Dr Serge Mètchihoungbé au sujet des fentes : « La fente est une affection curable de nos jours au Bénin »

La rédaction 9 octobre 2019

Toute femme enceinte espère avoir un enfant sans la moindre malformation faciale… Cependant, beaucoup de facteurs faussent cette attente et donnent lieu à des affections telles que les fentes chez des nouveau-nés. Dans cette interview, le chirurgien pédiatre Serge Mètchihoungbé en révèle les causes tout en rassurant les populations de ce que cette pathologie est curable et gratuitement prise en charge au Bénin.

Qu’est-ce qu’une fente ?
Autrefois, certains nommaient cette pathologie le bec de lièvre, ce qui est un terme péjoratif car c’est un peu comme dire de l’enfant qu’une tierce personne a porté pendant un moment et a accouché qu’il est un lièvre. Nous, nous pensons que ce terme est dégradant et qu’il doit être jeté aux oubliettes. Nous préférons donc parler de la fente. Il faut préciser ici que nous parlons des fentes labiales (qui concernent les lèvres) et palatines (relatives au palais). Les fentes labiales et palatines correspondent à une absence de fusion ou à une fusion partielle des bourgeons de la face (des tissus embryonnaires faciales). En fait, le visage n’apparaît pas chez l’embryon directement comme il se présente chez l’adulte. Il y a d’abord un tissu frontal, un tissu maxillaire (de la joue) et un tissu provenant de la mandibule. C’est donc la fusion de ces bourgeons qui forme le visage de l’enfant tel que nous le voyons une fois né.
A vrai dire, les fentes sont une malformation. En réalité pour que deux tissus puissent fusionner, il faut qu’il y ait une mort programmée des cellules appelée apoptose. C’est donc en cas de défaut de cette apoptose qu’on peut avoir une absence de fusion ou une fusion partielle.

Quelles sont alors les causes de l’apoptose ?
Il faut dire ici qu’il n’y a pas une étiologie bien précise pour cela. Par contre, nous avons des facteurs qui n’entraînent pas d’emblée cette malformation-là mais susceptibles d’expliquer ce phénomène. Quand il y a, par exemple, une femme enceinte qui est alcoolique, l’alcool est pourvoyeur de beaucoup de malformations. En effet, il a été remarqué chez des femmes ayant accouché des enfants à fentes, qu’un grand nombre d’entre elles sont des alcooliques, des tabagistes.
En outre, il y a des femmes en état qui sont soumises à des médicaments tératogènes (proscrites pour les femmes enceintes) comme la thalidomide… Ce sont des médicaments pourvoyeurs de malformation. C’est pourquoi il est conseillé que lorsque vous êtes enceinte même si ce n’est pas encore apparent, vous le signaliez une fois à l’hôpital.
Par ailleurs, d’autres femmes ne suivent pas leur grossesse. Or, une grossesse ne doit pas être un accident mais elle doit plutôt être programmée. La non prise de l’acide folique au cours de la période conceptionnelle est aussi une cause d’apoptose. Je veux signifier par là qu’avant de tomber grosse, la femme doit se préparer car certaines substances, notamment l’acide folique (la foldine), doivent être en quantité suffisante dans son corps pour empêcher des malformations. En effet, la foldine est un élément qu’il est important pour la femme désireuse de tomber enceinte de prendre dès qu’elle se met à en faire le programme avec son époux avant même de passer à l’acte créateur. Parce qu’on a remarqué que le manque de la foldine dans le sang cause des malformations non seulement au niveau de la face de l’enfant mais aussi au niveau de beaucoup d’autres tissus.
En dehors de l’alcool, du tabac, des médicaments tératogènes et du manque de foldine, il y a d’autres facteurs tels que la pauvreté, la soumission ou l’exposition de la femme enceinte à des insecticides et pesticides, le jeune âge de la femme enceinte (moins de 18 ans) ou son âge avancé (au-delà de 36 ans) et l’exposition aux radiations ionisantes (à travers les examens radiographiques) pouvant également occasionner les fentes.

Combien de sortes de fentes existe-t-il ?
En fonction du type de bourgeon qui ne fusionne pas, on aura des fentes particulières. Il existe plusieurs formes de fentes variant depuis une simple bifidité de la luette (prolongement vertical du bord postérieur du voile du palais, formant un petit appendice charnu, à l’entrée du gosier) jusqu’à une fente labio-palatine bilatérale totale. En fait, la fente peut concerner uniquement les lèvres et être dite labiale. De même, elle peut concerner la gencive, ce qui donne lieu à la fente labio-alvéolaire. Si elle concerne la gencive et le palais, elle est appelée fente labio-palatine. La fente peut aussi se retrouver au niveau du palais. Il faut souligner ici qu’il y a le palais mou et le palais dur. La fente touchant ces deux parties du palais est la fente palatine. Par contre, lorsqu’elle est spécifiquement liée au palais mou, il s’agit de la fente vélaire. Quand la fente est au niveau de la luette, il est question de la bifidité de la luette. Et si elle se retrouve dans les deux côtés de la luette, on parle d’une fente labio-palatine bilatérale totale.

Quels sont les différents types de fentes le plus souvent observés chez les garçons et les filles ?
En Afrique de façon générale, il faut dire en premier lieu qu’il n’y a pas une étude ayant été vraiment menée dans ce domaine. En deuxième lieu, il n’existe pas un registre national de malformations. A vrai dire sous nos cieux, il n’est pas fait à chaque personne une obligation de signaler automatiquement les malformations au ministère. Cependant, en s’appuyant sur les études faites chez les occidentaux, on peut dire que les fentes en général et celles labiales en particulier sont plus fréquentes chez les filles que chez les garçons.

Les fentes sont-elles fréquentes dans le monde en général et au Bénin en particulier ?
Oui, on rencontre de plus en plus des cas d’enfants à fentes dans notre pays. En effet, la fréquence de cette pathologie dépend de l’exposition aux divers facteurs cités plus haut. Au sein des Noirs, il est rare qu’une femme enceinte fume ou consomme de l’alcool. Or chez les Blancs, cette affection est plus notée chez eux qui mangent pour la plupart du temps des aliments exposés aux pesticides et insecticides. Leur chaîne alimentaire étant de la sorte contaminée, entraîne la fréquence des cas de fente chez eux. Malheureusement, les fentes deviennent fréquentes au Bénin puisque notre habitude alimentaire commence par tendre vers l’alimentation européenne. On nous gave des fruits qui viennent carrément de l’Europe. Ainsi, nous sommes exposés à de l’eau contaminée etc…

Quel est le pourcentage d’enfants qui en ont été atteints au Bénin ?
Annuellement au Bénin, nous n’avons pas un pourcentage fiable, parce que, au départ il y avait beaucoup d’ONG qui venaient opérer gratuitement le mal. Ceci fait qu’on n’a pas un pourcentage fiable. Néanmoins, lors d’une mission récente de traitement des fentes au Bénin faite il a environ un mois, nous avons rencontré et soigné dix patients.

Les fentes sont-elles uniquement l’apanage des enfants ?
C’est une pathologie qui est malformative, c’est-à-dire congénitale. En effet, on naît avec mais on voit parfois des adultes qui, l’ayant eue, n’ont pas été opérés dès leur naissance.

Est-ce détectable avant la naissance ?
Absolument. En réalité, la fente est de diagnostique systématiquement anténatal. C’est une malformation qui déjà à 12 semaines de vie devait être connue parce que quand on parle de l’embryologie c’est que tous les organes de l’enfant se mettent en place au maximum avant deux mois de vie intra-utérine. Parfois, certaines femmes avant ces deux mois ignorent qu’elles sont enceintes et s’exposent toujours à l’alcool. Donc du troisième au neuvième mois, les organes de l’embryon ne feront que croître tel qu’ils ont été formés. En principe, une échographie faite à la fin du premier trimestre devrait nous permettre de savoir s’il y a une fente ou pas. C’est la raison pour laquelle la femme doit effectuer l’échographie chez de vrais et bons spécialistes afin de connaître l’état réel de l’embryon et non se confier à des aides-soignants… Hormis l’échographie, il est conseillé l’Irn (Imagerie par résonnance magnétique) qui est une méthode d’exploration d’imagerie qui utilise le magnétisme que la femme enceinte peut supporter et qui n’entraîne pas de malformation.

Si le mal est détectable pendant la grossesse, est-ce corrigible à cette étape ?
Non, il n’y a pas encore cette chirurgie intra-amniotique. Par contre, l’avantage lorsque c’est détectable est que la femme ou la famille peut prendre la décision avec le conseil du médecin génétique, du chirurgien pédiatre ou plasticien d’avorter l’enfant parce que ne pouvant pas supporter un enfant ainsi malformé. Cette décision peut être prise même à six mois de grossesse. En effet, chaque femme ou chaque famille a un idéal d’enfant. Donc, elle peut être choquée s’il arrivait qu’une pareille malformation la prive de cet idéal. Si la femme décide d’interrompre la grossesse, nous ne pouvons pas nous y opposer. Cependant, nous nous serions déjà fait le devoir de lui expliquer que c’est une affection qui est aujourd’hui chirurgicalement curable.

Quels sont les inconvénients des fentes aux plans nutritionnel, auditif et intellectuel chez les enfants atteints ?
Je vais avant tout aborder les inconvénients sur les parents des patients. Cette maladie peut être un choc psychologique pour eux puisque ne répondant pas à l’idéal d’enfant auquel ils s’attendaient. Ceci peut créer un problème de manque d’acceptation de l’enfant. Or, quand un enfant est mal accepté, il peut être éliminé, ce qui est un infanticide. Il faut dire que, dans notre société, on n’a pas une tolérance vis-à-vis de ce genre de personnes, ce qui ne devrait pas être le cas parce que ce sont des êtres humains normaux. En fait, ils ont tous les tissus en place ; c’est juste qu’ils ne sont pas bien fusionnés. Tout ce que nous avons à faire c’est de les coller et de les mettre à leur place lors de la chirurgie.
Quant à l’enfant, lorsqu’il a une fente labiale ou palatine, premièrement il a un problème de déglutition. Un tel enfant ne doit pas téter car lui faire sucer le sein élargira la fente. Deuxièmement, il peut être victime de ce que nous appelons une fausse route avec une possibilité d’inondation pulmonaire c’est-à-dire que le lait peut passer par la voie respiratoire et aller dans les poumons, ce qui va entraîner sa mort. C’est pourquoi, il est conseillé que la mère traie le lait et le donne doucement à l’enfant avec une petite cuillère à café.
Par ailleurs, cet enfant est susceptible d’avoir un problème de phonation et de tonalité de la voix surtout si sa fente se trouve au niveau de son palais qui est une caisse de résonnance. En effet, ce type de personnes a de la difficulté à prononcer distinctement certains mots ou lettres comme trente-trois, a, s, i… En outre, ces patients ont un problème d’audition parce nos canaux acoustiques devraient avoir une certaine orientation, ce qui n’est pas possible avec les fentes. C’est pour cette raison que l’enfant doit être opéré. Et c’est aussi pour cela qu’il y aura une prise en charge multidisciplinaire, ce qui signifie que le traitement de cette pathologie est géré par de différents spécialistes à des âges donnés.
Au plan intellectuel, les enfants à fente n’ont point de difficulté. Il y a des personnes à fente qui ont été opérés et qui évoluent très bien académiquement de sorte que vous ne saurez jamais qu’ils ont eu ce mal. Ce sont même d’excellentes personnalités.

Comment éviter la pathologie chez les embryons ?
Il suffit d’éviter les facteurs cités plus haut. Il urge d’éviter la grossesse chez les moins de 18 ans ainsi que la première grossesse à un âge très tardif, la consommation de l’alcool, du tabac, de certains médicaments nuisibles à une femme en état, l’exposition aux radiations ionisantes (ne pas faire des radios), aux insecticides et pesticides. La femme désireuse de tomber grosse doit consulter son gynécologue et préparer le projet à travers la prise de l’acide folique et de la vitamine E avant de concevoir.

Quelles en sont les mesures curatives ?
Généralement, la fente est une affection carrefour parce qu’elle fait intervenir plusieurs spécialistes.
L’enfant n’est pas d’emblée opéré à sa naissance. Nous demandons à la maman d’allaiter le bébé mais avec une cuillère à café parce que nous avions remarqué que lorsqu’on opère l’enfant dès la naissance, il a des troubles de développement de la face. Ceci fait qu’on diffère la prise en charge chirurgicale, et ce jusqu’à qu’à l’âge de six mois pour certains ou jusqu’à 5 ou 6 kg de poids pour d’autres. Pendant les six mois, il peut également bénéficier de tétines particulières adaptées à ces enfants. Entre-temps, il lui est fait tous les bilans malformatifs. En effet, c’est une affection qui survient très tôt avant les 12 semaines de vie intra-utérine. Et il est dit que lorsqu’un enfant a une malformation, il est possible qu’il en ait d’autres, d’où la nécessité du bilan malformatif. Ce dernier nous permettra de retrouver d’autres malformations. A partir de six mois, ce sont seulement les lèvres de l’enfant qui seront donc opérées pour la fermeture de la fente. Maintenant entre 12 et 18 mois, le palais sera fermé s’il est concerné. Je précise que si la fente ne concerne que le palais, la chirurgie ne doit être faite qu’à 1 an et 18 mois. Certains disent aujourd’hui qu’opérer une fente du palais à l’âge de 3ans n’a plus d’intérêt parce que les conséquences qui doivent suivre sont déjà installées et ne sont plus corrigibles. Une opération à cet âge sera effectué juste une fin esthétique

Est-ce que la mère peut commencer par allaiter directement le bébé après l’opération ?
Oui, à une ou deux semaines après l’opération, le bébé peut commencer par téter.

La chirurgie est-elle la seule mesure curative ?
Si la fente ne n’intéresse que les lèvres, la chirurgie peut être la seule mesure. Cependant lorsqu’elle touche d’autres organes, c’est à d’autres mesures que le corps médical recourt. Si c’est par exemple au niveau des gencives où les dents vont apparaître, il faut procéder à une réimplantation de ces dents à une position correcte pour donner à cet enfant une dentition normale. C’est le dentiste ou l’orthodontiste qui intervient. Ils peuvent parfois être amenés à faire des prothèses. Par contre si l’enfant a des problèmes d’audition, c’est l’orthophoniste qui doit intervenir.

Quels sont les différents spécialistes intervenant dans la prise en charge des fentes ?
Au niveau des lèvres nous avons : le chirurgien pédiatre, le chirurgien plasticien ou esthéticien, le chirurgien Orl.
Concernant l’audition nous avons : le chirurgien pédiatre, le chirurgien plasticien ou esthéticien, le chirurgien Orl, le chirurgien maxillo-facial.
Pour la gencive, nous avons : le chirurgien-dentiste, l’orthodontiste pour les prothèses dentaires.
Concernant le palais, il faut, en dehors du chirurgien qui va fermer le palais, l’intervention de l’orthophoniste.

Vos conseils
Je voudrais dédramatiser cette affection chez nous aujourd’hui. En effet, ce n’est pas un mal pour lequel il faut s’alarmer car sa prise en charge est de nos jours possible et il y a des spécialistes dans notre pays ayant été formés et capables de l’assurer. Par ailleurs, je souligne que dans la plupart du temps cette affection survient chez les parents pauvres. Aujourd’hui, il y a des organisations qui permettent la prise en charge gratuite de cette pathologie jusque même à long terme. Pour y avoir accès, il suffit de se rapprocher des différents chirurgiens intervenants dans la correction du mal, notamment du chirurgien pédiatre. Il y a des missions organisées dans ce cadre. Et même si ce n’est pas sur le tas, le spécialiste vous dira à telle période il y aura une mission du genre. Je veux rectifier ici que la prise en charge ne prend pas en compte les frais de déplacement du patient parce qu’il y a certains qui pensent que c’est le cas.
En outre, je voudrais inviter l’Etat à procéder à la mise en place du registre de malformations afin qu’on puisse obtenir des informations épidémiologiques fiables. Je souhaiterais aussi, vu la gravité des inconvénients des fentes aussi bien sur les parents que sur les enfants, que l’Etat offre une prise en charge gratuite de la pathologie comme c’est le cas de la césarienne.
Pour finir, je voudrais demander aux femmes de se faire suivre une fois enceinte car une grossesse ne doit pas être un accident, mais se prépare.
Propos recueillis par Sinatou ASSOGBA (Coll.)



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