REFLEXION SUR LA DECISION DCC 13-171 DU 30 DECEMBRE 2013 RELATIVE AU VOTE DE LA LOI DE FINANCES, EXERCICE 2014

La rédaction 24 janvier 2014

Les décisions du juge constitutionnel suscitent et susciteront toujours l’intérêt et même parfois la passion. C’est qu’elles sont au cœur même de la fonction juridictionnelle puisqu’elles ne sont qu’une face d’un principe essentiel, le principe exprimé par l’article 124 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, aux termes duquel « les décisions de la cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ».
La qualité et l’importance des réactions favorables enregistrées depuis l’institution de la justice constitutionnelle dans le Bénin du renouveau démocratique ont montré que cette institution était sans doute définitivement implantée dans notre droit positif.
Qu’on imagine un moment que ce principe n’existe pas ; c’est alors qu’on revient à la controverse qu’on croyait oubliée où chaque institution dictait et se prévalait de son interprétation de la Constitution comme en 1964.
Il est arrivé dans le passé que la décision de la Cour Constitutionnelle ait fait l’objet de quelques mesures d’intimidation, voire de provocations à peine voilées émanant de certains hommes politiques mécontents. Mais jamais, on a assisté à un déchaînement de la guérilla politico-juridique contre la Cour Constitutionnelle et même son Président.
La remise en cause a d’abord porté sur la science juridique par une des plus hautes personnalités de l’Etat dont la mission principale est la confection des lois « le droit est une discipline inexacte par excellence, à laquelle on peut faire dire une chose et son contraire, en fonction des humeurs du moment, des circonstances, de l’environnement moral et matériel et des interlocuteurs… ».
D’autres diront sans aucune preuve que la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 de la Cour Constitutionnelle est à tout point de vue « une falsification du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale… une falsification de notre Constitution… un renversement du régime constitutionnel… une modification de l’équilibre des forces... ».
Mais aucun des détracteurs de la Cour Constitutionnelle dont le Président et trois autres membres sont nommés par le bureau de l’Assemblée Nationale n’a pris la peine d’exposer en quoi la décision n’était pas fondée en droit.
Le Président de la Cour Constitutionnelle a même fait l’objet des attaques personnelles comme son prédécesseur Maître Robert DOSSOU, sachant que ceux-ci, tenus par leur obligation de réserve ne pourront pas leur répondre.
Seule l’analyse de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 de la Cour Constitutionnelle permet d’apprécier si les membres de la Cour Constitutionnelle ont dit ou non le droit.

I- Analyse de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013
Dans le cadre du vote de la loi de finances, exercice 2014, deux groupes de députés ont sollicité sur le fondement de l’article 57-2, le scrutin public ordinaire et le scrutin secret pour le vote de cette loi de finances. D’après les requérants, le Président de l’Assemblée Nationale, sans consulter la plénière a opté pour le scrutin secret. Il y a donc violation de l’article 42 et de l’article 50 du règlement intérieur selon les requérants.
En somme, les requérants mettent en cause singulièrement la violation des 2ème et 3ème tirets de l’article 42 selon lesquels le président de l’Assemblée Nationale met les questions aux voix et proclame les résultats.
Sur le second point, ils invoquent l’article 50 qui fait obligation au président de quitter le perchoir lorsqu’il veut exprimer son point de vue personnel. Sur ce point, les requérants estiment que le Président de l’Assemblée Nationale a opéré le choix du vote à la place de la plénière souveraine.
Les requérants ajoutent un autre motif tiré de la pratique parlementaire béninoise qui veut qu’en cas de blocage, le Président de l’Assemblée Nationale consulte le bureau de l’Assemblée Nationale, les groupes parlementaires et même la conférence des présidents qui sont des structures de base de travail de l’institution parlementaire.
La Cour Constitutionnelle ne s’est arrêtée vraiment à aucune de ces argumentations. Car, il est évident que la finalité du vote secret demandé par le premier groupe composé des députés Eric HOUNDETE et 4 autres sur le fondement de l’article 57-2 et d’un scrutin public sollicité par le second groupe formé par les députés Djibril MAMA DEBOUROU et 4 autres sur le même fondement de l’article 57-2 reviendrait à la méconnaissance de l’article 56 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.
Le seul argument examiné par la Cour Constitutionnelle est celui soulevé par le Président de l’Assemblée Nationale au sujet de l’article 57-2 et qui le conduit à s’interroger sur le sens profond de l’expression « sans préjudice dans le langage juridique ».
Après avoir déduit ce qui nous paraît l’application stricte du droit en la matière, la haute juridiction statue en concluant « sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens », ce qui signifie que même en examinant les moyens invoqués par les requérants le juge constitutionnel aboutirait au même résultat.
Le Président de l’Assemblée Nationale rapporte que dans le vocabulaire juridique de Gérard CORNU, page 706 « sans préjudice est une expression couramment employée dans les textes de loi pour indiquer que la règle posée laisse intégralement subsister telle autre disposition ».
De la lecture de cette définition tirée du vocabulaire juridique de Gérard CORNU, la Cour Constitutionnelle reproche au Président de l’Assemblée Nationale de s’arrêter à l’énoncé de la définition « sans préjudice »,sans tirer les conséquences qui en découlent. La haute juridiction appuie cette définition et fait observer que l’article 57-2 relatif au scrutin public ordinaire et au scrutin secret dispose « en toute autre matière et à la demande de 5 députés au moins, il est procédé par scrutin public ou par scrutin secret, sans préjudice des dispositions des articles 55 alinéa 2, 56 alinéa 3 et 64 alinéa 2 ».
Les articles ainsi visés énoncent  :

Article 55 alinéa 2 : « toutefois, lorsque l’Assemblée Nationale doit procéder à des nominations personnelles, le scrutin est secret »

Article 56 alinéa 3 : « toutefois lorsque la première épreuve à main levée est déclarée douteuse, le président peut décider qu’il sera procédé par scrutin public ordinaire »

Article 64 alinéa 2 : « la censure simple et la censure avec exclusion temporaire sont prononcées sur proposition du président de séance par l’Assemblée Nationale à la majorité des 2/3 des membres présents et au scrutin secret ».
La haute juridiction a ainsi mis en exergue la distinction qu’il convient d’opérer. Dans le cas d’espèce, on retiendra que les articles 55-2 et 64-2 sont inopérants. En effet, la référence à l’article 55-2 qui vise les nominations personnelles ne concerne que le scrutin secret et l’article 64-2 est exclusivement réservé aux censures.
Il ne reste alors que l’article 56-3 qui ne peut être mis en œuvre qu’après le vote à main levée.
La haute juridiction constate que de fait, pour la loi de finances, les modes de votation prévus par l’article 57-2 sur lesquels sont fondées les demandes des deux groupes de députés ne sauraient être mis en œuvre que pour autant qu’ils sont cumulés avec l’article 56-3 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.
La conclusion qu’en tire la Cour Constitutionnelle « qu’ainsi le mode de votation de la loi de finances, exercice 2014 doit incontestablement être celui prévu par l’article 56 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale » nous paraît fondée. Elle est en parfaite harmonie avec les règlements intérieurs des Assemblées Nationales des pays de la sous-région et même avec le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale Française qui reproduisent les mêmes modes de votation.

Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale Française :

Article 63 :
1- Les votes s’expriment soit à main levée, soit assis et levé, soit au scrutin public ordinaire, soit au scrutin public à la tribune
2- Toutefois, lorsque l’Assemblée Nationale doit procéder par scrutin, à des nominations personnelles, le scrutin est secret.

Article 64 :
1- L’Assemblée Nationale vote normalement à main levée en toutes matières sauf pour les nominations personnelles.
2- En cas de doute sur le résultat de vote à main levée, il est procédé au vote par assis et levé : si le doute persiste, le vote par scrutin public ordinaire est de droit.
3- Toutefois, lorsque la première épreuve à main levée est déclarée douteuse, le président peut décider qu’il sera procédé par scrutin public ordinaire.

Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire :

Article 32-3 : il est toujours procédé par scrutin secret, aux nominations personnelles. Dans ce cas, le scrutin peut avoir lieu à la tribune.

Article 33
1- L’Assemblée Nationale vote normalement en toutes matières à main levée
2- Si l’épreuve est déclarée douteuse, il est procédé au vote par assis et levé
3- Si le doute persiste, le vote au scrutin public est de droit.

Article 34
1- Le vote par scrutin secret est de droit pour tous les cas où la Constitution exige une majorité qualifiée
2- En toute autre matière, et sur demande de 25 députés, il peut être procédé au vote par scrutin public ou secret
3- Lorsque deux ou plusieurs groupes de 25 députés demandent des modes de votation différents, l’Assemblée Nationale se prononce par vote à main levée.
On trouve pratiquement les mêmes dispositions dans les règlements intérieurs des Assemblées Nationales du Burkina Faso (article 82) ; du Gabon (article 64) ; du Mali (article 63) ; du Niger (article 73 et 80) et du Sénégal (article 84).
La haute juridiction constitutionnelle aurait pu s’arrêter là et constater la non-conformité à la Constitution du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale. Mais elle poursuit et répond au Président de l’Assemblée Nationale en lui indiquant que l’exemple du député Maxime HOUEDJISSIN qu’il a donné au cours de la 3ème législature confirme que le scrutin secret n’est utilisé que pour les nominations personnelles ; que le cas évoqué prouve bien qu’il s’agissait des nominations personnelles faites conformément aux dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 31 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.

II- Portée de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013
Que retenir de la décision de la haute juridiction constitutionnelle lorsqu’elle juge que le mode de votation de la loi de finances, exercice 2014 doit incontestablement être celui prévu à l’article 56 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ? Deux leçons doivent être tirées.
En premier lieu, le principe du vote à main levée est la règle en toute matière et le vote au scrutin secret est réservé aux nominations personnelles. Il en est de même du recours à l’article 186, relatif à la haute cour de justice. L’expression en toute matière inclut évidemment et incontestablement le vote des lois de finances. Il en résulte que la loi de finances doit être votée à main levée.
Deuxièmement, sur le fond, la décision de la Cour Constitutionnelle relève du bon sens. En effet, faire connaître publiquement son choix au peuple ne signifie nullement que le député a violé son mandat impératif. Il est tout de même curieux que le député dont les interventions à l’hémicycle sont retransmises en direct à radio hémicycle, à la télévision et dans la presse refuse de voter publiquement à main levée pour que le peuple sache le choix qu’il a opéré.
Le budget de l’Etat est une matière qui consacre la mise en œuvre de la politique gouvernementale. Dans les pays de démocratie libérale, le vote du budget détermine l’appartenance à la majorité ou à l’opposition. C’est un moment fort de la vie démocratique et parlementaire.
La portée des décisions de la Cour Constitutionnelle est fixée par l’article 41 du règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle qui dispose : « lorsque la Cour Constitutionnelle constate la non-conformité d’une loi, d’une ordonnance ou d’un acte réglementaire, l’autorité concernée est appelée à se conformer à la situation juridique de cette décision ».
La Cour Constitutionnelle notifie la déclaration d’inconstitutionnalité à l’autorité constitutionnellement compétente afin qu’elle procède à sa mise en conformité avec la décision.
Entre 1991 et 1996, dans un climat institutionnel fait de méfiance, les grandes décisions de la Cour Constitutionnelle faisant suite à des crises politiques ont été critiquées avec véhémence par le Pouvoir Exécutif et ses alliés, mais commentées et défendues avec passion par les députés d’opposition. Toutefois, elles ont toujours été respectées.

L’article 124, alinéas 2 et 3 de la Constitution le veut ainsi et dispose à cet effet : « les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ».
En droit, lesdites décisions, qu’elles débouchent à la constitutionnalité ou à l’inconstitutionnalité, les dispositions contrôlées sont définitives. Les décisions ont également à compter de leur prononcé valeur ergaomnes ; ce qui a été jugé ne peut plus être remis en question et s’impose à tous. Il apparaît ainsi que la force obligatoire attachée aux décisions de la Cour Constitutionnelle est absolue à l’égard des autorités chargées de les exécuter.
Il est pour le moins difficile, sinon inimaginable que le Président de l’Assemblée Nationale 6ème législature n’ait pas cru déférer aux injonctions de convoquer la plénière pour le 31 décembre 2013. La dernière phrase du dernier considérant dans lequel la haute juridiction a utilisé l’adverbe impérativement n’éclaire pas à lui seul le sens de la décision.

La haute juridiction a déjà eu recours à des cas similaires qui ont valeur de précédents jurisprudentiels.
Dans la décision DCC 01-013 du 29 janvier 2001, la haute juridiction en sa qualité d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics et, se fondant sur la décision DCC 01-011 qui, aux termes de l’article 124 de la Constitution : « s’impose aux autorités civiles, militaires et juridictionnelles » dit et juge que les (2) postes indûment attribués respectivement aux groupes Consensus National et PRD doivent être affectés aux groupes Nation et Développement d’une part et Solidarité et Progrès d’autre part.
Le Président de l’Assemblée Nationale, Maître Adrien HOUNGBEDJI a déféré avec diligence à cette injonction.
Dans la décision DCC 03-078 du 12 mai 2003, la Cour Constitutionnelle en sa qualité d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics juge qu’elle est fondée à prendre toute décision pour éviter toute paralysie du fonctionnement des institutions, demande à la Doyenne d’âge Madame Rosine VIEYRA SOGLO, de convoquer l’Assemblée Nationale dès la réception de la présente décision et de poursuivre sans discontinuité, c’est-à-dire au cours de la même séance, à l’élection des autres membres du bureau. La Doyenne d’âge Madame Rosine VIEYRA SOGLO a déféré à cette injonction et s’est exécutée avec diligence.
Dans le décision DCC 04-065 du 29 juillet 2004, la haute juridiction se fondant sur l’article 114 de la Constitution qui dispose que la Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics dit et juge que la Doyenne d’âge doit convoquer le Conseil Economique et Social en assemblée plénière dès la présente décision et procéder sans discontinuité au cours de la même séance, à l’élection des membres du bureau du Conseil Economique et Social ; que les conseillers qui ne se présenteraient pas à ladite assemblée seraient déclarés démissionnaires et ne pourront plus siéger dans l’institution ; que le bureau du Conseil Economique et Social devra être élu au plus tard le lundi 02 août 2004.
La Doyenne d’âge Madame Honorine FELIHO et les conseillers ont déféré avec diligence à cette injonction de la haute juridiction constitutionnelle.
La décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 est dans le droit fil des décisions DCC 01-013, DCC 03-078 et DCC 04-065.
La question se pose : pourquoi certaines autorités politiques ont toujours déféré aux injonctions de la Cour Constitutionnelle et d’autres refusent de le faire ? Même si l’exécution de la décision DCC 13-171 lui paraît difficile, le Président de l’Assemblée Nationale, le Professeur Mathurin Coffi NAGO aurait pu faire l’effort de convoquer vaille que vaille la plénière et faire constater que la décision ne pourrait pas être exécutée avant la fin de la journée du 31 décembre 2013.
En optant pour la non-exécution de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013, le législateur béninois n’adresse-t-il pas un défi politique sans équivoque au juge constitutionnel ? Ne tente-t-il pas de faire prévaloir sa volonté sur la norme suprême ?
C’est le lieu de rappeler l’interview du premier président de la Cour Constitutionnelle, Monseigneur Isidore de SOUZA qui déclarait au journal La Croix du 04 juin 1993 : « Nul n’est au-dessus de la Constitution… Remettre en question les décisions de la Cour Constitutionnelle revient à remettre en question la Constitution elle-même ».
L’inexécution des décisions de la Cour Constitutionnelle est dangereuse, en ce sens qu’elle peut créer une situation de vide juridique préjudiciable à la cause de l’Etat de droit.
PAR Arèmou OGOUDEDJI



Dans la même rubrique