Accès à l’énergie en milieu rural au Bénin : Une révolution en douce avec le solaire

Fulbert ADJIMEHOSSOU 19 mars 2020

Au Bénin, en milieu rural, les populations n’attendent plus forcément le raccordement au réseau conventionnel pour disposer de l’énergie électrique. Dans plusieurs localités, ce sont les rayons de soleil qui illuminent leur vie et favorisent l’équité sociale. Pendant ce temps, un marché se créé autour de cette énergie renouvelable.

Il est 19h. Sur la piste qui relie Zogbodomey à Kpokissa, dans le département du Zou, Eric notre conducteur est obligé de lancer des phares pour s’identifier au milieu de la nuit. Mais après une heure de bain poussiéreux à moto, on retrouve à nouveau la chaleur humaine dans ce hameau, témoin d’une partie de l’histoire de la résistance du Roi Béhanzin. Ici, autour de 20 h, c’est le contraste avec certaines localités traversées qui sont déjà plongées dans le noir ce jeudi 12 mars 2019.
Nicolas Adjakossa, pasteur dans une église évangélique de la localité nous révèle ce qui maintient Kpokissa debout sur ses pieds, malgré la tombée de la nuit. « C’est cette mini-centrale solaire photovoltaïque qui est à côté du commissariat de police, non loin du marché. On vivait dans l’obscurité. Mais depuis 2014 qu’on nous l’a construit, nous n’avons plus l’impression de vivre dans un village mais plutôt dans une ville. Certains d’entre nous ont des ventilateurs et d’autres ont même des réfrigérateurs », confie-t-il, l’air rayonnant.
Une randonnée nocturne avec notre guide, Alexandre Adanglenon, un électricien, la trentaine, permet de mieux apprécier les effets de cette infrastructure réalisée dans le cadre de la première phase du Programme Régional de Développement des Energies Renouvelables et d’Efficacité Energétique (PRODERE I).
Par endroits, des élèves profitent pour s’exercer en groupe. « Vous ne pouvez pas comprendre combien cette mini-centrale solaire aide surtout nos enfants. Aujourd’hui, jusqu’à ce que je trouve de poissons congelés dans mon village, quelque chose a changé vraiment. Il fallait aller jusqu’à Bohicon pour en avoir. Même charger son téléphone était un calvaire. On n’y croyait pas. C’était à la suite des crues de 2010 que des partenaires nous ont proposé la centrale », témoigne Elie Vodounou, Chef d’arrondissement de Kpokissa de 2008 à 2015.

Les inégalités s’effacent
Une révolution prend corps. Les initiatives se multiplient pour permettre aux populations des milieux ruraux de disposer de l’énergie solaire et de contribuer ainsi à l’atteinte de l’Objectif de développement durable numéro 7 : « Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable ». L’enjeu dans ces localités reculées, c’est aussi de pouvoir mettre fin à certaines précarités et inégalités.
C’est le cas à Agonvè, dans la commune de Zagnanado, où sur cette île mythique, les quelques rares panneaux solaires photovoltaïques présents sont considérés comme une richesse inestimable. « Il y a beaucoup d’enfants qui ne trouvent pas de lumière pour étudier la nuit et qui utilisent les lampions. Ce qui fait que les cahiers sont sales et les narines des écoliers sont bouchées provoquant plus tard des maladies broncho pulmonaires. Dans les localités isolées du monde comme la nôtre, il faut le solaire pour contribuer à assurer le droit des enfants à une éducation de qualité, leur donnant ainsi la même chance que d’autres qui sont en ville », insiste Athanase Dègan, Directeur de l’Ecole Primaire Publique de Agonvè.
Mieux, par endroits, ce sont les femmes qui en jouissent à travers l’alimentation des systèmes d’adduction d’eau villageoise et l’éclairage des centres de santé. Bernard Kouthon, major du dispensaire isolé de Djondji dans la commune de Ouidah, au Sud du Bénin est soulagé depuis quelques semaines par la présence du solaire dans son établissement sanitaire. « Quand il n’y en avait pas, on accouchait avec les torches à piles et les lumières de téléphone portable. On est vraiment à l’aise maintenant pour donner et sauver des vies », avoue-t-il.
Selon des témoignages recueillis, dans les centres de santé, en plus de l’éclairage, disposer de frigos solaires permet de garder les produits médicaux dans de bonnes conditions et de mieux répondre aux besoins des patients.
Dans un pays où le taux d’électrification en milieu rural est encore faible, Dr Macaire Agbomahena, Enseignant-Chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi et Spécialiste des énergies renouvelables croit que le solaire est un moyen de créer l’équité sociale. « S’il faut attendre de drainer des câbles électriques sur des dizaines de kilomètres avant d’éclairer un ilot, vous voyez ce que ça fait. Alors qu’avec quelques panneaux, on peut aider les gens à recharger leurs téléphones portables, faciliter la communication avec leurs proches. Tout cela participe de l’équité sociale », insiste le chercheur.

Une marche cruciale
Mais la dynamique ne s’est pas mise en place sur un claquement de doigts. Il y a eu, selon Faustin Dahito, Président de l’Association interprofessionnelle des spécialistes des énergies renouvelables (Aiser-Bénin), des réticences. Il se rappelle encore du mythe qui entourait l’énergie solaire avant les premières réalisations, notamment l’alimentation des systèmes de télécommunication en zones rurales. « Il y a 30 ans, c’était une technologie que les gens ne connaissaient pas beaucoup. Certains doutaient même de sa réalité. Le Gouvernement d’alors nous avait donné l’opportunité de commencer par l’hydraulique villageoise, puis par l’électrification des centres de santé et des écoles. La technologie a fait son chemin », témoigne cet ingénieur.
Plus de 25 ans après, le Président de l’Aiser-Bénin se dit fier d’avoir participé à la construction des premiers villages solaires à Sêdjê-Dénou, Béroubouay, Ouassa-Tobré, Soclogbo, Dédékpoé, Towé et Houédo-gbadji. Le regard tourné vers l’avenir, il reste optimiste. « Je crois que aujourd’hui, nous sommes dans une révolution », martèle-t-il.
Une révolution certes, mais les problèmes de gouvernance et de pérennité des acquis ne tarderont pas à refaire surface au point où il devenait impossible d’exploiter certaines mini-centrales solaires. « Faute d’entretien des équipements de base, comme les batteries, les onduleurs et autres dont les durées de vie sont courtes par rapport aux panneaux, ces petits problèmes de gestion au niveau local ont fait que des projets n’ont pas fait long feu. Mais désormais, puisqu’on apprend de ses expériences, les dispositions sont de plus en plus prises », affirme Dr Macaire Agbomahena.
Cependant, il faudra plus qu’un cadre de gouvernance du secteur et des lois pour que le solaire prenne véritablement place dans la transition énergétique. Pour les spécialistes, il faut aussi compter sur l’engouement des ménages, même en milieu urbain, de disposer de l’énergie sans payer des factures ou sans subir d’éventuels délestages.
A Ouèdo, une localité située à une trentaine de km de Cotonou, Idelphonse B. n’a pas attendu le raccordement au réseau conventionnel pour s’offrir de l’électricité : « J’ai dépensé environs 150.000 Fcfa et j’ai de l’énergie électrique pour l’éclairage de la maison et le fonctionnement du poste téléviseur. Ce n’est qu’après que je me suis raccordé au réseau d’énergie électrique conventionnelle ».

Une dynamique à propulser
Selon une étude restituée le 29 octobre 2019 dans le cadre du Projet Régional d’Electrification Solaire Hors-Réseau, l’utilisation productive en 2018 est de 41,1 millions USD. Il y a 500.000 ménages qui peuvent être électrifiés d’ici à 2030. De quoi travailler à développer un marché autour du solaire. « C’est un secteur qui va connaître un boom. Il y a aujourd’hui un manque d’entrepreneurs qualifiés dans le secteur. Il est nécessaire que les jeunes profitent pour entreprendre. Le taux d’électrification étant faible, il faut des entrepreneurs pour accompagner l’Etat », nous confie Félix Comlan EBO, Président de l’Ecole Supérieure des Métiers des Energies Renouvelables (Esmer Bénin), au détour de l’atelier de restitution.
Des projets de construction de centrales solaires photovoltaïques sont en cours dans plusieurs localités de même que le renforcement des capacités des entreprises à profiter de la dynamique en cours. Cependant, il faudra s’assurer aussi de la qualité des équipements servis aux consommateurs pour éviter qu’ils ne soient déçus de cette énergie renouvelable. « Maintenant le solaire est devenu populaire. Il y a une débauche d’activités dans le commerce d’où des déceptions au niveau des consommateurs. Nous avons travaillé sur la question avec l’Agence Béninoise de Normalisation. Il y a des normes qui sont déjà adoptées pour les panneaux solaires. On arrivera à un moment où si vous importez les équipements sans respecter les normes de référence, le matériel sera refoulé. », martèle-t-il.
En attendant, il faut dit-il, souhaiter que les efforts soient pérennisés et qu’on aille de l’avant pour que, avec une irradiation solaire d’environs 3,9 kWh/m².j au sud du Bénin et 6,2 kwh/m².j au nord sur toute l’année, la vie ne s’arrête plus quand se couche le soleil.



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