Chomage des jeunes diplomés à Dakar : Foncer ou renoncer ?

La rédaction 22 février 2017

Ils ont du mal à refouler l’angoisse qui les hante. L’optimisme s’est très tôt mué en une équation à plusieurs inconnues. Qu’ils soient titulaires d’un Bac+3 ou + 5, les jeunes diplômés sont pris dans l’engrenage du chômage. Entre débrouillardise et rêve d’un avenir radieux, ils cherchent du boulot telle une aiguille dans une botte de foin.

Assise sur un tapis, la mine sereine, les mains levées vers le ciel et les yeux braqués sur un pan de mur jaune de sa chambre exiguë, Mame Anta Samb, 25 ans, murmure des prières. Non loin d’elle sur une tablette, les restes de son dîner de la veille : un bout de pain et un peu de N’galakh (boisson locale à base d’arachide) dans un gobelet. Titulaire d’une licence en Analyse et Politique économique, cette habitante de Pikine (une des villes de la banlieue) réitère, chaque matin à Dieu, son ardent désir de décrocher son premier emploi avant de prendre la route pour Dakar. Quelques minutes plus tard, basin jaune, chaîne au médaillon en anneau suspendue au cou, elle entame ses démarches épuisantes. En attendant le bus, elle remet un pli à Ndèye Sokhna, une cousine avec qui elle vit et partage sa galère. Il s’agit d’un dossier qu’elle doit l’aider à déposer dans une entreprise. « J’admire son courage. Elle ne se laisse pas abattre facilement », témoigne-t-elle.
Mame Anta n’a que le rappel de sa bourse de deuxième cycle (60 mille francs par mois) pour survivre. Cette somme lui permet d’acheter des accessoires de femmes qu’elle revend à crédit. Avec l’argent recouvré à la fin du mois, elle fait un peu de provision, s’achète quelques vêtements, paye le loyer et pense à sa famille : « Mes parents sont à Thiès et ne se réalisent pas que je sois sans travail après au moins 3 ans d’études à l’Université. Je me débrouille donc pour leur envoyer, de temps en temps, quelque chose ».Elle dit ne rien attendre de son petit ami, chauffeur d’un particulier. « Mon seul espoir est ici », dit-elle en exhibant une grosse enveloppe contenant une pile de demandes d’emploi. Ses parents sont « ses marabouts » et elle ne compte que sur leurs prières. Car, précise-t-elle, dans le bruit assourdissant du moteur du bus Tata, « Au Sénégal pour obtenir un boulot, il faut avoir des connaissances et des relations ».
Plus chanceuse que Mame Anta, Marième Top peut compter sur son fiancé qui travaille déjà. Détentrice d’une licence en Analyse du discours, cette jeune fille de 23 ans continue de loger au pavillon P du campus social de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Je cherche du travail mais je vis grâce à mon compagnon. Il me paye les tickets pour le restaurant et subvient à mes besoins. C’est dur, je garde espoir ».Teint noir, taille moyenne et joviale, elle dénonce ce qu’elle appelle l’absence d’une véritable politique d’insertion des jeunes diplômés au Sénégal. « C’est ce manque de volonté politique qui fait que le chômage ne recule pas », s’emporte-t-elle, regardant, par le balcon, quelques étudiants jouer au football.
En effet, selon les résultats de la première enquête nationale sur l’emploi menée en 2015 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), le taux de chômage au Sénégal est estimé à 13,4 % au niveau de la population de 15 ans et plus. La structure note que « le chômage est plus important chez les femmes avec un taux de 16,7% contre 9,5% chez les hommes ».
Des chômeurs dont fait sûrement partie Lamine Dabo.Voilà deux ans qu’il est sorti de l’école supérieure polytechnique avec un master 2 en télécommunication. Il a fini par se résigner et s’en remettre à Dieu après maints stages et demandes d’emploi infructueux. « Depuis plusieurs semaines, je le trouve bizarre. Il était pourtant confiant, partait à Dakar tous les jours et me disait que bientôt il aura du travail », raconte son père Hassane Dabo avec qui il vit à Keur Massar (Banlieue de Dakar), le nez plongé dans un journal. Ebouriffé, le visage défait, le jeune diplômé de 30 ans, qui passe ses journées à se tourner les pouces, est désorienté. Il se dit victime d’une injustice : « je devrais être en ce moment dans une grande société de la place. Mais c’est une fille qui a été préférée à moi parce que sa tante est une vieille connaissance du patron ». Lamine arrive à s’en sortir avec l’appui de son père, un ingénieur retraité, et celui de sa mère encore enseignante : « je ne sais pas ce que je deviendrais si mes deux parents n’étaient plus de ce monde ».
La vie se révèle plus rude pour les chômeurs qui viennent de l’intérieur du Sénégal. C’est une vraie galère face à laquelle il faut se fabriquer une carapace et se doter d’une force mentale remarquable. Depuis 2015, année à laquelle il a obtenu son master 2, Mamadou Ba, originaire de Matam (Nord-Est), gagne sa vie non pas grâce à son diplôme mais en revendant des rollers (Paires de crampons munis de roulettes). Cet homme de teint noir, géant, à la carrure de rugbyman, arrive à arrondir ses fins de mois en apprenant aux enfants de familles aisées à rouler chaque week-end à la « Place du souvenir » de Dakar. « Je me suis débattu en vain depuis ma sortie de la Fac. Toutes mes demandes d’emploi sont restées sans suite. Ce sont des promesses à n’en point finir. J’ai donc rejoint un ami d’enfance dans ce job », regrette-t-il en entrainant un garçonnet au teint métissé. Agé de 33 ans, Mamadou avoue que cette activité lui permet juste de survivre : « ça me permet de ne pas déprimer et de gérer la location et mes besoins élémentaires. Je connais des camarades de promotion qui sont chez eux, attendant le miracle de Dieu ».
Comme Mamadou Ba, Ibrahim Barasounon est aussi demandeur d’emploi. Assis sur le petit lit de son studio à Fass, la tête entre les deux mains, ce Béninois titulaire d’un master en droit privé débite, d’une voix saccadée, les misères qu’il a subies depuis deux ans qu’il fait des stages dans des cabinets d’avocats à Dakar : « Les gens m’ont baratiné à maintes reprises. Je me consacre finalement aux cours de maison et je suis en même temps employé à la plonge dans un fast-food ». Le physique frêle, le jeune homme de 29 ans croit en ses chances et n’envisage pas de rentrer. Cadre dans une société de la place, Abdou Gueye dont il encadre les enfants a aussi foi en lui et ne se cache pas les yeux devant sa misère : « j’ai découvert ce brillant garçon grâce à une affichette sur les cours de maison qui a attiré mon attention un soir quand je rentrais.Il ne s’apitoie pas sur son sort. Indépendamment de ce que je lui donne pour son travail, je lui viens en aide dès que possible. Car il m’a dit qu’il ne peut pas rentrer. Son oncle qui l’aidait depuis qu’il est à Dakar est décédé ».
Le rapport 2015 de la Banque Mondiale classe le chômage au rang des maux dont souffre le Sénégal. Après une période de progrès notables enregistrés entre 1995 et 2005, l’économie du pays est retombée dans un équilibre de croissance relativement bas. La création d’emplois est faible et peu de progrès sont réalisés dans la réduction de la pauvreté.
Sanni MOUMOUNI (Coll)



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