Bénin/ Menace sur les mangroves : Coupes sauvages, répression douce

Fulbert ADJIMEHOSSOU 8 juin 2018

Interpellation, verbalisation, abandon de poursuite, complicité etc. Au Bénin, la lutte contre les coupes illicites de palétuviers a encore du plomb dans l’aile. Les mangroves continuent d’être dégradées pendant que la répression reste encore dissuasive et intermittente. (Episode 2/3)

Le téléphone sonne. Au bout du fil, une voix désespérée, en quête d’aide. « Les pêcheurs qui coupent les palétuviers pour en faire des acadjas me défient toujours. Je suis à la recherche de secours ». Ce SOS, en date du 09 mai 2018, provient de Gaston Zossoungbo, Chef du village Kouvènanfidé, commune de Ouidah. Pourtant, à notre première rencontre, il y a 7 mois, cet élu local avait l’air plus rassurant. « Dans ma zone, ça va un peu mieux. Nous avons mené une campagne en juillet avec l’Ong Actions plus et la Brigade de Savi. Mais, on note quelques résistances. Si on peut arrêter certains et les emprisonner pour deux ou trois mois, on aura la paix », confiait-il.

« Il ne suffit pas de prendre un décret »
C’est dire que les lignes peinent à bouger. En réalité, cette décision interdisant les coupes de palétuviers et de cocotiers dans les zones humides, souffre du manque d’accompagnement sur le terrain. « Il ne suffit pas de prendre un décret tout simplement. Il faut mettre les hommes au travail et les accompagner avec des moyens. Si ce n’est pas fait, c’est normal que cela ne prenne pas », martèle un des acteurs engagé sur le terrain, qui a requis l’anonymat. Pour sa part, Maixent Ogou, Directeur Exécutif de l’Ong Actions plus approfondit le diagnostic : « Les forces de l’ordre et les autorités locales ne prêtent pas souvent main forte à ce qui se fait. Nous, en tant que Ong, nous ne pouvons pas arrêter quelqu’un. Nous ne pouvons qu’alerter. Et si les gens doivent attendre des ordres de mission avant d’intervenir, les délinquants auront le temps de fuir ». Maixent Ogou en veut pour preuve deux individus interpellés à Grand-Popo et qui ont dû fuir le village puisque recherchés par la police. « Si la police doit faire plus de 20, voire 30 km depuis Akpakpa, on n’aura pas le résultat. Il faut une brigade mobile », ajoute-t-il. En attendant que les patrouilles mobiles ne se mettent en branle, on assiste pour le moment à quelques interpellations, que d’aucuns qualifient de saisonnières.

Surprise, la police est là !
1er février 2018. C’est la veille de la Journée Internationale des Zones Humides. À Togbin, au sein d’une communauté côtière située à 15 km de Cotonou, il règne un calme plat. Ici, les femmes productrices de sel s’affairent autour du feu. Elles étaient loin d’imaginer recevoir, les minutes suivantes, la visite inopinée de la Brigade de Protection du Littoral et de lutte contre la Pollution (Bplp). « Les femmes ne s’y attendaient pas. 13 d’entre elles ont été arrêtées et gardées à la Bplp à Agblangandan, du jeudi au lundi avant d’être présentées au Procureur de la République. Ça n’a pas été facile », confie François Gbétin Cossa, Président de l’Association pour la Valorisation de la Réserve Biologique de Togbin (Avrbt), rencontré début Avril 2018. Pour cet enseignant à la retraite, si l’interdiction de la coupe des palétuviers par les notables est acquise depuis toujours, avec la mise à contribution des fétiches Zangbéto (Gardiens de nuit), l’absence d’alternatives n’a pas permis aux femmes de s’affranchir de l’utilisation des palétuviers. « Les notables avaient interdit la coupe bien avant même que nos mangroves ne soient déclarées comme étant une réserve biologique. Des activités parallèles ont été montées pour que progressivement les femmes laissent la saliculture. Mais, ça n’a pas marché. Quoi qu’on dise, elles vont couper secrètement. De là, on s’est tu. Les autorités de l’Agence Béninoise de l’Environnement (Abe) étaient même venues faire des sensibilisations. Voilà là où nous en sommes avec des complications judiciaires », regrette François Gbétin Cossa. Présentées au Procureur de la République près le Tribunal de première instance d’Abomey-Calavi, ces femmes ont essuyé des sueurs froides. Le Chef quartier de Togbin dit avoir pris des engagements fermes pour qu’elles soient relâchées, puis mises sous convocation.

Douce répression !

Cependant, la Bplp n’était pas la seule à réagir dans cette période, suite à l’alerte de coupes sauvages de palétuviers. Informées, les Eaux, Forêts et Chasse passent aussi à la répression. Aux commandes, le Chef d’Inspection forestière Atlantique-Littoral, Col. Isidore Koty. « Quand il y a une menace de destruction, les forestiers se doivent de réagir. J’ai mis en place une équipe. A notre arrivée sur les lieux, c’est la débandade. Ils ont détalé, comme de bons voleurs. Mais, nous avons pu mettre la main sur 3 personnes, un homme et 2 femmes », confie-t-il. A notre rendez-vous à l’inspection forestière départementale, mi-mars 2018 à Abomey-Calavi, nous retrouvons dans la cour des tas de palétuviers. Le volume avoisine 25 stères, selon le colonel Koty. « Nous les avions ramassés en trois, voire quatre bâchées », précise-t-il. Une sanction sévère s’impose donc pour donner un signal fort. « On les a gardés pendant trois jours. Ils ont ensuite payé une amende de 50.000 francs Cfa et ont été mis en garde fermement. A la moindre récidive, ils savent qu’ils seront confiés au Procureur de la République », martèle le Col. Isidore Koty. Selon les dispositions de l’article 88 de la loi : « Quiconque aura coupé ou enlevé des arbres, les aura mutilés, ébranchés, écorcés, incinérés abusivement ou exploité des produits forestiers accessoires sans y avoir été autorisé et sans jouir du droit d’usage est puni d’une amende de 5.000 à 50.000 FCFA et d’un emprisonnement de quinze jours à six mois ou de l’une de ces deux peines seulement ».
En fonction de la gravité de l’acte, les agents ont essentiellement deux possibilités : verbaliser ou emprisonner. Mais, dans le cadre de la lutte contre les coupes illicites de palétuviers, la verbalisation semble devenir une option prisée. En réponse à la question de savoir ce que sont devenues les interpellations faites en mai 2017 avec le concours de la Bplp, le Directeur adjoint de l’Abe Ismaël Hoto parle d’une douce répression. « Nous avons arrêté, juste pour dissuader, deux individus pris la main dans le sac en train d’installer des acadjas sur la base des palétuviers. Tout cela participe à un crime contre la nature (…). Nous sommes pour le moment dans une démarche de sensibilisation. Quand nous arrêtons quelqu’un, nous essayons de lui faire prendre conscience de son acte et nous tentons de le dissuader de recommencer pour que cela serve de leçon aux autres », se défend-il. Cependant, les acteurs souhaitent que la répression aille au-delà de la verbalisation.

Le ver est dans le fruit

Qu’en est-il de la responsabilité des élus locaux et des agents chargés de la protection ? Ils ont beau prouver être acquis à la lutte, les soupçons de complicité et de laxisme pèsent toujours sur eux, à tort ou à raison. En témoigne le coup de gueule du nouveau Directeur Général de l’Agence Béninoise pour l’Environnement, Dr François-Corneille Kêdowidé, au cours de notre rencontre début avril 2018 : « en ce qui concerne les zones humides, notamment la protection des mangroves, le ver est dans le fruit. Ceux qui sont chargés d’empêcher ces coupes sont ceux qui font les coupes d’une manière ou d’une autre ». Cet ancien responsable de suivi évaluation du Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (Uicn) n’ira pas loin dans sa déclaration, car il vient juste de prendre fonction. En attendant de le voir en action, les verbalisations sont sujettes à diverses interprétations sur le terrain. Si les agents disent être dans une démarche pédagogique, d’aucuns l’assimilent à du rançonnement. « Les gens savent qu’ils ont 20% sur les frais de verbalisation. Alors pourquoi ne pas donner priorité à ça. C’est presque du rançonnement », fulmine un acteur qui a requis l’anonymat. Et au Col. Gaston Akouèhou, Directeur Général du Centre d’Etude, de Recherche et de Formation Forestière de relativiser cette épineuse question de laxisme : « Nous sommes dans une société où les affinités se trouvent partout. Si, j’interpelle un de vos parents, vous serez le premier à appeler pour supplier sans doute. Il revient aux agents d’agir en toute responsabilité ».

La loi de l’Omerta à Adjahindji

Mais, si jusque-là, la répression semble encore douce, il y a un cas sur lequel les Ong attendent toujours la réaction de l’administration forestière. C’est le cas de dégradation dans le hameau d’Adjahindji-Vinawa à Ouidah, signalé par le Professeur Michel Boko, autochtone de la localité. Le 21 octobre 2017, une mission a été dépêchée sur place et rapporte dans son compte-rendu une dégradation liée aux travaux de construction de clôture à la lisière de la lagune, de remblayage entrepris depuis ladite fondation. Pis, les palétuviers de la lagune et le long de la fondation de la clôture sud ont été dégagés sur environ 100 mètres le long de la rive. Rencontré en novembre 2017 à Ouidah, le Lieutenant Simon Ahlinvi, responsable des Eaux et Forêts de la commune de Ouidah analyse les infractions. « Dans ce cas, il y a beaucoup d’infractions. Ce n’est pas la coupe seule. Il y a eu empiétement au niveau de la rive, des modifications de l’écosystème de la zone puisqu’il y a eu remblayage là. Il y a eu modification profonde de la formation pédologique. La mangrove qui doit constituer de frayère et de lieu de nidation des espèces a été perturbée ». Pour rappel, l’article 28 de la loi n°93-009 du 2 juillet 1993 portant régime des forêts interdit tout défrichement de bois et broussailles à moins de 25 m de part et d’autre le long des rives, des cours et plans d’eau. Le promoteur du site, invité à une rencontre d’échanges à l’Abe le 26 octobre 2017 n’a pas répondu à l’appel. Par ailleurs, une bâchée 404, chargée de bois de racines de palétuviers a été arraisonnée avec l’appui de la Brigade de gendarmerie de Savi. Le conducteur, Romain Gangbé contacté en novembre 2017 se défend : « C’est une dame qui m’a appelé un soir de venir lui faire un chargement. Mais, il se faisait tard et comme je n’ai pas d’apprenti, je lui ai proposé d’y aller le lendemain. C’est ainsi, que je suis allé charger les palétuviers avec mes enfants. J’ai été interpellé en circulation par la Gendarmerie. Et je leur ai expliqué les faits. Puis, ils ont gardé la bâchée ».

« Le dossier est dans les mains du Procureur »
Plus d’un semestre après, les sanctions sont toujours attendues. Le Professeur Michel Boko, devenu du coup très engagé sur le dossier, reste sceptique. « Il y a des raisons de se demander si le dossier connaitra une suite, étant donné que le concerné se dit ami du Président Talon ». Pendant ce temps, l’administration forestière assure que la procédure suit son cours. « Dire que rien n’a bougé depuis, c’est un peu trop dit. Quelque chose se fait. La procédure est en cours. Le dossier est dans les mains du Procureur de la République près le Tribunal de Ouidah. Six mois, ce n’est pas encore trop si on veut faire les choses réglementairement », confie le Col. Isidore Koty. Les travaux sont pour le moment suspendus sur le site. Néanmoins, il y a des cas qui ne connaitront pas ce même intérêt. Le Directeur Exécutif de l’Ong Ecotourisme Bénin, Gauthier Amoussou regrette n’avoir jamais eu de suite à une saisine en décembre 2015. Le procès-verbal pourtant signé de l’agent assermenté J. E, fait mention de ce que quatre hectares environ de plantations de palétuviers réalisées à un écartement de 2m x 2m, de 2 ans d’âge ont été entièrement consumés par le feu. Qui en est l’auteur ? On ne le saura peut-être jamais. « Nous avons maintes fois appelé l’agent pour connaître la suite. Nous avons dû laisser tomber. Je crois qu’il y a une faiblesse dans le dispositif de surveillance et de poursuite des Eaux et forêts. Mais si ça continue ainsi, nous le ferons en usant de notre droit de porter plainte », exprime Gauthier Amoussou avec colère.
La lutte contre les coupes de palétuviers, c‘est aussi une question de moyens. Les mangroves étant situées dans des zones humides, les forestiers et les policiers ne disposent pas toujours de moyens pour faire la répression sur les cours d’eau, encore qu’au dire de certains, les coupes se font parfois nuitamment. Aussi, faudra-t-il redéfinir le rôle des acteurs, et renforcer le dispositif de surveillance autour de ce trésor naturel dont les populations ont du mal à se défaire, faute d’alternatives. Cependant, des initiatives prennent corps pour stopper la saignée. L’épisode prochain vous propose quelques-unes dont le recours aux fétiches Zangbéto.
Enquête réalisée dans le cadre du Dialogue Citoyen



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