Dr Akibou Akindélé, spécialiste en ethno-climatologie « Il faut coupler la science avec les savoirs endogènes pour mieux s’adapter au climat »

Fulbert ADJIMEHOSSOU 26 avril 2018

A travers les comportements de la faune et de la flore, il est aussi possible d’apprécier la variabilité climatique. Sur la Radio Nationale, le mardi dernier, Dr Akibou Abaniché Akindélé est revenu sur l’intérêt de l’ethno-climatologie et a renseigné sur quelques indicateurs. Il est auteur de la thèse : « Savoirs ethno-climatologiques en pays Wémé et Holi : fondements et implications économiques et socio-culturelles.

Quel est l’intérêt de l’ethno-climatologie ?
Je tiens d’abord à rappeler que de nombreux travaux ont été réalisés sur le climat au Bénin. Ils sont pour la plupart basés sur des approches empiriques. Mais nous ne devons pas oublier qu’avant que l’on ait des instruments de mesures, comme les pluviomètres, les thermomètres et tout autre scientifiquement admis, nos parents avaient l’habitude de faire l’Agriculture. C’est un secteur d’activité fortement connecté au climat. On peut se poser la question de savoir comment nos aïeux font face aux changements du Climat. C’est ça, le véritable intérêt de l’ethno-climatologie.

Comment peut-on déterminer le climat à partir des savoir endogènes ?
Il faut dire que les excès et les déficits sont des problèmes qui marquent l’esprit des populations. Les vraies connaissances en ethno-climatologie sont issues des activités de pêche et de l’Agriculture. A partir de ces activités, les parents ont pu capitaliser des connaissances pour apprécier la variabilité du climat. Quand on veut faire une chronologie du climat en milieu réel, on tient compte de ce qui marque l’esprit.
Revenant à quelques indicateurs, dans le lot des zoométéorologiques, il y a le Coucal du Sénégal (Centropus senegalensis) ou le « Woutoutou », qui est reconnu dans la sous-région comme un indicateur de l’imminence des précipitations. C’est un espace sous régional qui est mis en exergue. Quand je prends les espèces végétales, relevant de la phytométéorologie, c’est également à une échelle régionale. Mais, nous avons des espèces qui sont endémiques à des régions données. Au Bénin, nous avons deux grandes régions : la région Guinéo-Congolaise et la région soudanienne avec une zone de transition.

Qu’en est-il de l’hirondelle (Hirundo rustica) ?
Il est dit que lorsque cet oiseau vole à haute altitude, cela est indicateur d’un beau temps. Mais son vol à basse altitude est indicateur de l’imminence des précipitations. Cela ne voudra pas dire qu’il va pleuvoir. Le plus souvent, si ce n’est pas accompagné de précipitations, vous allez constater qu’il y a une variation au niveau de la pression atmosphérique. Mais en réalité, lorsque nous avons fouiné très bien, on a compris que ce ne sont pas les hirondelles. Il y a toujours une réalité derrière. Ce ne sont pas les hirondelles qui sont en réalité les vrais indicateurs. Les hirondelles se nourrissent de libellules qui sont des éléments qui volent en altitude. C’est à la recherche de la pitance que les hirondelles sont en altitude. Les insectes dont elles se nourrissent sont très sensibles à la variabilité climatique. Mais comme ce sont les hirondelles qui sont plus perceptibles, nos parents sont restés figés sur cela.

La floraison du vernonia sauvage annonce-t-elle toujours la grande saison sèche ?
Evidemment, quand ça porte des fleurs, pour les populations c’est un indicateur de ce que nous sommes en plein cœur de la grande saison sèche. Nous devons davantage mener des études pour démontrer que ces savoirs reçues des parents ont une valeur scientifique. Après cela, il faudra chercher à comprendre pourquoi la floraison, la défeuillaison, la fructification, etc.

Ces prévisions sont-elles toujours efficaces ?
Les questions de prévisions à partir des indicateurs phyto ou zoo météorologiques sont complexes, en ce sens que nous n’avons pas tous les paramètres pour statuer sur la nature des précipitations qui vont découler après l’annonce faite par ces indicateurs. Même dans la science réelle, ce sont des questions hyper compliquées. Il y a des prévisions que la météo fait mais qui ne se réalisent pas. Mais je voudrais qu’on retienne que nous avons plus de 60% de chance que ces informations soient vérifiées. Toutefois, il reste des études à faire sur la scientificité de ces informations que nos parents nous ont léguées. Quand nous prenons par exemple le Centropus senegalensis, il peut arriver des moments qu’il crie sans que l’on n’ait une goutte de pluie.

Les savoirs endogènes constituent-ils une limite aux stratégies d’adaptation ?
En aucun cas, ces savoirs ne peuvent constituer une limite pour l’adaptation des populations aux changements climatiques. Par contre, la limite peut être liée au fait que les gens n’adaptent pas les savoirs à leur contexte. Cela peut constituer une limite à la définition de nouvelles politiques d’adaptation. Il faut plutôt une complémentarité entre les connaissances empiriques et les savoirs endogènes pour bâtir de meilleures politiques d’adaptation aux changements climatiques. Le Professeur Bokonon Ganta disait qu’étudier l’Afrique, sans prendre en compte les mythes et les contes, c’est comme si l’on voulait faire l’étude d’un homme à partir de ses squelettes vidés de sa chair et de son sang. Nous devons coupler les connaissances officielles aux données endogènes. Il faut absolument tenir compte de ce que les gens ont l’habitude de faire pour apporter des innovations.

Ces savoirs ne sont-ils pas menacés de disparition, par manque d’actualisation ?
Tout ce qui n’est pas actualité est voué à l’échec. Le contexte de l’oralité dans lequel nous sommes est un élément favorable à la disparition de ces savoirs. Il y a un risque d’altération avec l’oralité. Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus aller vers tout ce qui est endogène. On se cache derrière la modernité pour éviter de prendre connaissance de ces savoirs qui sont les vrais. Un processus de capitalisation devrait conduire à l’introduction dans le processus scolaire d’une thématique sur la question. Il faut ensuite créer un centre d’oralité où nous pouvons favoriser les échanges entre les détenteurs de ces savoirs et les jeunes.

Votre mot de la fin
Nous devons repenser notre agriculture. L’agriculture pluviale qui est la nôtre n’est pas efficace parce qu’il faut attendre de Dieu des précipitations avant de cultiver. Or, dans un contexte évolué, ce qui est normal est de produire pendant qu’il n’y a pas d’eau. Nous sommes ainsi responsables de l’apport d’eau. Nous pouvons faire une agriculture intelligente.
Réalisation : Fulbert ADJIMEHOSSOU



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