La réforme des partis politiques au Bénin : quelques facteurs à prendre en compte

La rédaction 2 février 2017

Mathias Hounkpè, politologue

Les béninois sont tous d’accord sur l’urgence de la réforme du système partisan du pays. La Commission ad hoc en charge des réformes politiques et de la révision constitutionnelle mise en place par le Président Talon a, à juste titre, considéré cette question comme l’une de ses priorité. Cette réflexion partage quelques facteurs auxquels il faut faire attention afin d’éviter que les réformes posent plus de problèmes qu’elles ne sont supposées régler.

Lors de son discours d’investiture le 15 juin 2015, Me Adrien Houngbédji, l’actuel président de l’Assemblée Nationale du Bénin, a insisté sur "l’impérieuse nécessité d’une réforme approfondie [du] système partisan [béninois]" afin de réduire le nombre de partis politiques, d’instaurer plus de démocratie en leur sein, de les amener à se bâtir autour de projets de société, etc. M. Patrice Talon, actuel Président de la République du Bénin, dans son discours d’investiture le 6 avril 2016 a également jugé utile de "souligner avec force, que l’enracinement démocratique [du Bénin] est largement tributaire du système partisan [qui est celui des Béninois] et des valeurs qu’ensemble nous envisageons de promouvoir."
Que les responsables des deux plus grandes institutions de la démocratie béninoise insistent, à leur prise de fonction, sur l’urgence d’initiatives pour sauver le système partisan du pays ne devrait pas être une surprise. En effet, la dynamique qui s’observe depuis quelques années au niveau de la configuration de l’espace partisan du pays est inquiétante et même porteuse de risques voire de menaces. Le tableau1 ci-dessous montre de manière claire qu’il y a longtemps que le Bénin n’a pratiquement plus de parti politique digne de ce nom (à l’exception du PRD, et encore). Ils sont au fil du temps remplacés par des coalitions éphémères et à géométrie extrêmement variable.

Au fond, il n’est pas surprenant que la réforme du système partisan béninois soit l’une des priorités de la Commission ad hoc en charge des réformes politiques et de la révision de la Constitution mise en place par le Président Talon dès son accession au Pouvoir. La présente réflexion attire l’attention sur quelques facteurs/paramètres dont il est nécessaire, indispensable de tenir compte dans les analyses et les approches envisagées si l’on veut garantir la cohérence entre les objectifs visés et les moyens à adopter pour les atteindre.

L’organe en charge du suivi de l’application des réformes doit être la priorité
Le premier paramètre est celui relatif à l’organe qui sera chargé d’assurer l’application de la législation amendée sur les partis politiques. En effet, le constat actuellement est que plus de 75% des dispositions des lois sur les partis politiques au Bénin ne sont pas appliquées2. Qu’il s’agisse des dispositions de la Charte des partis politiques relatives à la participation aux élections, à l’accès aux moyens officiels d’information et de communication, aux financements publics, à l’encadrement du financement des partis politiques, etc. Elles sont soit mal appliquées ou tout simplement inappliquées. Ce constat, sur la mise en œuvre de la Charte des partis politiques, s’applique également au statut de l’opposition ainsi qu’aux dispositions du code électoral et de la constitution applicables aux partis politiques. Or, à l’évidence, il ne sert à rien d’adopter des lois si personne ne peut en garantir l’application.

Pour faire face et résoudre ce type de problèmes, des approches de solutions existent, notamment dans la sous-région. Cependant, il conviendrait de s’en inspirer avec précaution. Par exemple, au Ghana et au Nigéria, le suivi de l’application des lois relatives aux partis politiques est confié à la Commission Electorale. Les évaluations disponibles révèlent que ce modèle de suivi de l’application des lois sur les partis politiques a produit peu de résultats. De plus, aussi bien au Ghana qu’au Nigéria, les commissions électorales souhaitent que cette fonction leur soit retirée parce qu’elle leur ferait perdre du temps, de l’énergie, des ressources, etc. En Sierra Léone, un autre modèle est mis en œuvre, mais il ne produit pas encore des résultats probants pour le moment ; toutefois, l’on pourrait gagner à y regarder d’un peu plus près.

Prioriser les problèmes les plus urgents
Ensuite, il est impératif d’être très clair, dès le départ, sur les problèmes les plus urgents auxquels
il faut immédiatement chercher des solutions : ceci revient à les identifier de la façon la plus précise possible, d’une part, et à les prioriser en fonction de l’urgence, d’autre part. Par exemple, avons- nous des problèmes avec le nombre des partis politiques ? Ou bien avec leur contribution au bon fonctionnement de la démocratie ? Ou alors s’agit-il de problèmes liés à leur organisation interne ? A leur financement et/ou celui de la politique de façon générale ? Ou encore de leur participation à la gestion des affaires publiques ? A moins qu’il ne s’agisse de leur fonction de représentation ? Etc. Cette priorisation est importante dans la mesure où il est rare de pouvoir s’attaquer et de trouver des solutions à toutes ces questions à la fois. Les solutions disponibles ou à rechercher diffèrent selon les problèmes prioritaires retenus. Et, dans la mise en œuvre des solutions, il est important de faire attention à un certain nombre de points déterminants. En voici quelques-uns.

S’assurer que les solutions proposées augmentent vraiment les chances de résolutions des problèmes
Prenons, par exemple, la question du nombre des partis politiques3. Si le but est de garder ce nombre à un niveau raisonnable, l’on peut jouer sur plusieurs facteurs dont les plus importants sont d’un côté, le mode de scrutin, notamment les différents types de scrutin majoritaire ou proportionnel ; et, de l’autre, la magnitude, c’est-à-dire le nombre moyen de sièges de députés par circonscription électorale. Par exemple, le nombre de partis politiques, notamment ceux qui sont représentés au Parlement, est très faible au Ghana, au Nigéria, en Sierra Leone et au Libéria... Tous ces pays ont recours pour l’élection des députés au scrutin majoritaire à un tour et à la magnitude la plus faible possible, c’est-à-dire 1 siège de député par circonscription électorale. En revanche, et à titre de comparaison, au Bénin, l’on utilise le système du scrutin proportionnel avec une magnitude d’environ 3,5.

Outre le mode de scrutin et la magnitude, le nombre total de députés et le seuil (i.e. le pourcentage de votes nécessaire pour participer au partage des sièges au Parlement) sont également des paramètres, parmi d’autres, qui peuvent être utilisés pour contrôler le degré de fragmentation du système partisan d’un pays.

Quels que soient les paramètres retenus, il est important de faire attention à deux choses. D’une part, l’on doit s’assurer qu’on connaît et maitrise les conséquences des paramètres retenus. Par exemple, l’accroissement du seuil et l’augmentation de la magnitude (e.g. augmenter le nombre de députés sans augmenter celui des circonscriptions électorales) ont des effets opposés sur le nombre de partis politiques. En effet, si l’accroissement du seuil à tendance à contribuer à la réduction du nombre des partis politiques, l’augmentation de la magnitude a exactement l’effet contraire. Il faut donc être prudent.

D’autre part, l’on doit également s’assurer que les paramètres retenus produisent un niveau minimal de proportionnalité en termes de représentation des différentes composantes de la société. Le recours au scrutin majoritaire à un tour et à la magnitude 1 produit un niveau de proportionnalité très faible, c’est-à-dire qu’il a pour conséquence (et inconvénient) de produire des parlements d’où peuvent être absentes plusieurs composantes de la société et qui, en cela, n’en sont pas très représentatifs. Le débat a lieu depuis un moment aussi bien au Ghana qu’au Nigéria sur la pertinence de ce choix et ses impacts négatifs en termes de représentation même s’il contribue à maîtriser le nombre de partis politiques. Dans tous les cas, il s’agit de considérations qu’il ne faut pas prendre à la légère.

Au-delà de la question récurrente du nombre des partis politiques, celles du financement des partis politiques, de leur organisation interne, de leur contribution au bon fonctionnement de la démocratie, etc. peuvent également faire l’objet de discussions analogues. Mais il est important de garder présent à l’esprit le fait qu’en général, les réformes suivant l’une quelconque des dimensions évoquées ci-dessus comportent chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Si ces réformes sont mal prescrites ou ne sont pas bien maitrisées et bien contrôlées, elles peuvent conduire à des effets indésirables plus néfastes que les problèmes initiaux. Par exemple, lorsque les précautions nécessaires ne sont pas prises, la réduction du nombre de partis politiques peut affecter la représentation des composantes non négligeables de la société ; la régulation du financement des partis politiques peut réduire la liberté des citoyens et la qualité de leur participation à la démocratie ; la régulation de l’organisation interne des partis politiques, surtout dans des contextes comme les nôtres, peut les fragiliser et favoriser les phénomènes comme l’avènement de Donald Trump.
Mathias HOUNKPE Administrateur de Programme Gouvernance Politique et Consolidation Démocratique OSIWA



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