Proposition de loi portant Code électoral en République du Bénin : Débat houleux à l’hémicycle en attendant l’examen du texte

Karim O. ANONRIN 31 août 2018

Les députés ont entamé hier jeudi 30 août 2018 l’étude de la proposition de loi portant Code électoral en République du Bénin. Initiée par l’He Louis Vlavonou, élu dans la 21ème circonscription électorale et 6 de ses collègues, ladite proposition de loi compte 397 articles et 6 livres comportant les règles générales applicables à toutes les élections, les règles particulières pour l’élection du président de la République, les règles particulières pour l’élection des membres de l’Assemblée nationale et les règles particulières pour l’élection des membres des conseils municipaux et communaux. Au cours du débat général hier, deux camps se sont affrontés dans l’hémicycle. Il y a eu le camp de la minorité parlementaire composée des députés de l’opposition et qui ont trouvé en cette proposition de loi, un texte d’exclusion et d’oppression de la tendance qu’ils représentent sur l’échiquier politique national. Et comme points de désaccord, ces députés au nombre desquels Guy Dossou Mitokpè, Valentin Djènontin, Jean-Marie Allagbé, Léon Dègnon, Léon Basile Ahossi, ont dénoncé les dispositions relatives au quitus fiscal des 3 dernières années à présenter par tout candidat aux élections présidentielles et législatives, l’exorbitance des cautions à déposer pour les mêmes élections, et bien d’autres dispositions. Il y a aussi le camp de la majorité parlementaire qui est parfaitement d’accord avec le texte de loi soumis à l’appréciation de la plénière. C’est ainsi que les députés Rachidi Gbadamassi, André Okounlola Biaou, Edmond Zinsou, Louis Vlavonou, pour ne citer que ceux-là, ont expliqué que la proposition de loi en question est le fruit d’une longue réflexion qui remonte au séminaire national organisé par l’institution sur la réforme du Code électoral et à celui organisé sur la réforme du système partisan ; des rencontres au cours desquelles l’unanimité avait été faite sur la nécessité de faire avancer l’animation de la vie politique au Bénin par des réformes courageuses. Les travaux se poursuivent ce jour vendredi 31 août 2018 par l’examen article par article du texte.

(Lire ci-dessous les propos des députés Guy Dossou Mitokpè et de Louis Vlavonou)
Député Guy Dossou Mitokpè (Opposition parlementaire)


« …Avant toutes choses, je voudrais inscrire ma présente intervention comme un témoin devant l’histoire et un message à la postérité. Cette intervention, si elle peut changer quelqu’un ou quelques-uns au sein de la majorité mécanique, elle aura alors apporté à notre démocratie une image meilleure et une stabilité politique consolidée.
La proposition de relecture de notre code électoral à cette période bien précise, est un acte risqué, un acte délicat, voire compromettant pour ceux qui en ont eu l’initiative.
Le projet de code électoral qui a été validé en commission, est un projet dangereux non seulement pour notre démocratie mais également et surtout dangereux pour les initiateurs eux-mêmes. En effet, le caractère détaché et impersonnel qui doit être à la base de la monture de toute loi dans une démocratie, est le garant, la condition non négociable de la paix et de la stabilité dans cette même démocratie. Le travail que le parlement s’apprête à valider aujourd’hui au cours de cette 7ème législature de notre ère de multipartisme et de démocratie, est une injure, un affront, un attentat contre la sueur et le sang des pères fondateurs de notre démocratie. Mieux, c’est un assassinat de nos valeurs et un coup de force, voire un acte de démocrature contre la lutte des pères pacifistes de notre jeune démocratie (…) Il est écrit quelque part que ‘’tout m’est permis mais tout ne m’est pas utile’’. Aussi, quand bien même que l’on détient une majorité aussi confortable que celle que détient le Bloc de la Majorité Parlementaire (BMP), le bon sens recommande qu’on sache légiférer pour la postérité et ceci dans un esprit de patriotisme irréprochable (…) Aux Etats-Unis, une des plus vieilles démocraties modernes, la caution aux élections présidentielles est de zéro dollar. Cette mesure inclusive respecte en effet le principe selon lequel ‘’nul ne peut vendre et ne doit acheter les droits acquis par le sacrifice des pères fondateurs ‘’. En France, un pays de démocratie moderne, les droits universels sont définitivement acquis et sont exclus du champ de la spéculation financière. Le droit de vote intimement lié au droit d’être candidat ne peut être soumis à un cautionnement financier tout comme le droit d’être candidat. Ainsi donc, les riches ne peuvent être plus candidats que les pauvres. Le caractère égalitaire de tous à l’occasion de la mise en compétition des mandats de représentation politique, impose que l’argent ne serve pas de critère d’exclusion. Ainsi donc, la caution aux présidentielles en France est de zéro euro. Presque partout, les pays de démocratie moderne ne subordonnent plus la jouissance et l’exercice des droits de l’homme, des droits électoraux universels, du droit à des élections libres, égalitaires et véritablement concurrentiels, des droits politiques aux obstacles de l’argent. En subordonnant l’argent à tout, on transforme la République issue de la Conférence Nationale de 1990 en République des casinos. Et puis c’est grossier de passer de 8.300.000 FCFA à 200.000.000 FCFA, soit un taux d’augmentation de plus de 1600%, c’est une drôle moquerie parlant des législatives. De même, pour ce qui est de l’élection présidentielle, passer de 15.000.000 FCFA à 250.000.000 FCFA, soit un taux d’augmentation de plus de 2000%, est non seulement drôle mais également un acte témoin d’une mafieuse malice d’exclusion. Fixer de l’argent de cautionnement pour être candidat à une élection, est une exception et on n’abuse pas d’une exception. C’est inadmissible, tout simplement. Nous ne sommes ni en oligarchie ni en ploutocratie. Nous sommes en démocratie libérale de type moderne, une démocratie égalitaire. Nous devons arrêter ce jeu dangereux qui est très préjudiciable à l’ensemble de notre Nation. Ma génération doit saisir le sens des défis pour la préservation des acquis des pionniers du Renouveau démocratique et de l’état de droit. C’est une priorité, je dirai même une urgence. En politique comme sur un champ de bataille, il est conseillé aux stratèges en chef de cesser d’avancer si en face des troupes d’une armée réputée redoutable, ils avancent sans résistance. Quand en face de vous tout est mou, craignez l’enlisement. De cette même manière, en démocratie moderne une majorité ne peut pas se croire tout permis sans être un danger pour la paix (…) Le document qui a été validé par la commission des lois, doit subir de profonds amendements, si tant est que notre parlement est à l’écoute du peuple. Ce document, notre peuple n’en veut pas, du moins en l’état. C’est pourquoi, je voudrais interpeler chaque Député de la majorité parlementaire, à entrer en lui-même et à accepter que des amendements de qualité puissent être apportés à ce dangereux projet, qui n’est rien d’autre qu’un nième complot contre notre peuple. Au nom de quoi, doit-on tailler un document aussi important que le code électoral sur mesure et profiter de sa relecture pour régler des comptes personnels à des adversaires politiques. S’il est vrai que nous encourageons tous les citoyens à payer leurs impôts, il est tout aussi pertinent que nous refusons que le quitus fiscal puisse être utilisé comme une arme pour écarter des adversaires politiques avant même la compétition. Nous sommes contre la disposition du présent code qui exige un résultat de 15% du suffrage national exprimé à tout parti politique qui espère avoir un Député dans une circonscription quelconque du pays. Cette disposition du présent code constitue un recul démocratique digne d’une République bananière. Une élection législative, n’est pas une élection présidentielle et la circonscription électorale ne saurait être le territoire national… »

Député Louis Vlavonou (Majorité parlementaire)


« …Je vous rends un hommage bien mérité pour la manière dont vous avez conduit la réforme du système partisan. Je voudrais vous rendre hommage parce qu’au moment où nous étions pressés d’aller au texte, vous avez à tout moment exigé le consensus. N’eût été votre perspicacité, peut-être que nous n’aurions pas organisé certains séminaires. Vous avez cherché les ressources et ces séminaires ont été organisés, avec la classe politique et la société civile. Nous avons recueillis des amendements et ces amendements ont été pris en compte. Je voudrais dire qu’on tienne compte de l’ensemble des textes consistant à la réforme du système partisan (…) C’est lorsqu’on sépare le Code électoral de la Charte des partis politique qu’on trouve qu’il y a problème. Les 15 membres fondateurs de parti politique qu’il faut par Commune, ce n’est pas ça qui était dans le texte initial de la proposition de loi portant Charte des partis politiques. Je sais que dans la proposition de loi que je portais, c’était 100 membres par Commune. C’est grâce au consensus que nous sommes arrivés à 15 membres au cours du séminaire sur la réforme du système partisan. Aujourd’hui, nous sommes au niveau du Code électoral (…) Je voudrais que l’on fasse un tour dans l’histoire à cause de ceux qu’ils veulent faire la comparaison avec les Etats-Unis d’Amérique, avec l’Europe et d’autres puissances. Le 30 novembre 1972, il a été dit que la caractéristique fondamentale et la source première de l’arriération de notre pays, c’est la domination étrangère et que l’histoire de cette domination est celle de l’oppression politique, de l’importation économique, de l’arriération culturelle, de l’éparpillement interrégional et intertribal. Lorsque nous continuons, on verra que le peuple Dahoméen est un peuple fier, épris de justice, riche de son pays et capable de sacrifice et d’héroïsme, impatient de prendre en main et d’assumer son destin. Pourquoi veut-on nous dire de copier encore ce qui se passe ailleurs au moment où nous nous battons pour quitter le FCFA par exemple ? Je m’en désole. Le Bénin, c’est le Bénin. Nous pouvons innover parce qu’après avoir tenté quelque chose, nous avons trouvé des failles. Nous voulons remédier à ces failles là. Nous ne sommes pas 60 députés godillots ! Loin de là ! Il y a une vingtaine de députés qui se disaient patriotes. Personne n’est plus patriote que l’autre. Nous sommes tous des patriotes, mais ça dépend du paradigme qu’on choisit. Nous ne sommes pas là pour critiquer pour la forme. Nous sommes là pour légiférer pour le bonheur de ce peuple. Lorsqu’on parle du quitus fiscal, nous n’avons rien inventé. C’est le Code électoral en vigueur qui l’avait déjà prévu (…) Au-delà des conjectures alarmistes, il faut que nous puissions apporter des amendements. C’est ainsi qu’on aurait fait œuvre utile… »

Député André Okounlola Biaou (Majorité parlementaire)


« …Dans ce même hémicycle, à l’approche des élections législatives, des députés se sont retrouvés pour tailler la loi électorale sur mesure. Idem pour les élections municipales et communales. C’est pour finir avec ces dysfonctionnements qu’en 2013, les députés de la 6ème législature, ont dit qu’il faut finir avec cet état de chose et faire la compilation des lois pour avoir un Code qui va permettre d’organiser les élections dans notre pays (…) Dans aucun pays au monde, on ne peut pas dire qu’on a voté un Code électoral dans le consensus. Ceux qui le disent, c’est pour tromper le peuple. Ceux qui s’opposent aujourd’hui savent très bien qu’en 2013, il y avait une opposition farouche qui n’avait pas voté… »

Député Valentin Djènontin (Opposition parlementaire)

« …Je vous l’avais dit. Je l’avais dit à la formation du deuxième gouvernement. Le deuxième gouvernement était parti pour avoir 8 députés en son sein. A l’arrivée, il n’en avait pas un seul. Certains députés s’étaient mordu le doigt. S’ils ne savent pas faire, pour les élections législatives de 2019, ils vont encore se mordre le doigt. Vous ne savez pas quel piège on est en train de vous tendre. Votez la loi et vous ne serez pas ici prochainement. Vous allez vous éliminer vous-mêmes. On dit que parce qu’on est ancien président de la République, on n’a pas le droit de se porter candidat pour les législatives au risque de perdre ses avantages comme si quand on a été président de l’Assemblée nationale ou Ministre, on perd son statut d’ancien président de Parlement et d’ancien Ministre pour être candidat aux élections législatives. Si les gens ont peur de perdre les élections dans leurs circonscriptions électorales, qu’ils aillent travailler au lieu d’exclure d’autres par la loi… »



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