APPEL A LA CONSCIENCE PUBLIQUE POUR LA PROTECTION DES ENFANTS ET CONTRE LE VIOL ET LA CULTURE DU VIOL

La rédaction 28 novembre 2017

Ils, devraient poursuivre les études, suivre une formation ou terminer un apprentissage en toute sécurité, mais avant d’avoir 18 ans, ils sont en conflit avec la loi, commettent des actes criminels, des agressions sexuelles et sont poursuivis devant les tribunaux et condamnés à des peines d’emprisonnement.

Elles, sont des fillettes âgées de 2, 4, 7, 8, 9 ans ou plus mais toutes mineures, élèves ou apprenties, domestiques ou enfants placés qui n’ont pu aller à l’école, finir leur scolarité, aller en apprentissage, parce qu’elles sont victimes de nouvelles formes de traite, d’utilisation financière, physique ou sexuelle. Elles se sentent en insécurité et sont obligées de fuir leur milieu familial pour échapper au mariage forcé. Elles sont contraintes d’interrompre la scolarité ou l’apprentissage, parce qu’elles sont tombées enceinte.

« Ils » et « elles » sont des enfants, des mineurs, l’avenir du Bénin. Ils sont violés par des proches parents, des enseignants chargés de leur éducation, des voisins, des jeunes ouvriers, des garçons qu’ils rencontrent sur le chemin de l’école ou de l’apprentissage, qui profitent de quelques instants d’inattention des parents ou de certaines pratiques pour assouvir des fantasmes ou des désirs aussi vils que cruels. Ces prédateurs sont de plus en plus nombreux de nos jours et se trouvent partout, dans l’environnement immédiat de nos enfants. Garçons et filles, ils sont ainsi tirés de leur enfance et perdent toute possibilité d’une vie d’adulte normale, saine. Ils vivent dans l’indifférence générale et dans l’incapacité de l’institution judiciaire à leur assurer une prise en charge complète.

Cette situation interpelle tous les citoyens béninois, parents, éducateurs, autorités à divers niveaux chargés de la protection, de la sécurité des enfants et des moeurs.

Cette année, sur les trente trois (33) dossiers au rôle de la première session des tribunaux pour enfants statuant en matière criminelle de Cotonou, onze (11) dossiers soit 33%, sont relatifs à des cas de viol commis par des enfants âgés de moins de 18 ans. Sur un total de 209 dossiers examinés ou à examiner par toutes les juridictions de jugement en matière criminelle du Bénin, 47 dossiers portent sur le viol en général, soit un pourcentage de 22%.

Les grossesses en milieu scolaire, quelques 2763 cas enregistrés au titre de 2016/2017 dans l’ensemble des départements du pays suivant une note officielle du Ministère des enseignements secondaires, techniques et de la formation professionnelle, viennent achever ce sombre tableau.

On aurait pu s’alarmer en pensant que les enfants en manque de divertissement s’abandonnent à des pratiques sexuelles qui dépassent leur âge, avec des conséquences désastreuses. Mais loin de là, il faut s’indigner plutôt parce que les cybercafés, les écoles, les lieux d’apprentissage, et même le milieu familial sont devenus des lieux d’insécurité pour les filles. Elles sont en danger partout désormais. Exposés dans leur innocence ou leur naïveté, dans leur dénuement ou, dans l’absence des parents, aux sollicitations les plus indécentes et aux agressions les plus obscènes. C’est d’ailleurs toute la société qui se trouve exposée à l’exploitation éffrénée et demesurée des choses sexuelles, à des images pornographiques ou des contenus dont l’obscénité a dépassé, insidieusement, le seuil de tolérance. Ceci n’a autre nom que la culture du viol.

Elle entretient l’idée que le viol est inévitable puisque inscrit dans la « nature » de l’homme ; que le viol découle d’une « pulsion » de l’homme et que l’homme a, par nature, des « besoins » sexuels impératifs et plus difficiles à contrôler que ceux des femmes. Cette culture permet de trouver au violeur des circonstances atténuantes et suggère que les femmes victimes sont d’une certaine manière responsables de leur viol. L’un des symptômes autant que conséquence de la culture du viol est précisément la banalisation de la pornographie qui diffuse une incitation sexuelle déplorable. Elle dénature l’image de la sexualité et ruine le respect de soi au point d’entretenir une tendance générale à l’indécence de la tenue vestimentaire et de perpétuer des comportements désolants.

Rien n’est plus facile pour un mineur aujourd’hui que d’arriver à des images ou à des textes pornographiques. Ils sont stockés sur des disquettes ou clés. Une étude sur les terminaux téléphoniques et le contenu WhatsApp des jeunes gens laisserait apparaître dans 95% des cas, un contenu pornographique ou obscène.

On a souvent désormais du mal à « reconnaitre » ce que ces situations signifient en raison même de la pollution de l’espace culturel par des images ou représentations licencieuses renvoyées par certaines télé-réalités ou telenovelas.

Il est urgent d’attirer l’attention de chaque béninois sur cette déresponsabilisation générale face à l’impudeur et la perversité, sur la surexposition à une publicité deplacée de nature à entrainer par complicité, passivité ou banalisation, une accentuation de la prédation sexuelle. Le Barreau du Bénin est préoccupé par cette situation, par l’avenir des enfants, qu’ils soient des victimes ou des enfants en conflit avec la loi. Les Avocats pensent qu’il faut agir et vite agir.

Le Bénin a ratifié la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant du 29 novembre 1999. C’est pourquoi il était nécéssaire d’attirer l’attention de toutes les personnes et particulièrement des autorités compétentes sur cette situation alarmante dont les conséquences sont désastreuses à court, moyen et long terme pour notre société.

Tout en reconnaissant les efforts du gouvernement béninois à travers les lois adoptées dans le cadre de la protection de l’enfance, des mineurs et des jeunes filles contre les agressions sexuelles et autres violences exercées sur eux, les Avocats réunis au sein du Barreau du Bénin constatent avec inquiétude que les agressions et atteintes sexuelles, la traite des mineurs, le harcèlement sexuel prennent de l’ampleur.

Il ne s’agit pas de savoir si l’on respecte la loi ou si l’on respecte son partenaire et sa volonté. Il s’agit de débarrasser la conscience publique de la culture du viol. Rien ne justifie un viol ni ne doit l’excuser. Rien ne doit enseigner le viol ou laisser penser qu’il puisse être commis. Le fait d’attenter à la délicatesse, aux bonnes moeurs, à la pudeur par des représentations indécentes ou fortement explicites de la sexualité est une obscénité dont rien ne justifie la perpétuation. Rien ne donne le droit d’exercer des violences, de surprendre la volonté d’une personne aux fins de consommer l’acte sexuel ni plus généralement d’attenter aux droits de chaque être humain. Aucune tradition, aucune religion, aucune appartenance ethnique, aucun rapport de subordination ou de domination, ni l’exercice d’une fonction de dépendance professionnelle et financière ne justifie cela. Il n’y a pas de « droit de troussage » acceptable.

Pour cela, le Barreau invite toutes les personnes et autorités compétentes à :
• prendre les dispositions réglementaires fixant les conditions et modalités pour bénéficier des mesures de protection prévues par le code de l’enfant et à mettre en place les différents organes et structures notamment les centres prévus par la loi pour l’exécution d’une politique nationale de protection des mineurs, responsable ;
• Interdire et réprimer la fabrication, le transport ou la diffusion d’images ou de messages pornographiques susceptibles d’être vus ou perçus par un mineur par quelque moyen ou support que ce soit.
• Mettre en oeuvre les politiques pénales et disciplinaires appropriées en vue de rendre effective et efficace la répression des infractions sexuelles, du harcèlement sexuel et de tous les abus d’autorité en milieu scolaire ou familial à l’égard des enfants et des jeunes filles.
• Mettre en place les surveillances et mesures protectrices de la moralité publique, des bonnes moeurs et faire cesser le dévoiement de nos cultures et valeurs au besoin en reformant les programmes scolaires, en y introduisant l’éducation civique et l’éducation sexuelle et en supprimant ou interdisant l’accès, la diffusion de programmes, de clip, d’images attentatoires à la bonne éducation morale des enfants ;

• Construire les maisons des jeunes, les centres de loisirs, les lieux de distraction sains et sécurisés pour les enfants et les jeunes ou récupérer, réhabiliter et destiner ceux existants et détournés de leur affectation pour diverses autres activités, à leur destination initiale.
• Faciliter l’accès à des centres de rencontre et d’éducation équipés et animés par des spécialistes formés, pour informer, éduquer et communiquer avec les jeunes et les enfants ;

Notre appel n’a pas pour objectif de susciter un nouveau sujet de déraison. Aussi alarmant soit-il, il vise à mettre des mots sur des situations difficilement qualifiables et trop longtemps, trop facilement ignorées.

Les enfants et jeunes sont la relève de demain. Ne sacrifions pas l’avenir de ce pays.

Fait à Cotonou, le 23 Novembre 2017

Pour le Barreau du Bénin

Le Bâtonnier



Dans la même rubrique