Me Sadikou Alao au sujet de l’affaire dite de faux médicaments : « La vraie responsabilité pèse sur l’Etat »

Adrien TCHOMAKOU 9 mars 2018

Conseil de la société « New Cesanex » impliquée dans le dossier faux médicaments, Me Sadikou Alao fait des clarifications au sujet des accusations portées contre ses clients. A travers cette interview, le Président de Gerdes-Afrique parle de vide juridique, démontre la responsabilité de l’Etat et réfute une quelconque poursuite contre l’He Atao dans cette affaire.

Que savez-vous de l’affaire dite de faux médicaments ?
Contrairement aux apparences, où beaucoup de gens étaient en droit de penser que c’est l’He Atao qui est poursuivi, le dossier dont tout le monde a eu connaissance n’en comportait pas, même si le nom de Atao a pu être prononcé de temps en temps. Je crois qu’il faut clarifier les choses. A ma connaissance, Atao est propriétaire d’immeubles qui ont été loués par les laboratoires « New Cesanex » pour leurs entrepôts. C’est une relation contractuelle qu’on connait. Peut-être que, par le passé, Atao a pu être le représentant de ces laboratoires au Bénin. Mais ce que nous savons aujourd’hui, en tout cas, depuis 2014, est que la représentation de ces laboratoires est assurée par la Société à Responsabilité Limitée Gab, qui appartient à son épouse. Objectivement, aujourd’hui Atao n’est même pas le représentant. C’est la société Gab qui les représente. En tout état de cause, je ne suis pas au courant de poursuite contre Atao. Ce qui peut être intéressant pour tout le monde, c’est de connaître un peu cette affaire de statut des médicaments entreposés qui appartiennent en droit à la société « New Cesanex ». Il peut être intéressant pour le public de comprendre ce qui se passe.
Nous avons une réglementation au Bénin qui permet seulement aux grossistes répartiteurs d’être importateurs de produits pharmaceutiques. Mais, le stockage ou l’entreposage n’est pas réglementé séparément. Il y a un vide juridique. Théoriquement, on peut penser que c’est les grossistes qui importent qui peuvent stocker et entreposer. Quelle est alors la situation juridique lorsqu’un individu qui n’est pas importateur stocke ? Au fait, il n’y a pas de textes. Ce qui se passe actuellement est un cas d’école. C’est-à-dire que les grossistes répartiteurs importent effectivement de grosses quantités par l’intermédiaire de la société « New Cesanex ». Mais au lieu d’enlever la totalité des importations, comme la société leur vend à crédit, ils enlèvent petit à petit. Ils ont transformé de facto le laboratoire « New Cesanex » en une sorte d’entrepôt ou de conservateur de produits qu’on a importés en leur nom.
Par exemple, vous demandez à importer 10 tonnes de produits pharmaceutiques. La Direction des Pharmacies et autres vous autorisent à importer. Au lieu d‘enlever les 10 tonnes à l’arrivée de la commande, vous n’enlevez que 2. Donc, il y a 8 tonnes qui sont conservées de facto dans les magasins de « New Cesanex » que vous avez commandées en votre nom et que vous ne réceptionnez pas. C’est sur ce stock qu’on sert les petites commandes béninoises. Ainsi, la situation de stockage n’est pas réglementée. Les gens profitent d’un vide juridique et d’une absence de contrôle de l’Etat à travers la Direction des Pharmacies, pour s’assurer que le stock dont elle a donné autorisation d’importation est bien enlevé par le grossiste au nom duquel on a commandé. Donc, ils ont laissé une situation qui aux yeux de tout le monde, donnait l’impression que les stocks détenus dans les magasins de « New Cesanex » étaient détenus en vertu des textes. La loi dit que ce qui n’est pas interdit est autorisé. Au regard de l’absence de contrôle de l’Etat, l’impression est que quand on commande, on te livre rapidement. C’est bon, puisque les laboratoires ont été recommandés à tous les grossistes par la Direction des Pharmacies de même que leurs prix. Si la Direction des Pharmacies avait bien appliqué les règles en empêchant qu’il y ait stockage, personne n’aurait pu s’approvisionner à partir des entrepôts de New Cesanex. S’ils s’étaient comportés comme si c’est interdit, les importateurs auraient dû trouver un autre endroit pour entreposer leurs médicaments au lieu de les laisser dans les entrepôts que « New Cesanex » a été obligée de mettre en place. Juridiquement, les médicaments entreposés appartiennent à New Cesanex en vertu de l’adage « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Si vous prenez un téléphone en main, si on veut en connaître le propriétaire, c’est d’abord vous. Mais une analyse juridique plus poussée peut permettre de dire que vous détenez pour le compte de quelqu’un d’autre qui a effectivement tous les papiers de la commande. New Cesanex a les produits, mais n’a pas les papiers de la commande. C’est un grossiste qui a importé par son biais, mais qui, au lieu d’enlever, n’enlève qu’une partie en raison de la vente à crédit de 30 à 90 jours. Voilà un peu le mécanisme. Si c’était bien contrôlé par l’Etat, et que l’Etat considérait que c’est interdit d’entreposer lorsqu’on n’est pas soi-même la personne autorisée à commander, ces stocks fictifs n’auraient pas pu être gardés par « New Cesanex ». C’est ce que doit comprendre le peuple. La vraie responsabilité pèse sur l’Etat, son laxisme et aussi le fait qu’il n’est pas dit clairement que le stockage n’est pas interdit, parce que vous n’êtes pas importateurs. Dans ce dossier, on ne peut en réalité sanctionner personne d’autre que l’Etat. Alors que contre l’Etat, on ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude. Si on n’a pas fait ce qu’il y a lieu de faire, comment peut-on sanctionner les autres ? Voilà le problème qui se pose dans ce dossier.

Il a été dit que les magasins de stockage ne respectent pas les normes. Qu’en pensez-vous ?
C’est une affirmation comme d’autres. Les laboratoires « New Cesanex » disent que les produits sont importés dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest dans des conteneurs qui ne sont pas frigorifiques, où les produits sont exposés depuis l’Inde à de très fortes températures, avec des conteneurs métalliques dont la température interne dépasse souvent 50 ou 60°C. Et quelqu’un dit que la température est à 35 degré dans les magasins. Comment pouvez-vous dire que 35°C est plus nuisible aux médicaments par rapport aux 60°C ils sont soumis durant leur voyage ? Ce sont les mêmes conteneurs qui envoient les médicaments au Niger, et personne n’a jamais dit que les produits perdaient de leurs substances, s’ils étaient exposés à de fortes températures, le laboratoire a dit que la forte température ne nuit pas à ses produits. Tout au moins, lorsque quelqu’un fait une affirmation contraire à celle du laboratoire, on doit faire une expertise indépendante pour s’en assurer. Ce qui n’est pas le cas ici.

Les gens s’étonnent que les grossistes reçoivent les produits le même jour où ils font la commande. Comment est-ce possible ?
Ceci s’explique par les entrepôts tolérés par la Direction des Pharmacies, dont je vous ai parlé tantôt. Ces produits sont disponibles dans les entrepôts qu’on peut qualifier de fictifs. Parce que « New Cesanex » en est propriétaire, mais c’est celui qui a commandé le lot et qui n’a pas tout enlevé, qui est censé être le propriétaire, même s’il n’a pas payé. Etant donné que tout cela a été toléré et que l’organisme de contrôle n’a pas fait son travail pour décider de l’illégalité de ce stockage et ordonner la fermeture, que souhaitez-vous du grossiste à qui l’on livre des médicaments ? Les textes disent clairement que la Direction des Pharmacies doit s’informer si des produits nuisibles à la consommation sont stockés quelque part, et même s’assurer de la qualité des produits. C’est eux qui doivent fouiner et savoir s’il y a des choses illégales qui peuvent nuire à la santé. C’est à eux de savoir si des produits nuisibles à la santé sont conservés quelques part.

Vous pensez donc que c’est l’Etat qui est responsable…
Non seulement je le dis mais ça a été dit par la voix qui est la plus autorisée. Au cours du procès, le Procureur l’a dit publiquement, que l’Etat a mal fonctionné, que si l’Etat avait bien fonctionné, qu’il n’y aurait pas de problème. Le Ministère public pose un problème de législation et non un problème de répression individuelle. C’est notre Etat qui doit se corriger, prendre les textes, et faire en sorte que la diligence des services empêche qu’il y ait des choses extralégales. Lorsqu’il se développe des coutumes contraires à la loi, que des habitudes se prennent et que personne ne récrimine, est ce que le citoyen qui s’aligne sur la pratique peut être considéré comme fautif ? Vous voyez que dans un village, il n’y a pas de latrines publiques, et qu’il y a une décharge où tout le monde va se mettre à l’aise, venant d’un village voisin, vous constatez que c’est là où tout le monde va faire ses besoins. Vous vous y rendez pour faire vos besoins naturels et vous vous faites épingler par un policier qui passait. Vous leur répondez « Je croyais que c’était normal, les gens font ça tous les jours. Au moment où j’arrivais, d’autres étaient en train de partir ». On dit que la croyance commune a ses habitudes, même si elles ne sont pas réglementairement autorisées par la loi, ça vous met en dehors des poursuites.

Me Sadikou Alao, ne pensez-vous que ce serait normal que l’He Atao vienne se justifier pour laver son honneur ?
Je ne suis pas son conseil. Et je n’ai pas connaissance qu’il soit poursuivi. Pour que quelqu’un vienne se justifier, je pense qu’il faut d’abord qu’il soit poursuivi. Les gens ont fait courir de nombreux bruits le concernant qui, peut-être, justifient qu’il se soit retiré pour éviter ce que l’on appelle ces temps-ci des règlements de compte. Lui seul peut répondre de cela. Quand on n’est pas poursuivi, comment peut-on chercher à se justifier ? Peut-être qu’il y a des poursuites contre lui que j’ignore, n’étant pas son conseil. Mais dans ce que j’ai vu ces derniers temps, je n’ai vu aucun acte légal de poursuite qui puisse justifier cela. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Pour ce que j’ai vu publiquement comme vous, on a cité souvent son nom en disant qu’il était le représentant. Le fait d’être le représentant n’est pas une infraction. En tant qu’individu, une société étrangère peut vous nommer représentant ici pour suivre ses intérêts. Vous introduisez seulement ses papiers à la Direction des pharmacies. Si on agrée ses produits, alors ils sont vendus. Le Bénin a agréé les produits et trouvé qu’ils étaient de bonne qualité, puis les a recommandés à tous les grossistes ainsi que leurs prix. Il a été même dit aux laboratoires de s’entendre avec les grossistes sur les modalités de livraison, lesquels se sont cru autorisés à avoir des modalités de livraison rapides avec « New Cesanex ». Car la note de la Direction des Pharmacies disait à « New Cesanex » de s’entendre avec les grossistes sur les modalités. Que voulez-vous d’autres ? Il faut regarder sur les papiers, et les grossistes l’ont dit, qu’ils se sont entendu sur des prix franco dans leurs magasins. Que voulez-vous qu’ils fassent si l’Etat même a ouvert la brèche ?

Que peut-on retenir en définitive de la poursuite du représentant de « New Cesanex » ?
A mon avis, celui qu’on poursuit n’est pas le représentant de « New Cesanex ». C’est un technicien marketing envoyé par la société à son représentant pour l’aider à vendre ses produits. Le représentant étant la Gab, une Sarl que le gouvernement béninois a agréée pour vendre du matériel médical et pharmaceutique. C’est la société dont madame Atao est la gérante. Cette société-là ne vend que du matériel, par exemple les bandages, les seringues. On l’a autorisée à importer tout ce qui n’est pas médicament. C’est cette société qui, depuis 2014, représente « New Cesanex ». Ainsi, c’est le Directeur marketing de cette société qui suit les produits pour prendre les commandes et remettre les livrets. Ce n’est pas un représentant de « New Cesanex » en tant que tel, même si c’est la société qui l’a mis à la disposition de son représentant pour être sûr de la qualité de ses produits et de la prestation de service.
Est-ce que le dossier est politique ? Je ne veux critiquer personne puisque c’est un dossier qui est entre les mains de la justice. Il ne faut pas influencer la justice. Il faut simplement l’examiner en droit. Nous avons déjà soulevé devant les tribunaux les arguments de droit. Je ne vais pas en dire plus ici, et s’il y a d’autres préoccupations juridiques, les personnes qui sont concernées et qui s’y connaissent dans ces domaines-là vont se défendre et se justifier. Pour moi le dossier juridique, tel qu’il est, s’il y a quelqu’un à qui on doit faire des reproches, c’est l’Etat. C’est à lui de mieux s’organiser et de faire en sorte que les employés de l’Etat défendent mieux les intérêts des populations et ne les abandonnent pas. Il ne faudrait pas qu’on trouve des boucs émissaires chaque fois que l’Etat est défaillant, peut-être de par les lois ou ses agents. Il faut balayer devant sa porte avant de demander aux autres pourquoi ils n’ont pas cherché à savoir quoi que ce soit. Il y a quelqu’un pour ça. C’est l’Etat, et le procureur l’a bien dit, lui-même. Ça suffit.
Propos recueillis par Adrien TCHOMAKOU



Dans la même rubrique