Brice Sinsin à propos de la recherche scientifique à l’Uac : « Je ne connais pas la porte à laquelle on peut taper et … espérer un financement »

Géraud AGOÏ 22 octobre 2013

Agronome-forestier de formation, celui qui cumule actuellement les fonctions de recteur et de président du conseil scientifique de l’Uac, a un curriculum vitae, qui comporte plus de 20 pages. Brice Sinsin soutient ici les travaux de recherche et les publications qui se font à l’Uac. Il évoque également la principale difficulté qui handicape la recherche scientifique et propose la solution qui permettra à l’Uac de porter très haut une recherche universitaire qui accompagne le développement durable du Bénin.

Le rapport sur la recherche universitaire de l’année 2012 indique que 566 articles ont été publiés dans 3 types de revues à savoir : revue à Impact factor, revue Indexée et revue à Comité de lecture. Donnez-nous la signification de ces terminologies.
Les revues faciles d’accès sont les revues que nous créons dans notre environnement immédiat et qui peuvent avoir une portée relativement restreinte. Lorsque la revue n’est pas connue des grandes bases de données, lorsqu’elle n’est connue que de ceux qui en ont entendu parler, ce sont des revues à comité de lecture. Ce sont des revues qui sanctionnent ce que vous avez émis comme idée en ce qui concerne la définition du thème, l’objectivation du thème, la démarche méthodologique, l’adéquation entre la méthodologie et les objectifs, la manière dont vous présentez vos résultats et les conclusions que vous en tirez. Il y a d’autres revues qui publient des résultats intéressants à plus d’un niveau, des revues qui sont citées régulièrement dans beaucoup d’autres revues, dans beaucoup d’autres articles par beaucoup d’autres chercheurs. Ces revues qui publient des idées qui ont eu un impact qui dépasse largement le cadre dans lequel les études ont été réalisées, ces revues qui sont spécialisées dans la recherche d’informations bien traitées sont appelées revues d’impact ou à impact factor. Ce sont ces revues qui sont le plus visibles à l’international. Mais pour aller à ces revues, il faut publier en anglais. C’est la langue de circulation de l’information et d’échange au niveau international.

Dans l’avant-propos du rapport sur la recherche de 2010, vous écriviez : « Le lien entre la recherche et le développement ne peut se justifier que si les résultats des différentes études qui en découlent sont publiés, diffusés et utilisés ». Selon vous, qu’est-ce qui explique cet état de choses ?
Il y a deux aspects. Je peux faire mon rapport et le glisser dans mon tiroir ou le distribuer à quelques amis pour leur montrer ce que je fais. Mais lorsque je passe à une publication, je permets à d’autres personnes de connaître ce que je fais dans mon laboratoire, dans mon équipe ou dans mon pays. Les autres peuvent utiliser mon travail pour développer des procédés, d’autres types de matières etc. Ceci contribue toujours d’une manière ou d’une autre à l’enrichissement de la connaissance et peut-être au développement, à l’invention, aux innovations. Revenons à notre contexte. Les produits de la recherche devraient être des précurseurs de la mise en place d’une industrie, d’une entreprise ou de produits au sein de l’entreprise. Les recherches peuvent permettre aussi de conceptualiser des idées, lesquels concepts permettent de mieux entrevoir la mise en place d’une démarche méthodologie pour atteindre d’autres procédés et fabriquer d’autres produits. C’est toujours à partir de la publication que les autres savent comment utiliser votre idée.

Au vu des thèmes des différentes publications, on a l’impression qu’elles se focalisent beaucoup plus sur les connaissances classiques de la science et pas assez sur les problèmes de pauvreté et de sous-développement de notre pays. Qu’en dites-vous ?
Pourquoi ne se focaliseraient-elles pas sur des aspects de la pauvreté ? Au département de Sociologie, nous avons plein de mémoires qui traitent des aspects de la Pauvreté. Ça peut ne pas être titré pauvreté. Mais quelqu’un qui fait l’analyse des revenus que génère la vente du maïs par exemple ou des plantes médicinales, qui arrive à trouver que les revenus de la bonne dame ou de ce guérisseur sont relatifs au coût de la vie, traite déjà de la pauvreté. Donc il y a plusieurs aspects de la pauvreté qui sont abordés par les thèmes de recherches. Aucun chercheur ne réfléchit en dehors de son contexte. Il y a les communistes qui disent à cet effet, « c’est le contexte qui détermine la conscience des gens ». Vous ne pouvez pas vivre au Bénin et traiter des problèmes japonais ou chinois. La preuve, personne n’a encore étudié Fukushima ici. Ce n’est pas notre priorité, ce n’est pas notre défi. Mais au Japon, il y a beaucoup de chercheurs qui s’y penchent parce que c’est leur priorité. On étudie toujours par rapport au contexte de vie.

« Le nombre de travaux scientifiques et de publications est en croissance malgré la part modeste du budget alloué à la recherche par le budget national ». Cette phrase est tirée du commentaire global sur le rapport 2012. En quoi consiste cette contribution de l’Etat à la recherche scientifique ?
On n’a pas de budget pour une Université ou pour un centre de recherche. On rigole là ! La recherche, c’est avant tout un saut dans l’inconnu. Vous vous décidez, quand on vient vous poser un problème, de trouver des éléments de solution à partir de la gymnastique intellectuelle dont vous êtes capable. On parle alors en termes de temps, de matériel, de main d’œuvre qui collectera les informations ou manipulera des appareillages. On parle forcément en termes de plusieurs centaines de millions voire de milliard pour pouvoir générer les solutions qui pourront facilement convaincre les uns et les autres. Mais ne disposant pas de cela, nous essayons de prendre dans nos propres ressources, une partie pour animer l’esprit de recherche, pour remplir cette seconde mission de l’université. L’Université ne diffère du lycée que parce qu’elle contribue à la génération de nouvelles connaissances utilisées pour améliorer les enseignements qu’elle met également au service du développement. Nous utilisons donc nos quelque 200 millions, relativement faibles, à bon escient pour maintenir la recherche à l’Uac.

Le ‘‘Projet fonds compétitifs de recherche’’ est à sa deuxième phase actuellement. Qu’est-ce que ce projet a apporté de plus à la recherche à l’Uac ?
Lorsqu’on parle de recherche universitaire, je l’ai dit tantôt, c’est d’abord pour contribuer à la base de connaissance pour la science. Cela nous permet d’améliorer nos prestations, de donner aux étudiants la capacité de réfléchir pour trouver des idées ou des démarches pour résoudre leurs propres problèmes. Et selon le bilan que nous faisons de la première phase, ce programme nous a permis de former des docteurs, des intermédiaires (les Masters et les Dea), de faire des publications, un des critères mondiaux pour qualifier une université. Ces réalisations, vu le budget que nous avons utilisé, nous ont satisfaits. C’est pourquoi on a jugé nécessaire d’avoir une seconde phase.

Avez-vous, en guise de conclusion, un appel à l’endroit des divers acteurs de la chaîne de la recherche universitaire ?
Pour ce qui concerne la recherche, on sent de manière cruciale l’absence de la matérialisation palpable de la volonté du gouvernement à appuyer la recherche. Il n’y a aucun collègue, aucune équipe ici qui puisse dire, qu’il y a du financement disponible dans telle fondation, structure ou institution et qu’il peut proposer une belle idée pour en bénéficier et apporter des solutions, que la condition serait de proposer une idée en adéquation avec les priorités du gouvernement. Il n’y en a pas. Je ne connais la porte à laquelle on peut taper et proposer un très bon programme avec la promesse de trouver des solutions aux problèmes au niveau étatique et espérer un financement. Il n’y a nulle part. Il faut que les intentions : ‘‘nous voulons aider…, on aime la jeunesse, on aime les universités’’, soient suivies de faits concrets. Qu’on dépose 1, 2 ou 10 milliards quelque part pour financer la recherche, même si on conditionne cela par des champs thématiques clair : pauvreté comme vous l’avez dit, agriculture, santé etc. Nous irons alors avec des idées, des projets pour pouvoir apporter des solutions à ces grands problèmes jugés prioritaires. C’est ce qui manque le plus. Il nous faut coûte que coûte ce genre de financement.
Propos recueillis par Géraud AGOÏ



Dans la même rubrique