A cœur ouvert avec le Sg Csa Anselme Amoussou : « Mon action à la tête de la Csa-Bénin sera de renforcer l’éducation ouvrière »

Isac A. YAÏ, Patrice SOKEGBE 28 décembre 2016

Anselme Amoussou, élu Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin) il y a quelques jours fait l’état des lieux de la Csa et dévoile ses ambitions pour consolider l’héritage que lui a légué Dieudonné Lokossou. A cœur ouvert, il a expliqué les différentes actions à mener et les relations qu’il entretiendra avec les secrétaires généraux des autres confédérations afin d’accomplir sa mission.

Vous avez été élu à la tête d’une des plus grandes Confédérations syndicales du Bénin, la Csa. Quelles sont vos impressions ?
Quelques jours après cette élection, je crois que la période d’euphorie est en train de passer. Mais, j’ai un grand sentiment de reconnaissance vis-à-vis des travailleurs qui m’ont fait confiance ; un sentiment de reconnaissance en direction du Sg Dieudonné Lokossou qui a compris que mon ambition était saine et qu’il l’a portée avec moi, pour que les résultats soient à la hauteur des attentes. J’ai aussi le sentiment que la charge est délicate et qu’il faut la mener avec beaucoup de doigté. Je demande à la nature de beaucoup m’inspirer pour que cet espoir suscité par mon élection ne soit pas une déception à la fin de la mission.

Qu’attendent les travailleurs de vous ?
Nous avons fait une belle campagne pour ce congrès. Ma feuille de route comporte plusieurs axes stratégiques que nous avons déclinés en objectifs, et je ne pourrais pas tout évoquer ici. Les camarades m’ont fait confiance parce que la première action, c’est de revoir le fonctionnement de notre confédération. Car, la Csa dénombre 190 syndicats affiliés, mais nous fonctionnons comme un syndicat de base. Or, nous sommes une confédération, donc un regroupement de fédérations. Faute de moyens, les fédérations n’ont vraiment jamais fonctionné en tant que telles. La première action proposée aux travailleurs, c’est de dynamiser le fonctionnement des fédérations en leur donnant les moyens d’être autonomes pour qu’elles puissent servir de couloir de transmission entre le Secrétaire général et la base. Pour cela, nous ferons en sorte que les fédérations puissent être les répondants directs des syndicats de base affiliés afin que nous soyons plus proches d’eux et plus efficaces dans nos actions vis-à-vis de nos militants. C’est aussi valable pour les autres organes techniques, notamment le comité des femmes, des jeunes et nos différentes unités départementales que nous avons. Nous allons faire en sorte que toutes ces entités sachent quel est leur rôle et le jouent pleinement. Dans ce cadre, nous envisageons faire une petite retraite pour nous permettre de valider notre plan d’actions et de le présenter à tous les camarades. Le deuxième axe stratégique, c’est la formation et l’éducation ouvrière. Dans un passé récent, la Csa-Bénin était championne en terme de formation de ses militants. Mais faute de moyens, nous avons eu quelques difficultés, donc nous avons perdu du terrain. Mon action à la tête de la Csa-Bénin sera de renforcer l’éducation ouvrière puisqu’il n’y a pas de génération spontanée en syndicat. Il faut apprendre. Et les dérives que nous avons connues ces derniers années dans le monde syndical sont dues essentiellement à l’ignorance des fondamentaux du syndicalisme. Donc, nous allons renforcer l’éducation ouvrière de nos militants et de nos responsables. Nous allons également faire en sorte que la formation proprement dite sur des thématiques majeures qui sont d’actualité dans le monde du travail soit une réalité. Il s’agit notamment de la protection sociale, le dialogue social, l’environnement, l’intégration régionale et l’informel qui sont des thématiques fortes sur lesquelles, en tant que responsables syndicaux, nous devrions être à l’aise pour en discuter. Nous allons donc mettre l’accent sur ce type de formation. Le but est qu’à terme, nous puissions avoir un vivier d’expertises internes que nous pouvons déployer à tout moment vers nos responsables et militants à la base.
Le troisième axe stratégique concerne l’autonomie financière, parce que, sans moyens, nous ne pouvons pas mettre en œuvre tout ce que nous avons décrit. Par rapport à l’autonomie financière, nous sommes dépendants de la subvention de l’Etat. Il est arrivé dans un passé récent que le gouvernement nous menace de ne pas virer les subventions. Ma vision, c’est de faire en sorte que nos partenariats actuels soient renforcés et que nous puissions également les diversifier aussi bien à l’interne qu’à l’externe afin d’avoir de nouvelles sources de financement. Il s’agit aussi de traiter différemment les finances syndicales. Il faut que les cotisations puissent vraiment entrer. Pour cela, nous devons mettre en place une stratégie de collecte des cotisations. Il faut une sorte de proximité vis-à-vis des travailleurs pour que le payement des cotisations puisse devenir un réflexe. Au terme de notre mandat, nous devons atteindre 70 à 80% de collecte de cotisations. Cela nous permettra d’avoir les moyens de nos ambitions.

La Csa-Bénin dénombre aujourd’hui 190 syndicats affiliés, mais elle n’a convenablement pas le contrôle sur eux. Qu’est-ce qui n’a véritablement pas marché ?
On dit ‘‘Qui trop embrasse, mal étreint’’. Vous imaginez Dieudonné Lokossou, Sg d’une confédération qui doit gérer 190 interlocuteurs. Son efficacité va en prendre un coup. C’est ce qui est arrivé. Si on doit être sollicité tous les jours pour régler les problèmes qui se posent dans les différentes entreprises, il arrive un moment où vous perdez du terrain, d’un côté ou d’un autre. C’est cela que nous avons voulu corriger. Si nous pouvons avoir désormais des relais dans chaque secteur, on aurait tenu notre pari. Que quelqu’un qui a un problème dans le monde de l’éducation puisse s’adresser au secrétaire fédéral afin qu’il y ait une sorte de synthèse des problèmes avant de remonter vers le Secrétaire général confédéral, nous allons certainement être plus efficaces. C’est ce que nous souhaitons.

On constate qu’il y a une certaine concurrence entre les centrales et confédérations syndicales autour de l’effectif des syndicats affiliés. A la Csa particulièrement, vous éprouvez des difficultés à contrôler vos syndicats de base. Pourquoi ne pas les regrouper par secteur ?
Cela fait également partie de nos axes. Quand je prends l’exemple de l’éducation, nous avons plus d’une centaine de syndicats de base dispersés dans plusieurs confédérations. C’est d’ailleurs cela qui conduit les gens à se mettre en intersyndicale ad hoc à l’image du Front, de l’Irhs. Nous comprenons que la dispersion des forces et la prolifération des syndicats ne sont pas des choses qui rendent service au monde syndical aujourd’hui. C’est cela qui justifie le fait que nous avons perdu du terrain, nous avons perdu de notre crédibilité. De ce point de vue, nous essayerons de montrer aux camarades que dans chaque secteur, nous pourrons aller vers une sorte d’union organique, en pensant à faire fonctionner les fédérations. Nous rêvons de faire l’unité d’action syndicale au niveau de chaque fédération. Mais, il faut aller par étape. Les gens sont jaloux de leurs prérogatives, de leur leadership ou de leur position de Secrétaires généraux. Et si, on ne va pas progressivement, on risque de les effaroucher et de ne pas atteindre l’objectif final. Le Bénin n’est pas particulier dans ce domaine. C’est dans tous les pays francophones que le phénomène de prolifération syndicale se pose. C’est donc un problème d’ensemble que gère la régionale Csi-Afrique à Lomé où sont représentés tous les pays africains francophones. On doit aller à cet idéal. Même dans le monde de l’éducation, nous avons perdu du terrain, et nous devons reconnaître que nous sommes fragiles parce que, dès que vous déclenchez quelque chose, il y a toujours un moyen pour l’employeur de vous infiltrer.

Quel état des lieux pouvez-vous déjà faire de la Csa-Bénin ?
La Csa-Bénin se porte plutôt bien. Aux dernières élections professionnelles, nous étions deuxième. Nous sommes donc officiellement la deuxième force syndicale. Je pense qu’avec la gouvernance de Dieudonné Lokossou, on a rendu beaucoup plus visible la confédération. On était parti avec moins de 100 syndicats de base à l’avènement de Dieudonné Lokossou. Aujourd’hui, nous sommes à 190. Juste pour vous dire quelle est l’audience que nous avons aujourd’hui dans le monde des travailleurs. Le comité des femmes ainsi que celui des jeunes fonctionnent normalement. Nous avons initié des projets à l’endroit de nos syndicats affiliés, notamment dans le domaine de la sécurité et de la santé. Nous faisons beaucoup de formations. Donc, la Csa-Bénin est devenue plus crédible. C’est une force qui permet d’ouvrir un certain nombre de portes pour le bien-être des travailleurs. Mais nous devons aller plus loin. L’état des lieux montre que la Csa-Bénin est l’une des confédérations où l’alternance est une réalité. Dieudonné Lokossou est le 4ème Sg. Il a fait deux mandats. Je suis le 5ème Sg entrant. L’état des lieux revèle que nous sommes une confédération vivante et nous espérons continuer dans ce sens. Notre gros problème, c’est notre capacité de mobilisation des travailleurs. Nous devons convenir que nous avons des efforts à faire dans ce domaine. On a l’impression que nous avons des syndicalistes ‘’pachas’’ et non des syndicalistes acquis à la cause. Nous devons élargir notre base en investissant les travailleurs de l’informel pour les syndicaliser, en recherchant la qualité. Ceci, puisque nous voulons sortir de ce carcan qui conduit les syndicats et les confédérations à considérer le travailleur comme étant un électeur. De ce point de vue, cela fausse complètement notre vision du syndicat, notre rapport avec les militants à qui on ne dit plus toujours la vérité. Parce qu’on a peur de l’effaroucher pour qu’il ne vote plus pour nous demain. En somme, la Csa va chercher à conforter sa position de 2ème confédération et même occuper la première place. Mais, ce n’est pas à tous les prix. Nous sortirons de cette relation de compromission. On leur dira la vérité quand il le faudra. C’est ça qui nous permettra de créer une sorte d’esprit de famille Csa au sein de laquelle les gens pourront se mobiliser lorsque nous leur ferons appel.

Votre prédécesseur a mené de nombreuses luttes durant son mandat. Que comptez-vous faire de ces luttes ?
Le Secrétaire général Dieudonné Lokossou et plusieurs autres de ses pairs ont mené un grand combat qui ne date pas du régime de Patrice Talon. Ils ont toujours été présents sur les questions de liberté et la défense des acquis démocratiques. On ne peut que continuer sur cette lancée, parce que c’est le minimum que nous puissions faire pour nos travailleurs, pour nos populations.

Quelles seront vos relations avec vos pairs pour réussir votre mission ?
Je ne suis pas un étranger à la bourse du travail car, je connais un peu le milieu et les relations que la Csa Bénin a avec les autres confédérations. Il y a des gens avec qui on peut discuter pour engranger certaines choses comme on l’a déjà fait, c’est-à-dire une sorte d’intersyndicale ad hoc qui fonctionne chaque fois que nous avons besoin d’intervenir ensemble sur les grands dossiers de la nation. Nous allons continuer de le faire, et je suggère même que cela soit formalisé pour qu’en allant aux négociations gouvernement-syndicats, que nous ayons un porte-parole, pour qu’on ne soit pas obligé de montrer qu’on est présent même si on n’a rien à dire. On peut même avoir une direction tournante à la tête de cette intersyndicale. Cela permettra de nous crédibiliser vis-à-vis du gouvernement et d’avoir plus de force. La Csa va préserver ses principes et ses valeurs car, nous ne nous engagerons pas dans une alliance qui ne nous apportera rien.

Un mot pour conclure cet entretien
Je souhaite une très bonne et heureuse année à tous les militants de la Csa Bénin et à tous les travailleurs du Bénin. Je souhaite une année de réussite dans la concertation et le dialogue à notre gouvernement.
propos recueillis par Isac A. YAI & Patrice SOKEGBE



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