Présentation des vœux des institutions de la République à Boni Yayi : Ousmane Batoko parle de la justice béninoise

La rédaction 8 janvier 2014

Monsieur le Président de la République,
Chef de l’Etat,
Chef du Gouvernement,
Président du Conseil Supérieur de la Magistrature ;

L’année 2013 s’en est allée depuis quelques jours.
Elle s’en est allée avec ses hauts et ses bas, nous laissant derrière elle, pleins de souvenirs, les uns plus ou moins heureux, les autres plus attristants et plus bouleversants.
Aussi éprouvante qu’elle ait été pour vous-même, notre pays, sa démocratie et son valeureux peuple, elle aura eu, au-delà de ses avatars, de ses intrigues et de ses surprises, le mérite de nous révéler, dans leur nudité crue, les tares de notre société, « les prouesses » de notre classe politique, les limites de nos Institutions et les faiblesses de notre justice.
Parce que l’année 2013 nous aura douloureusement alerté sur nos carences et nos insatisfactions, nous devons puiser au plus profond de nous-mêmes, les ressources nécessaires à un réarmement moral, au seuil de cette nouvelle année que nous voulons embrasser sous des auspices meilleures.
Aussi, est-ce avec une foi en l’avenir et une espérance digne des luttes héroïques du peuple béninois qui a toujours réussi à se surpasser dans les épreuves, qu’au nom des membres de la Cour suprême, de toute la famille judiciaire de notre pays et en mon nom propre, je voudrais, Monsieur le Président de la République, vous exprimer nos vœux d’une bonne et heureuse année 2014.
Nous vous souhaitons une année de paix, de santé et de succès, compagnons dont vous avez sans nul doute besoin pour mener à bien, les hautes et lourdes charges dont vous êtes investi par le peuple béninois.
Nous associons naturellement à ces vœux, toute votre famille, vos proches et tous ceux dont le quotidien vous préoccupe.
A tout le Gouvernement que vous dirigez, nous adressons nos vœux les meilleurs, de réussite au service de nos populations qui aspirent légitimement à un bien-être socio-économique et à un mieux vivre dans la paix et la concorde nationale.
La justice dont la mission fondamentale participe du règne du bon ordre social et de la Paix, vous accompagnera dans la dynamique de la réunion des conditions nécessaires à l’éclosion de cette Paix sociale, gage du développement de la Nation tout entière.

Excellence Monsieur le Président de la République,
Le rituel républicain qui nous réunit en ces instants de solennité, se prête à l’esquisse du bilan de l’année écoulée. La synthèse des activités menées par la Cour suprême au cours de l’année judiciaire 2012-2013 a déjà fait l’objet du bilan que j’ai présenté devant votre Haute autorité et les corps constitués de la nation à l’audience solennelle de la rentrée judiciaire de notre Cour le 31 octobre dernier à son siège à Porto-Novo. Je me limiterai, dans le cadre de la cérémonie de ce jour, à quelques aspects de ce bilan qui me paraissent digne d’intérêt majeur et sur lesquels, je voudrais insister particulièrement.
Il s’agit d’abord de la gestion du contentieux de l’élection consulaire qui aura retenu l’attention de bon nombre de nos concitoyens et qui aura suscité quelques remous, voire des passions, du reste légitimes.
Les divers recours dont la haute juridiction a été saisie, à la phase de l’élaboration des listes électorales et de candidatures, dans le processus électoral consulaire, traduit à notre avis, la vitalité de notre démocratie et la soumission de tous au droit.
La Cour suprême a, patiemment, mais avec abnégation, apporté à la quarantaine de recours dont elle a été saisie, les solutions qui conviennent et exclusivement fondées sur la loi.
Il convient de signaler sans plus tarder que le contentieux préélectoral, aura notamment révélé que les textes régissant la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin ont posé des difficultés de compréhension et d’interprétation aux opérateurs économiques eux mêmes et justifié les nombreux recours enregistrés à la Cour.
Il me parait important de souligner aussi que les statuts de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin, n’organisent pas suffisamment et pertinemment ce type de contentieux. En outre, les règles de procédures sont peu connues des justiciables, ce qui explique les nombreuses décisions d’irrecevabilité prononcées par la Cour.
Nous invitons les acteurs concernés à lire les décisions rendues par la haute juridiction, afin d’en appréhender les motifs. Il y a lieu, au regard de la jurisprudence de la Cour, de tirer les enseignements de l’expérience, pour envisager d’ores et déjà plus sereinement, la suite des élections consulaires qui viennent de se dérouler.
L’autre volet du bilan de notre Juridiction sur lequel je m’en voudrais de ne pas insister, a trait à la mission consultative de la Cour qui a conduit la haute juridiction à donner au gouvernement, au cours de l’année écoulée, plusieurs avis juridiques et avis motivés.
En effet, aux termes de l’article 105 de la Constitution, « Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres, après avis motivé de la Cour suprême saisie conformément à l’article 132 de la présente Constitution, et déposés sur le Bureau de l’Assemblée nationale ».
La Constitution dispose par ailleurs en son article 132 que : « la Cour suprême est consultée par le Gouvernement sur toutes les matières administratives et juridictionnelles.
Elle peut, à la demande du chef de l’Etat, être chargée de la rédaction et de la modification de tous les textes législatifs et réglementaires, préalablement à leur examen par l’Assemblée nationale ».
C’est en vertu de ces dispositions constitutionnelles, que vous sollicitez, à juste titre, monsieur le Président de la République, d’une part, l’avis de la haute juridiction sur divers projets de loi et d’autre part, ses avis sur les accords que le Bénin signe avec les partenaires au développement.
C’est avec un réel plaisir et une légitime satisfaction que je note, que les observations de la Cour sont, de façon générale, prises en compte par le Gouvernement, à en juger par les lois soumises à la représentation Nationale et votées par elle.
En donnant son avis sur les projets de loi qui lui sont soumis et en proposant, le cas échéant, au Gouvernement, telle ou telle modification ou formulation de rédaction, dans une approche institutionnelle, la Cour suprême participe, à sa manière et avec ses compétences avérées, au processus normatif et règlementaire dans notre pays.
L’on ne devrait donc pas se méprendre sur cette mission consultative ainsi conçue par notre loi fondamentale, à l’instar des constitutions de pays de la sous-région où de l’Europe, pour ne citer que ces exemples, qui prévoient les mêmes mécanismes au sein des cours suprêmes ou des juridictions administratives. Cette mission vise, de façon générale, à donner des conseils techniques avisés au Gouvernement.
La polémique sur l’opportunité de soumettre ou non le projet de loi portant révision de la Constitution à l’avis de la Cour suprême, n’a pas de raison d’être au regard de la lettre et de l’esprit de notre Constitution qui oblige le Président de la République, à recueillir l’avis de la Cour suprême sur les projets de loi, quelle que soit leur nature, dès lors que le Gouvernement prend l’initiative, dans l’intérêt de la République, d’une œuvre législative. Cette observation mérite d’être faite, dans un souci de clarification.
Le Gouvernement devrait donc continuer à tirer tout le profit et à exploiter les possibilités que lui offre la Constitution en matière de consultation de la Cour suprême, qui regroupe en réalité en son sein, faut-il le rappeler, trois hautes juridictions, compétentes respectivement en matière administrative, judiciaire et des comptes de l’Etat. Dans une vision constructive et novatrice, la fonction consultative de la Cour suprême qui est porteuse d’enrichissement pour le Gouvernement, doit s’exercer de manière à ce que cette Cour contribue au mieux, à la gouvernance institutionnelle et administrative, à la qualité de la législation et du droit de façon générale au Bénin.
C’est dans le même ordre d’idées, qu’elle aurait pu, opportunément, aviser le gouvernement si elle en avait été saisie, sur la prolongation du mandat des élus locaux et renseigner l’Exécutif sur toutes les conséquences juridiques qui découleraient d’une situation aussi inédite qui jure avec la gouvernance démocratique à laquelle, vous êtes, Monsieur le Président de la République, si attaché depuis votre accession à la magistrature suprême de notre pays.

Monsieur le Président de la République,
Dans le chapitre du fonctionnement de la justice, en général je m’en voudrais, en ma qualité de Président de la plus haute juridiction de l’Etat en matière administrative, judiciaire et des comptes, d’occulter, en cette solennelle circonstance, la situation grave et inédite que connait aujourd’hui notre justice avec, entre autres, la perpétuation de faits attentatoires à la déontologie et à l’éthique du juge, sans oublier les grèves intermittentes et répétées en milieu judiciaire.
Jamais la justice béninoise n’aura connu des vagues aussi agitées ; c’est presque un drame qui se joue dans la maison justice et qui ne doit laisser personne indifférente. Il nous faut pourtant nous relever rapidement de cette tragédie et envisager plus sereinement l’avenir.
C’est à dessein que le bureau de la Cour suprême, en toute responsabilité, a proposé à la réflexion des acteurs de la justice, à son audience solennelle de rentrée, le thème portant sur « la grève en milieu judiciaire ». Vous avez, au cours de cette rentrée, à laquelle vous avez personnellement pris part, porté à un niveau très élevé, les réflexions sur le sujet. Votre pertinente approche de la question et la lecture qui en a été faite par les autres intervenants au cours de cette audience, devront être approfondies au cours du forum des Etats généraux de la justice que se propose d’organiser votre gouvernement.

Monsieur le Président de la République,
Les défis que nous avons à relever dans le secteur de la justice sont encore nombreux. Notre société se fait de plus en plus exigeante et attend davantage de la justice.
Dans ce contexte, les animateurs de ce secteur doivent s’adapter à ces impératifs pour répondre aux besoins encore plus pressants et aux exigences de la justice de leur temps. C’est pourquoi et conformément à l’esprit des dispositions de l’article 33 de la loi n°2004-07 du 23 octobre 2007 portant Composition, Organisation, Fonctionnement et Attributions de la Cour suprême, j’ai pris l’initiative d’une tournée annuelle que j’effectuerais à la tête d’une délégation de la Cour suprême, dans toutes les juridictions du fond, les unités de police judiciaire et les centres de détention.
Vous m’avez, à l’occasion des nombreuses audiences que vous m’avez accordées, encouragé à rendre effectives ces tournées de travail auprès des magistrats du fond, des auxiliaires et partenaires de la justice.
Je voudrais regretter, Monsieur le Président de la République, que les moyens matériels et financiers sollicités depuis des années, à l’appui de cette activité, n’aient jamais été mis à ma disposition malgré la fermeté de vos instructions.
Le projet de communication que j’ai transmis aux fins de son examen par le Conseil des Ministres, n’a point prospéré à ce jour et ce, depuis deux ans.
Nos jeunes collègues des Cours d’appel et tribunaux de première instance, éprouvent le besoin d’être soutenus, encadrés au plan technique et pédagogique par leurs aînés de la Cour suprême.
J’ai conscience également que la résolution de bon nombre de difficultés qu’éprouvent les principaux animateurs de la justice, tant sur les aspects déontologiques que purement techniques, passent par une formation initiale et continue notamment des magistrats et des greffiers.
En ce qui concerne la formation de ces principaux animateurs de la justice, ainsi que je l’ai indiqué dans mes précédentes interventions à l’occasion des cérémonies de présentation de vœux de nouvel an, en ces mêmes lieux, elle devra être confiée à des Ecoles plus spécialisées, animées essentiellement par des praticiens du droit, avec des orientations claires du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce dossier a été déjà introduit en Conseil des Ministres et attend toujours une suite. Je voudrais instamment solliciter votre bienveillante intervention pour lever les obstacles qui bloquent malheureusement l’aboutissement de ce processus.

Excellence, Monsieur le Président de la République,
Au plan international, la Cour suprême a fait face à ses engagements avec la tenue des 13èmes assises statutaires de l’Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones et de l’organisation d’un colloque international sur un thème de grande actualité à savoir « la justice africaine face à la montée de la criminalité transfrontalière ».
De même, l’Association a organisé la 6ème session de formation des magistrats de ses juridictions membres du 05 au 07 décembre 2013 à l’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) à Porto-Novo.
C’est le lieu d’exprimer, une fois encore, nos sincères remerciements à votre Autorité ainsi qu’à votre Gouvernement, pour la sollicitude constante et le soutien indéfectible que vous nous avez toujours témoignés dans la réalisation des objectifs de ce réseau de coopération régionale.
Je voudrais espérer, Monsieur le Président, que les efforts entrepris par votre Gouvernement dans le secteur de la justice de façon générale et en faveur de la Cour suprême en particulier, pour leur permettre d’accomplir au mieux leur mission, se poursuivront et s’intensifieront en dépit de la récession économique et son corolaire d’amenuisement des moyens qui n’épargnent aucun pays.
Dans cette perspective, nous nous réjouissons d’ores et déjà du soutien ferme qu’apportera votre Gouvernement à notre juridiction dans le cadre de la gestion du contentieux qui naîtra des prochaines élections locales, activité dont les préparatifs ont démarré au sein de notre Cour.
Il n’y aura pas Monsieur le Président de la République, une justice performante, efficace et crédible sans un effort national soutenu et la mobilisation de tous en sa faveur.
Je voudrais vous prier et à travers vous tous nos concitoyens, de continuer à faire confiance en notre justice, en ces hommes et femmes qui, dans leur immense majorité, restent attachés à leur serment, aux valeurs de la République et au pacte qui les lie au peuple au nom de qui, ils rendent la justice.
Monsieur le Président de la République,
Je ne saurais terminer mes propos, sans vous réitérer nos vœux les meilleurs d’une heureuse et féconde année 2014.
A travers votre personne, nous réitérons à votre famille, à votre gouvernement ainsi qu’à tout le peuple béninois, nos vœux de paix profonde, de prospérité et de progrès social partagé.
Je vous remercie.



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