En visite au Vatican : Les confidences de Talon au Pape

La rédaction 22 mai 2018

En marge de sa visite de travail à Rome, le Chef de l’Etat Patrice Talon a échangé vendredi dernier avec le Pape François. Au terme de cette audience, l’hôte du souverain pontife s’est exprimé sur Radio Vatican, sur divers sujets de grande préoccupation au Bénin. Patrice Talon parle de sa vision de développement, justifie l’importance des réformes enclenchées, et se prononce aussi sur le schisme religieux au sein de l’église catholique.

Patrice Talon, vous êtes le Président de la République du Bénin. Vous venez pour la première fois au Vatican rencontrer le Pape. Comment cela s’est d’abord passé ?
J’ai eu la grâce de rencontrer le Pape aujourd’hui, en tant que Président de la République du Bénin et en tant que chrétien. Aujourd’hui, c’est une journée de grâce et les choses se sont très bien passées. J’ai eu le grand plaisir de découvrir la richesse du Vatican, la grandeur et la beauté des lieux et notre Pape. C’était un plaisir énorme.

Le Saint siège et le Bénin avaient signé en octobre 2016, quelques mois après votre arrivée au pouvoir, un accord cadre. Où en est-on monsieur le Président ?
L’accord cadre a effectivement été signé depuis 2 ans déjà. Il reste à échanger les instruments afin que cet accord entre en vigueur. Seulement que nos deux parties ont trainé un peu pour procéder à ces échanges. Cet accord va entrer en vigueur dans quelques jours.

Comment s’est passée votre visite chez le Pape ?
Ça s’est très bien passé. C’est vrai que j’ai eu le cœur qui battait très fort. Parce que, dans nos rêves les plus lointains, on ne pense pas avoir l’occasion un jour de se retrouver au Vatican en face du Pape, surtout pour un chrétien comme moi. Parce que j’ai été baptisé chrétien depuis mon enfance. C’est pour moi un jour de grâce. En tant que Président de la République, nous savons que le Bénin est un pays très religieux. Nous avons trois religions qui cohabitent pacifiquement. Il s’agit du christianisme, de l’Islam et les religions endogènes. Nous avons tous l’esprit chrétien dans le pays. Les valeurs de l’Eglise catholique sont partagées par tout le monde. En cela, la visite du Pape au Bénin est un évènement national. Cela s’est passé dans de très bonnes conditions. Nous avons parlé de Politique, de Religion, de Philosophie, de réforme. Vous savez que le Pape est un réformateur. Il nous a alors encouragé à travailler pour le changement des paradigmes, pour la mutation de l’Afrique, de nos pays, afin que le développement social, humain et économique soit une réalité.

Votre visite a coïncidé avec l’anniversaire des 10 ans de décès du Cardinal Bernardin Gantin.
Dans cette période où nous commémorons le 10ème anniversaire du décès du Cardinal, cette date a été fixée par le Vatican, je ne sais pas si c’est à dessein. Mais, c’est une période où nous célébrons un fils du Bénin. Je dois avouer notre fierté d’avoir eu ce grand homme qui a servi l’église et le monde.

Il y a au Bénin une cohabitation pacifique entre l’église et l’Etat. Mais, il se fait qu’il y a une confusion autour de votre appartenance à une église qui se réclame aussi catholique.
En tant que chrétien catholique, je peux déplorer l’évolution des églises qui sèment la confusion. Mais en tant que Président de la République, j’ai le devoir de protéger toutes les confessions religieuses, les courants religieux, et j’essaie de satisfaire à cette mission en faisant abstraction de mes propres intérêts. L’appartenance à une religion n’est pas facile. Mais nous agissons pour éviter les conflits, les affrontements de sorte que chacun puisse vivre sa foi en respectant l’autre.
Je sais de quoi vous parlez. Il y a une sorte de schisme qui est apparu au sein de l’église catholique béninoise. Parce que ce dont vous parlez provient de l’église catholique. Ce sont des choses qui relèvent de l’histoire des religions. C’est l’histoire du monde, c’est l’histoire de l’humanité. Notre rôle est de veiller à ce que ça n’entraine pas des affrontements.

Vous avez parlé de trois grandes tendances religieuses au Bénin. Mais, selon les informations qui circulent sur internet, il y a une église ou une secte qui réclame être à la base de votre élection à la présidence…Cela ne vous dérange-t-il pas ?
Je me réjouis. Je veux bien être le fils de tous les Béninois, de tous les courants religieux, même des églises qui sont en compétition. Je suis né catholique. Je vis ma foi. Je suis pratiquant. Mais il se fait que je suis président de la République, président de tous les Béninois. Certains ont cru en mon programme politique, m’ont soutenu, ont voté pour moi et ont eu espoir que j’agirai pour le bien-être de tout le monde. Si chaque Béninois peut se reconnaitre en moi, cela me réjouit. D’autant que je me reconnais en chaque Béninois.

Lorsque vous êtes devenu président de la République, vous avez dit que vous ne vouliez pas de culte de la personnalité. On peut organiser des manifestations pour vous contester, mais pas pour vous louer.
Je reste dans la même dynamique. J’ai souhaité faire une révision constitutionnelle pour restaurer ce souhait pour que le peuple ne soit pas instrumentalisé au profit du président, pour sa gloire et ses louanges. La réforme n’est pas passée, mais je suis dans la dynamique où ça n’apporte rien au développement de soutenir publiquement le Président à travers les médias. Mais on ne peut pas empêcher les gens de manifester et d’exprimer leurs sentiments surtout qu’aucun texte ne l’interdit.

Ces derniers temps, on a assisté à des marches de soutien.
Je vais vous l’avouer, j’aurais bien voulu que ça ne soit pas le cas. C’est pour cela que j’ai souhaité que cela soit réglementé ou interdit carrément, de sorte que, lorsqu’on a envie de le faire, on ne puisse pas le faire. Mais rien ne l’interdisant, vous comprenez combien il est difficile de dire à ceux qui approuvent mon action de le faire.

Que représente pour vous Nelson Mandela ?
C’est notre icône. C’est un modèle pour tous les Béninois, tous les Africains, et même pour les hommes, pour ce qu’il incarne pour nous. On le reconnait à travers sa personnalité et ses valeurs.

Après 27 ans de prison, Mandela a fait un seul mandat de 5 ans. Et vous, à la veille de la présidentielle, vous avez déclaré que vous voulez faire un seul mandat.
Je n’ai pas fait la promotion du mandat unique pour imiter le Président Mandela. Mais, j’ai estimé, en observant la vie politique ou l’état de développement de mon pays, l’état de gouvernance, la nécessité de faire des réformes difficiles voire impopulaires. C’est tout cela qui a motivé ce choix. J’ai proposé aux Béninois d’instaurer le mandat unique afin de débarrasser nos gouvernants de toute tentation de populisme. Quand on est à la charge et qu’on vise un second mandat, tous les paramètres de décision sont en fonction de cela. Souvent, ce n’est pas de nature à performer.

Au-delà du Bénin, n’est-ce pas une manière de s’adresser à l’Afrique toute entière, puisqu’on est habitué à des mandats sans fin des présidents ?
Je n’ai pas vocation à donner des leçons. Mais si cela peut servir de leçon, tant mieux. Faire plusieurs mandats, au-delà de deux, n’est pas en soi une mauvaise chose. Il y a bien des pays comme l’Allemagne où la Chancelière est en train de faire son 4è mandat. Mais ce n’est pas pour autant que son action est négative pour le pays. Donc, ce n’est pas par principe. Chaque génération ou chaque communauté, par période, peut identifier ce qui est convenable pour son développement et pour réparer ses tares. J’ai estimé que dans l’état actuel de mon pays où le populisme est le seul mode de gestion, la Constitution limite le mandat à un pour les réformes nécessaires qui s’imposent.

« … C’est ma volonté de réformer le Bénin qui irrite la classe politique, rien d’autre… ». Pourquoi avez-vous tenu de tels propos dans une interview ?
Réformer l’environnement politique sans toucher à l’intérêt des acteurs politiques, ce sera de l’utopie. Je comprends donc que les acteurs politiques soient irrités par certaines réformes qui ont tendance à gêner le confort de la classe politique, ne serait-ce que la limitation des immunités. Parce qu’au Bénin, on peut exercer le pouvoir, et quels que soient les erreurs ou les actes, on est impuni à jamais. On ne répond de rien. C’est quelque chose qui n’est pas favorable à la bonne gouvernance. Aujourd’hui, je m’attelle, au travers de la gouvernance, à faire en sorte que les gens répondent de leurs actes. C’est ça qui génère quelques remous, ce qui est normal.

On a noté des mouvements de protestation. Cela ne vous dérange-t-il pas ?
Cela veut dire que nous agissons. Si malgré notre situation, rien ne va, tout nous manque, si nous savons que nous sommes responsables de notre sous-développement, et que nous agissons sans que nous ne sentions que nous sommes dans l’effort, cela veut dire que nous ne faisons rien. On ne peut pas faire d’effort sans le sentir.

Vous étiez fatigué de voir les Béninois aller se faire soigner à l’extérieur et vous avez souhaité doter le Bénin d’infrastructures sanitaires capables de soigner ses propres fils.
L’offre sanitaire dont profite notre population n’est pas à la hauteur des attentes. Nous avons une carte sanitaire qui n’est pas mal. Notre pays ne manque pas d’infrastructures. Il faut l’avouer. Mais les centres de santé ou les hôpitaux ne fonctionnent pas bien. L’offre de soins n’est pas de qualité. Ceux qui ont les moyens de se faire soigner hors du Bénin, ce sont les privilégiés du système. Il s’agit du Président de la République, des membres du gouvernement, de leurs familles et proches, des fonctionnaires qui ont le droit et qui bénéficient des évacuations parfois de longue durée. Cela ne concerne qu’une minorité de la population. Alors que le grand nombre est sujet à de nombreuses maladies sans soins, et le paludisme fait beaucoup de dégâts. Pour peu que nous parvenions à consacrer nos ressources à améliorer l’offre sanitaire, nous allons résoudre les problèmes de santé pour un grand nombre. C’est en cela que j’ai décidé de réduire les dépenses consacrées aux évacuations, pour les consacrer à l’amélioration de notre système de santé. En deux ans, nous avons réduit de moitié notre budget consacré aux évacuations et nous l’investissons dans l’amélioration de l’existant.

Je vois l’Afrique à partir du Bénin. N’y a-t-il pas d’opposants en prison ou d’opposants en exil ?
A ce que je sache, il n’y a pas de prisonnier politique au Bénin. Ça fait longtemps que nous avons rompu avec cela.

Dans quel habit vous sentez-vous plus à l’aise ? Business ou politique ?
Président de la République pour l’heure. C’est le cadrant dans lequel je suis. J’ai changé de vie depuis. Je fais tout avec passion, détermination. J’ai été opérateur économique avec une grande volonté de réussir. Ce qui me motive, c’est le succès. Cette motivation est la même dans ma fonction actuelle. Je fais tout pour réussir à transformer mon pays, à donner une autre dynamique, à lancer mon pays sur la voie d’un réel développement. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut transformer tous les Béninois, qu’on peut changer le sort de tout le monde. Passer de la pauvreté à l’aisance, c’est un processus. Mais nous avons abordé une autre phase de la vie du Bénin où chacun peut espérer pour les siens et pour ses enfants. Je m’y emploie.

Parlez-nous de votre jeunesse.
J’ai eu une enfance ou une jeunesse heureuse. Parce que de notre temps, l’espoir était permis. C’est cela qui fait défaut aujourd’hui. Les jeunes sont remplis de talents, d’ambitions et de volonté, mais n’apprécient pas beaucoup le risque. Autant de choses qui permettent l’excellence. Il faut donc que le Bénin redonne espoir à la jeunesse afin que celle-ci s’exprime sans limite. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Nous œuvrons à redonner espoir à la jeunesse afin qu’elle contribue au développement du pays, comme c’est le cas partout dans le monde.

Votre mot de la fin
Je parle des besoins de réformes sans me lasser, parce que c’est la seule chose qui permettra aux pays africains de sortir de la pauvreté et d’amorcer enfin une phase de développement et de prospérité socio-économique. Nous, les Noirs, sommes pareils aux autres. Nous pouvons donner le meilleur de nous-mêmes. Nous pouvons même être meilleurs que les autres. Mais il se fait que c’est en dehors du pays ou du continent que cela se constate. Pour la simple raison que, dans nos pays, la gouvernance est le seul facteur négatif de l’état dans lequel sont nos pays. Ce n’est pas la qualité des africains pris individuellement. Il faut donc réformer nos pays en réformant la gouvernance. Je ne manque aucune occasion pour parler du bien-fondé des réformes. D’ailleurs, le monde progresse par des réformes. Au Vatican, le peuple de Dieu a également progressé dans le temps avec des réformes. Jésus est un réformateur. Il a remis en cause les concepts de l’ancien testament. Il faut que les chrétiens fassent également la promotion des réformes dans leurs pays. Parce que l’Eglise catholique, telle qu’elle est aujourd’hui, a évolué avec le temps. Les réformes concourent au progrès de l’humanité, au progrès de la foi et au progrès de la créature de Dieu.
Transcription : Patrice SOKEGBE



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