ENTRETIEN DU CHEF DE L’ETAT AVEC LA PRESSE NATIONALE, A L’OCCASION DE LA FETE NATIONALE 2018 : « la première richesse d’un peuple, c’est sa capacité à travailler avec abnégation dans le respect des lois »

La rédaction 2 août 2018

Monsieur le Président, merci de nous avoir accordé ce moment. C’est toujours un plaisir pour des journalistes que nous sommes d’avoir le Président de la République, et d’aider à faire remonter les préoccupations de vos concitoyens, de nos concitoyens ; et dans l’exercice, nous allons aborder la lutte contre la corruption, les réformes en cours, l’exécution du Programme d’Actions du Gouvernement et la question du social qui préoccupe les Béninois par exemple et surtout les perspectives. Nous sommes à 58 ans, on parlera de 59 et de 60 bientôt. Et donc nous démarrons par la lutte contre la corruption puisque c’est le plus important et surtout que l’actualité nous donne l’opportunité de revenir sur la question avec une première dans l’histoire du Bénin : la levée d’immunité des députés à l’Assemblée nationale pour qu’ils aillent se justifier pour certains faits. Quelle lecture vous en faites, vous qui observez, vous dont la majorité a peut-être contribué à donner cette chance au Bénin ?
Madame Balley, la lutte contre la corruption est un préalable à l’action de gouvernance. Quel que soit le talent de l’homme, quelle que soit sa volonté de réussir, de changer son destin, de construire son environnement, s’il a l’impression que ses travers ne le rattraperont jamais, qu’il ne répondra jamais de ses pulsions, de ses travers, l’homme n’étant pas Dieu, il y a de très fortes chances que quelle que soit sa volonté, son action ne porte pas les fruits de ses propres espérances. C’est pour cela que la première richesse d’un peuple, c’est sa capacité à travailler avec abnégation dans le respect des lois, dans le respect de l’intérêt général. Les peuples d’Afrique, qui sont confrontés au sous-développement, n’ont pas moins de talent, d’intelligence que les autres peuples. Et c’est pour cela que nous avons l’obligation de combattre nos travers pour que le peu de richesses que nous avons serve à construire le présent et l’avenir. Ce n’est pas avec bonheur qu’on se fait la chasse soi-même ou à ses proches, à ses concitoyens, à ses frères, ses sœurs, pour améliorer le comportement quotidien. Et c’est pour ces convictions que je m’acharne tant à extirper de nos pratiques cette certitude de l’impunité.
Nous avons, depuis deux ans et demi, engagé notre pays dans cette voie et il est heureux de constater qu’aujourd’hui le Parlement nous ait emboîté le pas. Cela est de nature à nous donner l’assurance que désormais la lutte contre la corruption, la lutte contre l’impunité sera effective dans notre pays. Je vais finir mes propos sur ces faits en vous disant que notre pays a déjà changé un petit peu et je me réjouis de le constater d’autant que cela nous met à nous même, le Gouvernement actuel, la pression. Je vois combien aux Conseils des ministres, lors de mes entretiens avec mes divers collaborateurs, les ministres, les gens sont préoccupés par bien faire, ne pas commettre d’impair parce que ce qui se passe aujourd’hui les concernera demain. C’est déjà un acquis formidable.

Alors quand on vous écoute, le Béninois sont en train de changer, les choses évoluent. Est-ce que vous avez l’impression que vos concitoyens vous comprennent ? Je veux même évoquer la question des opposants. On estime que la lutte, elle est sélective et il suffit de prononcer le mot magique « j’appartiens ou je soutiens le Gouvernement » pour qu’on ne soit pas inquiété.
En réalité, cela importe peu. Est-ce qu’il est souhaitable qu’on instaure dans notre pays la lutte contre l’impunité, contre la corruption quels que soient ceux qui seront les premiers à répondre de leurs actes ? Mon souci, ma volonté c’est de ne pas être dans la sélection et d’agir dans ce domaine quelle que soit la couleur de celui qui est concerné. Mais je ne suis pas Dieu et c’est d’ailleurs pour ça que je fais attention aux critiques. Ce qui est important, c’est qu’on instaure une nouvelle dynamique. Il est évident que ceux qui sont ministres aujourd’hui, directeurs de société, ils répondront de leurs actes parce que nous aurions installé cette dynamique. Cela est déjà suffisant.

Justement, les premières personnalités politiques qui sont concernées par votre lutte contre la corruption et l’impunité ont l’impression que vous faites de la vengeance politique ou du chantage parce que dans votre vie antérieure, il y a certains de vos compatriotes qui ont eu à gérer des dossiers dans lesquels vous n’avez pas aimé les actes qu’ils ont posés.
Vous êtes un observateur de la vie socio-politique de notre pays, avez-vous l’impression que ceux qui aujourd’hui sont interpellés par la Justice ou par des enquêtes parlementaires sont des gens avec qui j’ai pu avoir un différend particulier ? Non. D’ailleurs, il y a des gens qui sont des partisans, qui m’ont soutenu pendant la campagne électorale, qui ont œuvré à mon élection et qui sont aussi concernés et dont certains sont même en prison. Ce qui veut dire que là-dessus, je n’ai pas d’état d’âme et je voudrais que nous puissions crédibiliser l’action de la lutte contre la corruption, mais il n’y a personne qui soit poursuivi parce qu’il serait contre moi, ce n’est pas vrai. Moi je n’ai pas d’adversaires.

Les trois députés contre qui votre Gouvernement a engagé des poursuites judiciaires, au moment des poursuites, appartiennent tous à la minorité parlementaire alors qu’ils ont des collègues dont les noms sont cités dans les malversations qui ne sont pas inquiétés parce que justement soutenant vos actions, monsieur le Président
Est-ce que ceux qui sont concernés ont des choses à leur reprocher ? C’est l’essentiel. Est-ce que c’est des gens qui sont poursuivis juste parce qu’ils seraient d’une certaine opposition ? C’est un processus et il faut laisser le temps au processus de balayer large. Mais ce n’est pas parce que tels ou tels seraient d’un courant opposé que l’action de lutte contre la corruption les concerne exclusivement. En tout cas, ce n’est pas mon intention, ce n’est pas notre dynamique. Il faut déjà se réjouir que nous puissions enfin demander à nos gouvernants de répondre de leurs actes. Cela doit être notre préoccupation majeure sachant que, comme je vous l’ai dit, moi-même y compris ceux qui sont aujourd’hui à la gouvernance devront un jour répondre de leurs actes. Donc c’est bien d’instaurer cette dynamique là.

Monsieur le Président, le grief relevé par mon confrère revient avec insistance d’autant que non seulement les 3 députés dont on a levé l’immunité appartiennent à un groupe, à une tendance politique opposée quelque peu à votre gouvernance mais il y aussi que, c’est sûr que vous avez lu la presse en ce début de semaine, d’autres sont annoncés, qui appartiennent curieusement aussi à cette même tendance politique. Là-dessus, on a un peu de difficulté…
Je vous répète que là-dessus je n’ai pas d’état d’âme. Si par coïncidence les premiers concernés sont d’une même famille, sont d’une même couleur politique, là-dessus, je n’ai pas d’état d’âme. Je souhaite que dans notre pays, enfin, on puisse répondre de ses actes. Il importe peu que ce soit Pierre ou Paul au début. Je voudrais que mes concitoyens, que vous-mêmes, vous puissiez saluer le fait que, désormais, on puisse répondre de ses actes. L’Assemblée nationale depuis qu’elle existe dans cette nouvelle configuration, depuis le renouveau démocratique, n’a jamais levé l’immunité parlementaire d’un de ses membres. Je crois que c’est une seule fois dans l’histoire de notre Parlement qu’il y a eu une autorisation de poursuite contre un ancien ministre mais qui n’était pas député. Alors, c’est formidable qu’enfin, chacun puisse avoir sa conscience derrière lui, avoir son regard sur cette action que nous sommes en train de poser et que cela, nous l’espérons, puisse nous amener à améliorer nos comportements et à mieux respecter la chose publique.

Monsieur le Président, il y a des dossiers dans lesquels des noms sont cités. Ceux dont on a levé l’immunité parlementaire qui disent aujourd’hui qu’au fond dans ces mêmes dossiers, il y a des collaborateurs à vous, proches à vous, qui étaient à des postes de responsabilité un peu plus élevés qu’eux au moment des faits, qui ne sont pas du tout inquiétés aussi
Je vous ai dit que je ne fais pas de sélection mais les crimes économiques sont désormais imprescriptibles notamment en ce qui concerne le bien public. Alors, ceux qui, aujourd’hui, vont échapper à cette dynamique, vont en répondre un jour.

Monsieur le Président, quelle est la garantie que les parlementaires qui sont maintenant livrés à la Justice auront droit à une justice équitable parce que l’opposition politique estime également qu’aujourd’hui vous avez réussi à caporaliser la justice et du coup lorsque vous en voulez à un acteur politique, il est facile d’obtenir sa condamnation ?
Vous n’avez pas vécu la fronde qu’il y a eu récemment entre l’appareil judiciaire et le Gouvernement ? Quand on a une justice caporalisée, sous ordre, est-ce qu’elle réagit ainsi face aux réformes du Gouvernement ? La Justice béninoise ne l’a jamais été, en tout cas, à l’heure du Gouvernement actuel. Pas du tout. Ce n’est pas vrai. Je peux vous dire qu’il y a bien des gens qui ont été libérés alors que la conviction populaire les aurait condamnés. Moi aussi, il y a des gens sur lesquels j’avais mon impression en tant qu’individu et la procédure judiciaire a donné le contraire de ce que nous avons cru évident. Donc je vous assure que la Justice n’est pas caporalisée, elle n’est pas manipulée, elle n’est pas instrumentalisée contre qui que ce soit.

Monsieur le Président, je voudrais mettre le doigt dans la plaie. La question du quitus fiscal est perçue par vos compatriotes comme une politique d’exclusion de vos adversaires. Qu’en dites-vous, Monsieur le Président ?
Vous avez lu notre Constitution ? Vous savez que pour être candidat aux élections présidentielles, il faut avoir payé et donné la preuve qu’on est à jour de ses impôts. A la fois impôts sur les revenus que les impôts sur le foncier. C’est dans la Constitution. Alors, l’exprimer d’une telle ou une telle manière serait-il une façon de viser quelqu’un ? Je ne comprends pas. On parle de quitus fiscal. Le quitus fiscal, c’est le document qui atteste que vous avez payé vos impôts. Je ne sais pas pourquoi cette expression fait peur d’autant que la Constitution elle-même exige que ceux qui sont candidats soient des citoyens exemplaires. Est-ce qu’on ne peut pas demander autant à nos députés, à nos maires d’être des citoyens exemplaires ? Le pouvoir politique est partagé entre l’Exécutif et le parlementaire ; il est nécessaire que la plupart de nos dirigeants, nos gouvernants, que ceux qui gèrent la cité soient des hommes exemplaires, en tout cas, que les textes recommandent qu’ils soient des hommes exemplaires. Pour participer à un appel d’offres, il est exigé qu’on fournisse un quitus fiscal, qu’on fournisse des documents qui attestent que dans ce domaine vous êtes un citoyen exemplaire. Est-ce qu’il n’est pas normal que cela soit également recommandé pour les autres acteurs de la vie politique surtout ceux qui gèrent les finances publiques ? Il faut qu’ils aient montré qu’ils ont une bonne moralité dans ce domaine.

Monsieur le Président, permettez-nous de revenir sur l’aspect souligné tout à l’heure par Rachid Odjo, l’indépendance de la Justice. Parmi les raisons évoquées par les magistrats pour aller en grève, entre autres, il y a cette réforme où ceux qu’ils appellent des allogènes sont désormais dans le Conseil supérieur de la Magistrature ; ce qui pourrait handicaper un peu l’autonomie de cette structure. Et quand on voit un peu l’actualité judiciaire, avec parfois des gens qu’on a présenté à la Justice et dont on n’a pas pu trancher le dossier, qu’on reporte de sorte qu’on est pratiquement à un an alors qu’ils sont toujours gardés par la Justice. Est-ce qu’il y a une garantie, monsieur le Président, que ces parlementaires dont on a levé l’immunité auront vraiment cette équité attendue dans le procès ?
Vous avez évoqué deux ou trois choses dans votre question. Vous parlez d’allogènes au sein du Conseil supérieur de la Magistrature. C’est-à-dire que le Conseil n’est pas composé que de magistrats et qu’il y a d’autres personnes qui sont aujourd’hui membres du Conseil supérieur de la Magistrature comme c’était déjà le cas. Je vais vous rappeler que jusqu’à que cette réforme soit mise en œuvre, le Conseil supérieur de la Magistrature était composé majoritairement de magistrats, du président de la République, du ministre de la Justice, et d’une personnalité civile choisie par le président. La réforme mise en œuvre actuellement a élargi la composition du CSM, et désormais le ministre des Finances, le ministre du Travail sont membres du CSM ainsi que quatre autres personnes extérieures au lieu d’une précédemment de la société civile. Maintenant, le bureau du Parlement propose 7 personnes parmi lesquelles le président de la République choisit 4 qui complètent la composition du CSM. Si, faire participer le ministre des Finances et le ministre du Travail au CSM ; l’un qui gère le personnel d’Etat qui est le ministre du Travail ; et l’autre qui gère les finances publiques ainsi que tout ce qui relève des rémunérations et consorts du personnel d’Etat siègent au CSM, si c’est cela, si c’est ceux-là qu’on appelle des allogènes, c’est curieux parce que le CSM est l’organe qui gère l’appareil judiciaire, pas en ce qui concerne les procédures judiciaires, les dossiers mais en ce qui concerne l’organisation de l’appareil judiciaire, la carrière, la discipline, les finances, les rémunérations. Le président de la République n’a pas à lui seul toutes les compétences pour apprécier au sein du Conseil les éléments budgétaires, pour apprécier les éléments d’ordre technique en matière de travail, en matière de carrière des magistrats. Les magistrats veulent avoir en face d’eux un président de la République, un ministre de la Justice qui n’ont pas les éléments d’appréciation des sujets qui sont débattus au sein du Conseil. Il y a également 7 personnes qui sont proposées par le Bureau de l’Assemblée et dont 4 sont choisis par le Président. Le fonctionnement de l’appareil judiciaire concerne le pays entier. Il n’est pas normal qu’on veuille que l’appareil judiciaire soit à l’écart de la société et que les justiciables, le Parlement qui représente le peuple entier, ne puisse pas désigner des gens pour veiller au bon fonctionnement de l’organisation de l’appareil judiciaire. Le CSM ne s’implique pas du tout dans les décisions de justice, les procédures de justice mais il n’y a au Bénin aucun pouvoir qui existe que par lui et lui seul alors que c’est un pouvoir opérationnel. Le pouvoir judiciaire est un pouvoir opérationnel et il n’est pas normal qu’il existe par lui-même sans que personne ne soit mêlé à son organisation. C’est tout.

Justement, les appréhensions des magistrats, c’est par rapport aux représailles éventuelles auxquelles seront exposés des magistrats qui refuseront peut-être d’exécuter vos instructions au tribunal, dans les cours et qui pourront faire face à des radiations parce que justement au sein du Conseil il y a le président de la République, le ministre de la Justice, le ministre du Travail et les 4 personnalités que vous allez désigner sur les 7 noms proposés par le Parlement seront sans doute des personnalités proches de vous et à qui vous pouvez donner des instructions.
Pourquoi le président de la République devrait donner des instructions aux juges, aux magistrats en ce qui concerne leur travail ? Pourquoi ? Et par quels moyens ? Cela relève du fantasme. D’abord, ce n’est pas ma façon de fonctionner et je ne suis pas dans cette dynamique mais je veux dire ceci : il ne faut pas non plus que le CSM soit le syndicat des magistrats. Cela aussi est dangereux parce que l’appareil peut déraper sans que personne ne puisse relever cela. Et ça je l’ai dit ouvertement lors de ma première participation au CSM. J‘ai vu la nature des débats. J’ai vu que certains dossiers concernent les magistrats et il a été avéré que certains magistrats ont commis des actes reprochables. J’ai vu que pendant les débats, les seules interventions, presque de tout le monde sur ce dossier, c’est comment protéger le magistrat même si ce qu’il a fait n’est pas convenable. J’ai dit : « Mais je suis étonné que le CSM fonctionne ainsi ». Est-ce que nous sommes devant le syndicat des magistrats ou nous sommes dans une institution qui veille au bon fonctionnement ? J’ai dit : « Les débats sont corporatistes ». Certains vous l’auraient dit, vous l’avez certainement appris. Je ne peux pas être membre ou présider une structure qui ne fonctionne pas selon l’esprit des textes qui l’ont instaurée. L’œuvre humaine a besoin d’être perfectionnée au fil du temps. Si nous pouvons améliorer le fonctionnement du CSM de notre temps, nous le ferions et ceux qui viendront demain feront autant. L’essentiel est d’avoir le souci d’améliorer nos appareils qu’ils soient opérationnels ou purement institutionnels.

Si je reviens à ce qui a été dit par le chef de l’État, même s’ils sont dans la mouvance ou la majorité présidentielle, il faut montrer patte blanche, c’est cela ?
Ah oui, Madame ! Si ça vient, nous serons tenus d’agir

Monsieur le Président, le bloc de la majorité parlementaire a la réputation de faire montre d’une discipline et d’une allégeance politique extraordinaires à votre égard, pourtant c’est en son sein que des députés ont pris l’initiative d’amender la Constitution alors que vous qui êtes leur leader, vous avez dit depuis le 8 avril 2017 que la révision de la Constitution sous Patrice Talon, c’est terminé. Comment peut-on expliquer votre changement de position sur la question ?
Vous savez, ce qui urge pour notre pays, et moi j’ai eu l’occasion de l’apprendre avec satisfaction, ce sont les investissements vitaux. Nos populations ont besoin de l’eau, de l’énergie, des soins de santé efficaces, l’éducation plus efficace que ce que nous observons aujourd’hui, les routes, les pistes rurales. Et les réformes politiques qui ne constituent pas une nouvelle orientation dans notre modèle politique préoccupent peu nos concitoyens. J’ai noté au début du mandat que ma volonté d’opérer des réformes politiques, institutionnelles n’a pas rencontré l’unanimité des parlementaires et je n’ai pas obtenu non plus la majorité suffisante pour faire un référendum. J’en ai tiré les conséquences et j’ai dit que je ne vais pas passer mon mandat à courir après une réforme constitutionnelle qui risque de nous retarder dans ce que nos populations attendent davantage de nous : répondre à leurs préoccupations du quotidien. Il n’en demeure pas moins qu’il y a des ajustements qui sont nécessaires à notre Constitution. Et tout récemment un certain nombre de parlementaires ont décidé de porter des retouches à la Constitution. Des choses qui sont évidentes, qui sont nécessaires, qui ne font l’objet d’aucun débat. Il s’agit de l’instauration dans la Constitution de la Cour des Comptes. Nous avons aujourd’hui un organe qui joue ce rôle et qui s’appelle la Chambre des Comptes au sein de la Cour suprême. Et le Bénin a adhéré à des conventions, des traités internationaux qui prescrivent que les Chambres des Comptes deviennent des institutions à part entière pour avoir l’autonomie suffisante de jouer leur rôle. Il est important que la Chambre des Comptes devienne une Cour des Comptes, une institution à part entière, de sorte qu’elle ait l’autonomie, l’indépendance nécessaire pour veiller à la bonne gestion des deniers publics. Est-ce que les députés ont tort de dire que même si le projet de révision du président Patrice Talon n’a pas abouti, ce besoin, cette nécessité, peut à tout moment s’opérer techniquement ?
Deuxième point de leur projet de révision, c’est la suppression de la peine de mort dans la constitution. Nous avons opté pour cela. Nous avons dit qu’au Bénin, nous n’allons plus exécuter nos compatriotes parce qu’ils auraient commis telle ou telle faute. Et c’est aujourd’hui la tendance qui s’impose dans le monde entier. Dans notre code pénal, cela n’existe plus. La Loi fondamentale est la loi suprême du Bénin. C’est un ajustement technique que de dire qu’il faut que la Loi fondamentale prenne acte de cette volonté nationale d’enlever de notre Constitution quelque chose qui ne nous ressemble plus. Supprimer cela, non plus, ne fait pas l’objet de débat.
Un troisième volet de ce projet de révision, c’est la présence des femmes au Parlement. C’est un peu honteux de constater que les femmes qui font 51% de notre population ne sont pas suffisamment représentées dans les organes qui dirigent le pays ; que ce soit au Gouvernement, j’en suis concerné et encore moins au Parlement. Les parlementaires ont souhaité introduire une disposition particulière pour favoriser l’élection des femmes parce qu’il ne faut pas oublier que nous avons le poids de la culture, le poids de nos traditions qui fait que l’émancipation des femmes met du temps à être une réalité. Donc c’est positif de vouloir booster leur émancipation et leur participation effective à l’action publique. Alors, voter une disposition dans la Loi fondamentale qui favorise le positionnement des femmes sur une liste réservée de sorte qu’il y ait un minimum de femmes au Parlement est louable. Cela ne fait pas, non plus, l’objet de débat. Personne n’a contesté cela. Ces 3 choses que je viens de vous citer n’ont fait l’objet d’aucune contestation de personne. Ni au sein de la classe politique ni dans l’opinion, nulle part !
Le quatrième point qui peut être discutable, c’est l’alignement des mandats politiques. Le président de la République du Bénin a un mandat de 5 ans. Il ne s’agit pas de toucher à cette durée du mandat. C’est 5 ans. Nos députés ont un mandat de 4 ans. Nos élus communaux, nos maires ont un mandat de 5 ans. Si nous mettons tout le monde à 5 ans de mandat comme le président de la République, c’est-à-dire que les députés vont aussi avoir un mandat pareil que celui des maires et celui du président de la République ; et que nous faisons des élections groupées comme au Nigéria, comme au Ghana, comme dans beaucoup de pays, au lieu d’avoir sur une période de 5 ans trois élections, nous allons faire régulièrement c’est-à-dire tous les 5 ans des élections groupées. Nous allons économiser deux dépenses. Au lieu de 3 élections, nous n’en ferons qu’une, groupée. Même les partis politiques dépenseront moins. C’est une réforme d’assainissement, c’est une réforme de rationalisation de la dépense publique. Donc ce débat qui s’anime autour de l’alignement des mandats et donc du regroupement des élections n’est pas non plus quelque chose qui relève de l’intérêt d’un camp ou d’un autre. Et 62 députés ont voté pour ces réformes de sorte que cela puisse se faire techniquement au Parlement sans autres formalités mais 19-20 ont voté contre. Ils n’ont développé aucune raison, aucun argumentaire contre l’un quelconque de ces 4 points.

Il y a eu des arguments, Monsieur le Président !
Majeurs ? Non. Ils auraient pu également contribuer à la réflexion et faire modifier ce qui les gêne. Ils ont fait carrément obstruction ; et comme modifier la Constitution requiert une large majorité voire l’unanimité, les 20 ont eu raison des 62 et la révision n’a pu se faire par voie parlementaire.

Comment avez-vous vécu ce deuxième échec, s’il faut l’appeler échec ?
(Sourire). C’est un échec pour le Bénin entier. Ce n’est pas un échec pour Patrice Talon ni pour les députés qui ont porté le projet.
Est-ce que instaurer la Cour des Comptes ne serait pas un succès pour nous tous ? Ne pas l’instaurer, est-ce que ce n’est pas un échec pour nous tous ? Supprimer la peine de mort de la Constitution, ne pas le faire, est-ce un échec pour Patrice Talon ou les députés concernés ? C’est un échec pour le Bénin entier. Ne pas avoir plus de femmes au Parlement, c’est un échec, c’est de l’insuccès pour le Bénin entier. Passer notre le temps à faire des élections tout le temps, toute notre vie et ne pas pouvoir réformer ça, c’est un échec pour le Bénin entier. Je ne considère pas que ces infortunes soient des échecs pour moi ou pour la majorité qui me soutient. Non ! Je suis déçu, je suis triste et je veux l’exprimer ; m ais j’espère que le moment viendra où ces choses là se feront dans le consensus le plus banal.

Donc, vous n’êtes pas à l’initiative de cette proposition ?
Non.
Ce n’est pas un revers pour vous…
Pas du tout.

Il n’y a pas eu amendement non plus mais avec les 62 vous avez l’option du référendum. Vous le prenez ou qu’est-ce que vous faites ?
Madame (respiration… silence), aujourd’hui, la loi, la Constitution me donne l’opportunité de soumettre les 4 questions à l’appréciation de tous les Béninois, du peuple entier par voie référendaire. Vous vous doutez bien que je suis tenté de le faire parce que je sais que l’opinion dans sa large majorité serait favorable à ces réformes. Mais est-ce que ces réformes qui devraient être techniques constituent aujourd’hui une priorité pour nos concitoyens ?

Autrement dit, est-ce que cela vaut référendum ?
Voilà ! Est-ce que cela vaut référendum ? Le peuple nous a donné mandat au président de la République, aux députés, pour prendre des lois qui sont utiles à l’amélioration de la gouvernance tant que cela ne remet pas en cause l’orientation politique nationale. Le peuple n’a pas dit que chaque fois qu’il faut voter une loi, qu’il faut faire un petit amendement, qu’il faut retourner vers lui pour le solliciter ! Ce serait une démission de la part des gouvernants que de vouloir solliciter le peuple entier chaque fois que nous sommes amenés à faire ce qui relève de nos prérogatives, notamment celle-là : pouvoir faire des amendements constitutionnels que font tous les pays du monde entier tout le temps pour ajuster leur Constitution aux exigences quotidiennes et qui ne remettent pas en cause l’orientation politique choisie par le peuple entier. Moi, dans ma position, parce que les mandataires politiques sont défaillants, parce qu’ils refusent de faire ce qui ne fait pas l’objet de débat, juste à cause de leur humeur et des sentiments qu’ils nourrissent les uns envers les autres, ils refusent de le faire et maintenant on va solliciter le peuple pour faire cet arbitrage, ce n’est pas bien, ce serait une démission, un échec alors de la part de la classe politique. Et comme ce n’est pas un impératif, une urgence, nous allons finir par faire ces choses-là. Mais aujourd’hui, ce dont le peuple a besoin c’est l’eau, c’est l’électricité, ce sont les pistes rurales, c’est l’amélioration de leurs conditions de vie. Toute chose qui requiert de l’énergie, de l’investissement, de l’argent, et nous n’allons pas distraire des milliards de francs CFA pour appeler le peuple qui risque même de dire « Mais ce n’est pas notre affaire ça ! On vous a donné mandat pour le faire, faites-le !

Mais les leaders de la majorité sont déjà sur le terrain en train pratiquement de battre campagne. Est-ce qu’ils ont compris ?
(il coupe) Chacun dans son rôle. Le rôle qui est le mien qui est un rôle plus central que le rôle des députés m’amène à prendre cette question avec calme, sérénité et solennité. Et c’est pour cela que la notion de référendum est une question suffisamment grave, solennelle qui, à mon sens aujourd’hui, ne se justifie pas. Et j’ai décidé de ne pas soumettre cette question à l’opinion de mes concitoyens par voie référendaire. J’ai choisi de ne pas user de cette faculté que m’offre la Constitution.

Comment concevez-vous, Monsieur le Président, que certains de nos compatriotes, qui étaient pratiquement favorables au départ au référendum, se rétractent-ils aujourd’hui ?
Vous savez, je crois que dans l’enthousiasme d’une réforme, on peut envisager toutes les voies, tous les chemins, mais la nuit portant conseil, une fois l’euphorie tombée, la réflexion, la sérénité, le calme peuvent parfois nous amener à réviser les chemins que nous avons envisagés tantôt. C’est pour cela que beaucoup aujourd’hui aussi estiment que ce serait dommage d’utiliser des dizaines de milliards de francs CFA pour aller au référendum sur des questions qui relèvent des prérogatives des parlementaires, du Gouvernement actuel ; ce dont ils ont mandat. Ce n’est pas pour autre chose. Je pense que le moment viendra où il y aura plus de sérénité, et nous ferons ces amendements techniques sans fatiguer nos concitoyens qui ont autre chose à faire que de se substituer à nous dans le rôle qu’ils nous ont confié.

Monsieur le Président, est-ce que le choix que vous avez fait de ne pas faire organiser le référendum ne cache pas une certaine crainte d’échouer à ce référendum parce que depuis deux ans vous avez engagé, il faut le reconnaître, des réformes courageuses, salutaires mais qui vous ont rendu impopulaires ? Est-ce que ce n’est pas en craignant que le peuple vous sanctionne par voie référendaire que vous avez décidé de ne pas faire ce référendum ?
Vous traitez le peuple béninois de quoi ? Qu’il n’est pas capable de discernement ? Si vous, vous devrez aller voter pour ce référendum, vous allez dire que les femmes viennent au Parlement, qu’on supprime la peine de mort, qu’on fasse des élections groupées pour faire des économies, qu’on instaure la Cour des Comptes, vous allez dire : je vote contre juste parce que le Président Talon fait des réformes ? Non ! Je pense que vous avez le discernement. Je pense que chacun de mes concitoyens a le discernement et qu’ils ne diront pas parce que je ne suis pas d’accord avec les réformes du président, parce que je peine au quotidien à cause de la rigueur, que pour cela, je refuse d’instaurer la Cour des Comptes… Non, je ne pense pas. Mes concitoyens sont mûrs, ont le discernement et je ne crains pas de les solliciter sur une question spécifique et de les voir répondre à autre chose. Non ! J’ai peut-être tort, mais c’est mon sentiment.

Monsieur le Président, vous l’avez dit tout à l’heure. Ils peuvent dire ce n’est pas la priorité
(Il coupe) Tout à fait ! Ça, oui !

Et puis aller dans le sens contraire que vous avez voulu par exemple. C’est un risque…
Ils peuvent même ne pas aller au vote parce que pour eux, ce n’est pas une priorité. Aujourd’hui, le peuple béninois me connaît, mes concitoyens me connaissent. Ils savent bien que si on leur pose une question et que là-dessus ils ne donnent pas leur opinion et que s’ils font comme les parlementaires de la minorité et laissent la question de côté ; et disent sur la question : « Vous avez raison. Mais moi, en tant que citoyen, je vous donne carton rouge parce que je ne suis pas d’accord pour telle ou telle réforme ». Ils savent très bien que ce n’est pas cela qui me fera reculer. Ce qui me fera reculer sur une réforme, c’est de me dire que j’ai tort sur la réforme ; c’est de me dire que, Monsieur le Président, messieurs les ministres, sur tel et tel aspects de votre réforme, vous avez erré. Il y a quelque chose que vous n’avez pas compris, que vous n’avez pas vu. Si on me montre que j’ai tort, je recule. Je ne suis pas un obstiné donc ce que j’attends des uns et des autres, c’est d’apprécier ce que nous faisons, de faire des critiques objectives et de nous amener à mieux orienter notre action en fonction donc des idées pertinentes exprimées.

On va parler des réformes. On va commencer par le secteur de la santé avec la dernière décision prise en Conseil des ministres qui demande justement et expressément aux agents de santé assis entre deux chaises de choisir entre le privé et le public. Pourquoi est-ce que vous avez décidé d’une mesure aussi radicale quand on sait que récemment aussi il y a une décision qui leur permettait, pour ceux qui étaient agents de la fonction publique, d’envisager de travailler dans le privé ?
Est-ce que vous, vous êtes satisfait de la qualité de soins dans nos centres de santé publics ? Moi, mon sentiment est que les Béninois ne sont pas satisfaits de l’offre de soins dans les centres de santé, les hôpitaux publics. Cela n’est pas lié à leur humeur, c’est la réalité. Nous le savons tous. Et pourtant, l’État du Bénin, depuis des décennies, a investi massivement dans la formation des médecins. La plupart des médecins qui sont aujourd’hui sur le territoire ont été formés avec l’effort national, et ils sont déployés dans les centres de santé publics. Ils ont des salaires. Et comme cela se fait un peu partout dans le monde, on leur permet de pouvoir faire de la prestation de consultation ou d’intervention dans les centres de santé privés ; c’est dans l’espoir qu’ils puissent concilier les deux choses : la satisfaction de leurs obligations au profit du public, de l’État et leurs prestations dans le secteur privé pour davantage arrondir leurs fins de mois et également mettre leur science au service de ceux qui vont dans les établissements privés. C’est noble. Mais nous sommes confrontés à une chose. Nous avons tout perverti au Bénin depuis si longtemps. Vous savez, dans tous les pays du monde, dans toutes les communautés humaines, la tendance aux travers est une réalité. Cela ne caractérise pas que le Bénin. Mais pourquoi ailleurs, cette tendance ne gangrène pas la société complètement ? C’est parce qu’on sait les arrêter au moment où il faut. On sait instaurer des procédures, des règles, des normes, et la sanction qui permet aux travers, à nos travers individuels de ne pas s’exprimer, de ne pas devenir dominants. Mais nous avons tout perverti au Bénin ; et dans ce domaine qui est un domaine sensible, les médecins qui sont dans le secteur public, qui sont des APE, qui sont des contractuels de l’État, qui ont la possibilité d’aller exercer ponctuellement et de manière marginale dans le secteur privé ont délaissé complètement leur sacerdoce et consacrent l’essentiel de leur temps, de leur énergie, de leur volonté aux soins qu’ils donnent dans le secteur privé parce que ça leur donne une rémunération complémentaire de sorte que ce que leur paie l’État avec les impôts des uns et des autres, ils ne donnent plus la contrepartie de ces salaires. Mieux, comme ils sont présents dans les hôpitaux, ils sont censés être au service de nos concitoyens qui viennent dans ces centres, l’État a l’impression que le personnel est présent et ne trouve pas le besoin de recruter davantage. Or, ils y sont à peine. Ce constat, il est largement partagé par tout le monde. Je vais faire une parenthèse. Parfois, on entend dire que le plateau technique des centres de santé n’est pas à la hauteur de l’offre de soins, de l’attente de nos concitoyens, de l’attente des patients, de l’attente des malades et que les médecins n’ont pas de quoi exercer leur science au service des patients, des malades. Mais quel est le centre de santé privé dont le plateau technique au Bénin est supérieur à celui des hôpitaux publics ? Il n’y a pas un seul centre de santé privé au Bénin qui dispose d’un plateau technique meilleur, supérieur à celui du public. Mais pourquoi ils déploient autant de zèle et de présence dans le privé au détriment du public ? La raison du plateau technique obsolète du service public n’est pas fondée. Un médecin qui a du talent et qui veut respecter son sacerdoce, il sait travailler même à mains nues. Ce n’est pas le plateau technique qui fait la médecine, le plateau technique accompagne le médecin. Ce qu’on attend d’un médecin, c’est son dévouement au service des patients. Donc, nous observons que nos médecins, contractuels de l’État délaissent le service public, tendant complètement à pervertir le système. On fait quoi ? Les textes existent, interdisent la chose, règlementent. Nous allons dire que non, on repart avec les mêmes textes ; nous essayons de mettre en place les organes de suivi et de contrôle avec les mêmes personnes ? Et au bout de 5, 10, 20, 30, 40 ans les choses ne vont jamais s’améliorer. Nous avons voulu prendre une décision radicale parce que nous savons qu’elle sera efficace et nous allons faire tout ce qu’il faut pour que le service public retrouve sa noblesse.

Monsieur le Président, votre décret du 13 juin 2018 règle certainement un problème réel. C’est sans doute une solution efficace. Lais le problème qui se pose, c’est celui de la légalité de votre décret. L’article 9 de la loi du 17 juin 1998 qui organise l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales donne le droit aux praticiens hospitaliers, les hospitalo-universitaires d’exercer aussi en clientèle privée. Vous prenez un décret…
(Il coupe). Vous avez mal lu le texte. Vous avez mal lu. La loi ne donne pas le droit, la loi permet mais à condition que l’État donne l’autorisation. Comment vous pouvez concevoir que celui que vous avez embauché avec un contrat et vous êtes son employeur principal, comment vous voulez que la loi permette qu’il fasse ce qu’il veut sans tenir compte de ses obligations et ses engagements envers vous ? La loi permet aux agents de santé du secteur public d’exercer en privé sous autorisation préalable du ministre de la Santé. À défaut d’autorisation, ce droit ne peut s’exercer. Aujourd’hui, nous avons décidé de retirer ces autorisations. Nous sommes dans nos droits. Aujourd’hui, aucun texte ne fait obligation au ministre de la Santé, à l’État, à l’Exécutif de délivrer systématiquement l’autorisation. L’Etat gère les autorisations en fonction de ses besoins et regarde quel est le temps qu’on peut soustraire au besoin de l’action publique au service du privé et quelles sont les spécialités dans lesquelles cela peut être pertinent. Donc, c’est au ministre de la Santé d’apprécier, chaque fois qu’un médecin le demande, l’opportunité, la cohérence, la pertinence, de délivrer cette autorisation. Aujourd’hui, il est malheureux de constater que nous avons perverti complètement le système, et une mesure radicale s’impose. Les médecins ont jusqu’au 1er septembre pour faire leur choix. Ceux qui veulent rester dans le public renoncent à leurs activités dans le privé. Ceux qui veulent rester dans le privé démissionnent du public. Nous allons faire les ajustements, nous allons recruter s’il le faut dans le service public pour compenser les départs. Ceux qui vont rester dans le public, nous allons mettre des mesures d’accompagnement pour leur permettre d’ajuster leurs revenus parce que c’est un métier difficile. Ils ont étudié pendant longtemps, nous voulons qu’ils donnent du zèle au travail. Pour que l’homme soit zélé au travail, il faut l’intéresser. Nous allons mettre les mesures qu’il faut pour qu’ils aient la motivation.
La difficulté aujourd’hui, Monsieur le Président, c’est que les acteurs concernés n’ont pas la même compréhension des textes que vous, et pensent que votre décret peut être attaqué devant la Cour constitutionnelle. Bon, elle peut dire après que votre décret est conforme à la Constitution…
Nous sommes dans un pays de droit et il leur est permis d’attaquer les décrets devant la Cour suprême ou devant la Cour constitutionnelle. Cela relève d’ailleurs de la dynamique de notre démocratie. Mais moi, j’agis en fonction des impératifs du jour. Je demande d’ailleurs au Ciel de nous inspirer au mieux pour que nous prenions les solutions qui nous permettront de régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Mais il y a pire, peut-être que vous ne savez pas, le système est devenu tellement pervers que cela a perverti même nos médecins. Vous savez que les médecins qui sont dans les centres publics détournent les malades vers leurs établissements privés dans lesquels ils donnent des soins. Vous le savez ! Tout le monde en parle. Il y a des réseaux qui s’installent et qui se développent un peu partout dans le pays. Vous allez à l’hôpital. Si ce n’est pas le major, l’infirmier, le médecin lui-même ou le radiologue, à l’occasion de tel ou tel examen, opère dans un certain réseau et les commissions sont distribuées après à tout le monde. Quelqu’un vous dira : mais non, il vaut mieux aller dans tel centre de santé privé, les soins sont meilleurs, le plateau technique est meilleur, ce sera fait plus vite qu’ici. On vous conditionne, on vous détourne vers le centre de santé privé où vous payez plus cher alors que vous payez des impôts pour le public, c’est notre système de santé au profit de nos concitoyens mais on vous amène là-bas parce que là-bas vous payez et le médecin a sa rémunération. C’est un réseau. Et ce détournement des malades est quelque chose d’inacceptable. Le clou de tout cela, c’est que ces malades font l’objet d’une escroquerie dans les centres privés. Beaucoup de centres de santé, beaucoup de médecins surfacturent les malades. Ce qui ne peut pas se faire au niveau du public parce que l’argent qu’on paie au public ne va pas dans la poche du médecin ou le propriétaire de la clinique mais dans nos centres de santé privés, il y a de l’escroquerie et cela devient une gangrène. C’est quelque chose qui s’étend, qui envahit la cité et que nous devons combattre. D’ailleurs, et je peux vous le dire : quand nous aurons réglé ce problème, nous aurons séparé les choses, l’État va exercer ses prérogatives même au sein des structures privées. Nous allons faire le contrôle du respect des protocoles et des tarifs qui seront appliqués également dans le secteur privé parce que nous savons que le secteur public ne peut pas à lui seul satisfaire les besoins en termes de santé. Et le rôle régalien de l’État, c’est également de veiller à ce que le secteur privé soit non seulement performant, travaille conformément aux règles et aux protocoles, mais travaille à juste prix ; nous allons le faire. Je vais finir en vous donnant un exemple et j’en ai plusieurs ; à la limite, je vais donner des noms. Il n’y a pas longtemps, un malade, quelqu’un qui a l’hernie discale, L2, va à l’hôpital d’Instruction des Armées. Il est suivi et il doit être opéré. Pendant les examens de préparation à l’intervention, il a été abordé et on lui a dit qu’il vaut mieux aller faire votre opération quelque part d’autre où le plateau technique est meilleur, les médecins sont plus avenants, c’est plus vite, c’est moins cher. Bref, on l’a détourné vers ce centre, et ce Monsieur y est allé ; et à la fin, on lui présente une facture de 3 millions et demi. Je dis mais c’est beaucoup ça ; je vais jeter un coup d’œil sur les détails de la facture. Il paie, la facture a été quittancée, ils ont encaissé les 3 millions cinq cents mille. Je regarde la facture et je lis dessus plein de choses. Ce sont deux chirurgiens qui l’auraient opéré… des choses incroyables mais il y a quelque chose qui m’a choqué et j’ai dit que je vais vérifier cela. Je vois quelque part une ligne où c’est marqué « matériel médical implant ». On lui aurait placé un implant au niveau des vertèbres qui ont été touchées. Ça m’a fait tilt et je dis on va vérifier : « Jeune homme, on va faire une radio pour voir ce qu’on t’a fait ». Il va faire la radio et je vois le cliché et l’interprétation du radiologue. Il n’y a pas d’implant. Le médecin qui l’a opéré, c’est un médecin connu, qui travaille à Parakou, qui est dans le service public, qui distrait son temps de travail, qui vient à Cotonou pour opérer des gens. Peut-être qu’il a la science, c’est vrai, mais il évolue dans un réseau de détournement de malades et d’escroquerie. On lui a facturé 2 millions 500 mille francs CFA d’implant alors qu’il n’y a pas d’implant dans son dos. La radiographie a révélé qu’on ne lui a fait qu’une insertion des lames vertébrales c’est-à-dire qu’on a soulagé le tassement des vertèbres mais il n’y a pas eu d’implant. C’est grave ! Voilà là où nous sommes arrivés dans le pays. Ce métier ne peut pas être pollué à ce point. Devant vous, je voudrais interpeller mes concitoyens, les médecins, l’ensemble du personnel soignant que nous sommes arrivés à un point critique du dysfonctionnement du système de santé et de la moralité dans le secteur. Des exemples comme ça, j’en ai plein, et je voudrais justifier pourquoi nous sommes tenus de prendre des mesures radicales et de réorganiser notre système de santé.
Quand on l’entend, c’est ahurissant ce que vous nous dites. C’est vrai que dans les couloirs aussi, on a certaines informations. Mais au-delà, certains pensent plutôt que c’est une façon de dégrever un peu le personnel pour réorganiser le système que le Gouvernement prend cette décision là…parce que des cliniques ou des hôpitaux privés, il y en a sur la place, mais le contrôle prête à équivoque. Il n’y a pas vraiment de suivi.
C’est notre façon de fonctionner, Madame. C’est ça le problème que nous avons mais nous ne pouvons pas aujourd’hui dire que nous allons instaurer le contrôle aussi facilement dans un système qui est totalement perverti. Le système est devenu trop pernicieux. Le peu de moyen que nous avons, nos moyens organisationnels, les hommes dont nous disposons ne nous permettent pas de restructurer un secteur aussi pervers désormais. Mais dans la réforme que nous proposons, nous allons plus aisément, plus facilement, remettre de l’ordre dans le service public, remettre les valeurs au cœur du service public

Il y en a qui disent qu’il n’y a même pas de fil pour coudre…
Les médecins détournent les équipements, les intrants des services publics. Et ces médecins sont du service public, des agents de l’Etat, des contractuels, ils ont des cliniques.

Mais ils ont reçu l’autorisation pourtant de l’Administration
Non. Ce sont deux choses différentes. Une chose est d’avoir l’autorisation d’un établissement de soins, une autre est d’avoir l’autorisation pour aller exercer en privé. Ce qu’ils ont, c’est l’autorisation d’exercer en privé et non l’agrément pour installer une clinique. Cela est incompatible. On ne peut pas être fonctionnaire de l’État et avoir une clinique en même temps.

Vous avez mis en place une Commission, la Commission Chobli qui a travaillé, qui a déposé son rapport. Le 11 novembre 2017, vous avez rencontré les responsables syndicaux du secteur de la Santé et vous leur avez fait la promesse de les impliquer dans le comité qui devrait relire le rapport de la Commission Chobli. Depuis le 13 février 2018, les syndicalistes vous ont déjà transmis leurs amendements, mais depuis ce temps aucune suite. Pourquoi cette attitude ? Est-ce que parce que vous savez désormais que de toutes les façons ils ne peuvent plus aller en grève contre vos réformes ?
Mais toute contribution pertinente est utile en toute chose. Pourquoi voudriez-vous que les contributions des syndicalistes si elles sont pertinentes, ça ne soit pas pris en compte dans le document final ? Les commissions travaillent toujours et il y a eu des contributions de toutes parts. Les contributions sont en train d’être intégrées, et toute contribution n’est pas forcément à retenir. C’est ce qui est pertinent, est intelligent et qui correspond à la dynamique qui est retenu. Donc la contribution des syndicalistes a bien été prise en compte.

Monsieur le Président, parlons d’une autre réforme. C’est celle justement liée aux évacuations sanitaires. Ça a fait beaucoup de bruit à une époque donnée, par rapport justement à un accident qui est intervenu avec le décès de ce jeune homme. Vous vous rappelez bien. Où est-ce qu’on en est fondamentalement avec cette réforme-là ?
Vous avez évoqué un cas malheureux. Je ne souhaiterais pas en parler en public. Mais il est important que nous fassions un peu de pédagogie pour accompagner notre action. Vous savez, la vie n’est pas éternelle. Et le Créateur qui nous donne la vie ne donne pas à tout le monde les mêmes échéances. Il y en a qui retournent au Créateur très tôt. Il y en a qui vivent très longtemps. Donc, c’est diversement réparti. Notre rôle est d’utiliser nos moyens pour soulager nos peines, guérir les maladies quand la mort n’est pas encore au rendez-vous. Mais dans un pays comme le nôtre, qui a des moyens si réduits et qui doit consacrer le peu disponible à l’ensemble des onze (11) millions de Béninois que nous sommes, nous sommes tenus de faire des choix. Est-ce que nous pouvons consacrer un (01) milliard de FCFA aux soins d’une personne alors que, avec un (01) milliard de FCFA, on peut soigner un (01) million de personnes ? Quand des gens meurent de palu, le palu tue massivement au Bénin, juste parce que les gens n’ont pas de quoi soigner les crises de palu, les gens n’ont pas des moustiquaires imprégnées, et nous courons derrière les partenaires au développement pour nous donner des moyens pour soigner le palu, la tuberculose, les maladies infectieuses, pour donner à nos populations de l’eau propre, nous sommes amenés à gérer le peu de ressources que nous avons avec parcimonie, et en tenant compte de ceux qu’on peut consacrer à chaque individu. Et parfois, ceux qui sont en charge des évacuations évaluent les chances de survie des malades à évacuer avec le coût. Quand l’État a déjà dépensé des centaines de millions sur un patient, un malade, et qu’à nouveau, il faut dépenser encore 200, 300, 400 millions de FCFA avec des chances de survie minces, et pendant ce temps, d’autres personnes, pour dix fois moins, ont une chance de survie plus élevée, si le budget consacré à M. Odjo et à Mme Balley pour leurs soins de santé est de 100, parce qu’on a réparti un peu à tout le monde, vous deux c’est 100 F, vous avez une maladie, et pour vous soigner, il faut 150 F, ou bien il faut les 100 F, et votre chance de survie est faible ; et lui (un autre), sa chance de survie, pour 50 F dépensés sur lui, il est sauvé, de manière certaine, on fait quoi ? Les 50 F, on prendra 50 F pour sauver celui qu’on peut sauver rapidement, et on va chercher les moyens de vous sauver après, on va trouver les moyens d’aller à votre secours, en espérant que les moyens vont arriver. Si les moyens n’arrivent pas, malheureusement, il peut arriver un drame qui, parfois, est inévitable. C’est cela, ce à quoi on est confronté en matière de soins de santé. Et nous sommes confrontés à ça tous les jours, tous les jours. Le budget de la Santé n’est pas extensible. Nous consacrons un budget important, mais les sollicitations font 4,5, 10 fois les moyens dont nous disposons.

Justement, quel mécanisme avez-vous mis en place maintenant pour, justement, peut-être contrôler le flux ?
Aujourd’hui, nous avons dit : « Il faut rationaliser les dépenses ». Parce que, jusque-là, nous dépensions deux, trois fois plus d’argent pour les mêmes soins qu’il n’en faut. Depuis que nous avons signé un contrat avec un groupe d’hôpital français, nous avons étudié les tarifs (Afrique du Sud, Maroc, Tunisie, Allemagne, Belgique, la France), et nous avons réussi à obtenir avec ce groupe d’hôpital les tarifs les plus bas. On nous dit : « C’est ça oui, on ne nous sort pas beaucoup de moyens ». Mais nous allons consacrer nos évacuations à ce groupe. Et nous n’allons plus, comme c’était le cas dans le passé, envoyer des ressources à n’importe quel hôpital dans le monde, pourvu que le médecin ou le patient choisisse son hôpital. C’est aux États-Unis, en Afrique du Sud, au Brésil… Chacun choisissait son hôpital, où il veut dans le monde, quel que soit le prix, quel que soit le coût, pour des soins qui, parfois, sont du même ordre ou alors même de moindre qualité. Et parfois, c’est même un réseau de commissions qui s’instaure. Et nous avons décidé d’instaurer la transparence et la rationalisation. Et depuis, je peux vous affirmer quelque chose : j’ai vu le détail des comptes. Pour autant de soins que par le passé, nous avons divisé par deux le coût pour les mêmes volumes pratiquement. Mieux, nous venons de rapatrier au Bénin plus de six cent (600) millions de FCFA de fonds qui dormaient dans les divers hôpitaux du monde entier pour les provisions qu’on constituait dans ces hôpitaux-là. Donc, l’État béninois constituait des provisions un peu partout dans les hôpitaux du monde, et les gens y vont à volonté. Et vous entendez quelqu’un dire : « Oui mais moi, j’ai une provision. À l’occasion de ma première évacuation, une provision a été constituée dans tel hôpital. L’hôpital américain, qui est un hôpital de luxe, on y va même pour des bobos. Il y a beaucoup de maladies qu’on peut soigner ici, localement, et on va là-bas pour des bobos. Je dis une chose : « Ceux qui veulent soigner leurs bobos en France, aux États-Unis, ils iront avec leurs propres moyens. On ne va pas utiliser l’argent des pauvres Béninois, les impôts que nous collectons sur tout le monde, y compris sur celui qui est dans la brousse.

Moi, j’aimerais bien entrer dans une autre dimension Monsieur le Président. En tout cas, il m’est revenu que certains syndicats du secteur de la Santé se mobilisent pour revendiquer leur droit de grève, et puis, certains engagements pris par votre Gouvernement. Est-ce vrai ?
Moi je suis dans l’action au quotidien malgré les controverses. Cela est de nos prérogatives de faire des réformes, de les expliquer, et d’essayer d’obtenir l’adhésion de nos concitoyens. Ce qui me préoccupe, est-ce que la réforme est pertinente ? Est-ce qu’il est bon que les médecins utilisent la vie comme un élément de chantage ? Moi, j’ai vu un reportage. J’ai entendu comment mes concitoyens ont déploré avec moi cette façon de procéder, que, comme je vous ai dit déjà une fois, qu’un syndicaliste me dise : « Monsieur le Président, vous allez reculer. Quand il y aura des dizaines de morts dans les hôpitaux, vous allez devoir céder ». J’en ai la chair de poule. On fait chanter le Gouvernement avec la vie des concitoyens. C’est inadmissible. Le système est devenu perverti complètement.

Monsieur le Président, l’autre réforme qui aura fait couler beaucoup d’encre, et continue encore, c’est la réforme du secteur pharmaceutique. C’est vrai que, récemment, il y a eu des nominations. Mais où est-ce qu’on en est ?
La réorganisation du secteur pharmaceutique est en cours. Nous avons fait venir des experts qui nous accompagnent dans la répartition des rôles, et dans l’implantation au Bénin de laboratoires de renom pour que l’État ait les moyens de faire les contrôles qui s’imposent en matière de médicaments. On n’en avait pas. C’est aussi une insuffisance de la part du Gouvernement. Donc, nous sommes en train. Et je pense que dans les prochaines semaines, les nouveaux textes vont sortir. Mais on note déjà cette amélioration. Moi, j’ai entendu une dame, il y a deux semaines, me dire : « Monsieur le Président, je ne commande plus mes médicaments en France. Et je ne sais pas si c’est psychologique, mais depuis, nous avons l’impression, nous avons la certitude que les médicaments qu’on nous vend désormais sont de meilleure qualité ». Si c’est purement psychologique, c’est tant mieux. C’est dommage. Mais je pense effectivement que le comportement des uns et des autres ne sera plus jamais le même qu’il y a quelque temps. C’est déjà un acquis.

Monsieur le Président, c’est quand même surprenant cette réaction de la dame dont vous parlez, parce que je vous rappelle à la Conférence internationale sur l’accès aux médicaments par exemple, vous avez fait quand même un discours assez admirable et courageux. On l’a salué par ici, nous avons perçu quand même derrière votre discours la solitude d’un homme engagé dans une bataille tout seul. Vous aviez même fait remarquer qu’on fabrique des médicaments essentiellement destinés à l’Afrique parce que pauvre, parce que n’ayant peut-être pas droit à des médicaments de qualité. Alors, comment ça se fait ? Est-ce que les donnes ont changé à ce niveau-là pour que la dame ait l’impression que désormais elle a des médicaments de qualité au Bénin ?
Nous avons la chance qu’au Bénin, nous sommes maîtres du jeu, tout au moins, à défaut de l’être en Afrique et dans le monde. Je n’ai pas la prétention de changer le monde en un jour. Mais je voudrais contribuer au changement du monde, et en commençant par mon pays. Et ce que nous faisons fait des émules. Ce que nous faisons, déjà, crée une dynamique globale, et c’est une lutte que nous portons au Bénin, que je porte avec beaucoup de fierté. Et je sais qu’au Bénin nous aurons les résultats assez rapidement, ce qui est déjà le cas, et que notre lutte va impacter le monde, peut-être pas à 100% de notre temps. Mais à n’avoir l’espoir en rien du tout, le monde n’aurait point changé depuis sa création. Donc, parfois, il faut rêver. Et il faut savoir agir même quand on est seul. Et souvent, quand on agit avec détermination, volonté, intelligence, cela finit par porter ses fruits, même quand ce n’est pas de son temps.

Monsieur le Président, je me rappelle comme si c’était hier. Lors de votre campagne, vous étiez passé à Radio Tokpa, et vous aviez décrié le système éducatif béninois. Mais aujourd’hui, avec beaucoup de recul, puisque bientôt nous atteindrons les 3 ans de gouvernance, quelles sont vos observations aujourd’hui ?
Mon constat est encore plus amer que ce que je pensais. Le niveau de nos enfants n’est pas bon, notamment au primaire. Et puis au secondaire, c’est pareil. Vous savez, je ne peux pas croire que les Béninois que nous sommes, les adultes que nous sommes, que nous faisons des enfants qui sont plus bêtes que nous. Ce n’est pas possible. La race humaine s’améliore. Théoriquement, les enfants sont amenés à être plus intelligents que leurs parents. Parce qu’ils ont une condition de vie meilleure. Ils mangent mieux. On les soigne mieux. Donc, tout leur potentiel se développe mieux que celui de leurs parents, de leurs géniteurs. Donc, théoriquement, nos enfants sont plus intelligents que nous. Mais voilà que si on fait une comparaison dans le monde et dans la sous-région, le niveau scolaire des enfants, le niveau des acquis de nos enfants est plus bas que celui des autres pays. Je vais vous donner un exemple qui fend le cœur. Le Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs des Pays de la Francophonie (PASEC) a fait une évaluation en Afrique de l’Ouest et centrale, et sur dix (10) pays recensés (les pays de l’UEMOA plus le Tchad, le Cameroun, le Congo), on a évalué le niveau des acquis de nos enfants du primaire. Les enfants du Bénin, jadis quartier latin de l’Afrique, sont avant-derniers sur dix (10) pays de la Francophonie, sur un échantillonnage représentatif de la réalité nationale. Nos enfants sont avant-derniers sur dix (10) pays de la Francophonie. Cela nous interpelle. Nous ne pouvons pas croiser les bras devant une telle situation. En 2014 ou en 2015, nos enfants ont été admis à 90% au CEP, est-ce que vous vous rappelez de ça, 90%. Le niveau d’évaluation qui a eu lieu en 2014, moins de 40% des enfants avaient atteint le seuil de connaissances requis en mathématiques. Moins de 40% ont atteint le seuil minimum ; et en français, ceux qui ont atteint ce seuil, c’est environ 50%, 55% en 2014. Mais 90% de nos enfants, après les examens du CEP, ont été déclarés avoir acquis le minimum. Et ce sont ces enfants qui sont allés au collège, et qui traînent ces tares au collège, et ce sont ces enfants qui vont rentrer à l’université, et nous nous étonnons que notre pays ne se développe pas, que notre pays recule.

Quand vous avez fini de faire ce constat, quelle est l’ambition que vous nourrissez alors pour ce système éducatif ?
Nous n’avons pas le choix. Nous allons commencer par le plus bas, et remonter. Nous allons devoir former, bon gré mal gré, nos enseignants du primaire. Nous allons devoir renforcer leurs compétences et leurs capacités. Et c’est pour ça que nous avons organisé récemment des tests d’évaluation pour apprécier le niveau de chacun, et savoir ce dont chacun a besoin. Il y en a qui sont bons en mathématiques, il y en a qui sont bons en français. Il y en a qui ne sont pas bons dans les deux. Et nous avons besoin de déterminer le niveau de renforcement de capacités nécessaire à adapter à chacun de nos enseignants du primaire. C’est très ambitieux, c’est coûteux, mais on n’a pas le choix. Sinon, nous compromettons l’avenir de notre pays.

vous n’êtes pas bien compris dans votre volonté de renforcer les capacités des enseignants du primaire et de la maternelle. Parce que l’évaluation dont vous parlez, il y en a eu une première en juin que vous aviez annulée parce qu’il y aurait eu des irrégularités. L’évaluation a été reprise le 28 juillet. Mais les organisations syndicales ont appelé leurs militants à boycotter cette évaluation. Quelle sera la suite Monsieur le Président ?

Journaliste : Monsieur le Président, je me rappelle comme si c’était hier lors de votre campagne. Vous étiez passé à radio Tokpa et vous avez décrié le système éducatif béninois. Mais aujourd’hui avec beaucoup de recul et avec trois ans de pouvoir, quelles sont vos observations ?
Mon constat est plus amer que ce que je pensais. Le niveau de nos enfants n’est pas bon, notamment au primaire. Au secondaire, c’est pareil. Je ne peux pas croire que les Béninois que nous sommes, faisons des enfants plus bêtes que nous. La race humaine s’améliore. Théoriquement, les enfants sont amenés à être plus intelligents que leurs parents parce qu’ils ont une condition de vie meilleure. Voilà que si on fait une comparaison dans la sous-région, le niveau des enfants béninois est plus bas que ceux de la sous-région. Le programme d’analyse des systèmes de la francophonie (PASEG), a fait un travail sur 10 pays de l’UEMOA. Les enfants du Bénin, jadis quartier latin, sont avant-derniers. Cela nous interpelle. Nous ne pouvons pas croiser les bras devant une telle situation. En 2014 ou 2015, nos enfants ont été admis à 90% au CEP. L’évaluation de 1994 avait montré que moins de 40% avaient atteint le seuil de réussite en mathématiques. Ces enfants vont atteindre l’université avec ce niveau et nous nous étonnons qu’on ne se développe pas.

Après ce constat, quelle est l’ambition que vous nourrissez ?
Nous allons commencer par le plus bas et remonter. Nous allons devoir former bon gré mal gré les enseignants du primaire. Nous allons devoir renforcer leurs capacités. C’est pour cela que nous avons organisé récemment des tests d’évaluation pour apprécier le niveau de chacun et savoir ce dont chacun a besoin. Vous savez certains sont bon en mathématiques, d’autres en français. Cette évaluation permettra de savoir comment améliorer la performance de chaque enseignant. C’est ambitieux, c’est coûteux mais nous n’avons pas le choix car nous risquons de compromettre l’avenir de notre pays.

Vous n’êtes pas bien compris dans votre volonté de renforcer les capacités des enseignants du primaire et de la maternelle. Mais l’évaluation dont vous parlez a été annulée pour sa première édition en juin à cause des irrégularités. Elle a été reprise le 28 juillet mais les organisations syndicales ont appelé leurs militants à boycotter. Quelle sera la suite, Monsieur le Président ?
Ce sont les conséquences d’un système où ceux qui sont concernés disent que c’est bon comme ça. Pensez-vous que le syndicat a raison de dire que rien ne va changer ?

Ne faudrait-il pas penser à d’autres mécanismes comme le font déjà les conseillers et inspecteurs dans les classes ? Au lieu de les mettre à table et de les évaluer comme des apprenants ?
Dans le système éducatif, les évolutions sont fonction de l’évaluation de l’enseignant. Nous sommes dans un domaine où la compétence, la connaissance demeurent l’élément essentiel de l’évolution de chacun. Nous avons constaté que nos enfants du primaire théoriquement plus intelligents que nous, ont un niveau plus bas que le standard attendu. De deux choses l’une, ou nous disons qu’il faut améliorer ou nous disons on ne peut rien faire et cela va rester comme cela jusqu’à ce que cette génération passe et nous allons prendre des mesures pour des générations à venir. Les enseignants qui sont là n’iront pas tous à la retraite. Donc nécessité d’améliorer leur niveau de compétence. Tout le monde sait très bien que les enseignants ont des insuffisances.

Pour certains ce sont plutôt les grèves qui sont à la base des carences. De ce fait, ils perçoivent ces évaluations comme des sanctions pour les dernières grèves.
Dire que quelqu’un a besoin de renforcement des capacités et que pour le faire il faut savoir ce qu’il lui faut est une sanction ? Comment renforcer quelqu’un sans savoir ce qui lui manque. Est-ce intelligent de former tout le monde pareil ?

Un autre grief est que vous pensez les réformes sans les associer
Ce n’est pas le rôle des syndicats de faire des réformes. C’est mon rôle. J’ai un mandat du peuple de leur part pour conduire des actions et des réformes. Le syndicaliste n’est pas élu sur la base de réforme. Pas de mélange.

Que va-t-il se passer maintenant comme ils opposent une résistance ?
Nous consultons tout le monde. Aujourd’hui, je ne suis pas prétentieux au point de décider moi seul dans mon bureau de ces choses-là. Nous faisons appel à certains d’entre eux, à des experts pour partager notre dynamique et retenir les options techniques utiles. Et ce que nous mettons en œuvre sera issu des réflexions avec les compétences les plus avérées.

Parlons-en, du PAG lancé en décembre 2016. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les statistiques ?
Nous avons beaucoup avancé. Je ressemble à mes concitoyens qui sont également impatients. Mais l’impatience ne doit pas nous amener dans la précipitation. On entrevoit déjà ce qui va être visible sous peu. Il était important pour nous de bâtir les fondamentaux du développement durable dans tous les domaines. Quand l’éducation va mal, quand la santé va mal, quand il n’y a pas d’eau, d’électricité, de route, vous ne pouvez pas sortir de la pauvreté même si vous avez du génie en vous. On dit qu’on n’a pas d’emploi au Bénin. Mais qu’est-ce qui permet l’implantation des entreprises créatrices d’emplois ? C’est le niveau de compétence de ceux qui sont dans le pays dans les domaines de l’énergie, les routes, l’internet. Sans cela, il ne peut y avoir de création d’emploi. Nécessité d’utiliser nos ressources pour développer les fondamentaux. C’est ainsi que depuis deux ans et demi, nous consacrons l’essentiel de nos ressources, l’économie que nous faisons sur les uns et les autres en supprimant les primes et en assainissant les finances publiques pour qu’il n’y ait plus de coulage. Nous sommes conscients que les coulages servent à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Mais c’est avec ces économies que nous donnons des repas à nos enfants dans les écoles, c’est avec cela que nous réglons les problèmes d’électricité. Nous sommes en train de construire une autre centrale à Maria Gléta pour remplacer les 40 milliards que nous avons perdus dans le passé. Pour faire tous ces travaux, nous avons besoin des ressources extérieures mais aussi des ressources locales. Pour l’eau c’est pareil avec une mobilisation de plus de 300 milliards de FCFA. A cet effet, vous avez vu beaucoup d’appels d’offres dans les journaux. Cet argent n’est pas un don. Ce sont des financements des organismes internationaux qui ont confiance que nous pouvons payer nos dettes. C’est pareil pour les routes. Nous venons de signer les contrats du programme d’asphaltage. Les études ont mis deux ans. Ce sont autant de choses qui sont nécessaires maintenant pour que nous posions les bases d’un développement réel. Ce qui veut dire que demain quand vous allez acheter votre voiture pour circuler dans nos villes, vous ne serez plus contraints de changer vos rotules, vos crémaillères au bout de 4 ans ou 5 ans. Les Européens ne savent pas ce que c’est que les rotules parce qu’ils ne les changent jamais compte tenu du bon état de leurs routes. J’espère et je suis certain que dans quelques années, après 2021, tous les Béninois auront de l’eau potable. Après, nous ne ferons que quelques investissements d’ajustement au fur et à mesure que la population va croître. A cet effet, on ne sera plus obligé de mobiliser de grosses ressources allant jusqu’à 400 milliards de FCFA. C’est ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui. C’est pareil dans tous les domaines. Dans quelques années, nos ressources publiques vont servir à améliorer nos revenus, le panier de la ménagère.
Je pense bien au panier de la ménagère. Mais il faut d’abord assurer le minimum pour tout le monde. Je veux parler des investissements de survie. Le Bénin, on le voit, va déjà mieux et ira mieux. La sécurité de nos concitoyens s’est améliorée. C’est coûteux, c’est dur aussi pour les agents de la sécurité parce que nous sommes trop rigoureux mais les résultats sont déjà là. Il faut aussi débarrasser nos grandes villes des ordures. Nous avons déjà lancé les appels d’offres. Nous allons bientôt signer les contrats avec les entreprises spécialisées. Et dans quelques années nous n’aurons plus nos ordures dans la figure comme c’est le cas où certains les mettent dans les caniveaux. Toute chose qui compromet la propreté et l’assainissement de nos villes. Ailleurs, quand il y a grève des éboueurs, toutes les rues sont jonchées d’ordures. Ceux qui le font n’ont pas toujours tort car c’est aussi la défaillance de l’Etat. Lisez les journaux, vous verrez que tous les appels d’offres sont lancés et des travaux ont démarré.

N’avez-vous pas l’impression de trop embrasser plusieurs choses à la fois ?
Oui, c’est vrai ! Je suis épuisé moi-même (rire). J’ai beaucoup vieilli. Je ne dors pas assez, mes collaborateurs, pareil. Je mets la pression sur tout le monde. Mais quand tout vous manque, avez-vous la possibilité de choisir des priorités ? Mais nous avons l’énergie qu’il faut pour tout embrasser. Plaise au ciel de nous accorder une bonne santé.

Vous avez énuméré beaucoup de réformes engagées, les concitoyens ont l’impression qu’on leur demande un peu trop de sacrifices. Je me rappelle bien votre appel de Parakou qui nous invitait à serrer un peu plus les ceintures. Vous nous avez promis deux ans. On a l’impression que chaque jour, il y a des concessions à faire. Est-ce qu’on ne demande pas trop ?
C’est réel, c’est vrai. Nous demandons beaucoup à nos concitoyens, à nous-mêmes. Mais avons-nous le choix ? Est-ce qu’il ne faut pas avoir l’eau et l’électricité partout ? Ne faudrait-il pas que nos enfants aient des repas chauds à l’école ? Vouloir le faire n’est pas trop demandé. Mais les moyens pour le faire, viennent d’où ? Aujourd’hui, les grands pays qui nous aidaient ont leurs problèmes et ne sont plus capables de nous donner de l’argent. Quand on manque de tout et on veut avoir le minimum, il faut des efforts. Vous savez, les riches font peu d’efforts pour vivre. C’est celui qui est pauvre qui doit en faire davantage. Et c’est notre cas.

Quand vous ouvrez tous ces chantiers, et que vous ne vous arrêtez pas pour la mobilisation des ressources, est-ce que nos ressources sont disponibles pour mettre en exécution tous ces projets que vous nous faites miroiter ?
Oui madame ! Nous ne parvenons pas à mobiliser tout ce que nous voulons. Notre PIB, nos impôts et autres ne suffissent pas pour que nous puissions avoir la masse d’argent dont nous avons besoin pour tout régler. Mais nos efforts sont appréciés par les partenaires à travers les annotations des agences qui montrent qu’en deux ans le Bénin a fait des efforts. Le FMI, la Banque mondiale et les Nations unies ont décidé de faire une évaluation des pays en voie de développement quant à leur capacité d’atteindre les ODD par une bonne gouvernance. Parmi les 5 pays choisis dans le monde, deux sont en Afrique. Il s’agit du Bénin et du Rwanda. C’est pour dire que ce que nous faisons est bien. Nous devons continuer l’effort car les réformes portent déjà des fruits.

Il y a des citoyens qui ne comprennent pas que des institutions internationales saluent les efforts, alors qu’on assiste à la multiplication des bons de trésor ? Cela parait un paradoxe
Comment voulez-vous qu’on finance 400 à 600 milliards d’adduction d’eau, de routes, d’énergie sans aller à l’emprunt ? C’est parce que nous sommes capables que nous y allons aujourd’hui. C’est un mérite et c’est formidable. Ce que nous lançons comme obligation de ressources, c’est pour financer ce dont je vous parle. Vous savez la France qui est notre référence, va tous les jeudis sur le marché financier pour aller lever des milliards d’Euros. A l’international, il y a l’argent. L’argent va là où il est utilisé et peut être remboursé. Désormais, si une partie de l’argent du monde vient au Bénin, cela signifie que nous sommes dans une dynamique qui rassure les investisseurs. Cet argent peut servir les financements.

Quelle est la part des régies financières dans la mobilisation de ces ressources ?
Nous mobilisons environ 900 milliards de FCFA par an. Et nous avons amélioré nos performances depuis 2 ans et demi. Mais nous avons besoin de deux fois, trois fois plus pour financer les salaires, la santé, l’école, les cantines scolaires, les routes, l’eau. C’est pour cela que nous allons chercher parce que nous sommes capables de les rembourser. La notation récente doit nous amener à croire à notre destin. Beaucoup de Béninois ne paient pas encore leurs impôts. La fraude douanière persiste. Il faut collecter davantage d’impôts pour plus de financement et bientôt toutes les rues du Bénin seront revêtues. Les centres de santé auront le plateau technique qu’il faut. Nous allons devenir un pays développé.

(Micro trottoir) Nous venons d’écouter certains de nos concitoyens qui sont revenus sur certains points comme le PAG et ce qu’ils ressentent dans l’application de ces programmes. Comment réagissez-vous après les avoir entendus ?
C’est plutôt encourageant. Je sais que mes concitoyens, malgré les difficultés quotidiennes, commencent à comprendre ce que nous faisons. Je note qu’il y a beaucoup d’insatisfaction.

Est-ce que l’Etat a la capacité aujourd’hui de donner deux repas au lieu d’un aux enfants bénéficiaires des cantines scolaires ?
C’est avec plaisir que j’ai entendu cette concitoyenne demander deux repas. Cela signifie qu’elle voit le bien-fondé de ces cantines scolaires. Nous voulons bien le faire mais pour les moyens dont nous disposons aujourd’hui, la priorité c’est de donner aux autres enfants qui attendent au moins un repas aussi à partir de la rentrée prochaine. Nous allons aussi doubler le nombre d’écoles et le nombre d’enfants bénéficiaires. J’ai aussi entendu quelqu’un dire comment encadrer le droit de grève aux enseignants ? Je lis bien ses appréhensions. La rentrée s’annonce. Ne serons-nous pas face à des grèves qui pourraient handicaper l’année scolaire à venir ? Je ne voudrais pas être pessimiste tout le temps. Je pense qu’il n’y a aucune raison que nous retombions dans les grèves. Pour moi, ce n’est pas une obsession l’encadrement des grèves. C’est vrai, nous allons encadrer ; les députés en parlent. Mon rôle est d’avoir un dialogue constructif avec les enseignants. Si nous avons approuvé le choix des députés de retirer le droit de grèves aux agents de la santé, c’est que dans ce domaine, la grève fait perdre des vies. Mais nous allons encadrer la grève de manière générale.
Quant aux calomnies dont je fais objet tous les jours, je les supporte avec beaucoup de fairplay. Je suis attentif à la critique. J’essaie de savoir ce que pensent mes concitoyens de ce que nous faisons. Même des caricatures, j’en tire quelque chose de positif. Mais quand les critiques deviennent de la calomnie et de l’insulte, cela m’amuse. Je n’éprouve aucune souffrance à la critique ou à l’insulte mais je prends plaisir à regarder ce qui est positif. Il ne faut pas souffrir des calomnies que certains déversent sur vous parce qu’eux aussi sont dans la peine. Vous savez 90% de ce qu’on raconte sur moi aujourd’hui sont de la calomnie. Les 10% nourris par une certaine objectivité, je les prends au comptant.

Quel est le délai que vous donnez aux Béninois pour qu’ils voient leur souffrance au passé ? Ou doit-on s’attendre à d’autres mesures fiscales ou autres sollicitations ?
Un pays développé est un pays dans lequel tout le monde paie ses impôts. Nous n’avons pas augmenté les taux d’imposition et nous ne le ferons pas. Mais il faut que chacun paie ses impôts et taxes. Il n’y a pas de raison que certains paient et d’autres non car si tout le monde paie, nous aurons des moyens pour faire face aux besoins fondamentaux.

Au-delà des impôts, il y a ces taxes connexes. La dernière, c’est l’augmentation des frais de péage et de pesage.
C’est vrai, je fais le travail ingrat que mes prédécesseurs n’ont pas fait. En signant les conventions de crédit avec les partenaires au développement pour construire les routes, nous prenons l’engagement de les entretenir avec les recettes de péage. Ce qui n’est pas fait. Il est prévu aussi que les tarifs des péages vont évoluer dans le temps pour pouvoir couvrir les besoins nécessaires à l’entretien des infrastructures routières. Mais ces tarifs sont restés inchangés depuis le premier jour. Voilà pourquoi nous négocions dur car les partenaires disent que notre passé ne plaide pas pour nous. Les Béninois savent bien que le bon état des routes leur fera des économies. Les préjudices d’une voie mal entretenue sur une voiture sont plus importants que ce que nous payons au péage. Mais attention, si nous collectons les ressources, il faut que les routes soient entretenues.

Que prévoyez-vous pour l’entretien dès que le projet asphaltage sera réalisé ? L’exemple vivant est la haie vive.
Nous avions il y a 30, 40 ans, revêtu les rues de nos quartiers résidentiels puis ces voies se sont dégradées au fil du temps. Mais on ne peut pas mettre des péages dans la ville. L’entretien des voies dans nos villes sera financé par les péages en périphérie.

A quand le démarrage de la phase opérationnelle de l’ARCH ? Qui va financer ?
C’est notre projet emblématique au plan social. Cela demande beaucoup d’expertises et de travail dont le RAVIP. Je dois féliciter nos concitoyens pour leur participation active au recensement. Car aucun pays au monde n’a atteint ce taux. En effet, plus de 10 millions de Béninois sur les 11 millions ont été enregistrés. La phase qui va suivre est le recensement des pauvres extrêmes et des pauvres non extrêmes. Le dernier recensement n’a pas distingué les catégories sociales. Cette phase est importante car il faut savoir qui est pauvre. L’Etat ne doit pas subventionner les agents de l’Etat par exemple. Mais l’Etat peut subventionner celui qui a du mal à avoir un repas au quotidien. Théoriquement, à partir de novembre ou décembre, nous allons démarrer la phase pilote de l’ARCH qui passe par la distribution des cartes RAVIP. Notre souhait est que courant 2019, le volet assurance-maladie universelle pour tous soit totalement actif. Il faudra faire voter au Parlement une loi qui permettra à nos concitoyens sans papier la confirmation de leur nationalité béninoise. S’il faut attendre les audiences foraines, jusqu’en 2021, rien ne sera fait. Malheureusement, les plus concernés sont encore les plus pauvres, les bénéficiaires de l’ARCH.
Par rapport aux microcrédits, il faut dire qu’ils étaient considérés comme des dons politiques. Ce qui laisse beaucoup d’imperfections. Ceux qui nous financent ne peuvent pas continuer. Le RAVIP nous permettra de mieux maîtriser le programme.

La plupart des Béninois ne vont pas directement dans les centres de santé quand ils sont malades. Avec l’ARCH, on aura un flux massif vers les centres de santé. Est-ce que ces centres de santé sont disponibles pour les accueillir surtout que vous nous donnez une date.
La question est pertinente. Vous comprenez pourquoi nous ne pouvons pas laisser les centres de santé publics à la dérive. D’où la nécessité d’un modèle qui fait que les médecins doivent être disponibles dans les centres de santé.

Des hôpitaux qu’on veut mettre en affermage. Aujourd’hui, où en est-on avec le processus ?
Nous le ferons. Ce qui nous fait défaut actuellement est notre capacité à bâtir sur l’existant un modèle nouveau. Mais parfois, quand le système a atteint un niveau de perversion avancé, il faut une rupture. La gestion logistique et administrative de nos centres de santé pose un problème. Nos médecins sont compétents mais ils ont délaissé l’administration publique qui les paie pour aller donner le meilleur d’eux-mêmes dans le privé. Nous voulons qu’ils reviennent dans le système public. Nous avons décidé de payer des gens compétents qui ont l’expérience avérée de gestion hospitalière pour nous accompagner pendant quelques temps. Nous ne voulons donner aucun centre de santé à des privés. Quelques centres de santé seront confiés à des ONG car en regardant les centres de santé gérés par des celles-ci, notamment des confessions religieuses, on constate que la gestion est meilleure. En plus, nos concitoyens font la queue devant ces hôpitaux.

Ce mode de gestion n’induira-t-il pas l’augmentation des coûts de prestation ?
S’il y a queue devant ces centres de santé confessionnels, cela signifie que le rapport qualité-prix leur est favorable. Mais nous mettons l’accent sur les partenariats à but non lucratif pour ne pas se faire gruger. Pour cela, nous devons aller pas à pas.

Les titulaires des cartes du RAVIP pourront se passer de la carte d’identité nationale ?
La carte RAVIP vaudra carte d’identité nationale.

Beaucoup de ceux qui vendent du carburant au bord des voies estiment qu’ils ont fait des prêts. Aujourd’hui le code pénal interdit ce commerce. Que projetez-vous pour ces personnes ?
Vous donnez l’occasion d’évoquer un sujet sensible qui donne beaucoup de stress à nos concitoyens. La vente du carburant au bord des voies est devenue une activité importante au Bénin car elles concernent des centaines de milliers de Béninois. Aucun gouvernant ne peut décider de tirer un trait sur une telle activité. Ce qui est fondamental, c’est de la réorganiser. Ce commerce est exercé par des gens qui n’ont pas l’équipement approprié et s’approvisionnent par la contrebande. Cette réorganisation ne pourra pas être faite du jour au lendemain mais en accompagnant les acteurs qui sont déjà recensés de façon discrète. Le gouvernement est en train de mettre en place un programme de fourniture de mini stations mobiles de sorte que leur activité n’impacte pas négativement leur environnement et leur santé. Nous allons les faire rentrer dans le formel. Après, nous allons formaliser les sources d’approvisionnement. Cela permettra d’agréer leurs fournisseurs afin qu’ils se ravitaillent par voie légale. Nous devons faire les concessions possibles pour que les nouveaux prix ne soient pas loin des prix pratiqués actuellement. En d’autres termes, nous allons combattre la contrebande et non l’activité.

Vos compatriotes vous trouvent aujourd’hui trop rigoureux, trop intransigeant et même trop tranchant. Je vous connais souriant, mais il semble que vous avez perdu le sourire depuis que vous êtes Président de la République. Est-ce une attitude adoptée tout simplement pour restaurer ou affermir l’autorité de l’Etat ?
(Sourire) Ce n’est pas calculé. Je ne suis pas dans une posture juste pour servir la fonction. Je n’adopte pas une posture pour la cause. Mais je dois vous avouer que ma vie a changé. J’aime prendre plaisir aux petites choses comme tout le monde. Mais depuis, mes responsabilités m’empêchent. Je suis très motivé par les objectifs que je vise. J’ai la volonté de rentrer dans l’histoire de mon pays autrement. Je suis parfois épuisé par mes tâches actuelles mais je ne déteste pas ce que je fais. Je vois combien l’action peut servir des millions de personnes au lieu d’un seul, d’un petit groupe. Mon objectif est de montrer qu’un gouvernant peut réussir à changer les habitudes, à impulser un développement, ce que j’aurais perdu en qualité de vie serait largement compensé par cette satisfaction morale. Il est important que la fonction présidentielle serve la cause publique, serve l’intérêt général avec pertinence, avec sérieux, pérennité et gravité. Ce n’est pas banal de diriger un pays où tout est à faire. Du coup, cette exigence me transforme un tout petit peu. D’abord physiquement, j’ai été transformé. Je suis souvent emballé dans l’exigence des résultats et je m’oublie. Les amis ne me voient plus, les parents ne me voient plus. Donc forcément les choses me transforment.

Un de vos proches collaborateurs nous a confié que le niveau de stress est très élevé. Certains ont même peur de décider.
Cela me revient souvent cette remarque. Si bâtir un pays peut s’appuyer sur l’expérience d’un bâtisseur, je prends. Le moule dans lequel j’ai été en tant qu’entrepreneur me confère les qualités de rigueur pour conduire une équipe, je veux bien le revendiquer. Il faut noter que gouverner, c’est diriger une équipe où chacun apporte sa compétence, sa stratégie. Aucun Président ne peut tout faire à lui seul tout. Donc la première qualité d’un dirigeant à succès est sa qualité managériale à conduire une équipe. C’est ce que j’essaie de faire avec détermination et passion. Nous sommes tous stressés. Le stress vient du peuple car nos concitoyens sont très impatients. Ils ont raison car ils nous accompagnent. Je salue encore leur courage, leur esprit de clairvoyance. Je suis leur porte-parole auprès du gouvernement. (Rire)

Comment pensez-vous les 60 ans d’indépendance à célébrer en 2020 ?
(Grand rire) Il y a 58 ans nous sommes indépendants. En faisant la comparaison avec d’autres pays d’Europe qui ont des centaines d’années d’organisation sociale, on peut dire que ce n’est pas long. Mais il y a de quoi ne pas être satisfait. Nous sommes dans un monde où on n’a pas besoin de refaire le même chemin que les autres. On peut s’approprier de l’expérience des autres et faire des sauts. Des gens sont au téléphone mobile sans connaître le téléphone fixe. J’estime que ce que nous avons fait en 58 ans est insuffisant. On peut mieux faire. J’espère quand on sera en train de fêter les 60 ans, on parlera de la célébration de notre indépendance mais aussi de notre fête nationale. On ne le dit pas assez. Et la fête nationale est l’occasion de faire le bilan, de célébrer notre Nation, nos valeurs, notre citoyenneté, célébrer le Bénin. Mon espoir est que lors du 60e anniversaire, qu’on célèbre davantage le Bénin. L’indépendance n’est que le début d’un processus. Mais le Bénin ne se célèbre pas. C’est pour cette raison que nous avons nommé le PAG, Bénin Révélé. Mon souhait est que ce petit pays en matière de territoire soit un grand sur le continent et dans le monde. Et que nous puissions célébrer notre pays et chaque fois, ce sera la fête de la célébration de la Nation béninoise. Je rêve de cela et nous sommes capables de devenir grand.



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