséquences psychologiques et financières sont très lourdes. Commençons par les implications financières. En effet, ce sont des patients qui sont très réguliers à l’hôpital. On peut les voir chaque mois, à l’occasion d’une crise, d’une douleur ou d’une infection. Ainsi, ce sont d’énormes dépenses qui sont engagées.
Au plan psychologique, chez l’enfant, il a des retards scolaires, à cause des crises fréquentes. Pour cette raison, il ne parvient pas aller souvent au cours. Il n’est pas rare de voir l’enfant drépanocytaire avoir des crises à l’approche des examens parce que le stress aussi déclenche les crises de drépanocytose.

Quelles sont les précautions médicales prises pour soulager les patients ?
Au Bénin, nous avons la prise en charge des complications aiguës et chroniques. Elle est basée sur l’hyperhydratation lorsqu’on hospitalise le malade et qu’il est en crise, on lui apporte une grande quantité d’eau pour faire passer la crise de douleurs. A part l’hospitalisation et l’hyperhydratation, on peut être amené à faire des transfusions sanguines face aux anémies décompensées. Maintenant, il faut rechercher la cause de la crise. Cette cause peut être le stress, les changements de température (trop de chaleur ou de fraîcheur) qui ne dépendent pas forcément du patient. Il y a les infections pulmonaires et les infections urinaires qu’on peut prendre en charge avec des antibiotiques ; il y a aussi le paludisme qu’on prend en charge avec les antipaludéens et il y a les antalgiques et les anti-inflammatoires qu’on associe selon l’intensité de la douleur.

Quelles précautions doivent prendre les drépanocytaires pour être en bonne santé ?
Que le patient ait de crise ou non, il lui est recommandé de prendre au moins 3 litres d’eau par jour, notamment pour les adultes, parce que le fait d’apporter beaucoup d’eau à l’organisme limite la survenue de la crise. Hormis l’hyperhydratation à domicile, le drépanocytaire doit prendre de la foldine tous les jours pour empêcher l’anémie de s’installer. Donc, à part ces deux mesures, on recommande aux parents de vacciner les enfants dès le bas-âge et de poursuivre les rappels parce qu’il n’est pas rare de voir qu’après les vaccinations prévues par le programme élargi de vaccination (Pev), les parents ne s’intéressent plus au reste des vaccins. La plupart s’arrête à l’âge de neuf mois, mais le drépanocytaire est un patient très sensible aux infections, donc pour empêcher la survenue des infections graves, on leur recommande non seulement le Pev, mais également de suivre les rappels de vaccination jusqu’à l’âge adulte. En dehors de la vaccination, on leur recommande de se déparasiter régulièrement parce que ce sont des sujets qui sont normalement anémiés, alors s’ils font encore des infections parasitaires en plus des vers intestinaux, l’anémie va s’aggraver. Chez les enfants, on leur donne la pénicilline V pour faire une prévention des infections et la chloroquine pour faire la prévention du paludisme.

Est-ce que la drépanocytose est contagieuse ?
Non, la drépanocytose n’est pas du tout contagieuse. Son entourage n’a alors rien à craindre, et par ricochet n’a pas de précautions particulières à prendre dans ce sens.

Y a-t-il des mesures préventives contre l’anomalie génétique entrainant la maladie ?
La mesure essentielle pour empêcher la survenue de la drépanocytose, c’est déjà au niveau des parents. Quand ils sont encore en fiançailles, avant de se marier, il faut qu’il fasse l’électrophorèse de l’hémoglobine afin que chacun connaisse son électrophorèse. Car, lorsque deux parents AS se mettent ensemble, il y a 25% de probabilité qu’ils mettent au monde un enfant drépanocytaire SS ; 50% un AS ; 25% pour les enfants AA. Il n’est pas recommandé normalement que deux parents porteurs de traits S ou C drépanocytaires se mettent ensemble. Pour ce faire, la réelle prévention, c’est déjà au niveau des parents. Néanmoins, certains peuvent se savoir porteurs desdits traits et décider de se marier à cause de leur amour mais du point de vue médical, ce n’est pas recommandé.

Que faut-il faire, lorsque deux parents AS décident de se marier, pour qu’ils n’aient pas des enfants malades ?
Lorsque deux parents As se marient, il y a la possibilité de faire un diagnostic anténatal à partir d’un certain nombre de mois de grossesse. Vers la fin du deuxième trimestre, il est possible de faire une amniocentèse qui permet de savoir si l’enfant est drépanocytaire. Une fois, que l’enfant est connu drépanocytaire, il n’y a plus rien à faire pour l’empêcher de développer les manifestations plus tard à sa naissance, du moins actuellement au Bénin.
Cependant sous d’autres cieux, il y a les thérapies géniques qui sont très évoluées et qui permettent à la naissance de l’enfant, de recueillir le sang du cordon ombilical et de développer des méthodes pouvant servir des traitements à lui réinjecter plus tard pour lui permettre de mener une vie normale sans développer les manifestations de la maladie.

Quelles sont les précautions que doivent prendre les drépanocytaires en temps de fraîcheur, puisque nous y sommes ?
En dehors des mesures hygiéno-diététiques habituelles, c’est de se protéger contre le froid en portant des vêtements chauds et boire beaucoup d’eau, c’est tout. En effet, la fraîcheur comme l’excès de chaleur crée des troubles au niveau de la circulation sanguine. En fait, tout ce qui va entraîner des modifications au niveau de la circulation du sang, qui va faire que leurs globules rouges prennent une forme falciformée va produire la crise. La fraîcheur, par exemple, peut entraîner une déshydratation qui, à son tour, entraîne une falciformation de l’hématie allant conduire aux crises drépanocytaires.

Est-ce possible qu’un sujet atteint de ce mal ait une certaine longévité ?
Oui, de nos jours, les drépanocytaires vivent longtemps. Dans notre service, nous suivons des sujets qui ont 60 ans.
Propos recueillis par Sinantou ASSOGBA (Stag))



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