Entretien avec Noël Chadaré, Sg/Cosi-Bénin sur les déclarations du Chef de l’Etat : « J’ai vu un Chef d’Etat qui voit le mal partout »

Patrice SOKEGBE 29 janvier 2014

Les propos tenus par le Chef de l’Etat lundi dernier face aux jeunes au palais de la Marina suscitent déjà des réactions. Dans un entretien accordé à votre journal, le Secrétaire général de la Confédération des organisations syndicales indépendantes (Cosi-Bénin), Noël Chadaré a dénoncé l’application de la décision des défalcations sur salaires et relevé les incohérences entre les propos du chef de l’Etat et la réalité. Aussi, a-t-il recommandé au Chef de l’Etat de cesser de voir Patrice Talon partout.

Noël Chadaré, Sg/Cosi-Bénin

Depuis la semaine dernière, certains travailleurs ont vu leur salaire défalqué. Quelle est votre réaction à ce sujet ?
Je crois que c’est une provocation, en quelque sorte déclencher la guerre aux travailleurs, parce qu’on s’attendait à tout sauf cela. On croyait que c’était au stade des menaces et on a estimé que le gouvernement le dit juste pour inquiéter les travailleurs. Mais le pouvoir de Yayi est passé effectivement à la défalcation sur salaire. C’est d’abord un acte injuste, illégal, parce que nous avons une loi qui régit la grève, la loi de 2002 portant exercice du droit de grève au Bénin qui explique en son article 25 les conditions dans lesquelles on peut défalquer. Dans cet article 25 de cette loi, il est dit que les grèves ayant pour motifs les violations des libertés fondamentales et des libertés syndicales et le non payement des droits acquis des travailleurs ne sont l’objet d’aucune retenue sur salaire, d’aucune défalcation. En l’espèce, notre grève est une grève pour les libertés. On a été réprimé dans une marche pacifique de façon sanglante. Nous avions décidé de marcher pour la jouissance de nos droits. On a aussi marché pour demander qu’il y ait plus de justice en ce qui concerne ce concours frauduleux. Donc, nous demandons qu’on relève Azandé placide et Pierre Coovi Agossadou qui sont responsables de la répression de cette marche. Si on avait laissé les gens marcher librement, on n’aurait pas eu cette grève. Donc, on ne peut pas nous défalquer pour ça. La défalcation est une provocation. Et vous allez constater aujourd’hui que ça a donné un coup de pouce au mouvement de grève, parce que les praticiens hospitaliers, les professeurs d’université, les magistrats et autres vont en grève illimitée, et tout le monde est remonté contre cette décision. Tous les travailleurs sont remontés et exigent la rétrocession pure et simple dans un délai bref de tout ce qu’on a prélevé indûment aux travailleurs. Sinon, la grève prendra une ampleur incontrôlable.

Pourtant, le Chef de l’Etat a déclaré qu’il ne doit rien aux travailleurs et qu’il n’y a pas d’arriérés salariaux. Trouvez-vous ces allégations fondées ?
Il me semble que le Chef de l’Etat n’est pas très bien informé. Il y a un accord qui a été signé en 2011, après la décision de la Cour Constitutionnelle suite au recours déposé par Ingrid. Et la Cour avait dit que les 25% octroyés aux Agents du Ministère des finances étaient faits de façon discriminatoire. Et il y a eu des négociations Gouvernement-Syndicats à ce sujet. Et il a été dit qu’il faut l’étendre à tous les travailleurs. Les 25% ont été répartis comme ceci : 5% en 2011, 5% en 2012, 5% en 2013 et 10% en 2014. Les 5% en 2011 n’ont pas été donnés à ceux qui ont commencé par bénéficier de la revalorisation des indices de traitement. Les autres travailleurs qui en bénéficient n’ont pas eu les 5%, en dehors des gens du ministère des finances qui ont eu les 25% d’un coup. Ceux des autres ministères qui ont commencé par en bénéficier n’ont pas encore reçu les 5% de 2011. Et les enseignants n’ont pas les 25%. Or, le décret est clair ; les accords signés avec les travailleurs sont clairs. Nulle part, on n’a dit que les enseignants sont exclus. Donc, il doit bel et bien aux travailleurs.
Autres dettes, c’est nos arriérés salariaux, nos rappels. Moi, je gagne mon salaire de 2012, alors que j’ai déjà un avancement depuis 2012. Et je suis en 2014. J’ai eu une promotion. On dépose les dossiers, mais ils sont gelés dans les ministères. On n’applique pas cela avant de parler de rappel qu’on doit à tous les travailleurs.
Il y a aussi les accords signés vis-à-vis des praticiens hospitaliers depuis 2008. C’est des accords signés après des négociations. C’est aussi des dettes. Il ne peut alors pas dire qu’il ne doit pas aux travailleurs. Il faut qu’il se rapproche de ses services financiers pour qu’on lui dise ce que l’Etat doit à ses travailleurs.

Le Chef de l’Etat a aussi affirmé qu’il n’a recommandé quelque préfet ou Commissaire que ce soit à réprimer une marche.
J’ai apprécié qu’il dise cela. Il a même demandé aux gens de nous laisser marcher. Si on nous avait laissé marcher, on ne serait pas dans la situation actuelle. Nous n’étions pas partis pour une grève. Quand on pense que c’est des gens qui commanditent le mouvement, on se trompe. En reconnaissant qu’il n’a pas demandé aux gens de tirer, que doit être la conséquence ? Il n’y a pas de cohérence entre ce qu’il a dit et la suite des évènements. Je serais à sa place que j’adresserais une demande d’explication à ceux qui ont fait quelque chose que le Chef de l’Etat n’a pas voulu qu’on fasse, puisqu’il ne leur a pas dit de réprimer. Des sanctions devraient pouvoir suivre. Mais on a l’impression que ces gens sont peinards. Placide Azandé et Pierre Coovi Agossadou ne sont pas inquiétés. Pire, ils font des déclarations pour dire que nous avons fait de la comédie et que ce qui nous est arrivé n’est pas vrai et qu’il n’y a pas eu de blessés. Le Chef de l’Etat lui-même a répété les propos de Placide Azandé, en disant que des gens ont pris de Mercurochrome, de l’encre, de sang de mouton. Des propos qui sont sortis de la bouche d’un syndicaliste fantoche. C’est bien décevant que ce soit ainsi.
Il faut que le Chef de l’Etat cesse de voir Talon partout. Talon n’est pas à la bourse du travail ici. Nous ne le connaissons ni d’Adam ni d’Eve et il n’y a pas d’intermédiaire entre lui et nous. Le combat qu’on mène est un combat pour les libertés, la justice, l’équité. Les chances de nos enfants pour les concours, c’est aussi un combat. Chacun doit s’exprimer librement dans ce pays sans en être inquiété. Nous n’avons rien à foutre avec Patrice Talon et il ne peut pas nous manipuler. C’est une insulte de dire qu’on nous donne de l’argent. C’est lui qui a découvert Talon. S’ils ont des problèmes entre eux, qu’ils les règlent. On n’était pas là quand leur amitié a été scellé. Par conséquent, on n’a rien à foutre, s’ils ne s’entendent pas entre eux. Il ne faut pas qu’on prenne le Bénin en otage pour des querelles de deux personnes. Dès qu’il y a un problème, on dit Talon. A cette allure, si le Chef de l’Etat a un problème dans sa maison, on dira que c’est Talon. Nous ne sommes pas des irresponsables, nous sommes des adultes et on ne peut pas nous manipuler. Qu’il enlève cette idée de la tête.
Si jamais quelqu’un veut mettre entre parenthèses la démocratie, celui-là sera face aux syndicats. Nous ne sommes pas dans un schéma de soulèvement populaire pour faire du désordre et nuire à quelqu’un qui a été élu légalement. Nous savons que Yayi Boni a été élu. Et il doit aller au terme de son mandat. Il faut qu’il soit rassuré.

La démocratie n’est-elle pas en ballottage si le Chef de l’Etat dit qu’il arrive un moment où il va bondir ?
J’ai vu un Chef d’Etat qui voit le mal partout. Il voit que l’enfer, c’est les autres. Il faut qu’il regarde la réalité en face, parce que c’est des situations de fuite en avant. Sur qui est-ce qu’il va bondir ? Nous sommes des citoyens et nous avons les mêmes droits. Et s’il veut mettre en difficulté la démocratie, les citoyens sont là pour en juger, pour prendre les décisions qui s’imposent. Parce que si la démocratie était mal en point, lui-même ne serait pas arrivé. En 2005 – 2006, nous nous sommes battus, non pas pour qu’il arrive, mais pour que les gens comme lui soient libres d’être candidats. Nous avons vu la clause de la résidence qu’on a voulu agiter pour empêcher de virtuels candidats d’aller aux élections. Nous nous sommes mis avec les forces sociales pour dire non. Aussi, quand il y avait des tentatives de révision de la Constitution en 2006 de la part de son prédécesseur, nous nous sommes mis dans la bagarre avec Elan et tout. En ce moment, on ne voyait pas qu’il y avait complot et que c’est à la bourse du travail que les gens venaient. Parce qu’il fallait se battre pour que tout le monde puisse être candidat, pour que les élections se fassent et qu’on ne modifie pas la Constitution. Et ça a marché. Quand le Président Kérékou disait qu’il n’y a pas d’argent pour organiser les élections, c’était les syndicalistes du ministère des finances qui ont sorti des chiffres. Ils nous avaient aidés pour qu’il y ait les élections. Donc, nous menons un combat juste. On ne peut jamais nous acoquiner avec quelqu’un qu’on ne connaît d’ailleurs pas. Même s’il envoyait des intermédiaires, nous ne sommes pas des pantins. Nous n’en avons jamais reçu d’ailleurs et nous ne sommes pas dans ce schéma.
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE



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