Mor Amar, journaliste-analyste sur la présidence de Bassirou Diomaye Faye : « Il a tout pour réussir… »

1er avril 2024

Le Sénégal tourne une nouvelle page de son histoire. Le nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Faye sera investi ce jour dans ses fonctions. Les Sénégalais ont fait confiance à un candidat de l’antisystème, un homme neuf et suscitant l’espoir. Il fera face à ses nouveaux défis et à de nombreuses attentes des populations. Le journaliste et analyste sénégalais Mor Amar parle de ce nouveau régime qui sera installé à travers cet entretien accordé à votre Quotidien Fraternité

Le nouveau président est très jeune et paraît inexpérimenté. Est-ce qu’il pourrait être à la hauteur des attentes ?
Pourquoi pas ? On a bon espoir à ce niveau. C’est quand même un haut cadre de l’administration, sorti de l’Ecole Nationale d’Administration. Il est aussi très intelligent et comprend les enjeux. Il n’est juste pas aussi charismatique qu’un Sonko par exemple. Mais, il est bien et est à même de mener la barque. L’essentiel sera qu’il ait une bonne équipe autour de lui.

Certains disent qu’il est un président par défaut et pour cela, il pourrait passer à côté. Etes-vous de cet avis ?
C’est vrai qu’il est là par un concours de circonstances. Mais, il a tout pour réussir. Personnellement, je le préfère à Ousmane Sonko.

Dans certains pays de la sous-région, certains analystes pensent que cette élection d’un président non préparé n’est pas un exemple à suivre. Que répondez-vous à cette attaque ?
Certains peuvent avoir cette lecture. Mais, je ne la partage pas du tout. Sinon, ce que les auteurs de cette thèse semblent ignorer est que ce dont on a besoin, ce ne sont pas des hommes mais des institutions efficaces. Quand les institutions sont efficaces, ce n’est point difficile d’en assumer le management. Tout ce qu’on attend du nouveau président, c’est qu’il veille à l’application correcte des lois. Le plus important, c’est une opinion qui veille et c’est ce qu’on a au Sénégal. Voilà notre force et c’est ce qu’on a encore démontré. C’est vraiment un manque de respect de parler ainsi.

La crainte de tous est qu’il y ait de cassure entre lui et Ousmane Sonko. Son mentor pourrait lui faire de l’ombre. En voulant s’émanciper on pourrait assister à autre chose au sommet de l’État. Déjà, les premiers signes, c’est la visite au palais présidentiel où les deux étaient ensemble. Qu’en dites-vous ?
Les deux options sont possibles. Soit, ils feront un bon duo jusqu’à la fin et c’est tant mieux. Soit, ça peut aller au clash. Si ça va au clash, Sonko va se casser la gueule. Il a donc intérêt à ce que le duo fonctionne. Et tant que ça fonctionne, Diomaye ne va pas saper son leadership. Le président Diomaye n’est pas moins intelligent que Macky Sall. De plus, il faut arrêter ce mirage de l’expérience et des CV. Ce dont on a le plus besoin dans le continent, c’est des dirigeants patriotes qui puissent être à même de défendre nos intérêts, qui sont vertueux et qui ne sont pas corrompus. De ce point de vue, Diomaye a un grand avantage.

Vous semblez bien connaître Diomaye et vous lui faites bien confiance…
Plus ou moins. En tout cas, tout ce que je cherche chez un dirigeant, il l’a. Il est intelligent, sorti d’une bonne école et me semble vertueux. Surtout ce dernier critère, c’est le plus important et qui nous fait défaut en Afrique.

Parlant du patriotisme et de souveraineté, le Sénégal passe-t-il dans le cercle des pays à tendance panafricaniste ?
Le Sénégal s’est toujours réclamé panafricaniste. Ça ne date pas d’aujourd’hui.

Mais avec les récentes positions de Sall sur les pays de l’AES, on a présenté le Sénégal comme une préfecture de la France
Ce sont des caricatures, des affabulations d’adeptes des thèses complotistes. Je peux donner l’exemple de la Chine qui est un grand partenaire du Sénégal. D’ailleurs, elle ravit la vedette dans beaucoup de marchés à la France. Idem pour la Turquie. Le Sénégal fait aussi des affaires avec la Russie notamment dans le domaine de l’achat des armes. Les gens se font parfois beaucoup d’idées basées sur des postulats erronés. Maintenant, si être panafricaniste, c’est cesser de coopérer avec la France ou les pays occidentaux pour aller se réfugier à la merci des Russes, nous ne le sommes pas. Sur les pays de l’AES, c’est moins les positions de Sall. Ce sont des positions de la CEDEAO. Et je pense que Sall n’était pas dans une posture différente de celle de Talon.

N’est-ce pas un membre influent de la CEDEAO ?
En tout cas, le Sénégal reste encré dans les organisations sous-régionales et régionales. Et je pense que le nouveau régime n’ira pas dans le sens d’une remise en cause profonde. Les sénégalais sont attachés à ces organisations.

Diomaye parle de la sortie du FCFA
Le cas du Franc CFA a fait polémique. A un moment, il a été évoqué une sortie du CFA. Mais, par la suite, ils ont fait un rétropédalage. Cela m’étonnerait qu’ils foncent vers l’aventure.

La question de la monnaie est problématique
Oui. Mais je pense qu’ils sont raisonnables.

Les pays qui ont leur propre monnaie n’ont guère évolué. L’exemple de la Guinée et de la RDC
Nous, non plus on n’a pas évolué. Ça reste une question très technique et les experts sont divisés. Je pense qu’il faut être prudent. Une monnaie propre a des avantages et des inconvénients.

Mais le Franc CFA est une monnaie de parité avec l’Euro et dont les réserves étaient encore en France il n’y a pas si longtemps
Le nouveau régime va forcément travailler pour que la donne puisse changer à ce niveau. Je ne sais pas quelle est la position de Talon sur ces questions.

Vous avez un peuple merveilleux qui l’a prouvé en 2000, 2012 et 2024... Quel est le déclic ?
Nous avons un peuple très résilient. Qui a su, après de longues luttes, mettre en place un système qui ne permet pas la fraude le jour du scrutin. Cela a commencé à partir de l’élection de 2000. Et le peuple est très jaloux de la préservation de cet acquis.

Votre mot de la fin
Au-delà de ce qui a été dit, ce qu’il faut saluer c’est cette possibilité pour le peuple de sanctionner positivement ou négativement ses dirigeants a des échéances régulières. C’est un acquis non négociable et c’est la seule chose qui vaille. Après certains vont dire que le peuple ne se trompe pas. Il tranche en tenant compte des circonstances du moment. D’autres diront que le peuple a le droit de se tromper. C’est aussi ça la démocratie.
Propos recueillis par Ange M’poli M’TOAMA



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