Opérations immobilières pour le sommet de la Cen-Sad au Bénin : Les députés dénoncent le bradage et l’expropriation des terres à Cotonou

Karim O. ANONRIN 6 juin 2014

Le Ministre de l’urbanisme, de l’habitat et de l’assainissement, Christian Sossouhounto, a présenté hier une communication à l’Assemblée nationale sur un volet du dossier Cen-Sad.

Les députés ont dénoncé le bradage des terres à Cotonou lors de l’organisation du sommet Cen-Sad

Le Ministre de l’urbanisme, de l’habitat et de l’assainissement, Christian Sossouhounto a présenté une communication hier à l’hémicycle à Porto-Novo. Il s’agit d’une communication portant sur des questions orales avec débat relatives aux opérations immobilières en 2007 et 2008 dans le cadre de l’organisation à Cotonou du sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (Cen-Sad) tenu du 11 au 18 juin 2008. Posées par le député Eric Houndété il y a plusieurs mois, ces questions ont fait l’objet d’une séance plénière il y a quelques jours. Mais au lieu de répondre aux questions du député Eric Houndété, le Ministre Christian Sossouhounto avait préféré à cette séance plénière revenir au Parlement pour présenter une communication aux députés sur le dossier. Ceci, conformément aux dispositions de l’article 108 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale portant sur la discussion en plénière et qui stipule « La question orale avec débat est appelée par le Président qui peut fixer le temps de parole imparti à son auteur. Le ministre compétent y répond. Il peut différer cette réponse en annonçant pour l’un des deux prochains jours de séance une communication du gouvernement avec débat sur le même sujet. Cette annonce interrompt le débat sur la question orale. La communication du gouvernement est inscrite d’office en tête de l’ordre du jour de la séance choisie par le gouvernement. A cette séance, le débat se déroule suivant les dispositions du chapitre premier du présent titre relatives aux communications du gouvernement… ».
Prenant la parole hier devant les députés à l’hémicycle, le Ministre Christian Sossouhounto a d’abord rappelé que l’initiative est prise par le gouvernement pour doter la ville de Cotonou de villas de haut standing, afin d’améliorer sa capacité d’accueil. Dans les réponses apportées aux préoccupations du député Eric Houndété, l’on peut retenir que le projet de construction des villas a couvert une superficie totale de 42 hectares 32 ares 97 centiares entre l’ex-champ de tirs et la plage Ouest de Cotonou. Ceci, avec 11 promoteurs qui ont reçu des facilités telles que les terrains à moindre coût et des exonérations fiscales. Ces exonérations sont estimées par le Ministre Sossouhounto à 1.767.102.772 Fcfa en termes de crédits intérieurs et à 8.495.923.537 Fcfa en termes de crédits douaniers. Quant au coût total de cession des terrains, le montant total de recettes encaissées est de 634.794.500 Fcfa. Après la communication du Ministre Christian Sossouhounto, la plupart des députés qui sont intervenus ont exprimé leur désapprobation quant à la manière dont le gouvernement à gérer ce projet de construction de villas. Ils ont particulièrement mis l’accent sur le bradage et l’expropriation à outrance des terrains mis à la disposition des promoteurs en charge d’exécuter les projets.
(Lire ci-dessous les réactions de quelques députés sur le dossier opérations immobilières dans le cadre de l’organisation du sommet de la Cen-Sad tenu du 11 au 18 juin 2008 à Cotonou)

Réactions de quelques députés sur le dossier opérations immobilières dans le cadre de l’organisation du sommet de la Cen-Sad

Eric Houndété (opposition parlementaire)

« …Le gouvernement devrait avoir eu le temps de répondre à ces questions. Vous devriez être désolés comme moi d’entendre le gouvernement dire qu’il ne peut pas être capable d’évaluer les dividendes d’une activité qu’il a menée depuis 5 ans. Le gouvernement n’a pas été capable d’évaluer les ressources qu’il a englouties dans cette opération. D’ailleurs, lorsque la question a été posée, le gouvernement n’a pas été capable de venir répondre. Le gouvernement a attendu 14 mois après pour chercher une échappatoire, pour aller fabriquer un petit document qu’il vient nous présenter. Prenez chacune des questions qui ont été posées. Ce sont des questions précises. Lorsque vous lisez l’introduction de la communication du Ministre, vous vous rendez compte comme à l’accoutumée qu’il s’agit d’une grossière improvisation. Rien n’a été planifié. C’est les Ghanéens qui nous informent que ce que nous voulons faire, nous savons déjà le faire chez nous (…) Vous n’avez aucune justification des options qui ont été faites par le gouvernement. Quand nous avons demandé combien les terrains ont coûté, c’est 600 millions de Fcfa que le gouvernement a encaissé pour 42 hectares en plein Cotonou ! En bordure de mer ! C’est vrai qu’on a voulu donner des facilités aux promoteurs. Mais là, c’est une facilité qui n’a pas de mesure. Est-ce que dans le choix de l’action publique, nous travaillons pour les populations qui ont besoin d’être logées ou pour les privilégiés ? Si demain, nous avons un autre sommet à organiser, que ferons-nous puisque ces villas ne sont pas construites pour des résidences hôtelières ? Est-ce que l’action gouvernementale sert les populations ? La plupart des projets qui n’ont pas connu un aboutissement heureux sont des projets confiés à des partisans du pouvoir Boni Yayi… »

Rosine Vieyra Soglo (majorité parlementaire)

« …J’ai eu à visiter quelques villas de la Cen-Sad et je crois avoir entendu dans le temps que le président Mouamar Khadafi, paix à son âme, a financé une partie de ce projet de construction des villas. Est-ce que c’est vrai ? J’ai visité les villas et il y en a qui sont des cages à lapins. Mais le constat est que beaucoup de villas ne sont pas terminées. On a vite fait d’avoir quelque chose. Il y a spéculation immobilière et personne n’en parle. On aimerait savoir combien l’Etat béninois a récupéré réellement de ces constructions. Combien ça nous a rapporté ? J’aimerais savoir combien le groupe Fadoul a payé à l’Etat béninois. Enfin, je voudrais dire une chose. Ces villas sont vendues aujourd’hui à prix d’or. J’en sais quelque chose. En plus, il faut les refaire totalement. Elles sont inhabitables. C’est pour ça que je parle de spéculation immobilière... »

Claudine Afiavi Prudencio (majorité parlementaire)

« …Dans sa communication, le Ministre Christian Sossouhounto disait que les villas Laaico-Bénin sont construites sur un domaine privé. Sachant bien que ce domaine a été réservé au Bénin Marina Hôtel, je voudrais savoir si c’est le propriétaire de Bénin Marina Hôtel qui a cédé le domaine à Laaico-Bénin. Dans la communication, on dit que l’opération a couvert 42 hectares. En fouillant, j’ai constaté que les promoteurs nationaux n’ont pris que 9 hectares. Est-ce que les nationaux ont refusé de construire les villas pour qu’on donne la majorité du projet aux non nationaux ? J’ai des proches à moi qui ont acheté quelques villas parmi les villas construites et le constat fait est que ce sont des villas qui ont été construites à la va-vite. C’est des villas qui coulent. La plomberie tombe. Et pourtant, elles sont vendues à des prix exorbitants…

Nicaise Fagnon (majorité parlementaire)

« …Je voudrais attirer l’attention du gouvernement sur le fait qu’il a le comportement qui suscite des critiques qui auraient pu être évitées. Dans le rôle qui est le nôtre, celui de contrôler l’action gouvernementale, lorsqu’on pose des questions de cet intérêt là et qu’on met près de 2 ans pour répondre, c’est comme si on a quelque chose à cacher, alors qu’il n’y a rien à cacher puisque les villas sont debout. Et indéniablement, ce qui est positif est qu’il y a un vide qualitatif qui est comblé. Donc, je souhaite que le gouvernement puisse accorder une attention au contrôle de l’action gouvernementale ; une attitude préventive et surtout une attitude communicationnelle avec le Parlement. Il y a des promoteurs qui n’ont pas bénéficié de terrains du gouvernement. Ces promoteurs avaient déjà leurs terrains qu’ils ont ensuite mis en valeur à la faveur de l’organisation du sommet de la Cen-Sad (…) S’il y avait une loi sur le partenariat privé-public, on ne serait pas là en train de parler comme nous le faisons aujourd’hui… »

Jonas Gbènamèto (opposition parlementaire)

« …Ma préoccupation, c’est la disponibilité de ces villas là après le sommet. Si l’Etat béninois a consenti de tels sacrifices et n’est pas arrivé à imposer dans une certaine proportion, des villas à faire rentrer dans le patrimoine de l’Etat et nous éviter des errements possibles pour d’éventuelles organisations du genre du sommet de la Cen-Sad, c’est que nous avions eu une vision courte de l’avenir de notre pays. Que ferons-nous demain si nous devrions abriter de tels sommets ? Où aurons-nous les terres pour les attribuer à des promoteurs ? … »

Antoine Kolawolé Idji (opposition parlementaire)

« …J’ai visité quelques villas. La plupart d’entre vous n’auront jamais l’une de ces villas là. On a vendu les parcelles pour construire ces villas à moins de 1500 Fcfa le mètre carré. Certains de ces terrains sur lesquels rien n’a été construit sont déjà revendus aujourd’hui à 30.000 Fcfa le mètre carré. Vérifiez ce que je dis si vous n’en êtes pas convaincus ! C’est ça Cotonou qu’on veut faire ? Je veux que les Cotonois réagissent par rapport à ce débat et qu’on leur dise qu’on a construit des villas à 600.000 Fcfa, à 1.300.000.000 Fcfa (…) Je ne parle pas ici en tant qu’un opposant. Je parle comme un citoyen de Cotonou qui vit dans les marécages. Ce qui est là est une mascarade. Aucun d’entre nous ne doit accepter ça. Nous devons aller plus loin et regarder ce qui s’est passé (…) Si vous avez de l’argent, vous achèterez à 15.000.000 Fcfa une parcelle de 500 mètres carré qui a été vendue par le gouvernement à moins de 700.000 Fcfa. Et puis, certains de ces terrains appartiennent à des propriétaires munis de titres fonciers. Ce que le gouvernement a exproprié à ces propriétaires, les tribunaux leur ont donné raison et le gouvernement paiera. Peut-être pas ce gouvernement, mais le Bénin paiera comme le gouvernement paiera la condamnation de la Ccja. Il faut que les Béninois sachent que ce gouvernement est en train de mettre le pays à genoux et nous aurons des centaines de milliards de dettes dès que ce gouvernement partira… »

Gabriel Tchocodo (opposition parlementaire)

« …Sous d’autres cieux ; c’est-à-dire dans d’autres pays, lorsque des sommets, tels que celui de la Cen-Sad tenu au Bénin, sont organisés, ça profite à tout le monde. Mais au Bénin, ça a profité à des individus, à des amis politiques. Cela se faisait ainsi hier. Mais normalement, ça ne devrait plus se produire parce que l’actuel gouvernement nous a promis le changement et nous y avons cru. C’est pourquoi, je ne m’entends pas avec les collègues qui ont tendance à critiquer les gouvernements précédents. Celui qui est actuellement à la tête du pays, à son arrivée, a dit que ceux qui ont dirigé le pays avant lui, l’ont mal fait et lui est venu pour mieux faire. Où est le changement qu’ils nous ont promis ? Ils n’ont pas le droit d’échouer, ceux qui nous dirigent actuellement. La question en débat aujourd’hui a été posée au gouvernement depuis le 4 avril 2013 alors que le sommet s’est tenu du 11 au 18 juin 2008. Pour une question qui a été posée depuis 14 mois, le gouvernement n’a pas cru devoir répondre. La fois dernière, on a été encore obligé de reporter la réponse du gouvernement à ce jour. Cela veut dire clairement qu’il y a quelque chose qu’on est en train de nous cacher (…) Nous avons appris que les terrains ont été vendus aux promoteurs au prix de 2000 Fcfa le mètre carré. Les promoteurs ont bénéficié d’importantes exonérations fiscales sur les matériaux de construction et aujourd’hui, ces mêmes promoteurs vendent les villas construites Toutes taxes comprises. N’est ce pas là un enrichissement sans cause. Certains de ces promoteurs que j’ai eu la chance de connaître, n’ont jamais évolué dans le domaine des Btp. Mais comme il s’est agi de la Cen-Sad, tout le monde est devenu subitement entrepreneur parce qu’il y avait à manger et à boire. La réalité est que certains de ces promoteurs ont saisi l’opportunité des exonérations fiscales pour importer hors taxe, d’autres articles qui n’entrent pas dans la construction des villas de la Cen-Sad. Des stocks de marchandises sont tellement rentrés dans le pays au point où ils en ont convoyé vers le Nigeria. Les explications du Ministre ont provoqué un flou artistique dans ma tête. C’est pourquoi, je propose aux collègues députés, la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire pour aller voir ce qui s’est réellement passé et rendre compte au peuple béninois… »

Louis Vlavonou (opposition parlementaire)

« …Je voudrais dire aux collègues que nous ne sommes pas contre les initiatives comme celle de la construction des villas Cen-Sad. Mais comme des visionnaires, nous avons, au sein du Réseau des parlementaires pour la lutte contre la corruption, initié une proposition de loi pour doter le pays d’un cadre légal en matière de l’accompagnement des promoteurs par le gouvernement. En réalité, dans le cas d’espèce, il s’agit pratiquement d’un Bot ; c’est-à-dire qu’on construit et après on cède. Il n’existe aucun cadre juridique et c’est la base de tout ce qui se passe aujourd’hui. Le dossier Cen-Sad est le ‘’dossier du siècle’’. Vous savez que ce dossier comporte 7 volets. Il y a la viabilisation des sites, la construction des villas, l’extension du parking de l’aéroport, la réhabilitation de la voie Aéroport-Immeuble Air Afrique, l’aménagement et équipement des palais des hôtes de marque et l’acquisition des équipements de sécurité… »
Propos recueillis par Karim Oscar ANONRIN



Dans la même rubrique