Entretien avec Hervé C. Guèdègbé sur le décret sur les services de communication « Il s’agit d’une taxe pour l’efficacité et la durabilité du secteur »

La rédaction 28 août 2018

Depuis quelques jours, le décret portant introduction d’une contribution sur la consommation des services de communications électroniques fournis par les réseaux crée polémique. Pour mettre fin à cette polémique et mieux éclairer la population béninoise, Hervé Coovi Guèdègbé, secrétaire exécutif de l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (Arcep) a accordé une interview à Océan Fm.

Que peut-on comprendre du décret portant introduction d’une contribution sur la consommation des services de communications électroniques fournis par les réseaux ?
Il s’agit du décret 218-341 du 25 juillet 2018 portant introduction d’une contribution sur la consommation des communications électroniques fournies par les réseaux ouverts au public en République du Bénin. C’est une nouvelle réglementation du secteur des communications électroniques dans laquelle l’autorité de régulation a un rôle technique à jouer en tant que régulateur travaillant avec les consommateurs. Pour nous, il est important de rappeler que ce décret n’est pas aussi nouveau que certains l’estiment. Qu’il vous souvienne qu’en 2015, le gouvernement d’alors s’est vu obligé de mettre en place une fiscalité sur les communications Gsm à l’époque. Je vais vous donner quelques chiffres. Sur les appels internationaux, il y avait 53 Fcfa et sur les appels nationaux, c’était 5f la minute. Qu’est ce qui est nouveau ici ? C’est qu’à l’avènement du gouvernement de la rupture, et dans la mise en place d’une nouvelle dynamique dans le secteur, le gouvernement a décidé de suspendre cette imposition, en vue de réfléchir à l’écosystème et de voir comment améliorer cette fiscalité. Et c’est ce qui vient d’être fait ; parce que l’Arcep fait partie des structures qui ont conseillé à l’époque le gouvernement de revoir ce niveau de taxation. Donc aujourd’hui, nous avons une contribution de 5% ; ce qui fait vraiment une réduction par rapport à ces taxes qui étaient en cours en 2015 et qui étaient de 5 francs la minute. La minute étant à l’époque à 50 francs. Donc, cette contribution a été divisée par 2, par 3 aujourd’hui.

Quels sont les effets sur la consommation de la population ?
En tant que régulateur, nous avons des leviers d’actions. Ces leviers d’actions, ce sont les politiques tarifaires et les politiques d’offres des opérateurs. Dans cette approbation des offres sur le marché, le régulateur a déjà travaillé à ce que les effets de cette réglementation ne puissent pas être préjudiciables à la consommation des services de communications électroniques au Bénin. En la matière, de nouvelles offres ont été approuvées. Et pour les citoyens, ils vont constater que ces offres sont toujours dans la mesure des tarifs qu’ils pratiquaient avant. Dans les offres qui ont été approuvées, nous serons dans les tarifs moyens de 27 à 30 Fcfa la minute. Ce que le régulateur a donc fait, c’est d’utiliser sa politique d’approbation des offres, de demander beaucoup plus de transparence dans les offres parce qu’avant, il y avait beaucoup d’offres qui n’étaient pas nécessairement utiles pour le consommateur mais qui étaient juste proposées par l’opérateur pour obliger le consommateur dans son choix. Ce sont ces éléments que nous avons donc extirpés des nouvelles offres. Sinon, en gros, le taux de consommation des Béninois va rester tel.

La mise en application démarre quand ?
Comme le dit le décret, la mise en application court de la date de signature c’est-à-dire le 25 juillet 2018. Nous étudions cela avec les opérateurs pour qu’il n’y ait pas de difficultés majeures pour les consommateurs. En réalité, ce n’est pas le consommateur qui se présente au fisc pour s’acquitter de cette contribution. Il s’agit d’un prélèvement dans un mécanisme global d’offre de services. Donc, le consommateur continuera de consommer ses services de façon traditionnelle avec les mêmes moyens d’achat de ses services. Et il appartiendra à l’opérateur de faire ses déclarations. Et comme c’est bien intitulé, il s’agit d’une contribution. Parce que notre secteur nécessite beaucoup d’investissements et pour le faire, à des moments donnés, il faut la contribution des acteurs. Ce n’est pas une nouvelle charge en soi.

Que répondez-vous aux internautes inquiets, qui estiment que cette mesure vise à entraver la liberté d’expression sur les réseaux sociaux ?
Le Bénin n’innove pas dans cette mesure. Et le Bénin a fait l’option qui est la meilleure dans ce cadre. Plus qu’une contribution, il s’agit d’une taxe, une politique pour l’efficacité et la durabilité du secteur. Vous savez aujourd’hui que l’utilisation de l’internet est promue par notre gouvernement qui investit dans le développement des infrastructures. Pour ça, il ne saurait remettre en cause l’investissement dans les infrastructures des opérateurs et dans l’infrastructure de l’Etat. Tout le monde est d’accord pour comprendre que depuis 3 à 4 ans, il s’est développé dans le monde, des opérateurs de plate-forme. Ce que nous appelons des Ott qui utilisent l’infrastructure des opérateurs locaux et nationaux pour vendre leurs services sans investissement dans le secteur des télécommunications. Ce qui fait que nous avons de plus en plus une dégradation des revenus des opérateurs. Ils n’ont plus de ressources pour investir dans l’infrastructure. Quand nous utilisons les services de réseaux sociaux, nous les utilisons à travers des ressources en numérotation pour lesquelles l’opérateur doit payer. Ce n’est rien d’autre que le juste prix du service internet utilisé à travers ces contournements pour permettre l’investissement dans les réseaux. Le contraire, c’est ça qui n’aurait pas été bon. Beaucoup de pays ont opté pour les solutions d’interdiction des réseaux sociaux. Le Bénin n’a pas fait cette option. Il a plutôt choisi de laisser les réseaux sociaux être utilisés dans leur droit, pour respecter le droit du consommateur. Mais quand même au prix juste pour permettre de continuer à investir dans les infrastructures. Parce que quand on parle de la fracture numérique, c’est le renouvellement des investissements, c’est aussi permettre à ceux qui, aujourd’hui n’ont pas accès au service internet d’en avoir accès demain. Et pour cela, si le service internet est gratuit pour eux d’aujourd’hui, on ne saurait investir pour ceux qui n’ont pas encore accès à ces technologies. Et quand vous allez voir dans les offres qui ont été proposées et approuvées par l’autorité de régulation, le libre choix est donné au consommateur d’utiliser internet et d’aller sur les réseaux sociaux. Mais à un tarif qui permet de pouvoir couvrir les prix des réseaux sociaux. Et ces tarifs sont déterminés à travers des modèles de coût de l’autorité de régulation où il y a des indicateurs qui indiquent que la production de l’internet aujourd’hui, coûte au minimum un tel prix. Donc, les tarifs doivent être conséquemment dans ces coûts. Il ne saurait être une mesure pour empêcher le droit à la liberté d’utiliser les réseaux sociaux. Certains pays ont fait ce choix, mais le Bénin ne l’a pas fait.

Cette mesure ne vient-elle pas freiner l’atteinte de l’objectif ‘’réduction de la fracture numérique’’ ?
Pas du tout. Parce que la réduction de la fracture numérique c’est l’investissement dans le haut débit, dans l’infrastructure. Ce qui entraîne le renouvellement des investissements. Ce qui suppose qu’il y ait le financement. Ce qui entraîne les revenus. On parle d’une contribution. On n’a pas empêché les services. Et dans le texte, les services internet qui ne sont pas des services de contournement et qui ont un coût n’ont pas été taxés. La gratuité ne pourrait permettre à terme de continuer d’investir dans les réseaux. Donc, il faudrait un prix juste de rémunération pour que les opérateurs continuent d’investir dans les réseaux. Nous voulons aller à des technologies appropriées. Nous voulons aller à la 4G, nous voulons aller à la 5G, nous aspirons à la technologie des objets. Quand on est dans cette ambition, il faut qu’a priori on identifie les moyens pour que l’investissement dans l’infrastructure télécom puisse être gardé.

Extrait interview Robin Accrombessi
« Les charges seront partagées par les opérateurs de téléphonie mobile et les consommateurs »

Vous avez échangé avec l’Arcep, qu’est-ce qui a été dit au sujet des nouvelles tarifications ?
C’est un décret qui a prévu une certaine réorganisation du système tarifaire des télécommunications, de la téléphonie mobile et de l’internet au Bénin et donc il y a désormais 5 % de taxe qui seront prélevés sur tous les services voix, c’est-à-dire les appels, les SMS, texto via le téléphone directement et puis internet. Maintenant, pour les explications que nous avons reçues de l’Arcep, c’est une expérimentation qui se fera au niveau des réseaux de téléphonie mobile. Donc, les charges seront partagées par les opérateurs de téléphonie mobile et les consommateurs. Il y aura de nouvelles offres qui seront mises sur le marché. Pour ce qui est de l’internet, le décret n’a pas été assez explicite (ce qu’on nous a expliqué aussi), c’est une répartition qui ne se fera pas exactement au prorata de 5f par Mo. Si c’était comme ça, ça veut dire que si vous achetez 100 Mo, on va vous rajouter 5f par 100 Mo, ce n’est pas 5f fois 100 Mo. Ce n’est pas exactement ça. C’est de nouvelles offres, c’est de nouveaux tarifs internet qui seront faits mais spécifiquement pour les réseaux sociaux, qui ne seraient plus forcément comme avant. Ça va être un peu plus cher qu’avant pour les réseaux sociaux mais tout ce qui concerne internet pour les utilisations professionnelles, pour les étudiants, ceux qui veulent faire des recherches, les tarifs seraient plus intéressants.

Ce sera un peu plus cher, c’est-à-dire quoi ? Cela nous coûtera combien en plus ?
C’est pour cela que je vous disais qu’il y a de nouvelles offres en étude. Si ces offres sortent, nous allons faire la comparaison entre les anciens et les nouveaux tarifs et nous pourrons conseiller le consommateur. On ne peut pas être plus précis maintenant. C’est vrai que le décret, tel quel, est alarmant, mais nous préférons attendre que les nouveaux tarifs soient mis sur le marché pour mieux expliquer au consommateurs ce qu’il y a lieu de faire.



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