Le Médiateur, Joseph Gnonlonfoun parle de la gouvernance du Bénin : « Nous devons nous faire violence pour éviter de marquer le pas, car qui n’avance pas recule… »

Karim O. ANONRIN 26 juillet 2018

Dans quelques mois, le mandat du Médiateur de la République, Joseph Gnonlonfoun, prendra fin et il devra passer le témoin à quelqu’un d’autre conformément aux dispositions de la loi instituant le Médiateur de la République. Dans un entretien exclusif, l’homme est revenu sur les grands succès obtenus par l’institution sous son mandat. Il n’a pas manqué d’évoquer quelques innovations apportées au fonctionnement de la maison pour des résultats beaucoup plus probants. Aussi, a-t-il émis le vœu de voir le Médiateur de la République inséré dans la Constitution du Bénin comme une autorité administrative indépendante. Et Ceci, à cause de son appropriation par les populations de toutes les régions de notre pays.

Comment se porte aujourd’hui le Médiateur de la République ?
L’Institution du Médiateur de la République se porte à merveille. La mission à elle dévolue s’exécute avec efficience. Plus de 4257 plaintes des administrés sont reçues et traitées et des cas de succès sont enregistrés. Les audiences foraines se tiennent normalement et chaque année, la session annuelle du Médiateur de la République se déroule pour faire le point des avancées et des difficultés inhérentes à toute activité.

Parlez-nous des organisations régionales et internationales dont vous êtes membres ?
De façon succincte, le Médiateur de la République du Bénin est membre de l’Association des Médiateurs des Pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (AMP-UEMOA) dont j’assure la Vice-présidence. Il est également membre de l’Association des Ombudsmans et Médiateurs de l’Afrique (AOMA). Il est aussi membre de l’Association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie (AOMF). A titre illustratif, dans le cadre de l’Association des Médiateurs des Pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (AMP-UEMOA), nous échangeons nos expériences et cela permet d’assurer la formation entre institutions. C’est d’une utilité incontestable. Je dirai même que c’est très utile parce que les échanges que nous faisons nous permettent d’avancer. C’est d’ailleurs à ce niveau-là que nous avons pris certaines décisions dans le cadre de la formation et surtout des échanges dans nos différents pays. Par exemple, au niveau universitaire, nous avons organisé un grand séminaire à Bamako au Mali il y a environ 2 ou 3 ans où nous avons insisté sur la nécessité d’une harmonisation des taux de scolarisation au niveau universitaire. Nous avons encouragé les universités à échanger entre elles parce que ces échanges élargissent leurs horizons, élargissent leurs formations.

Depuis que vous êtes à la tête de l’institution, quelles sont les innovations que vous y avez apportées pour son meilleur fonctionnement ?
Plusieurs innovations ont été apportées à l’Institution du Médiateur de la République à l’instar de la session annuelle qui est une activité née sous mon mandat et qui consiste, en fin d’année, à faire le point, ensemble avec les cadres des Ministères, des réclamations traitées au cours de l’année et qui ont abouti à un heureux dénouement et de celles qui rencontrent des difficultés. On peut également citer les audiences foraines qui permettent aux cadres de l’Institution du Médiateur de la République d’entrer en contact direct avec les populations pour recueillir « in situ » leurs doléances vis-à-vis des services publics et revenir au siège de l’Institution pour les traiter.
En accord avec les administrations au service desquelles officie le Médiateur de la République, il a été mis sur pied des points focaux fluidifiant nos relations dans ces administrations.

Aujourd’hui, quelle est la plus grande difficulté que rencontre l’institution dans son fonctionnement au plan financier ?
L’article 21 de la Loi 2009-22 du 03 janvier 2014 instituant le Médiateur de la République dispose : « le budget de la structure administrative dont le Médiateur de la République a la charge est intégré au budget général de l’Etat ». Le budget de l’Institution a connu une baisse substantielle en 2016 suite au Collectif budgétaire intervenu depuis lors qui a entraîné quelques difficultés financières. Mais, avec le peu de moyens dont l’Institution dispose, les activités prévues dans son Plan de Travail Annuel sont exécutées dans la mesure de ses possibilités. Avec la compréhension des responsables des finances, nous arrivons à gérer la situation. Mais, des efforts de leur part accentueraient le rythme de nos activités.

Quelles relations entretient le Médiateur de la République avec les autres Institutions de la République ?
Le Bénin est un Etat démocratique au sein duquel existent plusieurs Institutions de la République dont l’harmonie dans le fonctionnement devra être le socle vivant de tout le système démocratique. C’est pourquoi, entre les autres Institutions de la République et le Médiateur de la République, les relations entretenues sont de bonne qualité.

Nous sommes à l’heure des réformes institutionnelles et politiques. Le Médiateur de la République est institué par une loi, mais elle ne fait pas partie des institutions constitutionnelles comme la Cour Constitutionnelle, le Parlement, la Haute Cour de Justice et la Cour Suprême. Pourquoi personne ne parle du Médiateur de la République dans les réformes ?
L’institution du Médiateur de la République existe dans plus de 120 pays à travers le monde. Dans certains pays, c’est la loi qui institue le Médiateur, dans d’autres c’est la Constitution. Au Bénin, nous sommes encore à l’étape d’une Institution légale. Des efforts sont tout de même consentis pour que dans l’avenir, l’Institution du Médiateur de la République au Bénin soit dans la Constitution. A l’instar de ce qui se fait avec succès dans la plupart des pays de la sous-région où existent des Institutions du Médiateur de la République comme en Côte d’Ivoire, au Niger, au Togo par exemple, au Maghreb plus précisément au Maroc et en Tunisie, le Médiateur de la République figure parmi les Institutions Constitutionnelles. Il apparaît donc nécessaire que soit effective la disposition de la loi instituant aujourd’hui le Médiateur de la République du Bénin comme une autorité administrative indépendante et que l’Institution du Médiateur de la République du Bénin soit insérée dans la Constitution, à l’occasion de la mise en œuvre des réformes politiques et institutionnelles qu’envisage le Gouvernement. Cette insertion s’avère d’autant plus importante du fait de son appropriation par les populations de toutes les régions de notre pays qui ont, au cours des douze dernières années, saisi le Médiateur de la République de plus de quatre mille (4 000) fois à travers leurs diverses réclamations sociales, économiques, financières et judiciaires en particulier sur les problèmes de litiges domaniaux, de carrière administrative, de prestations de service etc.

Etant à la fin de votre mandat, quel bilan peut-on faire de votre passage à la tête de l’Institution ?
Sans aller dans les détails, il convient de retenir substantiellement que mon mandat a permis de contribuer énormément à la visibilité de l’Institution du Médiateur de la République du Bénin. Au-delà du nombre de recours traités 2013 : 215, 2014 : 236 ; 2015 : 238, 2016 : 316, 2017 : 473 et 2018 en cours : 301 ; de nombreux citoyens ont publiquement manifesté leurs satisfactions suite aux traitements de leurs plaintes par les services de l’Institution. On peut évoquer également la parution de deux films documentaires : le film documentaire sur le civisme qui exhorte les citoyens à poser des actes de développement dans la nation et aussi, le film documentaire sur le bilan des activités au cours de mon mandat à la tête de l’Institution.

Chaque année, vous rendez public le rapport d’activités du Médiateur de la République avec des recommandations ? Aujourd’hui, pensez-vous que vos recommandations sont prises en considération ?
Comme vous l’avez si bien précisé, chaque année, depuis sa création en 2006, le Médiateur de la République rend public son Rapport d’activités assorti de recommandations. Parmi ces recommandations, bon nombre sont prises en compte et c’est la raison pour laquelle, à la fin du Rapport, une partie est intitulée : les recommandations mises en œuvre et une autre : les recommandations non mises en œuvre. D’où, il apparaît évident que la prise en considération des recommandations du Médiateur de la République se remarque à travers la mise en œuvre effective desdites recommandations.

Dans les rapports d’activités que vous présentez, on vous entend aussi parler des audiences foraines. Quelle est votre appréciation de l’accueil des populations quand vous les rencontrez ? Avez-vous l’impression qu’elles s’intéressent vraiment au Médiateur de la République ?
Les audiences foraines sont des moments forts de contact direct entre les populations et les services du Médiateur de la République. En effet, au cours de ces audiences foraines, la parole est donnée aux citoyens qui exposent et extériorisent les problèmes auxquels ils se trouvent confrontés. Les femmes, les jeunes, les syndicats, les fonctionnaires, les agents de sécurité, de santé, les sages, les notables et autres personnalités ont l’occasion de présenter « in vivo » leurs doléances aux cadres de l’Institution. Des réclamations sont donc recueillies « in situ » pour être traitées au siège de l’Institution. L’appréciation de l’accueil réservé par les populations aux services du Médiateur de la République est donc bonne.

Quel est le plus grand succès du Médiateur de la République dans les actions qu’il mène depuis qu’il existe ?
Le Médiateur de la République enregistre, chaque année, de nombreux cas de succès contenus dans ses Rapports d’activités. Deux cas de succès ont particulièrement retenu mon attention en 2016, il s’agit du cas du démantèlement d’un réseau de fraudes au niveau de la recette-perception de Klouékanmey, réseau dans lequel étaient impliqués trois agents de ladite recette-perception qui ont détourné plus de seize millions de francs CFA des caisses de l’Etat en percevant les salaires de quatre agents de l’Etat. Grâce à l’intervention du Médiateur de la République, des poursuites judiciaires ont été intentées contre ces agents indélicats, les fonds détournés ont été remboursés et les intéressés ont été écroués, et du cas de Madame C. G. épouse de l’ex-Sous préfet de Boukoumbé, Pamphile HESSOU qui a éprouvé des difficultés énormes pour l’obtention du Certificat de décès de son mari absent depuis 1994, Certificat de décès à lui réclamé depuis 2011 par le Ministère des Finances pour la liquidation de la pension de retraite de son mari. Suite à l’intervention du Médiateur de la République, le Ministère de la Justice s’est engagé à procéder à la délivrance du jugement déclaratif de décès. Mais, en attendant ce jugement déclaratif de décès et à titre provisoire sur instruction du Conseil des Ministres, la Direction de la Pension et des Rentes Viagères a accédé à la requête de la réclamante en octobre 2016 en liquidant la pension aux ayants cause pour compter du 1er novembre 2011. Pleine de reconnaissance, la réclamante a écrit au Médiateur de la République en s’exprimant en ces termes : « Je viens avec beaucoup de joie, de reconnaissance et de satisfaction vous présenter mes remerciements pour le rôle que vous avez joué dans l’aboutissement heureux de mon dossier de pension ». Je note ces deux situations qui sont l’une pathétique et l’autre patriotique.

On a récemment vu le Médiateur de la République aux côtés des enfants de l’Ecole des sourds de Porto-Novo. Est-ce aussi une prérogative du Médiateur de la République de mener des activités caritatives ?
J’étais à l’Ecole des sourds de Porto-Novo avec mon équipe pour célébrer la Journée de l’Enfant africain. Le Médiateur de la République est membre de l’Aomf et dans ce cadre, nous avons décidé que la Convention relative aux droits de l’enfant et les actes internationaux concernant le développement de l’enfant doivent entrer dans la mission des Médiateurs/Ombudsmans afin d’aider les enfants à affirmer leurs droits tout en leur permettant une ouverture sur le monde. C’est dans ce cadre que se situe notre intervention dans cette école. Vous savez, à l’occasion de la journée internationale des Femmes, les dames du Médiateur de la République ont été rendre visite aux femmes de la prison de Porto-Novo. Une institution dont la mission est la paix, la concorde et la solidarité ne peut que s’engager dans ces genres d’activités pour encourager nos compatriotes de bonne volonté qui ont décidé de se consacrer aux couches défavorisées.

Dans quelques jours, le Bénin célèbre le 58ème anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale. Vous qui faites partie des hommes et femmes qui ont vécu l’indépendance du Bénin, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la société béninoise en général ?
Si vous avez pu visionner le Film documentaire que le Médiateur de la République a fait réaliser sur le civisme et l’incivisme au Bénin, vous allez vous rendre compte que notre pays a besoin de faire encore des progrès. Notre processus démocratique est une marche permanente. Quand vous avez l’habitude de visiter notre beau pays, vous vous rendez compte, sans être nécessairement pessimiste que nous devons nous faire violence pour éviter de marquer le pas, car qui n’avance pas recule. Et, c’est parfois l’impression que j’ai et je vis tristement cette situation.

D’aucuns pensent que le Béninois ne cherche plus à se sacrifier pour les futures générations. Etes-vous de cet avis ?
Notre Bénin est-il en marche pour son développement ou pour s’engager dans le cycle de son développement ? Le Béninois est-il capable de se faire violence ou de consentir des sacrifices pour que le pays connaisse un développement qui profite à tous ? J’en doute ! Si l’on décide de faire des sacrifices pour que le pays progresse, il faut que les « patrons » donnent l’exemple. Les dirigeants d’hier et d’aujourd’hui peuvent-ils vraiment faire ce saut ?

Alors, dites-nous, quel appel avez-vous à l’endroit de vos compatriotes ?
Un appel de solidarité et de sacrifice de tous pour l’intérêt de la nation.

Est-ce qu’après votre passage au Médiateur de la République, vous retournerez en politique ?
Il me paraît trop tôt pour vous dire que je vais entrer à nouveau en politique. Car, pour s’y engager, il faut faire le pari d’assurer le bonheur des uns et des autres. Même si je me retire de la politique active, je ne m’abstiendrai pas d’émettre mes opinions sur tel ou tel sujet, car je suis un habitant-citoyen du monde et singulièrement du Bénin. Je suis encore au stade de la réflexion. Je suis en quête d’un avenir qui ne soit pas trouble. Si vous le voulez bien, nous en reparlerons dans quelques temps.
Propos recueillis par Karim Oscar ANONRIN



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