Entretien avec le Dr. Ing. Fousseni Gomina, expert maritime et portuaire : « Anvers est l’une des plateformes où se côtoient les plus grands armateurs au monde… »

La rédaction 20 février 2018

dr.ing. en planification des transports et management logistique, chercheur associe et intervenant professionnel en Chine-Afrique-Europe, l’expert maritime et portuaire Fousseni gomina s’est prononce sur la nécessite de recourir a une gestion professionnelle de la plateforme portuaire au Bénin, notamment sur l’option du gouvernement de confier la gestion du Port de Cotonou à la société Pai (Port of antwerp international), filiale de l’autorité portuaire d’Anvers spécialisée dans les activités de conseil et d’investissement. Objectif : contribuer à la modernisation de l’espace portuaire, l’optimisation et la rentabilisation de ses ressources.

Dr Fousseni Gomina, expliquez nous ce qu’implique le recours à une gestion déléguée du Port autonome de Cotonou ?
Je voudrais d’abord préciser que certes, l’avis que je donnerai est un avis d’expert, mais il va de soi aussi que ce soit un avis d’un compatriote et de ce point de vue ; la dimension purement socioculturelle et socio-économique et toute autre considération propre à nos réalités pourraient être utilisées comme arme d’analyse pour développer un peu cette problématique du choix d’un délégataire pour la gestion du Port de Cotonou. Je voudrais rappeler que le choix d’un mandataire pour gérer un port n’est pas un événement inédit dans l’espace managérial portuaire. Spécifiquement en Afrique, ça paraitrait nouveau, mais dans le monde entier, ce n’est pas un modèle qui est nouveau. A juste titre, il y a plusieurs types de ports dans le monde.

Quels sont ces différents types de Ports ?
Dans un premiers temps, le Port était d’abord d’ordre public et on l’appelait le port public, parce que l’espace portuaire et tout l’outil portuaire étaient utilisés ou gérés par l’administration publique. On l’appelait donc Port public parce que, que ce soit la manutention, les outillages, les équipements, les infrastructures, l’administration portuaire dépendait beaucoup plus de l’organisation publique, c’est ça qu’on appelle port public ou dans d’autres termes port service. Quelques années plus tard, après l’application de ce mode de gouvernance, on s’est rendu compte qu’il y a des lacunes relatives au non respect de l’orthodoxie financière, la gabegie, la mauvaise gestion.
Ce n’est pas propre à l’Afrique, c’est beaucoup plus d’un point de vue général. Même les ports asiatiques sont passés par là. On est alors allé un peu plus vers un autre mode de gouvernance. Nous sommes passés maintenant à un port outil. Un port outil, c’est un port dans lequel la gouvernance relève toujours de l’autorité publique mais, tout ce qui est gestion des opérations relève désormais du privé. C’est-à-dire que les outils appartiennent toujours à l’Etat, c’est l’Etat qui investit dans le Port mais, au niveau de la gouvernance, c’est beaucoup plus les privés qui opèrent. Ce mode de gouvernance, de gestion qu’on appelle modèle de Port outil a permis à un certain nombre de pays de véritablement rendre performant leur outil portuaire.

Ainsi, du Port service au Port outil, l’administration portuaire est restée dans le giron de l’Etat central. Pourquoi aujourd’hui, on veut carrément sortir l’Etat ?
Pour autant, la communauté portuaire, ce n’est pas que l’administration portuaire et ce n’est pas que l’autorité publique ou l’autorité portuaire. Très souvent on a tendance à réduire le port à l’administration portuaire. Le port, c’est en fait une entité avec plusieurs fonctionnalités. Dans le port, il y a la fonction industrielle ; c’est-à-dire qu’il y a beaucoup d’industries qui sont dans l’espace portuaire. C’est pourquoi, dans des pays comme la Chine, il y a beaucoup plus de zones économiques spéciales qui sont très proches du domaine portuaire afin que la production de ces industries puisse être envoyée, convoyée vers les marchés internationaux. Je donne ces précisions pour qu’on voie un peu pourquoi la gouvernance d’un port ne dépend pas seulement des administrations portuaires. Il faudrait avoir une dimension plus large et tenir compte de la composante portuaire et des intérêts des uns et des autres.
Quand on est arrivé à ce qu’on appelle port outil comme je l’expliquais, où l’Etat continue d’être propriétaire des équipements, nous avons remarqué qu’il y avait toujours quelques difficultés, la difficulté majeure venait précisément des coûts exorbitants des infrastructures portuaires. Quand on parle de coûts exorbitants, imaginez le prix qu’il faut pour faire un quai, pour faire tout ce qui est opération portuaire, infrastructurelle, pour acheter les grues, les portiques. Et tout ces investissements qui relevaient de l’Etat, lorsqu’on parle de port outil, ne répondaient plus aux normes puisque la plupart des pays en voie de développement sont passés par le Programme d’ajustement structurel, imposé par la banque mondiale et des institutions afférentes à l’Onu comme l’Afinsec et l’Onc. On obligeait alors les institutions portuaires à accepter la venue des privés, et cela a fait que l’Etat s’est désengagé petit à petit de l’acquisition des outils et là, on parle alors du port propriétaire. Ça veut dire qu’en fait l’autorité portuaire a changé de statut. L’autorité portuaire qui est censée par exemple être le garant des installations portuaires aujourd’hui va léguer cette fonctionnalité aux privés. Lorsque l’autorité portuaire laisse cette activité aux privés, on parle alors du port propriétaire ; parce que le domaine portuaire appartient toujours à l’Etat mais, tout ce qui est infrastructures, tout ce qui est terminaux, relève beaucoup plus maintenant du privé.
Ainsi, première étape : port service ; deuxième étape : port outil ; troisième étape : port propriétaire.

Que comprend-on par Port propriétaire ?
Quand on dit port propriétaire, c’est là que vous avez l’avènement des partenariats public-privé. Les privés viennent maintenant jouer le rôle que l’Etat était censé jouer dans un premier temps lorsqu’on parlait du port service, et ça se fait par les partenariats public-privé. La concession de ces terminaux aussi est régie par des critères bien spécifiques donc on ne décide pas juste de confier un terminal à une entité comme ça. Faudrait qu’il y ait un cahier de charges avec des critères de performance et de choix stratégiques pour voir véritablement ce que le choix d’un manutentionnaire peut apporter à l’autorité portuaire du moins au pays entier. Nous en sommes là pour la plupart des ports, 90% dans le monde sont sous gestion du modèle de port propriétaire.
C’est ce qu’on appelle le « landlord port ». C’est là maintenant qu’il y a une cohabitation entre le privé et le public. Pour autant la fonction régalienne, la fonction d’assistance technique, la fonction d’appui aux services portuaires, relevaient de l’autorité portuaire. Ça veut dire qu’en fait l’administration portuaire, non seulement a en charge le personnel portuaire, mais en même temps aussi, a plusieurs activités qu’elle mène pour diriger les activités dans l’espèce portuaire. Mais un port n’a d’existence que lorsqu’il y a le trafic.
Le trafic, c’est lorsque les armateurs c’est-à-dire les propriétaires de navires choisissent votre port. C’est lorsque les manutentionnaires ont les équipements et normes suffisants pour opérer, charger, décharger les marchandises dans votre port. Quand on parle de communauté portuaire il y a cet ensemble d’éléments là qu’il faut prendre en considération. Leur performance individuelle va affecter directement les performances du port. Imaginez par exemple qu’un armateur vienne dans notre port et qu’il passe pratiquement trois jours avant qu’on ne décharge sa marchandise. Lui, il a un modèle économique à défendre, je parle jusqu’ici du port comme un outil, un maillon fondamental de la chaîne logistique internationale et du commerce international. On ne perd pas le temps, c’est de l’argent et surtout aussi cette célérité doit se faire avec plus de sécurité et de sûreté.

La cession ou la gestion déléguée du port menace-t-elle la souveraineté nationale ?
Si on fait l’analyse de cette présentation, il y a un dernier modèle de ports qu’on appelle des ports privés. C’est des ports entièrement privés, c’est-à-dire l’administration est gérée entièrement par des privés, la manutention par des privés et les services internes au port sont gérés par des privés. Pour autant, le port reste quand même sur le territoire d’un pays. C’est pourquoi j’ai très souvent entendu des gens parler de la souveraineté nationale qui serait mis en danger parce qu’on aurait confié la gestion du port à une structure externe au pays, non.
La notion de souveraineté nationale ne se colle pas au port comme ça se collerait par exemple aux institutions militaires, à la justice. Ici, la souveraineté du port s’attache beaucoup plus à la notion de la territorialité du port. Le port est dans votre territoire, il est votre outil, c’est la porte d’entrée de votre pays. En tant que porte d’entrée, il est important d’avoir toujours le contrôle sur ce port. Ce qui fait que, même si vous confiez la gestion de votre port et cela devient un port privé, il n’en demeure pas moins qu’il reste toujours sous l’autorité de l’Etat central. Exemple, la Chine est un pays très conservateur, personne ne peut le nier, et l’un des ports les plus grands au monde, le port de Shanghai est un port géré sous le vocable de port privé et pour autant on ne dira pas qu’ils ont perdu leur souveraineté. On ne perd pas la souveraineté parce que le patrimoine foncier du port appartiendra toujours à l’Etat central. Ça, c’est une première explication.
La deuxième explication, c’est que dans la plupart des pays en voie de développement, on est tenté très tôt de penser que le port outil de souveraineté nationale se résume à des incantations. Depuis fort longtemps, on a déjà démontré que le Port, même s’il est sur votre territoire, ne vous appartient pas, c’est juste un maillon de la longue chaîne logistique internationale, et si les armateurs ne veulent pas que votre port existe, il n’existera pas parce que pour qu’un armateur vienne dans un pays, c’est en fonction de ses critères à lui. Un tirant d’eau efficient, des quais bien développés, des infrastructures pour la manutention, l’existence d’un marché, ça veut dire qu’en fait vous êtes suffisamment nombreux dans votre pays, qu’un navire qui vient pourrait avoir la marchandise à transporter. Imaginez qu’on reçoive des navires, qu’un navire de grande taille veuille accoster à Cotonou. Même s’il vient rempli de conteneurs, au retour, il partira avec quoi ? Donc, il y a des exemples beaucoup plus proches qui permettent en même temps de savoir que la souveraineté d’un port ne se mesure pas seulement au vocable que nous prononçons tout le temps. On pourrait véritablement mieux expliquer ce domaine. Et après ça, parlant toujours de la souveraineté, permettez-moi de faire une petite précision sur ce terme parce que très souvent, lorsqu’on ne comprend pas les réformes, on s’attaque beaucoup plus à ces informations parce qu’on se dit d’une manière ou d’une autre ; oui, on peut s’appuyer sur la question de la souveraineté pour véritablement remettre en cause les réformes. Dans tout le monde entier, les réformes s’imposent parce que nous sommes dans un secteur dynamique, un secteur où chaque jour, les acteurs ont chacun des techniques pour améliorer leurs performances.
Si vous voyez le guichet unique, dans les ports, la plupart des ports africains, ce ne sont pas des guichets uniques qui sont gérés par des sociétés africaines. Les guichets uniques, c’est en fait la plateforme sur laquelle l’ensemble des activités sont recensées pour encourager la dématérialisation des procédures. Dans le cas du Benin par exemple, c’est la société Segub qui le fait par le biais d’un fournisseur technologique qu’on appelle Soget qui est une entreprise française.
Ça veut dire que depuis 2012, toutes les informations sur notre Port sont centralisées en France, au Havre. Ça veut dire que lorsque vous voulez faire des études en transport logistique, spécifiquement sur la gestion des ports en Afrique de l’ouest, les meilleures informations, vous les aurez à la Cnuced, la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement. Vous les aurez à l’Omc. Dites-moi, si vous parlez de souveraineté nationale, depuis 2012, il n’y avait pas de souveraineté nationale ? Et je voudrais qu’on ne s’attarde pas sur ces éléments. ca n’a pas d’importance aujourd’hui puisque quoi qu’on fasse, c’est indéniablement qu’on aura un port au service du commerce international et qui parle de commerce international dit clairement que les frontières ne sont plus fermées comme auparavant. La mondialisation et la croissance de la containérisation ont révolutionné le monde maritime. Cette précision pour montrer un peu déjà que l’avenir d’un port ne dépend pas juste de l’autorité portuaire. L’avenir d’un port dépend beaucoup plus des actions convergentes de toutes les composantes portuaires.

Parlez nous des performances portuaires en Afrique de l’ouest ?
Depuis un certain nombre d’années, nous avons remarqué que les performances portuaires en Afrique de l’ouest sont en constante croissance. Pourquoi ? Parce que nous avons des économies qui ont une croissance de 5% contrairement à certains pays développés où la croissance peine à atteindre même 2%. Cette croissance économique peut se ressentir directement sur nos ports puisqu’en fait, la marchandise qui est transportée vient dans le port et c’est cette marchandise qu’on vend sur nos marchés et qui nous permet de dire que nous avons un port efficient.
Donc, à partir du moment où ce port est efficient, c’est que d’une manière ou d’une autre, il est au service du commerce international. J’aurais pu m’arrêter là pour dire tout va bien mais tout ne va pas bien, parce que pour les spécialistes portuaires que nous sommes, notre appréciation des performances portuaires ne se limite pas seulement aux recettes douanières. Ça ne se limite pas juste à ce que les autorités portuaires présentent, mais l’analyse des performances portuaires va au-delà de la dimension financière. Il faut avoir fait de l’audit logistique. Nous avons des indicateurs, je vous donne un exemple ; l’index de connectivité portuaire et maritime qui est un index qui évalue le nombre de navires qu’un pays reçoit par an, la qualité de ces navires, puisque si c’est des navires vieux des années lumière, on va apprécier. Et si c’est un navire de grande taille, on voit aussi vos infrastructures. Lorsqu’on évalue aussi les performances de chaque pays, la plupart des pays africains, sur une échelle de 100, on a à peine 3 ou 4 pays qui atteignent la moyenne. Le Maroc, l’Afrique du Sud et puis l’Egypte. Les autres pays ont du mal à atteindre ce niveau. Je ne parle même pas de l’Afrique de l’Ouest puisque en Afrique de l’Ouest, on est à 15 ou à 10. Ce résultat là, pour celui qui s’y connait, il dira qu’il y a quelques éléments, quelques paramètres qu’on pourrait améliorer dans les ports ouest africains. Il ne s’agit pas juste du Bénin.
Quand on analyse et on voit de très près, les premiers maux qui minent les ports africains sont les faits de corruption, le deuxième élément, c’est la lenteur administrative dans les ports ouest-africains et le troisième élément est lié à la qualité du personnel opérant dans les ports parce que certains ne sont pas compétents.

En ce qui concerne la désignation d’un mandataire délégué au Port de Cotonou, en quoi cette réforme est bonne ou mauvaise ?
Au vu de tout ce que je viens de dire, les Ports ouest-africains sont en difficulté. Le Port de Cotonou spécialement est en chute libre depuis quelques années. Cela date de 2014 en raison de certains paramètres. Le premier paramètre, c’est la morosité économique mondiale qui a affecté même l’industrie maritime. Le 2e paramètre, c’est que ceux qui utilisaient notre port ont parfois des choix alternatifs qu’ils préfèrent. Je donne un exemple. Le Nigeria a décidé de ne plus recevoir les voitures d’occasion en provenance du Bénin sur son sol, au lendemain de la Cop 21, où il fallait moderniser les outils de mobilité. Sachant que le Port de Cotonou, les voitures d’occasion représentent plus de la moitié du trafic, et lorsque le Nigeria prend une telle décision, ça a une incidence sur les performances du Port. Deuxième chose, c’est que les conditions sociopolitiques, juridiques dans notre pays, lorsqu’il y a des évènements, les armateurs à l’international suivent l’évolution. Lorsqu’ensemble, nous contribuons à dénigrer notre pays, notre Port, ça peut indirectement affecter la prise de décision de ces armateurs. Quand on fait la somme de tout ça, le Port mérite d’être réformé dans sa gouvernance. La gouvernance, telle qu’elle se fait, c’est l’autorité portuaire qui le fait. Quand on l’appelle Port autonome de Cotonou, c’est que c’est un établissement qui tient son statut juridique de la volonté du gouvernement, puisque c’est un décret gouvernemental qui fixe, qui crée l’autorité portuaire. Si vous me suivez bien, vous voyez que c’est l’administration portuaire qui reste véritablement de la dimension publique. La manutention, c’est le privé. Les armateurs c’est les entreprises privées. Et lorsqu’on fait l’analyse des performances des Ports, on se rend toujours compte, le maillon faible de nos Ports c’est le volet géré par d’administration publique. Alors, il faut réformer.

Quel type de réforme faut-il mettre en œuvre dans ce cas ?
Il y a trois options. La première option est de faire appel à un consultant externe dont le rôle est de faire l’état des lieux et des propositions. Mais, il aura pris son argent sans se soucier de ce que les propositions aient été appliquées ou non. La deuxième option, c’est qu’on décide de faire carrément recours à un coach, c’est-à-dire faire venir une expertise qui assistera et donnera des pistes d’orientation. Pour autant qu’elle ne se substitue pas à l’autorité portuaire. En majorité, la plupart des réformes qui sont envisagées dans beaucoup de pays se focalisent sur cette option. On appelle beaucoup plus des ports internationaux qui ont fait leurs preuves au niveau du management et qui ont fait des résultats concrets. Le coach oriente, il n’est pas forcément responsable des résultats probants.
La troisième option, c’est le management de transition. On fait appel à un management externe qui viendra avec sa valise pour prendre le contrôle temporaire du port. Ce n’est pas seulement faisable dans l’espace portuaire, mais cela est remarquable aussi dans les entreprises. Lorsqu’une firme est en difficulté, on fait appel à un manager de transition. C’est ce management de transition qu’on appelle la gestion déléguée. On fait appel à une expertise internationale pour suppléer la structure qui est là, juste pour mettre l’entreprise sur les rails, rééquilibrer les données, et fixer le cap afin qu’après le départ, il n’y ait plus de danger. L’environnement international aujourd’hui nous oblige à penser à cette réforme.
Je trouve que des options précitées, le coaching a un défaut. Lorsque vous êtes un bon coach et qu’on vous confie une équipe faible, vous pouvez juste rehausser le niveau sans pour autant atteindre le sommet. Le coaching a donc ses limites, mais en ayant l’avantage de préserver le personnel en poste. De mon point de vue de technicien, le management de transition, c’est l’avenir de la plupart des pays en voie de développement, si nous voulons véritablement rentrer dans la dynamique des ports internationaux qui se font connaitre aujourd’hui par leurs performances.
Contrairement à ce qui se dit, c’est l’une des options plausibles. L’avantage est la fixation des objectifs : un cahier de charges bien défini, des critères de performance établis et des objectifs qu’on pourrait suivre régulièrement. C’est déjà une bonne option d’avoir choisi un armateur. Elle sera utile pas seulement pour ce gouvernement mais dans le futur. Tous ceux qui viendront ici pourront bénéficier des performances de notre port. C’est indispensable, puisque le Port représente plus de 80% de l’économie de notre pays. Si le port ne fonctionne pas bien, demain, nous ne pourrons pas payer les fonctionnaires.

Comment le choix du mandataire doit se faire ?
Je disais tantôt que pour choisir un concessionnaire, on voit la situation de l’entreprise, les résultats obtenus, les plans de formation qu’il propose, etc. Les mêmes critères entrent aussi en compte lorsqu’on veut choisir un mandataire. Puisqu’il faut choisir une entreprise et non des individus, dans le cas d’espèce, le premier critère, il faut tenir compte de la liste des meilleurs ports au monde pour voir avec lequel nous avons beaucoup plus d’affinités. Dans le top 50 des meilleurs Ports au monde, la Chine à elle seule présente plus de 20 ports. Lorsqu’on vous dit que votre port de Cotonou table sur un tonnage annuel de 10 à 12 millions, il y a des ports dans le monde qui sont à 600 millions. Il y a des ports dont le trafic journalier dépasse l’ensemble du trafic annuel du Bénin. Pour rendre performant le Port, il faut pouvoir travailler avec ces gens pour s’imprégner de comment parviennent-ils à atteindre ce résultat. En dehors des ports chinois, il y a des ports européens, des ports japonais et coréens. Parmi les Ports européens qui figurent dans le Top 50, il y a le port de Rotterdam. Après ce port, il y a le port de Rangers, vient ensuite le port de Hambourg en Allemagne, puis Amsterdam en Hollande. A l’échelle européenne, le Havre se situerait à la 8e place. Ce qui veut dire que le plus grand port des Français n’est même pas dans le Top 5 européen. C’est la réalité des chiffres.

Comment choisir alors ?
Si nous allons vers les Chinois, la première difficulté, c’est d’abord la barrière linguistique. La deuxième raison pour qu’on ne choisisse pas les Chinois, c’est la distance entre la Chine et le Bénin. Si vous prenez l’ensemble des ports ouest africains, chacun d’eux reçoit des navires provenant des grands ports mondiaux. Les ports chinois ne desservent pas trop les ports africains parce que la distance est longue. Donc le choix des Chinois n’est pas possible. En Europe, on peut penser tout de suite à la Hollande. Mais les mêmes raisons peuvent se présenter, notamment la barrière linguistique. Si vous prenez un coach pour votre équipe et il parle une langue que vous ne comprenez pas, vous n’allez pas vous en sortir. Le port de Rotterdam est l’un des plus sollicités au monde pour le coaching. Alors, on est tenté de choisir les ports français pour faire court. Mais là, les ports français souffrent des mêmes maux que des ports africains, même si c’est dans une moindre mesure. La technologie existe. Mais ce qui plombe les ports français, c’est beaucoup plus les grèves. J’ai fait une étude récemment sur les ports français, c’est pratiquement 58 jours de grèves par an. C’est donc des milliards de perdu pour les armateurs. Si on veut aller à leur école, autant renforcer le droit de grève pour que les gens fassent des débrayages tous les jours. On pourrait les prendre comme des coaches, mais pas comme forcément des managers. Cela n’exclut pas qu’avec d’autres paramètres, qu’ils soient les meilleurs pour nous. Quant au dernier choix, c’est-à-dire Anvers, la Belgique est un pays où on parle français. C’est le deuxième plus grand port européen et c’est l’un des rares ports dans le monde à avoir survécu à une tempête politique pendant deux ans. Anvers n’a jamais chuté à cause des querelles politiques, contrairement à d’autres ports où lorsqu’il y a une crise politique, cela affecterait le port. Anvers a donné les preuves que lorsqu’un port est géré de façon professionnelle, avec des compétences bien définies, il pourrait atteindre des objectifs sans pour autant subir les affres de la situation socioculturelle. Anvers est l’une des plateformes où se côtoient les plus grands armateurs au monde. C’est aussi l’un des rares ports à avoir mis en compétition au niveau des conteneurs plusieurs opérateurs de terminaux dans le monde. Dans le top 5 des meilleurs opérateurs de terminaux, Anvers détient pratiquement 4. C’est l’une des plateformes portuaires dans le monde où on est sûr que le trafic est exponentiel. L’autre spécificité d’Anvers, c’est l’un des rares ports à avoir pieds dans tous les ports ouest africains. A Anvers, il y a un navire qui s’appelle Cotonou express qui vient avec des voitures d’occasion. C’est également l’une des plateformes qui disposent d’un des grands centres de formation professionnelle dans la gouvernance et la gestion des ports. C’est un centre lancé par l’Organisation maritime internationale et dont les compétences sont reconnues par les Nations-Unies pour la qualité de leurs performances. La France également en dispose où j’interviens de temps en temps.
Quand je rassemble tous ces éléments, je me dis que pour un port qui veut choisir un mandataire, l’idéal serait de tenir compte des relations socio-économiques qu’on a déjà avec les grands ports. Il ne faut pas aussi que la barrière linguistique soit un frein à l’évolution de la communauté portuaire. Anvers est l’un des rares ports où l’on ne parle pas que le français. On parle aussi le Flamand. Le dernier élément, c’est la connaissance de l’environnement socioculturel de l’Afrique. Sur ce point aussi, Anvers fait office d’expérimenté dans le domaine des choix posés. Cet ensemble montre clairement qu’Anvers remplit tous les critères, même si je n’ai pas vu le cahier de charges du Gouvernement et les critères qui ont conduit au choix du port d’Anvers. Mais de mon regard d’expert, je pourrais aussi choisir Anvers. Ce qu’on a fait, ce n’est pas au port d’Anvers même qu’on a confié la gestion du Port de Cotonou. Le port d’Anvers est géré sous le modèle de port propriétaire, comme notre port aussi. Cela ne changera rien de manière spécifique. Mais le port d’Anvers a des filiales. Et l’une de ses filiales, c’est Port of antwerp international (PAI) qui est une filiale qui s’occupe de la promotion de l’expertise portuaire de l’autorité de Anvers.

Pourquoi une filiale et non le port de Anvers lui-même ?
La plupart des grands ports ont cette direction. Malheureusement, j’ai mal pour l’Afrique, parce que chaque fois que nous constituons nos directions portuaires, nous ne voyons pas très loin. Ces directions sont des lieux de rassemblement des anciennes expertises portuaires. Les anciens du Port peuvent servir dans les directions de conseil portuaire. Qu’ils aient fait bien ou mauvais, ils ont appris quelque chose. Ils peuvent monnayer leurs expériences. Mais la plupart des ports africains n’ont pas cette direction. Ce qui fait que les DG, une fois remplacés, sont réduits à leur personne. Alors qu’ailleurs, on les récupère en tant que personnes ressources. On fait d’eux une communauté d’experts. Donc Pai, c’est une filiale du port de Anvers sans pour autant être l’autorité directe du port de Anvers. Ce n’est donc pas le Dg du Port de Anvers qui viendra donner des ordres ici au Port de Cotonou comme beaucoup le pensent.
Le Port de Cotonou n’est pas non plus privatisé parce qu’on a fait venir un délégataire. Le management de transition, c’est qu’il vient pour nous aider à remettre l’entreprise sur les rails. Et dès qu’il finit, il nous cède l’entreprise.

Que proposez-vous pour éviter que nous allions droit au mur ?
La première chose à faire, c’est que lorsqu’on signe des contrats avec des compagnies internationales, la plupart des pays africains oublient d’insister sur l’obligation de transfert des compétences. Je ne sais pas ce qui est contenu dans le cahier de charges. Mais il faut s’assurer que le Bénin disposera, après le passage de Anvers, des compétences pointues. Je le dis parce que la plupart des cadres portuaires béninois vont se faire former. Mais cela ressemble à une balade. Car, lorsque le cadre revient de la formation, ses collaborateurs ne sont jamais imprégnés des documents qu’il a eus. Ce qui fait que les mêmes formations sont octroyées à plusieurs personnes. Et ainsi, l’autorité portuaire perd de l’argent. Et puisque ces formations ne sont pas capitalisées, elles ne servent alors à rien. Il faut asseoir une direction de suivi de la formation. On peut carrément identifier ceux qu’on envisage prendre pour continuer la gestion de notre port d’ici quelques années. Ils seront appelés à collaborer avec Anvers, à suivre leurs pas et à être formés de bout en bout.
La deuxième exigence, c’est que lorsqu’on signe les contrats avec les compagnies internationales, la plupart des pays africains ne pensent pas qu’il faut aussi superviser ces entreprises. La supervision d’une activité pareille nécessite la présence des experts pour demander, en faisant l’audit logistique, si nous sommes toujours dans les normes internationales. On peut amener une entreprise internationale qui va renflouer les caisses de l’Etat et boycotter d’autres performances techniques. On peut aussi banalement faire venir une entreprise qui ne transfère pas les compétences. Quand on prend les experts comptables, ils ne feront que des analyses du point de vue économique. Le pays doit avoir une équipe pluridisciplinaire qui va jauger ce qui se fait dans tous les compartiments de l’outil portuaire. Ces deux éléments sont fondamentaux pour que nous nous assurions que la réforme va permettre à atteindre des objectifs. Parce que Anvers dispose des compétences techniques avérées. Anvers, c’est pratiquement 240 à 208 millions de tonnes par an. Et quand vous faites la moyenne pondérée de tout le flux qui vient de Anvers vers l’Afrique de l’Ouest, on est pratiquement à plus de 40 millions de tonnes de marchandises. Même si, par leur dynamisme, ils décidaient de faire du Port de Cotonou, un port secondaire, et qu’on nous transfère ne serait-ce que 10 millions de tonnes, nous allons avoisiner pratiquement 20 millions de tonnes. Ce qui nous amène à concurrencer le Nigeria, puisque le Bénin tourne autour de 12 millions de tonnes par an. Le Togo nous dépasse avec 14 millions de tonnes, la Côte d’Ivoire, autour de 16 millions de tonnes, ainsi que le Ghana. Le Nigeria tourne autour de 20 millions. Voilà un peu l’ensemble des éléments qui nous permettent de dire que, si la réforme est bien appliquée avec l’expertise de Anvers, on est en mesure d’espérer des lendemains meilleurs pour le port autonome de Cotonou. Et il faut aussi rassurer le personnel portuaire, parce que la réforme en elle-même est bonne. Mais lorsqu’on ne fait pas la pédagogie de la réforme, elle n’est pas totalement comprise.
J’ai eu la chance de suivre les propos du Chef de l’Etat à la télé. Lorsqu’il a rencontré le personnel portuaire, j’étais en mission en Suisse. Il a parlé de la sauvegarde de l’emploi et la possibilité d’augmentation des salaires et du trafic pour l’intérêt du pays. Cela veut dire que, si on aime son pays, et qu’on a des réformes de cette nature, on doit plutôt encourager le Chef de l’Etat. Rien ne peut justifier la réticence des uns et des autres. Ailleurs, les gens ont été aussi réticents, mais lorsqu’on explique en détail, le commun des mortels comprend la nécessité de mettre en œuvre ces réformes.
Au niveau du Gouvernement, le manque de pédagogie constitue un frein. Parce que le Président de la République a expliqué, cette tâche devrait être continuée par les autorités compétentes. Mais j’ai l’impression que soutenir, c’est devenu des incantations ou des slogans. Il ne faut pas soutenir des projets par des slogans. Il faudrait expliquer pourquoi on soutient. Si l’argumentaire est logique, je pense qu’on peut admettre que ça vaut le coût. Parce qu’au Togo, le Mca a investi pour agrandir le quai du port de Lomé. Le Togo aussi a fait appel aux expertises externes. La Côte d’Ivoire a également fait appel aux entreprises internationales pour moderniser son port. Actuellement, le port d’Anvers est à San Pedro en Côte d’Ivoire. Au Ghana, c’est la même chose. Lorsque les concurrents immédiats sont en train d’investir, et que vous refusez d’investir, rassurez-vous que vous vous réinventez ou vous disparaissez. Parce que le Port n’existera pas sans le trafic. Et ce trafic ne viendra pas si le Niger, le Burkina, le Mali, le Tchad ne sont pas en phase avec vos politiques commerciales. Et ce sont les pays de l’hinterland qui définissent la vie d’un port. On va redéfinir les conditions commerciales et les partenariats stratégiques. Ce que Anvers va changer au Bénin, c’est qu’il y aura une relation particulière entre la ville et le port. Parce que le plan de développement de la ville de Cotonou doit intégrer la présence du Port de Cotonou afin que la mobilité urbaine n’affecte pas les performances portuaires. Les performances portuaires ne se résument pas forcément aux infrastructures portuaires, mais elles s’étendent beaucoup plus sur l’ensemble du corridor logistique jusqu’au client final. Ce dernier est la plupart du temps un homme d’affaires au Niger ou dans d’autres pays. On peut accélérer la procédure au port, mais si on fait 5 heures pour arriver au Niger, l’homme d’affaires dira que c’est fatigant. Voilà pourquoi une autorité portuaire ne doit pas résumer sa performance aux activités d’empotage et de dépotage portuaire. Il résume cette performance sur la connaissance et les performances de la chaine logistique globale jusqu’au client final.



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