Entretien avec Emmanuel Zossou, maire de Porto-Novo : « …J’exhorte le chef de l’Etat à faire quelque chose pour la réforme sur la décentralisation au Bénin… »

Karim O. ANONRIN 14 août 2018

La ville de Porto-Novo est en train de redorer son blason depuis l’avènement du régime de la rupture dirigé par le président Patrice Talon. Plusieurs projets prévus dans le Programmes d’actions du gouvernement (Pag 2016-2021) ont démarré et viennent s’ajouter aux nombreux projets du Conseil municipal pour développer la ville. Dans un entretien, le premier responsable de la ville, le Maire Emmanuel Zossou, nous parle des nombreuses actions qu’il mène pour le rayonnement de la Capitale. Il n’a pas manqué de faire des propositions pour l’avancée du processus de la décentralisation au Bénin.

-La ville de Porto-Novo, à l’instar des autres villes du Bénin, a fêté les 58 ans d’accession à la souveraineté nationale et internationale du Bénin. Qu’est-ce que cela représente pour vous de voir la cérémonie officielle se dérouler chaque année dans une ville autre que Porto-Novo, la Capitale ?
Nous estimons que la fête de l’indépendance, de façon officielle, devrait toujours avoir lieu à Porto-Novo. Il n’est jamais arrivé aux Français d’aller fêter dans une autre ville de la France qu’à Paris, la Capitale. Il faut que le gouvernement pense à fixer la fête à Porto-Novo. Mais nous avons foi qu’avec le président Patrice Talon et avec le développement des infrastructures routières qui est entamé, Porto-Novo retrouvera ses lettres de noblesses par rapport à cette fête à partir de 2020 pour le 60ème anniversaire d’indépendance du Bénin. La ville de Porto-Novo est proclamée Capitale du Bénin depuis le 12 juillet 1895. Cela fait donc 123 ans que Porto-Novo est la Capitale du Bénin et tout était ici. Quelques années plus tard, les choses ont commencé à s’inverser.

-A qui la faute ?
C’est la faute aux gouvernants. Ce n’est pas parce qu’on veut développer une nouvelle ville qu’il faut abandonner celle qui nous a tout donné. Mais comme je le disais tantôt, l’espoir renaît avec le président Patrice Talon et son gouvernement.

-Parlons de l’indépendance du Bénin. Il existe une place dénommé abusivement ‘’place de l’indépendance’’ au quartier Avakpa. Les habitations autour de cette place ont été démolies, il y a quelques années pour son aménagement. Depuis, plus rien. Qu’est ce qui explique tout ceci ?
La vraie place de l’indépendance se trouve devant le Palais des gouverneurs, l’actuel siège de l’Assemblée nationale. C’est là que le président Hubert Koutoukou Maga a proclamé l’indépendance du Bénin le 1er août 1960. La place dont vous parlez n’est qu’un site réservé pour la fête de l’indépendance. La démolition des habitats autour de cette place d’Avakpa a engendré beaucoup de problèmes et les dossiers sont en encore pendants devant le tribunal. Les propriétaires n’ont pas fini d’être dédommagés. C’est pour cela que la place n’est toujours pas aménagée comme prévu. Ce que je peux vous préciser, c’est que cette place, vu le développement des infrastructures routières dans la vile, risque de ne plus exister parce qu’une voie avec un pont métallique menant au quartier Tokpota y passera.

-Dans votre politique de développement, vous avez mis un accent sur la reddition des comptes. Cette année, vous avez choisi comme thème ‘’la mobilité urbaine’’. Qu’est-ce qu’on peut retenir de la reddition des comptes faites il y a quelques semaines ?
D’abord, permettez-moi de rappeler que la reddition des comptes fait partie des indicateurs de performances dans la gouvernance locale. Porto-Novo n’avait pas l’habitude de le faire par le passé. Ainsi, la ville a perdu beaucoup de points dans le cadre du Fonds d’appui au développement des Communes (Fadec). Chaque année, chacune des 77 Communes du Bénin est évaluée et la reddition des comptes fait partie des critères de notation. Donc cette année, nous avons mis l’accent sur la mobilité urbaine dans une ville où 85% des voies ne sont pas revêtues ; ce qui fait que les problèmes de déplacement sont des problèmes majeurs à gérer. Si vous avez des centres de santé dans une ville, il faut des routes pour s’y rendre. C’est pourquoi nous avons choisi au cours de notre mandature de considérer la question de la mobilité urbaine qui est une question vaste.

-Quelques exemples de voies réalisées.
Je puis vous dire que pour le compte de cette année 2018, nous avons pu réaliser 28 kilomètres de voies dans presque 8 quartiers de Porto-Novo. En plus, ce sont des voies qui permettent aux populations de quitter chez elles pour se rendre sur les grandes voies. Vous n’êtes pas savoir que les questions d’assainissement se posent avec beaucoup plus d’acuité dans la ville. Il nous a fallu suspendre des projets pour pouvoir nous concentrer sur la réalisation de ces voies. Il s’agit du bétonnage, de l’assainissement et du pavage dans les quartiers Zebou, Itagogo, Djassin et autres. C’est le lieu également de saluer le professionnalisme des entrepreneurs qui ont conduit les travaux avec responsabilité et célérité.

-Où êtes-vous avec le projet de l’hôtel de ville ?
La construction de l’hôtel de ville est un projet majeur de notre mandature pour lequel toutes les forces politiques, sociales et économiques sont mobilisées. Le conseil municipal a donné toutes les autorisations nécessaires à la stratégie de mobilisation de ressources propres et gouvernementales pour traduire en acte concret ce projet. La disponibilité du gouvernement à porter ce projet n’est plus à démontrer. Au cours des derniers mois, nos efforts ont d’ailleurs été orientés vers la mobilisation des partenaires techniques et financiers qu’ils soient Asiatiques, Américains ou Européens. La feuille de route pour la mobilisation des ressources passe par l’élaboration d’une note d’information et d’un business plan pour le projet. Ces deux documents sont indispensables pour obtenir de l’Etat la garantie permettant aux investisseurs de s’engager sur le projet. La mairie de Porto-Novo a, quant à elle, déjà mobilisée sa part des fonds nécessaires pour le projet. Cette contribution financière de la mairie de Porto-Novo demande de nous tous, conseillers, employés, élus locaux, population de la ville, d’énormes sacrifices pour atteindre cet objectif commun. Pour la municipalité, les prochaines années de gestion seront une gestion d’austérité car nous devons épargner 700 millions de FCFA chaque année pendant 10 ans. Seulement les dépenses indispensables et non compressibles seront engagées.

-Aujourd’hui, on ne peut plus parler du développement de nos villes sans parler du Programme d’actions du gouvernement (Pag 2016-2021). Qu’est-ce que le Pag représente à vos yeux ?
Le Pag pour nous est une grande opportunité et je tiens à remercier au nom des populations de Porto-Novo, le président Patrice Talon pour tout ce qu’il fait pour le Bénin en général et pour la Capitale en particulier. En plus de ce que nous faisons au niveau du Conseil municipal, la ville bénéficie d’autres infrastructures routières. Déjà 12 kilomètres de voies pour la traversée de Porto-Novo jusqu’à Akpro-Missérété, avec des aménagements électriques et paysagés. Le Programme d’actions du gouvernement (Pag 2016-2021) a prévu plus de 96 kilomètres d’asphaltage des rues de Porto-Novo dès 2018. Pas plus tard que le vendredi 03 août 2018, il a été procédé au lancement des travaux de 22 kilomètres d’asphaltage sur les 96 kilomètres prévus. Sur les 22 kilomètres, il y a 9,2 kilomètres de voies primaires, 6,5 kilomètres de voies secondaires et 6,5 kilomètres de voies tertiaires. Avec le Pag, il est également prévu l’érection à Porto-Novo d’un grand musée des arts et divinités Vodun Orisha. L’académie Régionale des Sports aussi verra le jour ici prochainement. La reconstruction des marchés Ouando et Ahouangbo tient particulièrement à cœur au président Patrice Talon. A cela, viendront s’ajouter la construction d’un bâtiment flambant neuf pour la Préfecture de l’Ouémé et des bâtiments administratifs.

-Il y a eu, dans un passé récent, une grosse polémique autour du parc d’attraction financé à coup de millions de Fcfa par la Boad. Le site a été fermé et promis à une autre personne. Qu’en est-il réellement ?
Nous sommes en train de corriger ce qui était mal fait et les gens parlent de polémique. Le parc a été financé par la Banque ouest africaine de développement. C’est donc une infrastructure publique qui a été attribuée gré à gré à quelqu’un sans aucun avis d’appel d’offres. Quand j’ai repris le dossier, j’ai lancé un appel à manifestation ouvert qui a duré près de 4 mois et publié 3 fois avant d’avoir les 3 candidats au moins. La première fois, il n’y avait aucun candidat. La deuxième fois, il y en avait 2 et la troisième, il y en avait 3. Les textes de la République sont assez clairs. Vous ne pouvez pas prendre le domaine public et l’attribuer à quelqu’un sans un appel d’offre. C’est le Code des marchés publics qui l’exige. Quand nous avons lancé l’appel d’offre, quelqu’un a finalement gagné le marché et celui-ci a proposé investir dans les 3 premiers mois, 30 millions de Fcfa pour viabiliser le site et par la suite, environ 100 millions dans les infrastructures d’attraction. D’aucuns nous parlent d’audit. Moi j’attends les auditeurs. Qu’on fouille tout ce que nous avons fait par rapport à ce parc d’attraction. La mairie ne dépensera rien. C’est une mise en affermage.

-On vous a souvent entendu parler du projet Porto-Novo, ville verte. A quand sa concrétisation ?
Nous y travaillons. Il s’agit d’un projet qui comprend l’élaboration d’un plan de développement urbain durable afin de faire de Porto-Novo une ville résiliente, adaptée au changement climatique et soucieuse de la préservation de son environnement. Le projet intègre l’aménagement et la protection environnementale des berges lagunaires et des quartiers précaires par la réalisation de voies d’accès aux berges et l’accompagnement d’activités génératrices de revenus comme le maraîchage et la pisciculture. Le projet prévoit également la rénovation urbaine de quartiers proches de la lagune et la réhabilitation de places traditionnelles et de maisons afro-brésiliennes. C’est l’occasion pour moi de remercier nos partenaires techniques et financiers à savoir l’Agence française de développement (Afd) et le Fonds français pour l’environnement mondial (Ffem) qui, aux côtés du Grand Lyon et de la Communauté d’Agglomération de Cergy-Pontoise, nous accompagne dans la mise en œuvre du projet. Une fois le projet réalisé, l’impact sur les populations sera très important puisqu’il permettra une réduction durable des impacts des inondations et une plus grande résilience au changement climatique, une amélioration des conditions sanitaires, une meilleure mobilité piétonne, la création d’emplois pour une main d’œuvre locale peu qualifiée et le renforcement des liens sociaux.

-L’autre projet qui vous tient à cœur, c’est le Festival international de Porto-Novo. Quel bilan peut-on faire des éditions passées ?
Nous avons pensé que la ville de Porto-Novo n’ayant pas d’autres ressources naturelles à vendre, mais disposant d’une richesse culturelle immense, peut l’exploiter. La plus grande richesse que nos aïeux nous ont laissée, c’est notre patrimoine matériel et immatériel et c’est vendable. C’est donc pour valoriser ce patrimoine culturel que nous avons créé le Festival international de Porto-Novo dont nous préparons activement la troisième édition. Il s’agit d’un festival qui permet aux gens de venir découvrir Porto-Novo dans toutes ses dimensions en développant du coup le tourisme dans la ville et ses alentours. L’objectif final, c’est le développement du tourisme parce qu’il y a beaucoup à découvrir dans cette commune et celles voisines. A Porto-Novo, nous avons près de 600 bâtiments afro-brésiliens qui datent de la période coloniale, dont certains nécessitent la réhabilitation. Il n’y en pas autant dans d’autres villes d’Afrique comme Grand-Bassam et pourtant, ce sont des milliers de touristes qui vont découvrir chaque jour cette ville de la Côte d’Ivoire. Vous allez à Saint-Louis au Sénégal, il n’y a même pas le tiers de ce que nous avons à Porto-Novo. En effet, elle est la ville dans laquelle presque tous les groupes ethniques existent. Tout le Bénin est représenté au Bénin. Grâce à ce festival, Porto-Novo est devenu membre du Réseau des villes créatrices de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) comme 8 autres villes africaines. Le Réseau des villes créatives de l’Unesco est, en effet, un creuset qui met en valeur la créativité de ses membres autour des domaines comme l’artisanat et les arts populaires, le film, la gastronomie, les arts numériques, la littérature, la musique et le design. Ces villes, au nombre de 182 au plan mondial, ont pour mission de développer et d’échanger des bonnes pratiques innovantes pour promouvoir les industries créatives et intégrer la culture dans leurs politiques de développement urbain durable.

-Qu’est ce qui se prépare pour la prochaine édition ?
La prochaine édition aura lieu début janvier 2019 et pendant 10 jours. Nous allons essayer d’améliorer ce que nous avions l’habitude de faire. Il y aura des innovations, mais je préfère garder le suspense. Ce sera surtout l’occasion de réunir les filles, fils, amis et sympathisants de la ville de Porto-Novo autour d’un grand diner de gala et parler du développement.

-Parlons maintenant des relations qu’entretiennent Porto-Novo avec ses partenaires étrangers. Que retenir de la coopération décentralisée ?
En matière de coopération décentralisée, Porto-Novo a de très bonnes relations sur le plan diplomatique. Nous avons pu ouvrir d’autres horizons pour la ville. Nous avons signé un accord de partenariat avec la ville de Montréal. Nous sommes aussi en partenariat avec des villes comme Lyon en France, l’Etat d’Oshun au Nigeria, une ville en Guinée Equatoriale et une autre ville en Italie.

-Cela vous fait déjà 3 ans à la tête du Conseil municipal de Porto-Novo. On peut donc dire que vous avez désormais une expérience de la décentralisation. Dites-nous, quel bilan peut-on faire du processus de la décentralisation au Bénin ?
Le processus de la décentralisation a beaucoup évolué au Bénin. Le bilan est positif. Mais tant qu’il reste à faire, rien n’est encore fait. En ce qui concerne Porto-Novo, elle ne mérite pas le sort qui est le sien aujourd’hui. L’assiette territoriale de Porto-Novo n’est pas ce qui doit être normalement. Porto-Novo a été morcelée et se retrouve être la plus petite Commune du Bénin alors qu’elle allait de Akpakpa vers le pont jusqu’à la lisière de Kétou. La décentralisation a prévu l’intercommunalité, mais ça ne marche pas. Nous n’arrivons pas à pouvoir développer des projets d’ensemble. L’Etat nous demande près de 250 hectares de terres pour certains projets alors que la ville n’est pas capable d’en offrir la totalité. Ces questions nous font réfléchir et nous pensons que la solution est de permettre un développement partagé avec les Communes voisines. Il faut que la décentralisation puisse faire un pas en avant. Nous sommes encore au premier niveau de la décentralisation dans notre pays. Il est temps qu’on aille vers la notion d’agglomération qui est le deuxième niveau de la décentralisation. A titre illustratif, on peut parler d’agglomération de Porto-Novo qui rassemblera Adjarra, Akpro-Missérété, Aguégué, Sèmè-Podji, Avrankou et Porto-Novo. A Paris, il y a plusieurs petites Communes. En la matière, il y aura un siège pour l’agglomération, un président et chaque Commune gardera son autonomie de base. C’est ainsi que certains projets de grande envergure seront réalisés au bénéfice des populations de toutes ces Communes. Parlant toujours de la décentralisation, le transfert des compétences n’a pas marché. Tous les maires se plaignent de leurs ressources humaines. La décentralisation s’entend transfert des ressources financières et des ressources humaines du haut vers le bas. Les hauts cadres dans les ministères devraient être envoyés dans les mairies. Le développement d’un pays commence à la base. Il manque de ressources humaines compétentes dans nos Communes. Le président Patrice Talon a compris et il est en train de mettre sur place des structures pour nous accompagner. Nous l’en remercions. Dans la loi sur la décentralisation, il est écrit qu’au bout de 3 ans, toute Commune qui n’atteindrait pas certaines performances devrait être rattachée à une autre. Qu’on fasse le bilan. Si le bilan est bien fait, nous aurons moins de 77 Communes au Bénin.

-Vous êtes membre de l’Association nationale des communes du Bénin (ANCB). Est-ce que cette question fait l’objet de débat au cours de vos réunions ?
Ce sont des questions difficilement abordables. Dès que vous abordez ces sujets, des gens pensent tout de suite qu’on veut supprimer leurs communes. La question devrait partir du haut. C’est le gouvernement qui devrait faire une bonne lecture de la situation et prendre des décisions courageuses. C’est le cas des chefs-lieux des nouveaux départements. Il a fallu que le président Patrice Talon arrive au pouvoir pour que le problème soit réglé par une décision courageuse.

-Votre message s’adresse t-il au président Patrice Talon ?
Oui ! Je l’invite vraiment à faire quelque chose pour la réforme sur la décentralisation au Bénin.

-Quelles sont les relations que le maire Emmanuel Zossou entretient avec ses collègues du conseil municipal ?
Nous sommes 33 conseillers municipaux dont 32 venus du même bord politique. Avec le seul qui n’est pas du même bord que nous, il n’y a pas de problèmes majeurs. Le conseil municipal de Porto-Novo est l’un des plus stables au Bénin.
 Comment imaginez-vous Porto-Novo à la fin de votre mandat ?
Mon rêve pour Porto-Novo d’ici la fin de mon mandat est qu’elle soit la plus belle et attrayante ville du Bénin où règne la paix. Elle a déjà été l’une des plus belles villes de l’Afrique. Les habitants de plusieurs pays de la sous-région comme le Burkina Faso avaient comme destination touristique préférée Porto-Novo. Car, c’est une ville qui a une âme. Beaucoup préfèrent aujourd’hui venir dormir à Porto-Novo.
Propos recueillis par Karim Oscar ANONRIN



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