Compétitivité de la tomate béninoise : Les supplices de l’Or rouge

Fulbert ADJIMEHOSSOU 21 février 2019

Contraintes climatiques, pertes post-récoltes considérables, faible capacité de transformation, etc. Avec une production de plus de 70.000 tonnes de tomates par an, le Bénin n’arrive pas à tirer assez de devises de l’or rouge. Des efforts restent surtout à faire face à l’invasion du marché par les pays frontaliers, même sahéliens.

Dantokpa est comme un dôme posé au bord de la lagune de Cotonou. Pour toucher son cœur, il faut pouvoir braver la chaleur des accueils spontanés des vendeurs, le mélange des odeurs et des bruits ainsi que parfois la mélancolie des couleurs. Cependant, une fois au tréfonds du plus grand marché de l’Afrique de l’Ouest, aux larges des caniveaux qui drainent les eaux usées de la ville vers la berge, la tomate béninoise suscite des envies. « Notre tomate est si fraîche et si pure comme dirait un poète. Il n’y a pas assez d’eau. C’est bon pour toutes sortes de repas. J’apprécie bien », confie Florentine. Mais, ce jeune cordon bleu n’a pas une préférence stable, surtout quand surviennent les tomates des pays de la sous-région. « Dans un marché, on tient compte des avantages qu’à la consommation locale. Notre tomate n’est pas disponible tout le temps. Quelquefois, je suis contrainte de prendre la tomate burkinabè ou nigériane », se défend-elle. Cette attitude n’a rien de différent au comportement de la clientèle dans les marchés de Cotonou, Pahou, et Ouidah. Vendeuse de tomates depuis plus de 25 ans, dame Philomène maîtrise parfaitement cette réalité. « Entre août et janvier, on a souvent notre tomate sur le marché. Pour ces fêtes de fin d’année, nous avons pu vendre un peu du local. Mais après, comme vous le constatez, il y a plus des variétés burkinabè et nigérianes. C’est une question de saison. Pendant qu’ils n’en disposent plus assez, nous exportons les nôtres aussi », explique la sexagénaire.

Coincée entre trois pays et le climat

Sur le marché, cet assaut des voisins tels que le Burkina-Faso, le Nigéria et le Togo est plus considéré comme une menace qu’une opportunité. Selon Wilfried Yehouessi, ingénieur agronome, cette situation s’explique aisément. « Notre tomate n’est véritablement compétitive qu’en décembre où il y a pratiquement un vide du côté du Burkina-Faso et du Nigéria. Ce vide n’est comblé que par la production de la zone côtière où la production est faite avec des variétés améliorées. Mais lorsqu’on parle de la tomate du Bénin, cela renvoie à des variétés locales. Ce sont elles qui sont menacées, qu’on brade et qu’on délaisse dans les champs », explique-t-il.
Cependant, dans un contexte de dérèglement climatique, bien que moins sensible à la pluviométrie, la tomate a besoin d’un minimum d’eau. Les producteurs se plaignent donc de cette dépendance vis-à-vis du climat surtout en saison sèche. Alexis Gbanhounvi, producteur depuis 15 ans dans la localité de Lissègazoun à Allada, au sud du Bénin explique : « En dehors des deux saisons de pluies, nous n’avons pas de bas-fonds pour continuer la production. Si vous trouvez des variétés béninoises sur le marché en ces moments-là, c’est que ce producteur a un aménagement particulier pour faire l’arrosage. Nous autres, on attend ». Dans cette attente, d’autres font recours à d’autres activités pour subvenir à leurs besoins. Théophile Amègan est conducteur de taxi-moto à Sègbohouè. Mais sous son maillot violet, il y a l’âme d’un producteur de l’or rouge. « On ne peut pas produire de la tomate à plein temps, parce qu’il ne pleut pas tout le temps. C’est pourquoi à côté, je fais taxi-moto », dit-il.
Ingénieur agronome, Wilfried Yehouessi n’est, quant à lui, pas du même avis. Il relativise et recentre la problématique : « Il y a certes des perturbations, mais la pluviométrie est suffisante pour la production. La tomate a un cycle de trois mois et quoiqu’en soient les situations, dans la période pluvieuse, nous avons la quantité suffisante. Ces variétés locales n’ont pas besoin d’assez d’intrants comme les variétés améliorées. D’ailleurs, ce n’est pas la production qui est problématique chez nous mais la conservation », martèle-t-il.

Le lourd fardeau des pertes

En réalité, la production de tomates au Bénin est caractérisée par une courte période de surproduction et une longue période de pénurie au cours de laquelle le marché est plus occupé par les variétés étrangères. Cependant, le hic est que dès que les variétés nationales font leurs retours, les consommateurs s’en réjouissent pendant que les producteurs se font du souci. « Les tomates viennent d’Adja, Houègbo, Bohicon, Sékou, Kpomassè pour inonder le marché. Ce qui fait que le panier qui est vendu aujourd’hui à 8.000 Fcfa (début janvier, ndlr) coûte même 500 Fcfa. Alors qu’il faut payer le transport et les ouvriers », se désole Alexis Gbanhounvi. Parfois, il arrive que les producteurs ne trouvent pas de preneurs et laissent pourrir les tomates dans les champs. « Les commerçants dictent leur loi. Nous sommes obligés de tout abandonner et de subir la grosse perte », ajoute-t-il.
A la quête de solutions, des variétés améliorées, comme la Cobra 26, ont été conçues pour accroître la fermeté. Selon Wilfried Yehouessi, cette tomate a la capacité de résister dans le temps et aux chocs lors des transports. Ce qui n’est pas le cas des variétés locales, notamment la variété ‘’Tounvi’’ dont la teneur en eau est très élevée. « C’est pour cette raison que cette variété se casse vite lors du transport, d’où les pertes », explique l’ingénieur agronome. Néanmoins, les semences améliorées ne peuvent à elles seules sauver les meubles. Comment faut-il pourvoir réduire ces pertes post-récoltes et assurer une vitalité de la filière ?

Une usine passée à l’oubli

La solution n’est pas si inconnue des acteurs. Plusieurs chercheurs, à travers leurs études, sont même parvenus à cette conclusion : œuvrer pour la transformation en purée. Sauf que des usines peinent à voir le jour à cet effet. Installée sur un domaine d’environ 4 ha, avec une capacité approximative de 3000 tonnes par an, l’usine de Kpomassè était partie pour relever le défi. Mais l’ambition a très tôt laissé un goût d’inachevé.
6 décembre 2018. A notre descente sur le site, portes closes au milieu de la brousse, l’infrastructure érigée dans le cadre du Programme de Promotion de la Mécanisation Agricole (Ppma), est sans vie. Chef quartier de Gbèdjèwin à Kpomassè et producteur de tomates depuis plus de deux décennies, Marcellin Alladé, espère toujours. « C’est compte tenu de la grande capacité de production de tomate dans notre zone que le gouvernement d’alors nous a fait don de cette usine. Mais elle ne fonctionne toujours pas. Nous avons mené des démarches, de concert avec le maire Mensah Quenum et nous espérons », confie l’élu local.
Dans le cadre de sa thèse, Dr Richmy Aisso, a eu à évaluer l’aptitude à la transformation en purée de quatre variétés améliorées introduites dernièrement dans le sud du Bénin. « Les variétés Platinum et Mongal sont restées intactes après plus de 60 jours de conservation à l’air libre contre au plus 50 jours pour la variété locale. L’évaluation sensorielle a révélé que la variété locale Tounvi se distinguait des variétés améliorées par sa couleur rouge et sa texture pas ferme. Les paramètres technologiques déterminés ont montré que pour transformer 10 kg de tomate, le temps d’épépinage et la durée de cuisson des fruits de la variété améliorée Padma étaient respectivement de 2,5 minutes/kg et 52,5 minutes contre 7 minutes/kg et 92,5 minutes pour la variété locale Tounvi. La variété améliorée Platinum a donné un rendement en purée de 22,7% ; supérieur au rendement de 20,16% obtenu avec la variété locale Tounvi », expose Dr Richmy Aisso. Au regard des résultats obtenus, ces variétés améliorées peuvent être vulgarisés auprès des producteurs pour l’amélioration de la productivité.

A l’école du Nigéria
Alors que nous nous apprêtons à boucler notre périple au cœur de la filière tomate, le Nigéria annonce qu’il envisage interdire bientôt l’importation de tomates. Le voisin de l’Est mise donc sur la production locale et l’essor des usines de transformation. Pour Richmy Aisso, c’est une opportunité à saisir. « Nous devons créer et équiper les usines de transformation dans les grandes zones de production de tomate pour transformer les fruits en période d’abondance, pour gérer les pertes post-récolte. Il faudra que tous les acteurs travaillent pour maximiser la production afin de rendre fonctionnelles les nouvelles usines qui seront créées et une fois que tout ceci sera réalisé, on pourra faire comme le Nigéria », propose-t-il. L’ingénieur agronome Wilfried Yehouessi, n’hésite pas à indiquer le chemin de l’entrepreneuriat avec son Centre de promotion des variétés locales. C’est avec fierté qu’il nous montre des tomates locales dans le plateau, frontalière Nigéria, et mises en bouteille par ledit centre. « La seule manière de la conserver, c’est de la transformer en des produits consommés, en purée, en tomate pelée, séchée etc. une fois transformée, il faut la distribution et surtout veiller au contrôle qualité. Il faut pouvoir rassurer le consommateur », insiste-t-il.
Sans pour autant être jaloux des performances actuelles de la filière coton, les acteurs croient que de pareilles réformes pourraient inverser la tendance. « Il faut réorganiser la filière tomate à l’instar de la filière coton pour espérer une porte de sortie. Si la tomate burkinabè nous envahit, c’est parce que la filière est organisée chez eux. Il y a eu des aménagements agricoles, des subventions, et la tomate arrive en caisses », propose Wilfried Yehouessi. Comme quoi, tout comme l’Or blanc, l’or rouge béninois peut aller à la conquête de la sous-région.



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