Après la libération des espaces publics à Cotonou : La résistance des belles de nuit aux effets de la rupture

La rédaction 28 février 2017

Longeant entre-temps les trottoirs avec parfois des bicoques érigées sur l’espace public, les travailleuses de sexe changent de tactique pour conserver la clientèle. Au quartier Jonquet de même qu’aux encablures du Stade Gl Mathieu Kérékou, le plus vieux métier du monde résiste et aide les belles de nuit à survivre.

Samedi 25 février 2017. Au fur et à mesure que la nuit enveloppe la ville, les belles de nuit de Jonquet font leur apparition sur la voie pavée de la pharmacie située au cœur du quartier. Quelques minutes après 21 heures, debout sur ses talons et habillée en tenue légère, Sandra, environ la trentaine, avec ses rondeurs, laisse dans un état de rêve les passants qui posent leurs yeux sur elle. Ses jambes à moitié couvertes par la minijupe rose surmontée d’une chemisette qui flotte au gré du vent, ne laissent pas indifférents les hommes installés dans le bar d’à côté.
Sandra esquisse des pas de danse à la Rihanna ou Nicky Minaj. Par ses déhanchements progressifs avec par moment des coups de reins lubriques au rythme de la musique du bar et ses manières de se toucher le corps, elle hypnotise ses admirateurs. Thierry, l’un d’eux, tout souriant ne s’est pas fait prier pour récupérer Sandra et en faire sa promise du soir. Il a su trouver les mots et l’habileté nécessaires pour y arriver. « Ici, on ne tourne pas autour du pot. Ceux qui fréquentent ces lieux savent pourquoi ils y viennent. Il y a ceux qui sont là pour satisfaire leurs désirs et ceux qui sont à la recherche des sensations. Pas besoin de se cramponner aux détails », explique-t-il. Les deux se laissent emporter lentement, au son de la musique, au bord des pavés. Cependant, ils ne sont pas seuls. Le passage des bulldozers de la préfecture de Cotonou n’a pas émoussé l’ardeur des habitués des lieux. C’est un spectacle ultime.

La folie sur le bas-côté
Dans la rue qui jouxte le bar, l’affluence est tout autre. Bordée par un caniveau à ciel ouvert rempli d’immondices, la voie autrefois exiguë est devenue un peu plus large après la libération des espaces publics. Ici, les coins sont partiellement éclairés et offrent un autre visage autre que celui de la voie pavée. ce qui n’empêche pas les habitués de se livrer à leur occupation de tous les soirs. Assis ou debout le long d’une clôture, elles attendent la venue du potentiel client.
La compétition ainsi ouverte autorise tous les coups. Toutes les expressions sont bonnes, l’essentiel est d’attirer l’attention des passants : ‘’Bb viens on b…’’, « je suis chaud pour toi », etc. Les potentiels clients sont accueillis à portée de main. A en croire Judith, il y a des risques de tomber sur des ‘’délinquants’’ qui, une fois après l’acte ne payent pas. « Ceux qui nous maltraitent de la sorte résident dans la zone », confie -t-elle. Les passes dans ces milieux sont tarifées en fonction du service demandé par le client. Un rapport est fait à 2.000fcfa tandis que les préliminaires tels que la ‘’pipe’’ rallongent le prix de 2.000 à 3.000fcfa. « Des clients généreux nous donnent plus que cela. Mais ils ne sont pas nombreux dans le coin. Il arrive même que sans rapport ils nous donnent des sommes insoupçonnées », avoue Judith.
A l’opposé de l’immeuble qui sert de lit à la prostitution à Jonquet, des maisons sombres reçoivent aussi des clients. Le tarif en cet endroit est au rabais. 500fcfa et vous êtes satisfaits. « Ce n’est pas l’argent qui intéressent ceux qui font la passe à 500 Fcfa. C’est plutôt les biens de celui qui leur fait l’amour. Ainsi, quand le client est occupé à se satisfaire, elles le dépouillent de ce qu’il a sans qu’il ne le sache. Toutefois les rusés ne se font pas dépouiller et se font bien satisfaire », explique-t-elle. A chaque irruption de la police, les filles de joie se disputent, se cachent et ne reviennent aux abords du trottoir qu’une fois le pick-up de la police parti. Les maisons closes de la zone sont nombreuses et offrent de multiples choix aux aventuriers d’un soir. Ainsi va la vie la nuit à Jonquet.

Les nouveaux refuges de Kouhounou
Ce même samedi, sur l’esplanade extérieure du stade Général Mathieu Kérékou, l’atmosphère est moins animée qu’il y a quelques mois. Les bâtisses rasées dans le cadre de l’opération de libération des espaces publics donnent lieu à une sobriété inouïe. Mais apparemment, les habitudes n’ont pas tellement changé, en ce qui concerne le marché des filles de joie. Presque nues avec des robes qui laissent entrevoir une partie de l’imité, elles attirent de potentiels clients. Une dizaine de prostituées font la ronde autour des véhicules garés sur l’esplanade. Aussitôt une moto arrêtée qu’une d’entre elles s’avance. « Bonsoir tonton, vous voulez me voir ? » « Non ! rétorqua ce dernier. Je prends juste de l’air ». Non loin, après quelques minutes de négociations, un homme, la quarantaine, réussit à convaincre l’une d’entre elles puis la remorque. Destination, une chambre de passage à Sètovi, un quartier situé à quelques kilomètres du Stade de l’amitié. En suivant discrètement ce ‘’couple’’ d’un soir , par curiosité, nous découvrons une ambiance exceptionnelle. Chassées de l’esplanade du stade, confie un usager, c’est dans cette ruelle qu’elles ont trouvé refuge.
A peine entré dans une rue de Sètovi que des appels se font entendre ‘’Chéco ! Chéri ! S’il te plait, attends. Je suis là, viens’’. Une vingtaine, elles se sont réparties de part et d’autre de la rue, Il y en a de toutes les couleurs et de toutes les formes : Grosses, rondes, minces, très jeunes et parfois presque vieilles. Non loin, dans une autre rue, toujours dans les environs du stade de l’amitié, l’affluence était à son comble. Elles se collent au mur, alignées tels des soldats d’une armée prêts à donner l’assaut. Il suffit juste de marquer un arrêt pour les voir se ruer avec des gestes de délicatesse, prêtes à servir à des tarifs légèrement revus à la baisse.
Sandric DIKPE (Coll.) & Lazarre TCHEZOUNME (Stag)



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